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Dossier

(Re)découvertes d’archives des fiefs occitans des souverains de Navarre à la Renaissance

Rediscoveries of archives of the Occitan lands of the sovereigns of Navarre during the Renaissance period
Philippe Chareyre, Dénes Harai et Álvaro Adot Lerga

Résumés

S’appuyant sur les recherches menées dans le cadre du projet ANR AcRoNavarre, cet article fait le point sur les (re)découvertes archivistiques réalisées dans le domaine du patrimoine écrit concernant les fiefs occitans des souverains de Navarre à la Renaissance.

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Texte intégral

1Sélectionné par l’Agence nationale de la recherche (ANR) en 2016, le projet « Actes royaux des souverains de Navarre » (AcRoNavarre) est coordonné par l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, en partenariat avec quatre établissements d’enseignement supérieur, de la recherche ou de la conservation : Casa de Velázquez, École nationale des chartes, Universidad Publica de Navarre, archives départementales des Pyrénées-Atlantiques. Ce projet est aux avant-postes de la (re)découverte d’archives des xve et xvie siècles grâce à une recherche documentaire d’une dimension inédite, portant notamment sur les fiefs possédés par les rois et reines de Navarre dans ce qui est aujourd’hui la région Occitanie (fig. 1).

Fig. 1

Fig. 1

Logos du projet AcRoNavarre et de l’ANR

Des sources méconnues : les actes et le trésor des chartes des rois de Navarre

2Le projet repose sur la recherche systématique des actes de pouvoir (ordonnances, mandements, lettres patentes, brevets…) émis par la maison de Navarre à la Renaissance, autant de documents classés dans la catégorie administrative qui avaient été ainsi délaissés par les chercheurs au profit des correspondances. Toutefois ces documents, souvent oubliés, sont indispensables pour comprendre quelle a été l’assise du pouvoir de cette monarchie qui donnera à la France l’un de ses souverains emblématiques.

3Les chercheurs du projet ont dépouillé de très nombreux fonds français (Archives nationales, archives départementales et communales, Bibliothèque nationale et bibliothèques municipales) ou ont pu recevoir les reproductions numériques des documents d’archives de plusieurs fonds dont la consultation physique n’était pas possible pour des raisons logistiques et/ou sanitaires. Ils ont également exploré plusieurs fonds européens notamment espagnols. La documentation ainsi rassemblée, très volumineuse et variée, rend possible l’évocation de quelques traits saillants de ces (re)découvertes en lien avec les terres de ces grands seigneurs pyrénéens et plus largement méridionaux qu’ont été les rois de Navarre. En effet, depuis 1512, lorsque Ferdinand d’Aragon s’empare du royaume de Navarre et en chasse les souverains légitimes, ces derniers n’en conservent plus que l’Ultrapuertos ou Basse-Navarre au nord des Pyrénées, à laquelle s’ajoutent la vicomté souveraine de Béarn et de nombreuses possessions féodales, héritages des familles de Foix et d’Albret. Les rois de Navarre reconfigurent alors leurs possessions autour de leurs deux terres souveraines et mettent en place une administration très complète qui produit de nombreuses pièces administratives et comptables. Ces actes sont écrits en roman navarrais, en français mais aussi dans la variante béarnaise du gascon, car il ne faut pas oublier que ces souverains ont employé l’oc comme langue d’État de leur vicomté souveraine de Béarn et qu’elle l’est demeurée jusqu’à la perte de son indépendance en 1620.

4Conservés en texte intégral (original ou copie) dans des liasses, ou en résumé dans différents registres, les actes des rois et reines issus de la dynastie des Foix-Béarn-Albret – Catherine de Foix (1483-1517) et Jean d’Albret (1484-1516), Henri II d’Albret (1517-1555), Jeanne d’Albret (1555-1572), puis Henri III de Bourbon (1572-1589/1610) – reflètent tous les domaines de l’action gouvernementale et administrative (guerre, diplomatie, justice, finances, religion, éducation, etc.). Ces souverains avaient entamé un processus de centralisation de plus en plus important, au sein du chartrier de Pau, de documents provenant de la plupart de leurs domaines (y compris ceux dépendants de la couronne de France, comme le comté de Foix). Deux volumineux inventaires ont été réalisés à la Renaissance. Le premier entre 1533 et 1535, sous le règne d’Henri II d’Albret (1503-1555), et le second au début de la décennie 1580, moment où Catherine de Bourbon était régente en Béarn et Basse-Navarre en l’absence de son frère Henri III. L’accession au trône de France de ce dernier sous le nom d’Henri IV de France entraîna une fossilisation de ces fonds.

5La chambre du Trésor des chartes de Pau était située au rez-de-chaussée du donjon du château, la tour dite de Gaston Fébus, où les documents sont restés jusqu’au 15 mars 1835, date à laquelle ils furent déposés dans un local dépendant de la préfecture. En 1908, ils échappent en partie à l’incendie qui ravage le bâtiment, car les deux salles blindées qui contenaient les plus précieux ont partiellement résisté au feu, ce qui ne fut pas le cas des archives des Chambres des comptes de Pau et de Nérac dont une part considérable fut détruite. La plus grande partie de cette documentation se trouve actuellement aux archives départementales des Pyrénées-Atlantiques (pôle de Pau).

6C’est ainsi qu’une documentation importante pour les périodes médiévale et moderne concernant plusieurs territoires de l’actuelle région Occitanie se retrouve conservée à Pau. Elle peut être complétée par les fonds des archives départementales et communales de cette même région (Ariège, Aveyron et Gers notamment) ainsi que par des fonds conservés ailleurs en France. Ces sources ont permis la mise au jour de la place de ces terres occitanes dans l’administration des souverains de Navarre, des trajectoires d’individus au service de ces souverains et des éléments de pratiques administratives spécifiques et notamment de scellement des actes relatifs aux fiefs en question.

Découvrir la place des terres occitanes dans l’administration des souverains de Navarre

  • 1 - Chareyre et Harai, 2020, p. 128-130.

7Même si le recensement et le catalogage des actes ne sont pas encore complètement achevés, des milliers de documents réunis dans la base de données Omeka du projet1 fournissent déjà des éléments précieux pour évaluer la place qu’occupent les fiefs occitans dans l’administration des souverains de Navarre.

8En dehors des terres souveraines du royaume de Navarre et de la seigneurie de Béarn, les rois et reines de la famille Foix-Béarn-Albret possédaient de nombreux fiefs dans ce qui constitue aujourd’hui l’Occitanie (fig. 2).

Fig. 2

Fig. 2

Carte des possessions des souverains de Navarre au sud de la Loire

© Eneko del Castillo pour ANR AcRoNavarre

9Un échantillon de 2 398 actes indique que ces possessions occupaient une place importante dans leur politique et leur administration (fig. 3). Dans la liste des douze premières possessions en termes de nombre d’actes, il y en a cinq qui qui se trouvent sur les terres occitanes actuelles : le comté de Foix (150 actes), le comté d’Armagnac (146 actes), le comté de Bigorre (64 actes), le comté de Rodez (29 actes) et la vicomté de Nébouzan (21 actes). Les 410 actes que ces fiefs totalisent constituent 17 % dans l’ensemble de l’échantillon. Cependant, si nous les situons uniquement dans l’ensemble des dix premiers fiefs possédés dans le royaume de France, leur poids est beaucoup plus important puisqu’ils représentent 48 % des actes de l’échantillon.

Fig. 3

Fig. 3

Tableau des possessions des souverains de Navarre selon le nombre d’actes les concernant (1483-1594)

© Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre

10Aussi convient-il de remarquer que deux des trois fiefs concernés par le plus grand nombre d’actes se trouvent dans le ressort de la région Occitanie (le comté de Foix et le comté d’Armagnac). La première découverte qu’il est possible de faire en étudiant les actes est donc celle de l’ampleur considérable de l’attention portée par les souverains de Navarre à leurs terres occitanes. L’analyse géographique des documents contenus dans les inventaires d’archives débouche-t-elle sur le même constat ?

  • 2 - Sur ces inventaires, voir Adot Lerga, 2017.

11Il existe deux inventaires importants dont les chapitres recensent les documents relatifs aux différentes possessions des souverains de Navarre (fig. 4)2. Réalisé sous le règne d’Henri II d’Albret, l’inventaire des années 1530 contient huit chapitres dont deux consacrés à des fiefs occitans (Bigorre et Foix, avec Castelbon) et un autre chapitre mêlant un fief occitan (Nébouzan) avec des fiefs aquitains.

Fig. 4

Fig. 4

Tableau des fiefs figurant dans les chapitres des inventaires d’archives de 1533-1535 et de 1584

© Philippe Chareyre et Álvaro Adot Lerga pour ANR AcRoNavarre

12Dans l’inventaire de 1584 dressé sous la régence de Catherine de Bourbon, il y a dix chapitres dont quatre pour des fiefs occitans et un autre chapitre qui fait place à la vicomté de Nébouzan aux côtés des mêmes fiefs qu’en 1533-1535. Malgré l’absence d’actes directement associés au comté d’Armagnac dans le premier inventaire (en faisant abstraction du Nébouzan), les chapitres du comté de Bigorre et du comté de Foix (avec Castelbon) totalisent 590 actes, soit 53 % des 1 103 actes inventoriés en lien avec les possessions. Les 120 actes figurant au chapitre « Alliances diverses » n’ont pas été pris en compte dans ce calcul pour en garder la cohérence géographique. Ce chapitre n’existe pas en 1584 et l’apparition d’un chapitre réservé au comté d’Armagnac à ce moment-là accroît le poids des fiefs occitans. Même en faisant abstraction de la vicomté de Nébouzan, ces terres fournissent 1 387 actes et représentent 55 % des 2 513 documents inventoriés en 1584. Les deux inventaires étudiés donnent ainsi des résultats proches concernant la part des fiefs occitans dans l’administration des souverains de Navarre et corroborent ceux tirés de l’étude des actes. L’approche sérielle des actes émis et inventoriés apporte ainsi une première découverte, celle de l’ampleur des actes concernant les comtés de Foix, d’Armagnac, de Bigorre, de Rodez et la vicomté de Nébouzan.

Vers les fiefs occitans : archives et individus venus d’ailleurs

13Parmi les actes concernant les fiefs occitans, la plupart ont été rédigés ailleurs, parfois loin, en fonction des déplacements et des séjours de la cour itinérante des souverains de Navarre. Si nous prenons l’exemple des 150 actes relatifs au comté de Foix, 88 % des 138 documents dont le lieu d’émission est connu a été produit en dehors du périmètre de l’Occitanie d’aujourd’hui, les lieux d’émissions les plus représentés étant Pau (37 actes), Paris (15 actes) et Pampelune (10 actes). Dans le cas des 146 actes concernant le comté d’Armagnac, 85 % des 140 documents (au lieu d’émission connu) proviennent de l’extérieur des fiefs occitans, Paris (46 actes) et Nérac (34 actes) fournissant l’essentiel. Certes, les actes produits ailleurs sont très nombreux, mais leur part élevée dans les deux cas présentés ne doit pas faire oublier que beaucoup ont été donnés dans des terres voisines ou relativement proches (Béarn, Albret) avec lesquelles leurs liens sont multiples et parfois anciens, et qui sont les principaux lieux de résidence des souverains et de leur cour. Qu’ils aient été donnés dans les fiefs occitans ou ailleurs, les actes conservés ont permis de découvrir ou de mieux connaître des charges que certains serviteurs des souverains de Navarre avaient au cours de leur carrière. Trois exemples marquants sont à évoquer ici brièvement.

14Conservées aux archives communales de Lectoure sous la cote FF 1 (n° 15), les lettres patentes données à Verteuil-sur-Charente (Charente, Nouvelle-Aquitaine) le 10 mai 1554 par Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret en tant que comte et comtesse d’Armagnac pour réorganiser la sénéchaussée d’Armagnac mentionnent que le garde des sceaux de ce comté était présent au moment de la signature de l’acte (fig. 5).

Fig. 5

Fig. 5

Lectoure (Gers), archives communales, lettres patentes réorganisant la sénéchaussée d’Armagnac, Verteuil, 10 mai 1554, FF 1, n° 15

© Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre

  • 3 - Harai, 2020, § 6.

15D’autres actes relatifs au comté d’Armagnac permettent de préciser que le garde des sceaux en question est Mathieu du Pac (†1557). Ce juriste devait fuir Toulouse en raison de son ouverture aux idées de la Réforme et trouvait protection et emploi auprès de Marguerite d’Angoulême. Il est connu que du Pac était simultanément président du Conseil souverain de Béarn et président de la Chambre des comptes de Pau dans les années 1540 avant de devenir chancelier de Foix et de Béarn en 1555 au décès de Jacques de Foix, évêque de Lescar. Grâce aux lettres patentes de 1554, il est possible d’ajouter la charge de garde des sceaux du comté d’Armagnac au cursus honorum de Mathieu du Pac3. Au-delà de la mise en lumière de cette étape inconnue dans la carrière de ce grand officier, l’acte enrichit aussi notre connaissance de l’activité administrative d’Antoine de Bourbon et de Jeanne d’Albret avant leur avènement royal navarrais de 1555.

16Conservées à Périgueux aux archives départementales de la Dordogne (2 E 1834/10, n° 2), des lettres de commission données par Jeanne d’Albret le 23 mars 1567 à Sées (Orne, Normandie) pour la pacification du comté de Foix révèlent, quant à elles, le passage d’un noble périgourdin en terre occitane (fig. 6).

Fig. 6

Fig. 6

Périgueux (Dordogne), archives départementales, lettres de commission données au seigneur des Bories, Sées, 23 mars 1567, 2 E 1834/10, n° 2, détail

© Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre

  • 4 - Lafuente et Lazartigues, 2019, § 4.

17Il s’agit de Jacques de Saint-Astier, seigneur des Bories, auquel la reine de Navarre fait appel pour rétablir l’ordre dans cette possession où les tensions sont importantes entre les catholiques et les protestants dans les villes de Foix et de Pamiers en 1566 et 1567. Connu pour être un homme clé du comté de Périgord et de la compagnie des gens d’armes placée sous le commandement du prince de Navarre, le seigneur des Bories devait destituer les capitaines et officiers qui participaient aux troubles et faire arrêter les « coulpables des séditions, meurtres et massacres » perpétrés à Foix et Pamiers. La description du périmètre d’action du commissaire montre que Jeanne d’Albret envisage la pacification de son comté en complémentarité avec les efforts de pacification de Charles IX4.

  • 5 - COURCELLES, 1820, p. 86.
  • 6 - BECQUART, 1961.
  • 7 - Chareyre, 2019.

18Des extraits des lettres de nomination du seigneur des Bories ont été cités par Jean-Baptiste-Pierre Courcelles (1759-1834) dans le Nobiliaire universel de France en 18205, mais sans donner la source précise, même si les pages consacrées à la troisième branche de la maison de Saint-Astier que forment les seigneurs des Bories laissaient supposer que le document en question devait se trouver parmi les archives familiales. Tel était le cas puisque le document entra en 1903 aux archives départementales de la Dordogne parmi d’autres papiers faisant partie d’un « fonds de Saint-Astier » – aujourd’hui sous la cote 2 E 1834 (1-252) – qui a été « distrait du legs de Saint-Astier fait en faveur de la Ville de Périgueux »6. C’est là que l’équipe du projet AcRoNavarre l’a retrouvé en mars 2019 lors d’un « chantier d’histoire » ayant pour objectif de faire découvrir la recherche de terrain aux étudiants de Licence en les intégrant à la vie d’un programme de recherche7. La transcription et l’édition des lettres de nomination de 1567 ont été réalisées par Annabelle Lafuente et Emma Lazartigues avec les conseils de Philippe Chareyre et de Dénes Harai.

19Les lettres de nomination d’un nouveau lieutenant général du comté de Foix données par Henri de Navarre à La Rochelle (Charente-Maritime, Nouvelle-Aquitaine) le 18 décembre 1588 illustrent la récurrence du choix d’individus étrangers aux terres occitanes pour mieux contrôler celles-ci en temps de crise (fig. 7).

Fig. 7

Fig. 7

Lettres de nomination du marquis de Montlouët comme lieutenant général du comté de Foix en 1588, AD Ariège / AC Foix, 1 EDT, FF 14, 1re page d’une copie d’époque

© Philippe Chareyre pour ANR AcRoNavarre

  • 8 - Chareyre, 2018, § 3.

20Le document en question provient des archives communales de Foix déposées aux archives départementales de l’Ariège (1 EDT, FF 14). Le bénéficiaire de la nomination est François d’Angennes, marquis de Montlouët et chambellan du roi de Navarre, qui remplace un Claude de Lévis, baron de Léran et sire d’Audou, critiqué aussi bien par les catholiques que par les protestants du comté8.

21Au-delà de ces exemples, bien d’autres peuvent être consultés dans la rubrique billets du site AcRoNavarre et les recherches en cours en découvriront très probablement de nouveaux.

(Re)découvertes sigillographiques

22Les actes originaux des souverains de Navarre étaient scellés du sceau des rois et reines qu’il s’agisse de leur sceau des armes ou de leur sceau de majesté. Élément indispensable du système de validation de chaque acte, le sceau de cire, apposé sous papier de plus en plus fréquemment dans la seconde moitié du xvie siècle, a été souvent détaché ou endommagé au fil des siècles. Les actes originaux recensés dans le projet ANR AcRoNavarre ne possèdent donc plus systématiquement de sceau entier. Il y en a également beaucoup qui n’ont plus de sceau, mais possèdent des traces de scellements qui permettent de faire des (re)découvertes sigillographiques. En ce qui concerne celles relatives aux fiefs occitans, il est possible d’en évoquer trois.

23Les lettres patentes de 1554 présentées plus haut permettent non seulement d’éclairer l’activité de Mathieu du Pac en lien avec le comté d’Armagnac, mais d’avoir un témoignage précieux sur la pratique sigillaire du comte et de la comtesse d’Armagnac au milieu du xvie siècle. Il s’agit d’un sceau sur double cordelette (fig. 8) dont les couleurs (blanc et rouge) renvoient à celles du blason du comté d’Armagnac (argent et gueules).

Fig. 8

Fig. 8

Lectoure (Gers), archives communales, sceau des lettres patentes du 10 mai 1554, FF 1, n° 15

© Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre

  • 9 - Harai, 2020, § 8.

24La clause de corroboration figurant dans la dernière partie du texte annonce le sceau du couple comtal, mais elle n’en indique pas le type. Inscrite sur la chemise qui garde les lettres patentes, une note postérieure à la rédaction de l’acte suggère que le document a été scellé du grand sceau. L’état actuel de l’empreinte du sceau est malheureusement très fragmentaire et seule une petite partie en subsiste encore, ce qui empêche tout jugement définitif, mais les restes du sceau, le type d’acte et la présence du « garde du scel d’Armagnac » rendent l’utilisation d’un grand sceau tout à fait plausible9.

25Un autre acte, la confirmation des privilèges municipaux de Saint-Ybars (Ariège, Occitanie) faite à Lectoure par Henri de Navarre le 21 février 1578, rend possible à la fois une redécouverte et une découverte (fig. 9).

Fig. 9

Fig. 9

Foix (Ariège), archives départementales, lettres patentes du roi de Navarre, comte de Foix, confirmant les privilèges de Saint-Ybars, Lectoure, 21 février 1578, 139 EDT / AA9

© Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre

  • 10 - CHAREYRE, ADOT LERGA, Harai, 2018, § 3.
  • 11 - Harai, 2018, § 2-3.

26La redécouverte, faite aux archives départementales de l’Ariège, le 2 mars 201810, concerne la matérialité d’une partie du document : la queue de parchemin sur laquelle le sceau de cire rouge aujourd’hui disparu du comte de Foix a été apposé. Félix Pasquier a édité et publié l’acte en 1920, mais sans mentionner que la queue de parchemin provenait d’un autre acte d’Henri de Navarre ! Certes, d’autres cas de réemploi d’acte en queue de parchemin existent, mais celui-ci n’a pas encore été relevé et, par conséquent, la piste de recherche qu’il cachait n’a pas été découverte : le début de l’acte recyclé comporte trois lignes bien lisibles indiquant que le document concernait un certain Guillaume Balmaguier, « marchant habitant de la ville de Milhau [Millau, Aveyron, Occitanie] au pais de Rouergue », connu pour avoir représenté sa ville à une assemblée du parti protestant tenue à Réalmont en mars 1573. La troisième ligne du parchemin recyclé s’interrompt au moment de l’évocation des « troubles de l’année mil cinq […] ». Puisque la date du parchemin recyclé devait être antérieure à la date de l’acte confirmant les privilèges de Saint-Ybars (21 février 1578), il est probable qu’elle se rapporte à la sixième guerre de Religion (mars-septembre 1577)11. Le fait que la charge de « gouverneur et lieutenant général » d’Henri de Navarre pour la Guyenne est placée à la fin de sa titulature courte, juste avant le « salut », suggère que l’acte recyclé avait été donné par le roi de Navarre en sa qualité de représentant d’Henri III, peut-être pour mettre le marchand protestant, son coreligionnaire mais aussi habitant de l’une de ses terres (comté de Rodez), sous sa protection. La redécouverte d’un acte connu concernant le comté de Foix débouche ainsi sur la découverte d’un acte qui était relatif à un ressortissant du comté de Rodez. Ce territoire fournit également un autre acte contribuant à une meilleure connaissance des pratiques sigillaires des rois de Navarre.

27Le document en question est un brevet donné par Henri de Navarre, en tant que comte de Rodez, à Nérac (Lot-et-Garonne, Nouvelle-Aquitaine) le 14 avril 1583, par lequel il attribue les recettes de l’adjudication des biens confisqués d’un certain « Guysardie », peut-être Louis II de Guizard, seigneur de La Guizardie, condamné à Villefranche-de-Rouergue « à cause de plusieurs crimes et excés », à Guillaume Salluste, seigneur du Bartas (fig. 10).

Fig. 10

Fig. 10

Brevet du roi de Navarre, comte de Rodez, en faveur de Guillaume Salluste du Bartas, Nérac, 14 avril 1583, AD Pyrénées-Atlantiques, 16 J 331

© Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre

28Connu pour être un poète important de langue d’oc, le bénéficiaire était aussi gentilhomme servant du roi de Navarre qui recevait ainsi un soutien financier pour « parachever avec plus d’aysance et commodité les œuvres françoises ausquelles il travaille ». Outre la signature du roi dont la qualité de « comte de Rodez » est rappelée par le secrétaire Raymond de Viçose contresignant l’acte, un sceau, dit en placard, de cire rouge complétait le dispositif de validation. Ses traces sont toujours visibles entre deux incisions faites dans le parchemin12. Dans les archives publiques connues, rares sont les brevets en version originale qui comportent un tel témoignage du scellement. Ce dernier élément est d’autant plus remarquable qu’il s’agit là d’une pratique de la chancellerie des souverains de Navarre qui ne se rencontre pas sur les brevets des rois de France13. Le brevet de 1583 est ainsi une source importante aussi bien pour la comparaison des pratiques administratives que pour l’histoire du mécénat littéraire à la cour de Nérac à la Renaissance.

  • 14 - CHAREYRE, PÉBAY-CLOTTES, MIRONNEAU, 2021, p. 188-189.

29Ce document a été acquis par l’avocat Raymond Ritter (1894-1974) qui collectionnait les documents relatifs à Henri IV et à son époque. Conservé au château de Morlanne que possédait ce collectionneur, le brevet entra aux archives départementales des Pyrénées-Atlantiques en 1974 par don. En 2019, ce document a été intégralement édité pour la première fois, puis, en 2020, dans le cadre de la préparation de l’exposition L’art de régner : les souverains de Navarre à la Renaissance (château de Pau, 27 novembre 2021 – 27 février 2022), il a été restauré. Il figure aussi dans le catalogue de cette exposition14.

Conclusion

30Les recherches menées dans le cadre du projet ANR AcRoNavarre ont favorisé la (re)découverte d’archives des fiefs situés dans l’actuelle région Occitanie dans plusieurs fonds, à travers des sources nombreuses et sur supports variés. Elles permettent de constater que ces terres avaient une place à peu près égale à celles d’Aquitaine dans l’administration des possessions des souverains de Navarre. Elles révèlent aussi la part importante des documents et des individus venus d’ailleurs dans l’histoire de leurs fiefs occitans. Les documents originaux, avec sceau ou traces de scellement, donnés en lien avec ces terres sont des témoignages rares du patrimoine écrit de la chancellerie de Navarre, qui s’avère dans sa production être non seulement navarraise ou plus largement aquitaine mais aussi de façon plus inattendue occitane selon le recensement des terres concernées par les actes. Ces documents contribuent à une meilleure connaissance des pratiques institutionnelles du xvie siècle. C’est la raison pour laquelle plusieurs de ces documents ont été retenus pour figurer à l’exposition L’art de régner  : les souverains de Navarre à la Renaissance au château de Pau (27 novembre 2021 – 27 février 2022). Conçue pour être en partie itinérante, avec des étapes projetées à Madrid et Pampelune, cette exposition permet de les mettre en lumière dans l’espace pyrénéen dont ils encapsulent des fragments d’histoire.

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Bibliographie

Adot Lerga, Álvaro. Construire les archives. Du temps des Foix-Béarn à celui des rois de Navarre. Pratiques de l’écrit et enjeux de pouvoir. Thèse d’histoire moderne sous la direction de Philippe Chareyre, Université de Pau et des Pays de l’Adour, soutenue le 24 février 2017.

BECQUART, Noël, Introduction. Répertoire numérique de la sous-série 2 E (Titres féodaux – Titres de famille) : archives départementales de la Dordogne. Périgueux, Imprimerie Moderne, 1961.

CHAREYRE, Philippe, PÉBAY-CLOTTES, Isabelle, MIRONNEAU, Paul, L’Art de régner. Les souverains de Navarre à la Renaissance / El Arte de reinar. Los reyes de Navarra en el Renacimiento, Madrid – Pau, Casa de Velázquez – PUPPA, 2021.

Chareyre, Philippe et Harai, Dénes. Le projet AcRoNavarre : une synergie entre catalogage d’acte et édition de texte. Actes royaux et princiers à l’ère du numérique (Moyen Âge – Temps modernes) [en ligne], sous la direction d’Olivier Canteaut, Olivier Guyotjeannin et Olivier Poncet, Pau, PUPPA, 2020, p. 128-130.

Chareyre, Philippe ; ADOT LERGA, Álvaro ; HARAI, Dénes. À la recherche des actes royaux de Navarre à Foix (1er-2 mars 2018). Carnet de recherche du projet ANR AcRoNavarre [en ligne], 29 mars 2018.

Chareyre, Philippe. À la recherche des actes royaux de Navarre à Périgueux (Chantier d’histoire, 2018-2019). Carnet de recherche du projet ANR AcRoNavarre [en ligne], 11 avril 2018.

Chareyre, Philippe. La nomination d’un lieutenant général du comté de Foix en 1588. Carnet de recherche du projet ANR AcRoNavarre [en ligne], 26 mars 2018.

COURCELLES, Jean-Baptiste-Pierre (chevalier de). Saint-Astier (de). Nobiliaire universel de France, Paris, Moreau, 1820, t. xvii, p. 1-163.

Harai, Dénes. Le scellement des brevets des souverains de Navarre dans la seconde moitié du xvie siècle. Carnet de recherche du projet ANR AcRoNavarre [en ligne], 9 octobre 2020.

Harai, Dénes. La réorganisation de la sénéchaussée d’Armagnac par Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret en 1554. Carnet de recherche du projet ANR AcRoNavarre [en ligne], 6 avril 2020.

Harai, Dénes. Un brevet d’Henri de Navarre, comte de Rodez, en faveur de Guillaume Salluste du Bartas (Nérac, 14 mars 1583). Carnet de recherche du projet ANR AcRoNavarre [en ligne], 2 décembre 2019.

Harai, Dénes. Le recyclage d’un acte royal d’Henri de Navarre en 1578. Carnet de recherche du projet ANR AcRoNavarre [en ligne], 20 mars 2018.

Lafuente, Annabelle et Lazartigues, Emma. Lettre de commission de Jeanne d’Albret pour la pacification du comté de Foix (Sées, 23 mars 1567). Carnet de recherche du projet ANR AcRoNavarre [en ligne], 17 avril 2019.

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Notes

1 - Chareyre et Harai, 2020, p. 128-130.

2 - Sur ces inventaires, voir Adot Lerga, 2017.

3 - Harai, 2020, § 6.

4 - Lafuente et Lazartigues, 2019, § 4.

5 - COURCELLES, 1820, p. 86.

6 - BECQUART, 1961.

7 - Chareyre, 2019.

8 - Chareyre, 2018, § 3.

9 - Harai, 2020, § 8.

10 - CHAREYRE, ADOT LERGA, Harai, 2018, § 3.

11 - Harai, 2018, § 2-3.

12 - Harai, 2019, § 2-3, 6.

13 - Harai, 2020, § 1.

14 - CHAREYRE, PÉBAY-CLOTTES, MIRONNEAU, 2021, p. 188-189.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1
Légende Logos du projet AcRoNavarre et de l’ANR
URL http://journals.openedition.org/pds/docannexe/image/7825/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 96k
Titre Fig. 2
Légende Carte des possessions des souverains de Navarre au sud de la Loire
Crédits © Eneko del Castillo pour ANR AcRoNavarre
URL http://journals.openedition.org/pds/docannexe/image/7825/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 276k
Titre Fig. 3
Légende Tableau des possessions des souverains de Navarre selon le nombre d’actes les concernant (1483-1594)
Crédits © Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre
URL http://journals.openedition.org/pds/docannexe/image/7825/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 139k
Titre Fig. 4
Légende Tableau des fiefs figurant dans les chapitres des inventaires d’archives de 1533-1535 et de 1584
Crédits © Philippe Chareyre et Álvaro Adot Lerga pour ANR AcRoNavarre
URL http://journals.openedition.org/pds/docannexe/image/7825/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 233k
Titre Fig. 5
Légende Lectoure (Gers), archives communales, lettres patentes réorganisant la sénéchaussée d’Armagnac, Verteuil, 10 mai 1554, FF 1, n° 15
Crédits © Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre
URL http://journals.openedition.org/pds/docannexe/image/7825/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 309k
Titre Fig. 6
Légende Périgueux (Dordogne), archives départementales, lettres de commission données au seigneur des Bories, Sées, 23 mars 1567, 2 E 1834/10, n° 2, détail
Crédits © Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre
URL http://journals.openedition.org/pds/docannexe/image/7825/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 309k
Titre Fig. 7
Légende Lettres de nomination du marquis de Montlouët comme lieutenant général du comté de Foix en 1588, AD Ariège / AC Foix, 1 EDT, FF 14, 1re page d’une copie d’époque
Crédits © Philippe Chareyre pour ANR AcRoNavarre
URL http://journals.openedition.org/pds/docannexe/image/7825/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 535k
Titre Fig. 8
Légende Lectoure (Gers), archives communales, sceau des lettres patentes du 10 mai 1554, FF 1, n° 15
Crédits © Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre
URL http://journals.openedition.org/pds/docannexe/image/7825/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 216k
Titre Fig. 9
Légende Foix (Ariège), archives départementales, lettres patentes du roi de Navarre, comte de Foix, confirmant les privilèges de Saint-Ybars, Lectoure, 21 février 1578, 139 EDT / AA9
Crédits © Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre
URL http://journals.openedition.org/pds/docannexe/image/7825/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 227k
Titre Fig. 10
Légende Brevet du roi de Navarre, comte de Rodez, en faveur de Guillaume Salluste du Bartas, Nérac, 14 avril 1583, AD Pyrénées-Atlantiques, 16 J 331
Crédits © Dénes Harai pour ANR AcRoNavarre
URL http://journals.openedition.org/pds/docannexe/image/7825/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 315k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Philippe Chareyre, Dénes Harai et Álvaro Adot Lerga, « (Re)découvertes d’archives des fiefs occitans des souverains de Navarre à la Renaissance »Patrimoines du Sud [En ligne], 15 | 2022, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/pds/7825 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pds.7825

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Auteurs

Philippe Chareyre

Professeur d’Histoire moderne, université de Pau et des Pays de l’Adour, ITEM EA 3002

Articles du même auteur

Dénes Harai

Chercheur contractuel, université de Pau et des Pays de l’Adour, ITEM EA 3002

Álvaro Adot Lerga

Professeur d’histoire médiévale, université Complutense, Madrid / université de Pau et des Pays de l’Adour, ITEM EA 3002

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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