1Cet ouvrage édité aux Presses universitaires de Lorraine se caractérise par un florilège de textes rédigés à la suite d’un colloque du laboratoire Éducation, Cultures, Politiques intitulé « La forme scolaire prisonnière de son succès ? » qui a eu lieu les 29 et 30 juin 2017 à Lyon.
- 1 Guy Vincent était professeur de sociologie à l’université Lumière-Lyon 2. Il est malheureusement dé (...)
2Cette manifestation, organisée à l’occasion du départ en retraite d’André Robert, historien et professeur des universités émérite en sciences de l’éducation, a permis de mettre en débat une des dimensions centrales de ses travaux, le concept de « forme scolaire » élaboré par Guy Vincent1. Elle est également l’occasion d’une publication particulièrement intéressante pour la communauté des sciences de l’éducation et de la formation.
3En effet, l’ensemble des 24 textes de l’ouvrage constitue une somme extrêmement riche et diversifiée relative à ce cadre conceptuel qui permet d’analyser les politiques scolaires et les pratiques enseignantes sous un angle nouveau depuis une trentaine d’années.
4Dans ses travaux, Guy Vincent appréhendait la forme scolaire comme une forme sociale, une « forme de relation qui tend à s’imposer notamment à toutes les manières de “transmettre” et “d’apprendre”, forme caractérisée par l’exercice, la répétition, la progression, etc. ». « Historiquement il en est résulté une annexion de maintes pratiques sociales (la musique, le dessin, certains jeux...) au sein des pratiques scolaires » (1994, p. 225). Dans ses principes, elle se caractériserait par la constitution d’un univers séparé pour l’éducation de l’enfance, l’importance des règles dans l’apprentissage, une organisation rationalisée du temps, la multiplication et la répartition d’exercices finalisés pour apprendre (Vincent, Courtebras et Reuter, 2012). Envisagée au singulier dans la définition initiale pour désigner une règle particulière du fonctionnement scolaire, elle peut être aujourd’hui appréhendée au pluriel avec l’identification de variations autour de cette forme organisatrice d’une socialisation des apprentissages (Pirone et Rayou, 2012).
5Cette publication est très dense, avec quatre contributions liminaires, trois chapitres intégrant des textes et deux développements conclusifs.
6Ainsi, après un avant-propos de Bruno Poucet remettant en perspective le parcours d’André Robert associé à une présentation de Guy Vincent par Bernard Courtebras, l’ouvrage est introduit par deux contributions de problématisation (Françoise Lantheaume et Jean-Yves Seguy, puis Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly). Elles permettent de repréciser les fondements de la notion et de situer les enjeux du débat contemporain sur la question en relation avec les travaux d’André Robert.
7Les contributions suivantes sont réparties en trois chapitres en fonction de différents regards orientés disciplinairement (historique, philosophique et politique, et sociologique) qui permettent d’éclairer différentes facettes de la notion et du travail d’André Robert.
8Dans leur contribution, les différents auteurs développent leur point de vue singulier sur la forme scolaire à partir de leur objet d’étude. De manière plus transversale, ces travaux mettent en évidence la variété de ces formes et la tension historique de construction non seulement à l’intérieur de l’école républicaine, mais également au sein du mouvement de l’éducation nouvelle. De ce fait, cet ouvrage illustre bien la richesse heuristique de la notion pour analyser les questions éducatives dans la continuité des contributions antérieures consacrées à cette notion (Maulini et Perrenoud, 2005 ; Reuter, Cohen-Azria, Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2013) et son influence sur l’organisation d’autres espaces éducatifs (Houssaye, 1998).
- 2 Nous présenterons entre parenthèses les noms des différents contributeurs en lien avec les thématiq (...)
9Une tension relative aux projets de cette forme entre émancipation et aliénation traverse l’ensemble de ces textes. Ainsi, d’un point de vue historique, dans la première partie, en mettant en discussion la lecture de Guy Vincent2, il est possible d’identifier des approches différentes des formes scolaires dans la pensée de Buisson et Compayré (Pierre Kahn) ou d’analyser les déterminants de cette forme de socialisation de l’enfance pour en construire l’alternative à travers l’exemple de la pédagogie Freinet à l’école de Vence porteuse d’une rupture radicale dépassant les seuls enjeux de savoirs pour structurer un écosystème d’apprentissage différent (Henri Louis Go et Xavier Riondet).
10Dans la continuité, à travers l’exemple de Decroly (Sylvain Wagnon), de l’évolution de la forme scolaire dans l’enseignement secondaire (Yves Verneuil) ou des écoles nouvelles (Noëlle Monin), les auteurs mettent en évidence que la critique de la forme scolaire dépasse largement le cadre des techniques d’apprentissage pour viser également la construction d’un autre ordre social dans les espaces scolaires avec, dans le courant de l’éducation nouvelle, une éducation intégrale dans un milieu respectueux des besoins de l’enfant. Le rapport des enseignants eux-mêmes à la forme scolaire comme modèle explicatif à la fois de leur pratique, mais également de leurs engagements syndicaux (Ismail Ferhat) constitue un axe intéressant dans la lignée des travaux d’André Robert.
11Dans une approche plus philosophique, en discutant la question du curriculum et des savoirs (Roger-François Gauthier), de la forme et du sens (Michel Fabre), la seconde partie permet de prendre une distance critique avec cette conceptualisation en montrant les intérêts et les limites de la notion pour distinguer des pratiques éducatives en tension entre formel et informel, ou discuter la question de la citoyenneté dans la mythologie républicaine scolaire (Philippe Foray). L’exemple du rapport à l’art en milieu scolaire (Gilles Boudinet, Alain Kerlan) ou de la scolarisation des élèves en situation de handicap (Denis Poizat) constituent des angles d’analyse révélateurs de la complexité de cette question.
12La troisième partie de l’ouvrage permet d’interroger sous un angle plus sociologique le rapport que les différentes catégories d’acteurs peuvent construire avec cette forme scolaire : le rapport des parents à une institution (Gilles Monceau), la « plasticité » du travail des enseignants dans un « milieu » singulier en relation à des politiques publiques évolutives (Françoise Lantheaume), la prégnance de la forme scolaire comme norme sociale influençant les pratiques d’autres espaces professionnels comme celui de la petite enfance (Françoise Carraud) ou dans les institutions et dispositifs périscolaires (Rémi Deslyper, Simon Kechichian), la reconfiguration de la forme scolaire induite par l’accueil de nouveaux publics avec des « troubles du comportement » en maternelle (Rachel Gasparini). En lien avec des questions de professionnalité, le rapport à la forme scolaire comme épreuve ou ressource peut également constituer une clé de lecture intéressante des parcours professionnels d’enseignants du premier degré (Thierry Bouchetal, Hélène Crocé-Spinelli).
13L’écrit conclusif d’André Robert permet de bien comprendre la transversalité de cette réflexion à travers les différents ancrages sociologiques, historiques et philosophiques qui sont les siens. Il permet de resituer son approche singulière de la notion et montre à travers l’étude des « résistances » à cette forme, notamment sur la question de l’obligation scolaire et de la critique des méthodes scolaires. Il défend l’idée d’une possibilité de dépassement de ce mode d’organisation des apprentissages à l’école devenu une sorte de « colosse aux pieds d’argile » comme l’exprime très bien Bruno Garnier dans sa postface.
14Cette plongée dans les différents questionnements suscités par ce concept s’avère particulièrement passionnante pour les lecteurs non avertis qui découvriront grâce à cet ouvrage les subtilités de la réflexion sur cet objet pour sortir de la vulgate associant souvent la notion de « forme scolaire » à celle d’« école ». Comme mode de socialisation, cette dernière influence également d’autres espaces éducatifs et les réformes récentes sur l’aménagement du temps de l’enfant et la généralisation d’espaces périscolaires (aux finalités et au fonctionnement « quasi-scolaires ») constituent des illustrations particulièrement significatives de cette tendance à structurer l’espace social dans la logique de ces formes pédagogiques.
15Dans l’idée du dépassement de cette forme de socialisation historique, nous sommes également conduits à réfléchir sur les enjeux de changement et d’innovation dans les pratiques d’éducation et d’enseignement, sur la capacité de ces modes de régulation des espaces d’apprentissage à résister aux tentatives de réforme et à s’adapter aux évolutions sociétales et matérielles conjoncturelles tout en gardant, in fine, une systémique cohérente autour des principes fondateurs théorisés par Guy Vincent.
16Ces différentes réflexions font donc écho aux travaux consacrés à la question de l’innovation (Cros, 1997) et à la difficulté à aller au-delà d’une rénovation contextuelle des pratiques pédagogiques pour construire de nouvelles formes (dans une systémique différente dans la perspective d’une réelle refondation).
17En conclusion, cet ouvrage passionnant constitue un incontournable pour tous les chercheurs et les étudiants s’interrogeant sur la complexité de la question scolaire, sur les fondements des pratiques d’éducation et sur les relations d’influence entre les différents espaces éducatifs.