1Deux brèves missives enregistrées sous la cote G 62 aux archives départementales de la Lozère dévoilent comment circulaient de précieux objets au milieu du XVIII^e siècle entre le siège de l’Église catholique et le comté du Gévaudan. Prenons d’abord connaissance de ces lettres rédigées à Rome, avant de les commenter.

2Lettre du 4 août 1741

Monseigneur,
Je ne croyais pas être si longtemps sans avoir l’honneur de vous annoncer le départ de l’ornement qui se fait ici pour votre grandeur, mais les longueurs de l’ouvrier ne m’ont pas permis de le voir finir aussitôt que je l’aurais désiré et quelques instances que j’aye faites il ne m’a pas été possible d’accéllérer cette commission. Elle finit enfin aujourd’hui et je vai faire emballer le tout incessamment afin que rien ne l’arrette. Dès qu’il y aura un vaisseau à Civita Vecchia pour Marseille, j’ai ordre de Monsieur l’abbé de Choiseul de l’y addresser à M. l’évêque auquel il faudra que vous ayés la bonté d’écrire pour le prévenir sur l’avis que j’aurai l’honneur de lui donner lorsque les ballots seront partis d’ici. Je prendrai toutes les précautions imaginables afin qu’ils arrivent bien conditionnés et que rien ne se gâte en chemin.
J’ai reçu dans son temps une lettre de change de M. Giraud de Lyon de 286 écus romains qui serviront pour finir le payement au brodeur et pour me rembourser des 50 écus romains que j’avais avancés pour le portrait du pape que M. l’abbé Choiseul avait fait faire ici. Il me reste entre les mains 6# qui ne furent point remises avec la première lettre de change de 289 écus romains ; je m’en servirai pour aider aux frais d’emballage et j’enverrai à Mr l’abbé de Choiseul un petit mémoire de ce que j’aurai fourni de surplus pour cela et pour quelques autres petites commissions dont il a bien voulu me charger.
Je ne scaurais vous exprimer, Monseigneur toute la satisfaction que je ressens d’avoir pû trouver cette occasion de vous donner quelques légères marques de mon zèle. Je serais bien flatté si elle pouvait m’en faire naître de nouvelles à vous être bon à quelque chose et à vous prouver le profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être,
Monseigneur,
votre très humble et très obéissant serviteur. De Lotz.

3Lettre du 3 novembre 1741, de Rome (fig. 1)

Monseigneur,
Je compte que votre ornement sera déjà arrivé à Marseille, il y a vingt jours qu’il est parti enfin de Civitta Vecchia après y avoir resté plus d’un mois à attendre un embarquement et ce délais a été cause que j’ai été si longtemps sans avoir l’honneur de vous en donner des nouvelles, attendant toujours pour cela qu’il fut sur mer.
J’en ai fait faire trois ballots. Dans le plus grand, j’y ai mis les deux devants d’autel, deux petites caisses attachées séparément à la grande où sont les deux portraits du pape et du cardinal Spinola, une boete d’agnus dei et un petit paquet de médailles.
Dans le second ballot, il y a les quatre dalmatiques, la chasuble, la robbe de la Vierge, cinq manipules, trois étoles, le voile du calice, la bourse et la palle - et dans le troisième sont les cinq chappes.
Tout cela m’a coûté de frais d’emballage, port jusqu’à Civita Vecchia et autres menues dépenses 51 livres 5 sols que je prierai M. l’abbé de Choiseul de remettre à M. l’abbé Marzier chez M. le marquis de Canilliac à Paris.
J’ai eu l’honneur d’écrire à M. l’évêque de Marseille à qui les ballots sont adressés afin qu’il puisse les faire retirer et les faire parvenir jusques à Mende où j’espère qu’ils arriveront sans être gâtés, par toutes les précautions que j’ai prises en les faisant emballer.
Je souhaite, Monseigneur, que vous soyez content de mes opérations dans cette occasion où j’ai fait de mon mieux pour mériter votre approbation et celle de Monsieur l’abbé de Choiseul à qui j’ai l’honneur de faire ici mille assurances de mon attachement et de mon respect.
Rien n’est au-dessus de celui avec lequel j’ai l’honneur d’être,
Monseigneur,
votre très humble et très obéissant serviteur. De Lotz.

4Les personnages actifs dans le contexte de ces documents sont bien connus, notamment les deux commanditaires. Entre 1723 et 1767, l’évêque de Mende est Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré, né le 16 juin 1685 à Dinant, dans les Pays-Bas espagnols (fig. 2). Il avait occupé précédemment le siège épiscopal de Saint-Papoul (1716-1723). Devenu évêque de Mende, il est aussi comte de Gévaudan et s’est rendu célèbre par ses efforts pour venir à bout de la Bête du Gévaudan.

5Celui qui est appelé « l’abbé de Choiseul » est Antoine-Clériade de Choiseul-Beaupré (1707-1774), né au château de Daillecourt. Il devient grand archidiacre et vicaire général de Mende en 1733. En 1755, il sera nommé archevêque de Besançon, puis cardinal, en 1761. L’Histoire a plutôt gardé sa trace sous le nom de cardinal de Choiseul.

6L’évêque de Marseille est Henri-François-Xavier de Belsunce de Castelmoron, sur le siège épiscopal depuis 1709 et qui y resta jusqu’à sa mort, en 1755. Il est connu pour son très grand dévouement envers les populations lors de la peste de 1720.

9C’est un ornement liturgique très important et tout à fait cohérent qui a été commandé à Rome : la chasuble, une étole, un manipule, le voile de calice, la bourse de corporal et la pale en sont la base ; ensuite les quatre dalmatiques appellent les deux étoles et les quatre manipules supplémentaires. Les cinq chapes, les deux antependia (devants d’autel) et la robe de la Vierge complètent l’ensemble. Le tout est entièrement brodé ; un tel ornement ne peut qu’être destiné aux fêtes, ce qui le fait supposer être de couleur blanche.

• 4 La moire ou moere du XVIII^e siècle est un gros de Tours passé sous une calandre (action de moirer). (...)
• 5 En fort relief, obtenu sans doute par rembourrage.
• 6 Comprendre « robe de la statue de la Vierge ».

Ornements blancs. Premièrement, l’ornement blanc de moire4 de soye consistant en cinq chapes, les orfrois et chaperons ornés d’une broderie platte, quattre dalmatiques de même, une chasuble brodée en plain, le tout garni de leurs étoles, manipules, voile, bourse et pale, du devant d’autel orné d’une broderie relevée5, et du devant de crédence, avec une Robe de l’image de la vierge6 d’une moire d’or, ornée de même broderie que dessus, ledit ornement donné par Mr de Choiseul.

Malheureusement, dans les inventaires du XIX^e siècle, ces pièces ne sont plus identifiables.