• 1 BION DE MARLAVAGNE, 1875, p. 70.
• 2 J.-B. BEAU, Idée excellente de la haute perfection ecclésiastique…, Clermont, 1656, p. 284. Les arm (...)
• 3 Ce mur abritait d’ailleurs un passage menant directement de l’extérieur de la cathédrale à la chape (...)

3La construction de la chapelle du Christ au Jardin des Oliviers est à situer entre le dernier quart du XV^e siècle et le premier quart du siècle suivant1. On sait en effet que les deux premières travées de la nef de la cathédrale de Rodez étaient construites en 1470 et que, à la fin de l’épiscopat de Bertrand de Chalençon (1457-1494), les murs des dernières travées de la nef n’étaient élevés « que de la hauteur de deux hommes2 ». La reprise de la construction après 1470 est nettement visible sur les relevés de géomètres réalisés en 2017 (fig. 1). Ils mettent en évidence la différence entre le mur et le pilier est de la chapelle, dont les dimensions et l’emprise sont cohérents avec ceux des chapelles situées plus à l’est, et celles du mur et pilier ouest, beaucoup plus conséquents et légèrement désaxés3.

• 4 LANCON, 2022.

4La clé de voûte de la chapelle du Christ au Jardin des Oliviers a disparu, mais celles des dernières travées des collatéraux et des chapelles portent toutes les armes de François d’Estaing (1504-1529) ou du chanoine Gaillard Roux – cette dernière porte par ailleurs un décor daté par une inscription de 1523 –, datant au plus tard des années 1520 l’érection des voûtes des dernières travées de la cathédrale. La description de la chapelle du Jardin des Oliviers que donne en 1523 un voyageur italien, Pandolfo Nassino, fournit un terminus ante quem pour sa construction et son décor4.

• 5 Voir DOR, 2019-2020.

5La chapelle n’a conservé de son décor médiéval que le retable du Christ au Jardin des Oliviers (fig. 2). Les sondages réalisés en 2020 n’ont pas mis en évidence de restes de peintures murales. Pourtant Pandolfo Nassino décrit dans la chapelle « de nombreuses peintures : Judas, qui trahit Jésus-Christ en indiquant aux Juifs que celui qu’il avait embrassé était Jésus-Christ ». Cette scène était probablement représentée en peinture murale, en accompagnement du retable, comme le montre le cycle cohérent formé par les sculptures et les peintures murales dans la chapelle voisine du Saint-Sépulcre5.

• 6 Bethphagé (Maison des Figues) est un lieu de l’ancienne Judée, aujourd’hui partie de Jérusalem.

7Le paysage de rocaille sous l’arc représente le Jardin des Oliviers ou Gethsémani. En bas à droite se trouve la porte d’entrée du Jardin, couverte d’un toit à double pente en tuiles, et en partie supérieure un petit château crénelé représente Jérusalem, surmonté de l’inscription « Bethphagé6 ».

• 7 Le premier, allongé, est reconnaissable à son visage juvénile, le second aux petits coquilles saint (...)
• 8 Notamment par BION DE MARLAVAGNE, 1875, p. 216.

8Au centre se tient le Christ agenouillé en prière. Au-dessous de lui à gauche se trouvent les trois apôtres Jean, Jacques et Pierre7, endormis dans une anfractuosité du rocher, et au-dessus du Christ rayonnent en arc-de-cercle cinq anges et Dieu le père. L’ange situé le plus à gauche tient des instruments de la Passion, la croix, les clous et la couronne d’épine, tandis que les quatre autres tiennent des phylactères portant des inscriptions. Elles ne sont plus que partiellement visibles par endroits, mais elles ont été décrites anciennement8 et la présence de certains mots permet de restituer des citations des évangiles :

• 9 DESACHY, 2004, p. 51.

9Les archives anciennes de la cathédrale ne renseignent ni sur le commanditaire du retable ni sur son auteur, mais l’hypothèse formulée par Matthieu Desachy en 20049, qui l’attribue à Hélion (ou Hélyon) Jouffroy, chantre de la cathédrale de 1470-1515, en s’appuyant à la fois sur la présence des armes de France et sur la comparaison entre le retable et la description de la maison du chantre, fait aujourd’hui l’unanimité.

• 10 BION DE MARLAVAGNE, 1875, p. 216.

10Les trois fleurs de lys sur l’écu porté par l’ange sont des réfections de la fin du XIX^e siècle (voir infra), probablement d’après des vestiges bûchés et encore visibles à l’époque, comme l’indique Louis Bion de Marlavagne en 1875 : « ces figures sont effacées, mais la trace indique trois fleurs de lys10 ».

• 11 Voir l’inventaire après décès de la demeure d’Hélion Jouffroy, septembre-octobre 1530. AD Aveyron, (...)

11La présence des armes de France, sans le chef particulier à la maison d’Estaing maintes fois reproduit dans la cathédrale, est probablement à mettre en lien avec les armes qu’Hélion Jouffroy fait représenter à plusieurs reprises, notamment à l’entrée de l’escalier à vis de sa demeure ruthénoise11.

• 12 Ibid.
• 13 LANÇON, 1995, p. 351. Ces descriptions sont issues de témoignages de plusieurs personnages qui visi (...)
• 14 BROMBLET, 2020, p. 2.

12Par ailleurs, la mise en œuvre de deux matériaux suffisamment rares pour être remarqués, le tuf de source qui constitue en partie le rocaillage du retable et le plâtre de l’architecture et de la galerie de personnages, a été rapprochée de manière convaincante avec les descriptions médiévales de la maison ruthénoise d’Hélion Jouffroy. Plusieurs sculptures sont mentionnées en « boix ou gif a plastre12 », et dans son oratoire à l’intérieur de sa maison, s’élevait un arbre de Jessé dans un décor de rocaille, « avec des figures de villes, citez, chasteaulx fondées sur rochiers de piarre creuze […] avecques plusieurs hermites et figures dermitages ». L’un des témoins qui visite cet oratoire précise que cette « piarre estrange quon appelle tury […] costoit braucop aud. feu Geoffroy car il la faisoit tirer d’une riviere nommee Salle pres dud. Rodez de deux lieues ou environ13 ». Comme le fait remarquer Pierre Lançon, il s’agit sans aucun doute de tuf provenant de Salles-la-Source, ce que confirme les observations faites en 2020 sur le retable du Christ au Jardin des Oliviers par Philippe Bromblet, géologue au CICRP (Marseille)14.

• 15 Voir par exemple GUILLOT DE SUDUIRAUT, Sophie. Dévotion et séduction, Sculptures souabes des musées (...)

13La représentation du Christ au Jardin des Oliviers est relativement courante dans la région au sein de cycles de peintures murales ou de vitraux représentant la Passion. En revanche, et à la différence d’autres régions d’Europe, comme l’Allemagne et les Pays-Bas méridionaux15, il est beaucoup plus rare de trouver des groupes sculptés représentant cette scène.

• 16 Un très grand merci à Pierre Lançon, bibliothécaire de la société des Sciences, Lettres et Arts de (...)
• 17 Jacques Baudouin (BAUDOUIN, Jacques. La sculpture flamboyante en Rouergue et Languedoc. Nonette : e (...)
• 18 Pierre Lançon m’a également signalé une mention du livre de la fabrique de Saint-Amans, selon laque (...)

14Un retable très nettement inspiré de celui de la cathédrale est conservé dans l’une des chapelles Sud de l’église Saint-Amans de Rodez (fig. 3). Ce retable provient probablement de l’ancienne église des Cordeliers de Rodez, qui aurait été déplacé en 1802 dans l’église Saint-Amans, à la demande des paroissiens. Le retable est d’ailleurs cité dans l’inventaire révolutionnaire de l’église du monastère des Cordeliers16. Le style de ce retable, manifestement hétérogène, est assez déroutant. Les quatre anges qui flanquent le retable et qui tiennent les instruments de la Passion pourraient dater de la fin du Moyen Âge17. Les angelots et Dieu le père, placés au-dessus de l’arc sommital du retable, sont datables de la fin du XVII^e ou du début du XVIII^e siècle. En revanche les personnages de la scène centrale : l’ange, le Christ, les trois apôtres, appartiennent davantage au XIX^e siècle. Peut-être, comme le suggère Pierre Lançon, a-t-il été très remanié au cours de son transfert ou après sa mise en place18 ?

• 19 https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/PM12000693. Attribution proposée par Sophie Guillot (...)
• 20 RIVIERES (baron de). Procès-verbal de la visite de l’église métropolitaine et du chapitre d’Alby. B (...)

15À notre connaissance une seule autre sculpture représente la scène du Christ au Jardin des Oliviers dans le Rouergue : il s’agit d’un élément d’un retable démembré conservé dans la chapelle de Mels à Sainte-Geneviève-sur-Argence, importé des Pays-Bas méridionaux et daté des années 1440-145019. Une autre représentation sculptée est citée dans un procès-verbal de visite de la cathédrale d’Albi en 1698 : « Il y a un petit retable enfoncé dans le mur, de pierre en relief peint ou doré, où est représenté Nostre-Seigneur priant aux Jardins des Oliviers, accompagné de deux pilastres et chapiteau20 ».

• 21 Voir DOR, 2019-2020.

17La représentation de sibylles et prophètes connaît une fortune considérable à partir de la fin du XV^e siècle en Europe. Dans la cathédrale de Rodez, La clôture de la chapelle voisine du Saint-Sépulcre, en montre des exemples d’une qualité remarquable, datables des années 152021.

• 22 BAUDOUIN, op. cit., p. 209-211.
• 23 BOU, Gilbert. La sculpture du Rouergue à la fin du gothique. Rodez : Carrère, 1971, p. 58-62.

18Le style du retable n’a pas fait l’objet de commentaires approfondis à ce jour. Les auteurs qui ont écrit sur la sculpture rouergate se sont contentés de généralités sur le style ou de comparaisons ou attributions à des sculpteurs trop peu documentés pour être convaincantes, comme à Pierre Viguier22 ou Guillaume Jean23.

• 24 AN, F/19/7851 et AD Aveyron, 4 N 115 et 4 N 111 ; archives en partie retranscrites dans DE BARRAU, (...)

21Seulement deux restaurations anciennes du retable sont documentées. La première date de la fin du XIX^e siècle (1887-1889). Elle a été réalisée par le sculpteur ruthénois François Mahoux (1832-1901) sous la direction de l’architecte Waldwein, Audebert étant le curé de la cathédrale à cette époque (voir fig. 15)24.

• 25 Un doute subsiste sur la date de la réfection des ailes de l’ange E.

22Cette intervention a consisté fondamentalement à restituer deux parties manquantes des festons sous l’arcade, toute la partie droite de la frise sculptée au sommet du retable, plusieurs des ailes ou parties d’ailes des anges et quelques zones de la partie gauche25. Le remplage de la galerie haute autour des pinacles aurait également été réparé avec du plâtre blanc à cette époque. Des fragments de ce remplage ont été retrouvés, enfouis sous les gravats amoncelés dans le passage derrière la porte de Gethsémani.

• 26 AN, F/19/7851/PHOTO. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/UD/FRAN_IR_057010/c-1s (...)
• 27 Analyses LIBS/IRTF réalisées sur place par le laboratoire EPITOPOS.

23Les observations des traces de polychromie sur des restes de colmatages anciens et débordant sur le remplage, réalisées par Rosalie Godin, et la comparaison de l’état actuel avec une photographie prise en 1887, avant restauration, par l’architecte Waldwein26, témoignent des déplacements de statuettes (la 18 et la 21), de réfections de têtes des statuettes (la tête de la 4^e et la 20^e), et de l’installation de nouvelles statuettes en plâtre blanc (voir fig. 4 : n° 1, 3, 11, 17, 19 et 22). Les figures et la frise semblent avoir été harmonisées lors de cette intervention avec une patine couvrante jaune, à la caséine27.

• 28 AN, F/19/7851.

24Selon une lettre du ministre des Cultes à l’architecte diocésain François Waldwein, datée du 4 juillet 1890, « le bas-relief qui occupe le fond de cette chapelle a été badigeonné d’un ton de terre cuite qui en a altéré le caractère » […] [alors qu’il] « possédait quelques restes de peinture qu’il eut été préférable de rétablir28 ».

• 29 MPP, fonds G. Costa, 1989/009/009/052 et documentation des objets mobiliers, dossier cathédrale de (...)

26La deuxième intervention connue est datée de 1957. Cette intervention, réalisée par l’entreprise Maimponte sous la direction de l’architecte L’Hermite, semble avoir été essentiellement consacrée à décaper les statues de la scène centrale : apôtres, Christ et des anges. Sur le devis de l’entreprise29, des raccords de sculpture et de rocaille étaient prévus. Manifestement, par comparaison entre les photos prises avant et après 1957, ces deux derniers postes n’ont probablement pas, ou très peu, été réalisés.

• 30 Rodez, Société des Sciences, Lettres et Arts de l’Aveyron, photographies de Louis Balsan : n° 3214 (...)

27En revanche, nous avons constaté après dépoussiérage et par comparaison de deux photographies réalisées avant et après cette restauration (l’une de 1936 et l’autre de 1966)30, un allégement du badigeon jaune sur les statues de la galerie.

• 31 BROMBLET, 2020.
• 32 Smart Portable Near Infrared Spectrometer Reflective, manipulé par Olivier Rolland, conservateur-re (...)

29Les éléments constitutifs du retable sont hétéroclites ; certains sont d’origine, d’autres proviennent des anciennes restaurations. En 2020, lors de l’étude de diagnostic, en collaboration avec Philippe Bromblet, certains matériaux ont pu être identifiés sur l’ensemble des parties constitutives du retable accessibles depuis un échafaudage par des observations ponctuelles in situ, et par des analyses minéralogiques sur une dizaine de prélèvements d’échantillons sélectionnés31. Ces observations ont été complétées en cours de nettoyage. Elles ont été couplées avec des analyses ponctuelles au spectromètre32. Plusieurs prélèvements adressés au laboratoire Epitopos ont également donné des informations sur le substrat. Ces matériaux sont repérés sur un relevé graphique de l’élévation du retable (fig. 16).

• 33 AD Aveyron, 4 N 114, cité dans Paronetto, 2004, p. 79 ss.

30L’architecture du retable est adossée à la maçonnerie de la chapelle, en grès jointoyé au mortier de chaux et sable. La niche, profonde de plus d’un mètre, est aménagée dans l’épaisseur de la maçonnerie. Cette dernière reste visible derrière les statuettes de la galerie supérieure. De part et d’autre du retable ainsi que sur les piliers et sur l’ensemble des murs de la chapelle, la maçonnerie est recouverte de couches de badigeon dont un de couleur brun-rose qui date des années 1820, lors des interventions de l’architecte Étienne Joseph Boissonnade sur la totalité des parements intérieurs de la cathédrale33.

• 34 D’après analyse faite d’un échantillon prélevé sur un meneau (P) entre les statuettes 16 et 17, voi (...)

31L’architecture du retable est en plâtre blanc dur additionné d’une charge dont du tuileau orangé qui lui donne une coloration légèrement rosée34.

• 35 Provenant probablement de Salles-la-Source au-dessus de Rodez : LANCON, 1995, note 20 p. 341.

37Cette rocaille est constituée de fragments de tuf calcaire de source35, de stalactites ou stalagmites assemblés au mortier de chaux en avant du fond de la niche telle une maçonnerie séparée. Dans cet assemblage, des espaces vides, notamment derrière les trois statues des apôtres endormis, laissent passer l’air et la lumière et montrent la maçonnerie en grès rose du fond de la niche. Des barres métalliques d’ancrage sont visibles, une au centre de la rocaille entre la niche et le Christ, derrière l’ange de la Passion et l’ange inférieur droit. Sous les trois apôtres et au-dessus de l’autel, la rocaille a été remaniée, des blocs de calcaire et des scories y ont été inclus. Des fragments de plâtre sont aussi présents en partie inférieure au sein d’une maçonnerie en petits moellons – partie de la maçonnerie probablement restaurée au-dessus de l’autel. En partie inférieure gauche, de fausses stalactites sont en plâtre et résine. À droite, derrière les pieds du Christ et plus bas, les stalactites sont réalisées en moulage et recouvertes d’une substance à déterminer, fixés avec des clous en fer à tête plate. Il s’agit très probablement de la restauration de 1957 (ou plus récente ?).

• 36 BROMBLET, 2020, p. 2.

38Dans la scène principale, des éléments sont réalisés en plâtre, manifestement d’origine : la couronne d’épine tenue par l’ange de droite, le château représentant Jérusalem, le chemin qui mène au Christ ou l’ange tenant le blason avec les trois fleurs de lys. Le blason est en plâtre rose tandis que les fleurs de lys rapportées sont en plâtre blanc36. Elles datent de la restauration de la fin du XIX^e siècle, de même que deux parties de festons de l’arc déjà mentionnées.

• 37 Ibid., analyses faites sur statuette 17, prélèvement 17a.

41Les statuettes de la galerie supérieure sont particulièrement intéressantes. Les statuettes 1, 3, 11, 17, 19 et 22, complétées ou ajoutées lors de la restauration de 1889 par le sculpteur François Mahoux, sont bien reconnaissables par leur style et par leur matériau, un plâtre blanc chargé en sable calcaire ou plâtre et chaux37. Elles sont recouvertes d’un badigeon jaune pâle, le « badigeon café au lait » appliqué par François Mahoux et cité dans les archives. Des parties manquantes de certaines statuettes (4, 8, 14, 20) ont été refaites au plâtre blanc de même nature que celui utilisé en 1889.

• 38 Ibid., analyses faites sur statuettes 15 et 16, prélèvements 15a, 16a.
• 39 Ibid., analyses faites sur statuette 12, prélèvement 12a.

42Les statuettes gothiques (2, 4 à 10, 12 à 15, 18, 20 et 21), polychromées, sont en plâtre blanc ou plâtre et chaux38. Une seule, la statuette n° 12 est en terre, a priori cuite, recouverte d’une couche blanche composée d’un plâtre chargé de sable fin39. Elles sont de différentes tailles et la plupart sont pleines, sans traces d’outils au revers. Seules les n° 5, 6, 9 et 16 présentent un revers creusé, dont la surface porte des traces de gradines.

• 40 Ibid., analyses prélèvement 15b et 17a.
• 41 Ibid., analyses faites sur colmatage des statuettes 12 et 16, prélèvements 12b, 16b, 16c.

43Certaines statuettes sont posées sur des socles (2, 4, 7, 8, 9, 14, 15, 18, 20). Ces derniers sont de différentes natures, en plâtre et chaux ou plâtre et calcaire pour celui de la statuette 17, en pierre calcaire pour la statuette 1540. Certaines (notamment les 5 et 16) semblent avoir été tronquées en partie inférieure pour entrer dans la niche. Elles sont scellées dans ou en avant de leur niche respective et aux meneaux par des colmatages de même nature, c’est à-dire en plâtre blanc ou plâtre blanc chargé d’un sable fin41.

• 42 EPITOPOS, Rodez, cathédrale, chapelle du Christ au Jardin des Oliviers, analyses de polychromies, R (...)

46En revanche, la scène du Jardin des Oliviers et les personnages de la galerie supérieure ont été polychromés dès l’origine. La scène centrale a fait l’objet à la fois de repeints et de décapages, rendant difficile la restitution de la polychromie originale. Les observations, couplées à des analyses in situ au LIBS et à plusieurs analyses à partir de prélèvements42, permettent toutefois d’en avoir une idée sur la plupart des zones colorées.

• 43 Voir par exemple la tour dans la scène du Christ au limbes du retable du Saint-Sépulcre de la cathé (...)

47Le rocaillage de la scène centrale est rehaussé de touches colorées ocre et vert, rendues bien visibles par le nettoyage (fig. 21). Elles ont été appliquées afin de reproduire les couleurs du tuf de source en milieu naturel. Des scories de mâchefer, noires et brillantes, contribuent également à cet effet. Le château représentant Jérusalem en partie supérieure du rocaillage présente un décor de faux appareil blanc sur fond gris-noir, comme on le retrouve souvent sur les représentations d’architecture de l’époque43.

• 44 EPITOPOS, Rapport n° D23130-2, p. 18-19.

48Au-dessus du rocaillage, le fond est bleu, parsemé de petites étoiles en cire vraisemblablement moulées selon la technique des « brocarts appliqués », et dorées à l’origine (fig. 22)44.

• 45 Les coquilles de l’apôtre Jacques n’ont pas fait l’objet d’observations au LIBS, mais la présence d (...)

52En outre, plusieurs applications à base de cire ont été observées sur le retable. Des motifs en relief parsèment le vêtement de Dieu le père (fig. 25), et des petites coquilles bordent le col de l’apôtre Jacques (fig. 26). Ils ont vraisemblablement été obtenus selon la méthode des brocarts appliqués (ou « décors en relief moulés et appliqués »)45.

• 46 https://collections.louvre.fr/ark :/53355/cl010095597

53Un recensement effectué dans le Sud-Ouest montre que la technique des brocarts appliqués n’est manifestement conservée que sur des sculptures de grande qualité, qui se comptent aujourd’hui en très petit nombre. Dans le Rouergue des brocarts ont été observés sur les sculptures suivantes : retable du Saint-Sépulcre de la cathédrale de Rodez, sur celui de la basilique de Ceignac à Calmont (Aveyron), et sur un saint Jean rouergat aujourd’hui conservé au musée du Louvre (RF 4699 ; ENT 1999.4146).

• 47 EPITOPOS, rapport D23130-2, p. 14-15.

54Enfin, des décors plus surprenants ornent le vêtement de l’ange J, sortes de pastilles plates (fig. 27) dont la matière n’a pas pu être déterminée au LIBS. Des décors assez épais recouvrent la bride du manteau de saint Jean, obtenus notamment par une couche de cire, mais a priori sans feuille d’étain47.

• 48 EPITOPOS, rapport D23130-2, S. 1.2 et S.2, p. 8-11.
• 49 Voir par exemple les ailes des anges voisins du retable du Saint-Sépulcre, sur celle de l’ange d’An (...)

55Les ailes des anges étaient dorées à l’origine, et des restes de glacis rouge sur l’or, encore visibles malgré les décapages (fig. 29)48, leur donnaient localement un effet chamarré, comme cela s’observe souvent sur les ailes des anges dans la sculpture de cette époque49.

• 50 Analyses effectuées au LIBS (voir infra) par le laboratoire Epitopos. Rapport n° D22134-1 en date d (...)
• 51 Sur la sibylle 12, voir EPITOPOS, rapport D23130-2, S.10, p. 24-25.

56Enfin, des restes de polychromie ont été mis en évidence sur les personnages de la galerie haute50. La nature des pigments et leur mise en œuvre pourraient correspondre avec une polychromie médiévale. On trouve notamment pour le vert et le bleu des résinates de cuivre et du jaune de plomb-étain et de l’azurite, des rouges à base d’ocre ou de vermillon et un décor qui correspond à un « brocart appliqué »51.

• 52 Voir dans la bibliographie les travaux de G. Mallet, Xavier Barral i Altet et Bénédicte Palazzo-Ber (...)
• 53 BéA, Adeline. Les demeures gothiques des riches marchands de Cordes : premier état d’une étude reno (...)
• 54 MASSON-LAUTIER, Maïna. Gypseries en Provence : décors moulés médiévaux. In Situ [En ligne], 28 | 20 (...)

58L’usage du plâtre au Moyen Âge dans la région a été mis en évidence pour la période romane, en particulier en Roussillon et en Catalogne52. En revanche, son utilisation durant la période gothique est beaucoup moins bien connue. Des placards en plâtre dans des maisons cordaises du XIV^e siècle53 pourraient constituer des indices d’un usage ininterrompu du plâtre dans le décor civil durant tout le Moyen Âge, à l’instar de la Provence voisine, région riche en gisements et savoir-faire liés au plâtre, qui conserve plusieurs éléments de décor ou de construction médiévaux (escaliers, plafonds à entrevous en plâtre moulé, frises…)54.

• 55 GODINOT, Florence. Étude et restauration d’une sculpture en calcaire polychromé : la Vierge d’Annon (...)

59Le plâtre entre également dans la réalisation de sculptures des XV^e et XVI^e siècle de la région, mais son usage est limité au mortier de scellement et aux couches préparatoires. Il est utilisé de façon presque systématique seul pour assembler des éléments d’une même sculpture, parfois associé à des goujons (bois, os, fer), et, pour les parties architecturées, souvent en lissage par-dessus un mortier plus grossier à base de chaux. Il est d’ailleurs étonnant de constater que les joints au plâtre de certains éléments sculptés étaient délibérément laissés très débordants, quoique lissés et portant des traces d’outils originaux, comme par exemple sur le portail de la cathédrale de Lavaur (Tarn) (1^er quart du XVI^e siècle) (fig. 30). Le plâtre est plus rarement utilisé pour compléter des parties de certaines sculptures, comme par exemple sur la Vierge d’Annonciation du musée Fenaille (inv. 858.2.1) (fig. 31)55.

• 56 DUBOIS, 2012, p. 40 ss.

60Mais on ne conserve pas de sculpture en ronde-bosse à proprement parler en plâtre, exception faite des personnages situés au sommet du retable du Christ au Jardin des Oliviers. En revanche, quelques manteaux de cheminées et un retable ont été repérés à ce jour dans la région, prémices du développement du plâtre dans les décors des XVI^e et surtout XVII^e siècles. Ils sont sans doute les rescapés d’un grand nombre d’exemples détruits, comme le laissent à penser de nombreux prix-faits connus pour le Midi56.

• 57 VIOLLET-LE-DUC, 1859, p. 208-211.

61Deux cheminées en plâtre, dont l’une monumentale, avaient été remarquées par Viollet-le-Duc lors de son séjour à Saint-Antonin-Noble-Val, qu’il compare avec d’autres repérées près de la place du Capitole à Toulouse. Toutes les cheminées qu’il mentionne ont disparu, mais il en donne le relevé précis dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture, détaillant le montage du pan de bois formant armature pour l’une d’entre elles57.

• 58 LONCAN, Bernard (dir.). Caylus et Saint-Antonin-Noble-Val, Tarn et Garonne. Le patrimoine de deux c (...)

62D’autres cheminées en plâtre sont conservées dans cette zone de la vallée de l’Aveyron : la dernière cheminée subsistante de Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne), dans la maison dite du Roi (fig. 32), et une cheminée en plâtre peint dans le doyenné de Varen58.

• 59 Je remercie Diane Joy, alors directrice du patrimoine de la ville de Rodez, de m’avoir signalé l’ex (...)

63Une cheminée en plâtre nous a été signalée à Rodez59 (fig. 33). Elle provient d’un hôtel particulier détruit dans les années 1980, qui se situait rue Court-Comtal (parcelle AC 267). Elle a été remontée dans une maison du Vieux-Rodez.

• 60 DUBOIS, Jacques. Transformations et embellissements dans l’abbaye aux XV^e et XVI^e siècles. L’abbaye (...)

67Une autre cheminée monumentale en plâtre est encore conservée en place dans le palais abbatial de l’abbaye de Lagrasse (Aude) (fig. 35), ainsi que des fragments d’une autre. Toutes deux seraient attribuables aux campagnes de construction et d’embellissement commanditées par le grand prélat Philippe de Lévis. Son décor et sa technique ont été précisément analysés par Jacques Dubois, qui la date des années 1510-151560.

• 61 Les archives anciennes relatives à l’église Saint-Jacques de Montirat ont été consultées par Hélène (...)
• 62 Sondages réalisés par Marc Philippe, restaurateur. Ibid.

68Enfin, un retable encore conservé dans l’église Saint-Jacques de Montirat (Tarn) (fig. 36) fait la transition avec la Renaissance. Plus de citations du gothique flamboyant, mais un vocabulaire résolument antiquisant, datable des années 1530. Malheureusement, ni les archives61 ni les initiales portées au milieu du chapeau de triomphe porté par les anges ne permettent d’en savoir davantage sur son auteur ou sa commande. La polychromie actuellement visible sur le retable est récente, et les sondages semblent montrer que les parties architecturées n’étaient pas polychromées à l’origine62. Dans les niches en revanche (non sondées), le décor réalisé par le peintre italien Jacques Bosia en 1835 recouvre probablement des représentations de personnages et/ou de scènes historiées.

• 63 Laser Induced Breakdown Spectroscopy.

69En octobre 2022, le retable a été partiellement dépoussiéré, des écailles de polychromie au niveau des statues de la galerie haute refixées, et des examens visuels sous lumière du jour et UV-A à 365 nm ainsi que des analyses élémentaires des matériaux par LIBS63 ont été réalisés. Ces premières analyses élémentaires de la surface ont été complétées par une douzaine des coupes stratigraphiques pour analyse au MEB-EDS et IRTF après avoir dépoussiéré et décrassé les surfaces.

• 64 Les dépôts sur la corniche étaient de nature plutôt inorganique, tandis que les dépôts retrouvés de (...)

72Le dépoussiérage poussé de l’ensemble du retable par aspiration sous filtre HEPA s’imposait d’abord. Lors de cette opération, environ 2,8 kg de dépôts de poussières marrons ont été récupérés sur la corniche haute, environ 3,7 kg derrière les statues et environ 10,8 kg de poussières et gravats sur le reste64.

• 65 Tests visuels pour l’analyse semi-quantitatif d’anions par bandelettes Quantofix© (sulfates, chloru (...)

73La mise en solution aqueuse de ces dépôts a mis en évidence une pollution par des chlorures et des nitrates65 autour de la galerie haute. Pour cette raison, il a été prévu de réaliser deux dosages de cations et d’anions, à trois profondeurs, au niveau des pinacles. Seules ces parties de la galerie présentent des altérations visibles, liées à la présence des sels solubles : desquamations et délitages de la surface des pinacles, et des microcristaux assimilés à des petites efflorescences sur les statuettes aux alentours.

• 66 Solution aqueuse de sulfate de calcium à saturation (2,1 gr/L à 20 °C), pH 7,5-8,5 et une conductiv (...)

75Des nombreux essais de nettoyage du plâtre de l’architecture ont été réalisés. D’abord, du nettoyage à sec avec différents types d’éponges : des « smoke éponge » à base de caoutchouc naturel et des « PU-éponges » à base de mousse de polyuréthane hydrophile. Ensuite, du nettoyage humide avec de l’eau selénité66 avec différentes éponges : en latex micro-vulcanisé extrêmement absorbante et de mélamine. Ce nettoyage avec une eau chargée en sulfate de calcium a permis d’éliminer l’encrassement, plus prononcé sur la partie gauche de l’architecture qui avait reçu des jutages au XIX^e siècle et des coulures.

• 67 Plâtre-chaux Tirex et plâtre LGD du fabricant de plâtre, Plâtres Vieujôt.

76François Mahoux avait reconstruit la moitié droite de la corniche de la galerie haute, vraisemblablement par moulage du rinceau existant à gauche, et par staff de la corniche et d’une partie du remplage à bande et bande des pinacles. Cette restauration était rendue disgracieuse par l’absence d’arêtes du larmier et du réseau de remplage, ainsi que d’une surcharge de plâtre. Elle a été reprise par taille et ponçage, et ragréée avec du plâtre-chaux67. Nous avons constaté que le plâtre blanc utilisé par Mahoux était très dur.

• 68 Epitopos - Rapport D23130-1 du 14/12/2023
• 69 Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques (Ministère de la Culture et de la communication, (...)
• 70 Hypothèse à confirmer par des analyses en cours au CICRP.

77Les dosages d’anions et cations par chromatographie ionique réalisés par EPITOPOS68 sur le pinacle sud (plâtre rosé), pour caractériser les efflorescences, ont confirmé la présence de chlorures et des nitrates, et mis en évidence du magnésium. Ces valeurs sont en dessous de seuil admissible en % pondéral d’anions d’une pierre d’après les recommandations du LRMH69. Ces sels seraient peut-être à l’origine de délitages et rugosités. Il est probable que les plâtres de constitution ou de restauration furent dopés avec un adjuvant magnésien70. D’après Builder, Travail du plâtre (1929) la magnésie, la magnésite, la poudre de dolomite, et les chlorures magnésiens ont été employés comme retardateurs et/ou durcisseurs.

• 71 Jauges G1 et G3 du fabricant Saugnac®

79L’utilisation combinée des différents matériaux d’origine (plâtre, bois et métal ferreux) étant par ailleurs à l’origine d’une partie des fissures et des microfissures de la galerie haute, une partie d’entre elles a été colmatée au plâtre. Les fissures les plus importantes n’ont pas été colmatées, mais contrôlées par l’installation de deux fissuromètres (fig. 39)71.

• 72 Coques dures de noyaux de fruits. Dureté environ 3,5 Mohs. Saveg 150 majoritairement 0,1-0,2 mm don (...)

82La rocaille très empoussiérée présentait un aspect grisâtre prononcé. Nous l’avons d’abord dépoussiérée par aspiration avec filtre HEPA. Le décrassage en profondeur a été réalisé par micro-gommage à faible pression (<1 bar) avec de la grenaille végétale72. Une attention particulière a été portée à la conservation des rehauts vert malachite et ocres jaunes. Finalement, la récupération des poussières et le rinçage à la vapeur sèche ont permis de mettre en valeur ce mortier de blocage (fig. 41). Celui-ci est très probablement à base de chaux ou de chaux-plâtre. Vingt-cinq fragments de rocaille mobiles ont été refixés avec un mortier à base chaux-plâtre. Dix-huit éléments désolidarisés retrouvés pendant le dépoussiérage ont été replacés.

• 73 PB15, pigment organique, bleu phtalo, phtalocyanine de cuivre ; PBk6, pigment minéral, noir de fumé (...)

85La réintégration chromatique des usures et lacunes les plus petites devait être discernable et réversible. Pour ceci, nous avons réalisé une retouche monochromatique à l’aquarelle. La teinte choisie noire-grisâtre est à base de pigments découverts au XX^e siècle : une teinte neutre qui est un mélange à base des pigments PB15, PBk6, PV1973 et de l’orange cadmium.

• 74 Membrane d’Agar-Art 3 % fabriquée en spray, selon le procédé d’Ambra Giordano.
• 75 Nanorestore Gel© Peggy 5 et 6.

86Les statuettes du XIX^e siècle ont été nettoyées avec des gels rigides d’agar-agar74 et des nano gels75 ; le badigeon jaune étant très hydrosoluble. Elles ont été harmonisées par pulvérisation d’un mélange de pigments (cadmium rouge, bleu cobalt et lithopone blanc) dans un mélange 50/50 acétone-éthanol. Le but était de conserver le badigeon XIX^e, mais de l’atténuer pour mettre en avant les statues originales avec des restes de polychromies et brocarts.

• 76 Programme modulaire pour le nettoyage des polychromies de Chris Stavroudis.
• 77 Solution buffer d’acide acétique 1M.

87Le traitement des sculptures en ronde bosse et du ciel de la partie centrale a débuté par des mesures de pH et de conductivité des surfaces dépoussiérées avec des plaquettes d’agarose posées 3 min. Les mesures ont été réalisées avec un pH-mètre stylo portable LAQUAtwin et un conductimètre portable LAQUAtwin EC22. Après avoir testé différentes solutions aqueuses tamponnées76 , celle qui a été retenue pour le décrassage des polychromies est une solution « d’eau ajustée »77 à pH 7 et 1 000 µS. Selon le niveau d’encrassement, celle-ci a été appliquée gélifiée, par hysope de coton ou d’éponge de mélamine.

• 78 Gamblin Artis Colors, Laropal A81.

91Enfin, nous avons procédé à la réintégration chromatique illusionniste des usures et à un repiquage des blancs avec des pigments naturels mélangés avec des résines ure aldéhydes78 (fig. 43).

• 79 https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/PM71000768

92À ce jour, le nettoyage des sculptures est achevé. L’étude et la restauration du retable ont permis de mieux comprendre la mise en œuvre d’un retable de la fin du Moyen Âge, atypique par ses matériaux, certains des effets de polychromie ainsi que par le style de ses personnages et en particulier des statuettes en plâtre. Les rares éléments de sculpture ornementale en plâtre conservés dans la région, cités en comparaison, sont-ils la partie émergée d’un corpus autrefois plus important mais qui a largement disparu, au gré des modifications des distributions intérieures des maisons et hôtels médiévaux ? Dans la sphère religieuse en tout cas, où les décors ont été globalement mieux conservés jusqu’à nos jours, les retables en plâtre semblent rares pour la période médiévale. Ils deviennent plus fréquents à partir du début du XVI^e siècle, comme le montre le retable du Christ au Jardin des Oliviers, ou encore le très beau retable sculpté en stuc de chaux et plâtre de la chapelle Charvot à la cathédrale d’Autun, livré vers 1530 (PM71000768)79.