• 1 Nous pouvons citer, pour Saint-Sever-de-Rustan :
  NAVIGLIO Olivier, CARADANT B.E.T., LE DOUARIN Yves, (...)
• 2 À l’occasion de l’inventaire dressé en 1690, les seuls éléments de décor sont « deux bustes de plât (...)

1Les décors de gypseries sont peu connus dans les Hautes-Pyrénées du fait d’une certaine carence d’inventaires systématiques. Les artisans qui sont intervenus demeurent inconnus, de même que la provenance du plâtre. Si les décors d’églises et d’abbayes sont assez bien repérés, les intérieurs civils n’ont pu, qu’à de très rares occasions, être étudiés1. Les observations montrent toutefois, qu’excepté pour quelques illustrations urbaines, ce type d’ornement ne se généralise ici qu’au XIX^e siècle. Pour les périodes antérieures, les précurseurs en ce domaine paraissent être les élites religieuses et aristocratiques, même si elles semblent adopter ici les plâtres sculptés avec retard par rapport à d’autres régions françaises. Si l’apogée des gypseries est atteinte au Grand Siècle en maints endroits (Rouergue, Languedoc…), en Bigorre des réalisations de cette époque ne sont pas connues. Même au château des ducs de Gramont, à Séméac, les inventaires des années 1690 ne décrivent que des décors de tentures et de bois ou de carton doré2. Des décors civils de la seconde moitié du XVIII^e siècle, conservés dans la Madiranais ou le Lavedan, présentent des toiles tendues à motifs de verdures et des panneaux de lambris. Le choix décoratif des trumeaux de cheminées fait davantage appel à la peinture imitant les toiles peintes ou les textiles qu’au plâtre sculpté qui n’apparaît vraisemblablement en Bigorre que durant les années 1750.

• 3 Un dispositif comparable existe dans l’escalier de l’abbaye de L’Escaladieu.
• 4 « … les murs sont enduits et percés d’ouvertures dont les encadrements en pierre sont surmontés d’a (...)

3Sur les murs bien enduits d’un crépi à la chaux puis plâtrés prennent place des moulures au profil en doucine déterminant des panneaux rectangulaires cintrés en partie haute ou en « chapeau de gendarme ». À l’intérieur du pavillon central de l’hôtellerie, prévu pour une majestueuse cage d’escalier, un plafond est créé avec la mise en place d’une structure en charpente faisant saillie dans les combles3 (fig. 2). Dans les chambres des moines, les ornements de plâtre accompagnent la pose de lambris, cheminées et alcôves (fig. 3) ; aménagements qui vont à l’encontre des constitutions mauristes mais ces libertés sont alors observées dans de nombreuses maisons religieuses telle l’abbaye cistercienne de l’Escaladieu. Elles vont se poursuivre une vingtaine d’années plus tard : dans les années 1770, l’installation de plafonds plâtrés à voussures est préconisée (avec un bon siècle de décalage par rapport aux exemples parisiens) et les murs sont revêtus de panneaux plus riches que vingt ans auparavant. Des ornements de plâtre agrémentent aussi les ouvertures à l’extérieur des bâtiments (fig. 4)4.

• 5 « Petites Améliorations réalisées au Petit-Séminaire pendant l’année 1881 », Annuaire du Petit-Sémi (...)

5À Saint-Pé actuellement, seule la grande cheminée au rez-de-chaussée de l’aile orientale a conservé un décor du XVIII^e siècle composé de baguettes et enroulements de style rocaille. Mais, si les intérieurs ont été repris depuis la Révolution, l’érudition locale garde témoignage, dans les années 1880, d’un ornement – actuellement disparu – sur la cheminée de « l’ancienne chambre du prieur qui forme aujourd’hui l’appartement de Monseigneur l’évêque »5 (aile est, sur la cour des cloîtres). Y était représenté le blason du monastère (fig. 5). Ces armes associaient un élément du blason mauriste (le mot PAX) à celui de l’abbaye et de la ville de Saint-Pé (les clés en sautoir, liées par les chaînes de saint Pierre). Ces armes sont ainsi décrites : « Dans un cartouche, écu ovale rétréci par le bas : d’azur à deux clés en sautoir, les pannetons en haut et adossés, les anneaux reliés par une chaîne ; à un chef chargé du mot PAX, entouré de deux palmes ». Elles ont été reprises comme en-tête dans des documents du Petit-Séminaire. Même si la matière n’en est pas précisée, nous pensons qu’il pouvait s’agir d’une sculpture de plâtre.

• 6 ABADIE Stéphane, MARCOS-RIGALDIÈS Françoise, ROUVRAY Thibaut de, « L’église Saint-Saturnin de Louba (...)

9L’église de Loubajac, près de Lourdes, présente quant à elle un décor particulièrement soigné sur l’arc triomphal et la voûte du chœur, structures médiévales rhabillées dans le goût baroque (fig. 8). Ces travaux pourraient correspondre à la période 1760-1779 durant laquelle le curé est l’abbé Jean-Paul Duco et qui voit le renouvellement du mobilier, attribué à l’atelier lourdais des Claverie6. Quelques édifices religieux présentent aussi des retables de plâtre. C’est le cas d’Aureilhan et de Montignac.

• 7 BERNARD-CALATAYUD Isabelle, GUITTON Philippe, Le baroque en pays tarbais, Connaissance des Ferrère (...)
• 8 Ibidem.
• 9 Relevé qui nous a été aimablement communiqué par l’association Patrimoine d’Aureilhan.

10À Aureilhan, l’église est largement remaniée entre 1772 et 1774, vraisemblablement avec l’appui des chevaliers de Malte dont elle dépendait7. Dans le chœur, un retable en stuc est sculpté mais il est occulté de nos jours par un retable de bois qui proviendrait du couvent tarbais des Ursulines8. On ne distingue plus du décor originel que son extrémité figurant rayons, cartouche rocaille et rinceaux feuillagés. Toutefois, un relevé en a été fait en l’an 2000 par un érudit local, Bernard Barragué9. Montignac offre une illustration plus modeste mais toutefois bien présente. Le retable majeur et celui de la chapelle latérale nord, ainsi que les deux baies du chœur présentent un travail de plâtre sculpté (fig. 9). Il pourrait s’agir d’une réalisation de la toute fin du XVIII^e siècle ou bien du début du siècle suivant. D’autres stucs, figurant rinceaux, feuillages et angelots sur fond de treillages existent aussi dans l’église d’Artagnan.

• 10 Comme en témoignait déjà Louis Caddau dans ses notes concernant la salle des gypseries : « Tous les (...)
• 11 Inventaire révolutionnaire, ADHP, 1 Q 383.

11À Saint-Sever-de-Rustan, en se basant sur une étude stylistique et sur un devis des années 1770, il semble que l’on puisse distinguer deux types de décors se succédant à intervalle d’une vingtaine d’années. Ils sont d’abord inspirés du style rocaille puis de l’ornement de style classique ou « à la grecque » avec, parfois, une association des différents vocabulaires ornementaux10. En dehors des baguettes et moulures en doucine, les sculptures attribuables à la première période (années 1750) se limitent à quelques cartouches asymétriques tel celui qui décore une cheminée au rez-de-chaussée du dortoir – pièce dénommée en 1791 « Chambre des Étrangers11 » (fig. 10). À l’étage supérieur, la cheminée de la chambre du prieur, présente des rinceaux et guirlandes fleuries disposés autour d’une coquille. Dans les salles au premier étage de l’hôtellerie, des cheminées et alcôves répondent au même style. Le vestibule de ce bâtiment possède des ornements d’architecture encadrant l’arc ouvrant sur la cour des cloîtres : pilastres à chapiteaux et entablement inspirés de l’ordre corinthien et composite, clés pendantes et cartouches chantournés, médaillons.

• 12 Extrait du devis estimatif des réparations à faire à la maison abbatiale de St Sever (1^er octobre 1 (...)
• 13 BULLET Pierre, Architecture pratique, Les libraires associés, Paris, 1762 ; Nouveau livre des cinq (...)

12Le devis des années 177012 ne décrit pas précisément les décors de plâtre à réaliser mais ils sont voulus opulents : le plafond de la sacristie sera « en plâtre enrichi de ses moulures et corniches, autour dudit plafond et aux endroits nécessaires, suivant l’ordre yonique (sic) ou composite ». Un décor architecturé avec les agréments déclinés de chaque style est donc projeté. Les modèles inspirés des différents ordres d’architecture étaient bien connus des architectes, tailleurs de pierre, maçons et autres artisans. Ils figurent dans des ouvrages largement diffusés tels L’Architecture pratique ou le Nouveau livre des cinq ordres d’architecture…13 Le décor de plâtre sculpté de l’église d’Aureilhan reprend les dispositions du retable classique en bois : un soubassement rectangulaire décoré de croix de Malte supporte deux pilastres lisses surmontés d’un entablement encadré par deux pots à feu qui délimitent un panneau central (destiné à recevoir une peinture ?). Le tout est cantonné d’ailerons à enroulements feuillagés et surmonté d’une gloire composée de rayons et du triangle trinitaire et dominé par deux rinceaux feuillagés, reprenant le tracé des arcs de la voûte disparue, réunis par un médaillon rocaille à motif de vannerie et de roses. À Montignac, le retable en trois parties est scandé de colonnes lisses et de pilastres encadrant un relief de l’Assomption et les statues en ronde bosse de saint Jean l’évangéliste et saint Pierre (fig. 11). Un fronton curviligne surmonte l’ensemble, portant Dieu le Père dans les nuées, des cartouches décoratifs et guirlandes de roses.

• 21 Certaines sculptures de plâtre pouvaient être peintes afin de renforcer leur aspect naturaliste ou (...)

16Cet ensemble est complété par des motifs de médaillons ovales, de coquilles et de guirlandes sur la hotte de la cheminée, entre les deux fenêtres et au-dessus des portes. Les murs nord et sud présentent deux portes feintes de plâtre sculpté à doubles battants qui ont reçu à une certaine époque une peinture couleur bois renforçant le trompe-l’œil d’une menuiserie21.

• 22 On pourrait citer, en Occitanie, les décors de l’abbaye de Belleperche (Tarn-et-Garonne) où le réfe (...)
• 23 FRANCEZ Jean, « Documents maçonniques », Revue des Hautes-Pyrénées, t. 30, Tarbes, 1935, p. 5-20, 8 (...)

17Triomphe de l’art profane, ces trophées illustrent les agréments de la vie champêtre et pastorale dans la première partie de la pièce et les saisons dans la seconde (avec, toutefois, une absence de l’hiver)… Cette iconographie courante dans les abbayes22, témoigne de l’ouverture sur le monde et des plaisirs propres au siècle des Lumières et de la douceur de vivre. La présence de supposés motifs maçonniques ne doit pas nous étonner à une époque où bien des notables – y compris religieux – appartiennent à des loges. Les travaux de chercheurs ont montré la présence de loges maçonniques à Bagnères-de-Bigorre, Barèges et Tarbes au cours du XVIII^e siècle23. Une autre hypothèse proposée serait de voir, dans ces motifs symboliques, la marque ou la signature d’un compagnon gipier.

• 24 Suite de Trophées d’après le Chevalier de la Touche gravé par Paty, Suite de Trophées d’après le Ch (...)

18La conception des trophées est ici directement inspirée, pour les motifs n° 1, 2, 3, 4 et 9 de modèles de Jacques-Ignace de La Touche-Loisy gravés par Paty et imprimés par Chéreau à Paris vers 175024 (fig. 16). Comme c’était le cas pour les peintre et sculpteurs réalisant des retables, un recueil d’estampes devait être entre les mains du sculpteur sur plâtre qui s’est entendu avec les moines de Saint-Sever pour réaliser leur nouveau cadre de vie.

• 25 Numéros d’inventaire MR 152 ; N 1157 ; Ma 589. https://collections.louvre.fr/ark :/53355/cl01027893 (...)

19À l’abbaye de l’Escaladieu, c’est très vraisemblablement une gravure de la statue de Diane chasseresse issue des collections royales, dite Diane de Versailles, entrée au Louvre en 1798, qui est utilisée comme modèle pour le décor d’une cheminée25.

• 26 Plateforme ouverte du Patrimoine, notice objet mobilier IM65010107.

22La voûte du chœur présente des moulures délimitant des panneaux chantournés peuplés de rinceaux et bustes d’angelots encadrant une imposante figure centrale de Dieu le Père planant dans des nuées auréolées de rayons. Surmontant le maître-autel, un baldaquin à courtines festonnées rappelle le couronnement d’un lit « à la polonaise », complète le fronton curviligne du retable (voir fig. 9). Ce type de motif peut se retrouver dans des culs-de-lampe illustrant des ouvrages ou des estampes. À Saint-Sever-de-Rustan, un canon d’autel, édité par le graveur-marchand Étienne Charpentier entre 1739 et 1760 présente, en partie centrale, la Crucifixion figurée sous une tente à lambrequins soutenue par des anges26.

• 27 SAULIÈRE Matthieu (frère), « Visite de l’église Saint-Saturnin de Loubajac », Notre-Dame. Tournay, (...)

23Le motif des tentures, associées à des figures d’anges, accentue encore à Loubajac la sacralisation du sanctuaire dont l’accès est marqué par un emmarchement, la barrière de communion et un arc maçonné. À l’instar du tabernacle originel de la Bible, construction édifiée par les Hébreux au désert afin d’abriter l’Arche d’Alliance, reprise dans l’ordonnancement du Temple de Jérusalem, pourrait se voir ici un rappel du « voile », fermant le Saint des Saints. Il serait gardé par les figures de deux chérubins. Le chœur, dont l’accès est réservé aux seuls prêtres, est ainsi présenté comme le lieu de la présence divine (illustrée par la figure du Père éternel et le tabernacle). Le second pavillon, dominant le retable, renforce encore cette monumentalisation27. Lors de sa réalisation, ce décor était vraisemblablement uniformément blanc, contrastant ainsi avec les couleurs et dorure du retable et la teinte foncée des lambris du chœur. La couleur bleue actuelle ne remonte sans doute qu’aux travaux des années 1890.

• 28 Extrait du devis estimatif des réparations à faire à la maison abbatiale de St Sever (1^er octobre 1 (...)
• 29 À L’Escaladieu, la reprise, fin 2020, du plafond de la salle située à l’ouest de l’escalier de l’ai (...)

24Le devis pour les travaux à l’abbaye de Saint-Sever-de-Rustan, visé par les Eaux et Forêts28, contient d’intéressantes précisions techniques sur la mise en œuvre des plafonds prévus aux infirmeries, dans la tour d’escalier et autres lieux réguliers. Ils seront faits « suivant les règles de l’art », fixés aux poutres et solives « avec des lattes, sous lesquelles sera posée une couche de mortier de blanc en bourre, de terre argile, de chaux et de sable »29 (fig. 20). Ensuite sera appliquée une seconde couche de mortier fin composée de « chaux et de sable bien uni ». C’est sur cette base, renforcée par l’intégration de filasse ou de crin (« bourre ») (fig. 21), que le plâtre était appliqué, en plusieurs couches, puis lissé et sculpté (fig. 22).

• 30 La référence au moulage apparaît ainsi au XVIII^e siècle : « … plâtre qu’on jette en moule, comme go (...)

25La mise en œuvre de la sculpture n’est en revanche pas décrite mais peut se déduire de l’observation des décors qui subsistent. À Saint-Sever, sur la cheminée de la chambre occidentale du dortoir se devinent, sous les enduits lessivés, des traits à la sanguine qui ébauchent le motif (fig. 23). À partir de cette base, le maître gipier pouvait appliquer le plâtre et le sculpter en fonction de modèles gravés choisis avec son commanditaire. Le décor était façonné par modelage dans les couches de plâtre encore fraîches ou bien sculpté et peint une fois le plâtre pris. Certains ornements répétitifs (baguettes, moulures) pouvaient aussi être réalisés séparément avec des moules ou lissés avec des gabarits puis incorporés dans les parements30.

• 31 Un cliché du fonds Bouyssounouse (AD HP, 13 Fi 224/17 A) montre le trumeau d’une cheminée de la rue (...)
• 32 ADHP, 3 E 3398, f° 223-227, contrat de mariage Claverie-Rives Cabeillat. Document aimablement commu (...)

26Le gipier qui a œuvré à Saint-Sever-de-Rustan est très certainement aussi intervenu dans une demeure bourgeoise de Tarbes31. Lors de certains chantiers, l’architecte pouvait jouer un rôle de recrutement des artisans. Gratian Lavedan, qui intervient à l’abbaye, vit et réalise des projets à Tarbes. L’auteur des décors de l’église de Loubajac n’a pu, à ce jour, être retrouvé dans les archives mais une attribution peut être avancée. Cette réalisation de stuc est à associer à celle du retable majeur et surtout de son tabernacle dans lequel on reconnaît le style de l’atelier Claverie, établi à Lourdes. Or, lorsque Jean Claverie, natif de Bielle en Ossau, épouse en 1741 Marie de Rives Cabeillat, fille de maître menuisier de Lourdes, il est qualifié de « plâtrier »32 et se perfectionne semble-t-il dans le travail du bois par la suite. Un cartouche d’une cheminée de L’Escaladieu porte la date 1824 et le nom Ferlus sur un décor de partition musicale (fig. 24). Pourrait-il s’agir de la signature d’un gipier ? Ce n’est peut-être pas le cas, Ferlus étant aussi le patronyme de musiciens actifs dans le sud de la France aux XVIII^e et XIX^e siècles.

• 33 PESLIN, Rapport sur l’exposition industrielle du département des Hautes-Pyrénées, Tarbes, 1860, p.  (...)

27Quant au gypse, il en existe bien une carrière située à Barlest, en limite des départements des Hautes-Pyrénées et des Pyrénées-Atlantiques, non loin de Loubajac. Pourtant, ce gisement ne paraît avoir été exploité avant les années 184033. La matière première devait donc être vraisemblablement apportée des provinces voisines du Languedoc ou de Gascogne. L’obligation de faire venir le plâtre, les diverses qualités proposées et la difficulté de conserver ce matériau sont autant d’hypothèses pour expliquer sa faible utilisation avant les dernières décennies de l’Ancien Régime.