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Débats

Lieux de vie, lieux d’images : une autre histoire occidentale de l’espace domestique

Un dialogue entre Gil Bartholeyns, Manuel Charpy, Magali Nachtergael, Anne Perrin Khelissa et Stéphanie Wyler, mené par Pierre-Olivier Dittmar
Gil Bartholeyns, Manuel Charpy, Pierre-Olivier Dittmar, Magali Nachtergael, Anne Perrin Khelissa et Stéphanie Wyler
p. 43-66

Texte intégral

  • 1 Georges Didi-Huberman, « Imitation, représentation, fonction. Remarques sur un mythe épistémo­logiq (...)

1Parmi les profondes transformations qu’ont connues les histoires de l’art et de l’anthropologie de l’image au cours des dernières décennies, celle qu’on peut considérer comme un travail de « dessentialisation » n’est sans doute pas la moindre. Penser que les images affectent (et sont affectées par) les milieux dans lesquels elles s’inscrivent a constitué, et constitue toujours, un horizon théorique majeur. Il ne s’agit pas là de réduire la portée des images à une fonction, sociale ou culturelle, au détriment d’une autre fonction, esthétique, mais plutôt d’admettre qu’une image constitue toujours un rapport, ou plutôt une série de rapports1. Infiniment multiples, ces rapports articulent notamment des signifiants et des signifiés, des objets et des regards, fussent-ils fantasmés, mais aussi des objets et des lieux.

  • 2 Ces catégories sont paradigmatiques, et connaissent de nombreuses variations et exceptions, notamme (...)

2À ce titre, en prenant le risque d’une schématisation excessive, on admettra que trois contextes spatiaux – l’église, le palais et le musée – ont concentré les études et structuré les enseignements. Ces derniers ont su penser la place de l’image au sein de dispositifs de culte, de pouvoir ou de jouissance esthétique, ces trois domaines étant éminemment poreux. La succession de ces lieux paradigmatiques est un élément récurrent d’une histoire strictement occidentale et progressiste, qui témoignerait d’une sécularisation et d’une démocratisation progressive de l’art entre le Moyen Âge et la période contemporaine. Cette histoire de l’art véritablement axiologique est une histoire des images élues, comme elle est aussi l’histoire des espaces instituants, de ces lieux comme la cathédrale, le studiolo ou le white cube, qui ont la faculté de conférer un statut extra-ordinaire à certains items, statut qui justifiait pendant longtemps leur admission dans l’histoire de l’art2.

  • 3 Rémi Labrusse, « Des pièces d’époque aux capsules temporelles. Temps historique et temps vécu dans (...)
  • 4 Éliane de Larminat, Houses and Homes : photographier la maison aux États-Unis, 1930-1990, Cherbourg (...)
  • 5 Daniel Roche, La Culture des apparences, Paris, Fayard, 1989.
  • 6 Albert Piette, Le Mode mineur de la réalité. Paradoxes et photographies en anthropologie, Louvain, (...)

3Pour autant, les images ne limitent pas leur présence à ces espaces privilégiés, et de nombreux lieux sont laissés dans l’ombre par ce « grand récit » qui ne concerne qu’une minorité des images produites, touchées, conservées, offertes, etc. Il en va ainsi de ces lieux de vie ou d’habitation, dont le rapport aux images est longtemps resté impensé, réduit aux arts décoratifs dans une asséchante succession de period rooms3. Tout laisse pourtant à penser que la maison, qui se construit au xixe siècle non seulement comme un lieu matériel (house), mais de plus en plus comme le foyer (home) d’un collectif uni par des liens existentiels, est un lieu stratégique pour penser notre relation aux images4. Rien n’est évident dans l’histoire de cette cohabitation qui reste largement à écrire. Le fait d’inviter des images dans son lieu de vie constitue une caractéristique de l’Occident qui est loin d’être partagée par l’ensemble des sociétés présentes et/ou passées, et dont les effets sont mal connus et encore peu pensés. On conçoit pourtant l’enjeu qu’il y a à saisir la présence des images dans ces espaces d’un intime en perpétuelle construction, où l’on se présente aux invités et où l’on s’abandonne au sommeil, où peuvent se conjoindre une culture de l’apparence5 et la construction d’une intériorité. Penser, en somme, comment les images affectent la vie la plus ordinaire, comment elles participent à ce qu’Albert Piette appelle le « mode mineur de la réalité », est à n’en pas douter un chantier essentiel pour une histoire sociale des images6.

  • 7 Je me permets de renvoyer à Pierre-Olivier Dittmar « Co-habiter avec les images », Bérénice Gaillem (...)
  • 8 En attendant une synthèse sur la place des images, un panorama général est donné par les cinq volum (...)

4Mais ce n’est pas tout. Penser la cohabitation avec les images, invite, peut-être oblige aussi, à penser des rapports singuliers, articulant la question du lieu de l’image à celle de ses effets. Dès lors, on ne peut considérer la domiciliation des images comme une simple occupation, mais l’on doit penser, dans le même temps, ce processus comme créateur de rapports spécifiques. Dans le contexte médiéval, qui produit une nouvelle émergence de l’image domestique en Occident, décrire une « domestication » des images peut être utile, à condition d’envisager ce concept dans toute son ambivalence, qui implique à la fois des questions d’appropriation et de domination, mais invite aussi à penser des modes de coopération entre différentes formes de vie dans un espace dédié7. Ce concept de domestication ne rend compte que d’une configuration particulière qui n’a pas vocation à prendre une portée générale, et on ne peut qu’espérer que d’autres concepts, décrivant d’autres types de rapports situés, viennent enrichir le débat. Dans cette perspective, et parce que l’étude de la cohabitation avec les images est un champ qui n’a sans doute pas atteint sa maturité, parce qu’un état de l’art serait immanquablement frustrant au regard des enjeux actuels8, nous avons préféré, avec les participants de cette rencontre virtuelle, historiennes et historiens de l’art ou de la littérature, témoigner en toute subjectivité de la variété des lieux, des effets et des rapports à l’œuvre dans ce processus.

[Pierre-Olivier Dittmar]

5– Pierre-Olivier Dittmar. Les représentations que nous convions dans nos espaces de vie les inscrivent dans le temps, qu’il s’agisse de vivre dans un réseau de souvenirs en images ou de changer l’imaginaire d’une maison, d’en refaire le décor, pour appeler des futurs désirables. Dans quelles temporalités s’inscrivent les images domestiques aux différentes périodes auxquelles vous vous intéressez ?

  • 9 En particulier Gilles Sauron, Les Décors privés des Romains. Dans l’intimité des maîtres du monde, (...)
  • 10 Voir par exemple l’analyse des médaillons d’enfants peints dans une chambre de la maison de Marcus (...)

6– Stéphanie Wyler. Pour autant qu’on arrive à les reconstituer pour l’Antiquité – et on y arrive assez bien notamment grâce aux vestiges conservés par l’éruption du Vésuve en 79 après J.-C. –, les maisons romaines antiques étaient littéralement envahies par les images : de véritables programmes décoratifs se déploient sur les murs peints et sur les objets mobiles, de pièce en pièce, en créant des dispositifs complexes qui varient à travers le temps. Les thèmes de ces images, relativement réduits, se déclinent au gré des répertoires des ateliers et des exigences des commanditaires. Faute de sources explicites, cette question fait encore débat : ces motifs sont-ils de simples « papiers-peints » ornementaux, ou revêtent-ils un sens fort, éventuellement allégorique, qui actualise la culture, l’expérience et les émotions des spectateurs, habitants et invités de la maison ? Sans doute ces deux fonctions coexistent-elles, mais les partisans de la seconde hypothèse9 ont pu montrer que, dans certains cas du moins, les tableaux comportaient plusieurs modalités de jeu, conscient ou non, dans l’épaisseur temporelle, spatiale et culturelle. Parmi ces effets, on peut mentionner plusieurs cas de figure significatifs. La commémoration directe d’un épisode vécu par le commanditaire est une situation fréquente dans l’art funéraire, mais on le trouve aussi dans les maisons (si l’on interprète bien la fameuse fresque de la rixe de l’amphithéâtre qui a marqué l’histoire de Pompéi en 59 après J.-C.). On trouve aussi des peintures à fresque de portraits dans des médaillons (fig. 1a-b). Par définition, ces portraits d’hommes, de femmes et d’enfants, qui ont pu être ceux des maîtres de maison et de leur famille, sont destinés à leur survivre jusqu’à la réfection complète du mur, qui peut intervenir plusieurs générations plus tard10 – contrairement à des tableaux mobiles connus dans l’Égypte romaine, comme les fameux portraits du Fayoum, qui étaient actualisés au long de la vie du modèle et fixés seulement au moment du décès, pour servir de portrait funéraire, dans la maison pendant les mois d’embaumement, puis insérés dans la momie.

1a-b. Portraits en médaillon d’un garçon en Mercure et d’une petite fille, Pompéi, maison de Marcus Lucretius Fronto (V, 4, a), cubiculum 6 (in situ), 62-79 après J.-C.

1a-b. Portraits en médaillon d’un garçon en Mercure et d’une petite fille, Pompéi, maison de Marcus Lucretius Fronto (V, 4, a), cubiculum 6 (in situ), 62-79 après J.-C.

© Su concessione del ministero della Cultura

  • 11 Francesco De Angelis, Suzanne Muth (dir.), Im Spiegel des Mythos. Bilderwelt und Lebenswelt / Lo sp (...)

7La Vénus anadyomène d’Apelle, peintre athénien du ve siècle avant J.-C., transférée à Rome et détruite par le temps sous Néron, est un bon exemple de tableau célèbre ancien, susceptible d’être reproduit plus ou moins fidèlement, comme dans le jardin de la maison pompéienne dite de la Vénus à la coquille. Il s’agit d’une forme d’appropriation privée de la culture artistique passée. On trouve le même genre de jeux avec la mise en image de textes littéraires fameux, souvent grecs, éventuellement peints (dans la maison des Épigrammes à Pompéi), ou plus allusifs, avec la réminiscence de pièces de théâtre ou d’ambiances philosophiques (la mosaïque de l’Académie)11.

  • 12 Méthodologiquement, ces jeux ne peuvent être reconstruits que par l’analyse conjointe des textes et (...)

8La représentation de rituels précis (comme les initiations dionysiaques mises en scène dans le salon pompéien de la villa des Mystères, ou sur les plafonds stuqués de chambres à coucher dans la villa augustéenne sous la Farnésine, à Rome, fig. 2) peut remémorer, voire réactualiser l’émotion d’une expérience religieuse vécue par certains spectateurs initiés, et/ou dépeindre une simple scène de genre pour ceux qui ne le sont pas. Ces images peuvent par ailleurs se combiner avec les premières, et établir un lien entre les initiations mythiques (comme dans les Bacchantes d’Euripide) et réelles. Les non-initiés de la maison portaient évidemment un autre regard, éventuellement curieux, ou peu intéressé (mais comment restituer celui de l’esclave qui fait le ménage dans la pièce ?). Cette fonction d’embrayeur de l’imaginaire, qui repose sur la culture visuelle et intellectuelle des spectateurs (et est donc susceptible de varier en fonction des différents regards), est particulièrement évidente dans les pièces destinées à jouer de ces codes culturels, notamment les pièces de banquet, où l’on sait par des sources textuelles que l’observation d’un tableau, d’un vase ouvragé, pouvait servir de support à une conversation philosophique, une déclamation poétique, un jeu érotique. On le déduit des maladresses d’un Trimalcion, l’affranchi parvenu du Satyricon de Pétrone, qui se lance dans de hasardeux commentaires artistiques, historiques et philosophiques sur ses bronzes de Corinthe et ses squelettes articulés d’argent devant ses convives amusés ou ébaubis. D’une manière générale, et hors caricature, une pragmatique du regard est particulièrement nécessaire pour déceler ces jeux d’images12.

2. Scène d’initiation dionysiaque, panneau de stuc au plafond du cubiculum B de la villa augustéenne sous la Farnésine, 40-30 avant J.-C., Rome, Museo Nazionale Romano, inv. 1072.

2. Scène d’initiation dionysiaque, panneau de stuc au plafond du cubiculum B de la villa augustéenne sous la Farnésine, 40-30 avant J.-C., Rome, Museo Nazionale Romano, inv. 1072.

© Su concessione del ministero della Cultura – Museo Nazionale Romano / Photo © G. P. Casaceli

  • 13 Voir le dossier édité par Emmanuelle Valette, Stéphanie Wyler, « Le spectacle de la nature », Cahie (...)

9Certaines images ouvrent enfin sur un ailleurs intemporel, autant que sur un passé idéalisé : c’est le cas des nombreuses images de paysages qui sont autant de fenêtres sur un imaginaire où l’anthropisation est si discrète ou générique qu’elles dépassent les murs de la maison, tout en les présentifiant par les nombreux échos avec l’art topiaire du jardin domestique et les fenêtres réelles sur la nature13.

  • 14 Gil Bartholeyns, Monique Bourin, Pierre-Olivier Dittmar, « La domestication des images », introduct (...)

10– Gil Bartholeyns. Quand on fait entrer une image chez soi ou quand on décore son intérieur, bien sûr, on « domestique » l’image, dans la mesure où on la choisit souvent. On apprend à vivre avec elle, et l’on juge après coup de ses effets sur soi et sa « maison », au sens médiéval de lieu de vie et du groupe de résidents : des effets magiques, des effets de sociabilité, des approfondissements existentiels si les images se rapportent au passé, à ceux qui nous manquent ou à ce qui nous fait rêver. Mais je dirais que l’image, à son tour, domestique l’espace de vie. Elle possède une puissance d’habitabilité d’un autre ordre que le confort de la chaleur par exemple ; l’image est une façon de faire habitation. J’explore la période comprise entre le xiie et le xvie siècle et des situations plus contemporaines. Malgré une attention soutenue aux différences (entre les époques notamment)14, je reste frappé par cette constante : une des premières choses que l’on installe, une des dernières choses que l’on garde, avec la chaise et le lit, c’est l’image. D’une année sur l’autre je demande à des étudiants de réaliser une ethnographie d’un intérieur qui peut être le leur ; il n’est pas rare d’entendre qu’en entrant dans leur nouvel appartement ou chambre, ils ont accroché un poster ou disposé une composition de photos de famille, et ils l’expliquent : ils tiennent à ces images, mais elles leur permettent aussi de se sentir chez eux.

  • 15 Sur ces accommodements du jour et de la nuit, je me permets de renvoyer à Gil Bartholeyns, « A Hist (...)

11Au Moyen Âge, l’habitat est souvent communautaire, il est rare d’avoir « une chambre à soi ». Les apprentis, les soldats, les écoliers, les domestiques et bien d’autres groupes sociaux disposent plutôt d’un espace de repos limité, qu’ils investissent en essayant d’obtenir une bonne litière – comme on le repère dans les ordonnances d’hôtel15 qui tendent à limiter les « abus » de couchage, de vin et de lumière pour la nuit – mais aussi en installant dans ce lieu souvent temporaire une série d’effets personnels parmi lesquels il y a des images : une figurine, un livre de prières, une médaille… Les inventaires après décès et les représentations d’intérieurs, dès qu’elles s’attachent volontiers aux détails contingents, montrent de telles situations pour les foyers modestes. Dans ce cas, l’estampe l’emporte sur la peinture murale, le calendrier illustré sur le tableau. Il peut s’agir d’un unique plat à décor mis en évidence sur le manteau de la cheminée, dans la pièce de vie qui sert longtemps à cuisiner, à manger, à recevoir, à dormir parfois. Ces saillances esthétiques, en plus de contribuer à l’habitation du lieu, opèrent une ouverture vers des temps et des lieux autres : avoir et voir des images modifient la sensibilité au monde extérieur s’il s’agit, suivant les termes d’Alberti, des « beautés des paysages », ou le rapport au passé, s’il s’agit de la peinture d’un aïeul... Vivre quotidiennement dans un espace qui propose de plus en plus d’espaces virtuels a dû être une expérience bouleversante : ici une montagne fleurie, là une mer tempétueuse qu’on peut escamoter ou faire apparaître en tirant un rideau (fig. 3). Les images contiennent toute une gamme d’émotions casanières.

3. Gabriel Metsu, Jeune femme lisant une lettre, 1664-1666, huile sur bois, 52,5 × 40,2 cm, Dublin, National Gallery of Ireland, Presented, Sir Alfred and Lady Beit, 1987 (Beit Collection), inv. NGI. 4537.

3. Gabriel Metsu, Jeune femme lisant une lettre, 1664-1666, huile sur bois, 52,5 × 40,2 cm, Dublin, National Gallery of Ireland, Presented, Sir Alfred and Lady Beit, 1987 (Beit Collection), inv. NGI. 4537.

Photo © National Gallery of Ireland

12– Anne Perrin Khelissa. Si je me place du point de vue des usagers, la première temporalité dans laquelle s’inscrivent l’image et l’objet domestiques – pour la période et le contexte que j’explore, entre la fin du xviie et le début du xixe siècle dans le milieu des élites – relève d’une habitude, d’un temps fait de répétitions, de réitérations. Progressivement, par une fréquence plus ou moins rapprochée des usages, se forge une familiarité entre les êtres et leur environnement matériel. La maison constitue un espace à double face. D’un côté, elle matérialise, elle expose de façon programmatique un objectif de vie publique, fortement codifiée et hiérarchisée, élitaire dans son fonctionnement et, d’un autre côté, elle reste le siège d’une existence pragmatique, triviale, vécue et partagée par tous ses occupants. La façon dont l’hôte utilise ses images et ses objets dans le cadre de la monstration sociale, le rythme avec lequel il les manipule, renseignent sur la qualité et la fonction qu’il leur accorde. Les régimes de temporalité apparaissent donc pour l’historien comme des clés pour mieux comprendre les usages. À des logiques coutumières, liées par exemple aux saisons, aux heures de la journée, s’ajoutent des logiques sociales. Les garnitures de sièges peuvent être changées, portant en été des motifs légers et frais, composés en hiver de tissus plus épais, selon une temporalité régulière et indexée sur la nature. D’autres temporalités révélant une intention d’ordre social et politique sont généralement caractérisées par la rareté et conditionnées par l’occasion, par l’événement. Ainsi trouve-t-on dans les maisons de qualité deux sortes de vaisselles, une réservée à des festivités politiques, où le luxe des services de table participe du cérémonial d’accueil à l’occasion d’événements bien déterminés, et une vaisselle plus commune, moins ostentatoire, utilisée au quotidien. Le premier type de vaisselle, visible par exemple dans une estampe de Francesco Antonio Meloni (fig. 4), juxtapose pièces de service et groupes de figurines ornementales, le tout exposé sur une table ondulante et trois types de dressoirs qui font écho aux compositions imagées encadrées aux murs.

4. Francesco Antonio Meloni, Banquet pour l’élection du gonfalonier de Bologne Alamano Isolani en novembre 1701, Bologne, Pinacoteca Nazionale di Bologna, Gabinetto dei Disegni e delle Stampe.

4. Francesco Antonio Meloni, Banquet pour l’élection du gonfalonier de Bologne Alamano Isolani en novembre 1701, Bologne, Pinacoteca Nazionale di Bologna, Gabinetto dei Disegni e delle Stampe.

© De Agostini Picture Library / Scala, Florence

  • 16 La bibliographie ne peut être cernée ici. Pour la France, renvoyons aux travaux pionniers d’Antoine (...)

13Différentes sortes de peintures sont encore présentes dans la maison de qualité, dessinant des modalités de consommation distinctes : des tableaux de collection sont accrochés dans des galeries, destinés à une contemplation esthétique sélective, alors que des tableaux décoratifs, dessus-de-porte ou de cheminée aux motifs gracieux, garnissent les boiseries des espaces de vie quotidiens. Les estampes sont conservées en portefeuille pour être manipulées au gré des envies, quand elles ne sont pas disposées, protégées par des vitres, dans des pièces plus intimes, chapelles privées ou cabinets particuliers. Il y aurait ici un chapitre entier à ouvrir sur l’histoire des collections de peintures et de sculptures qui atteste d’une grande évolution du goût entre le xvie et le xviiie siècle, chaque classe sociale privilégiant certaines écoles artistiques et certains maîtres anciens ou modernes en fonction du marché16.

  • 17 Là encore, la bibliographie serait trop vaste. On peut mentionner les travaux de Patricia Waddy sur (...)

14Il arrive du reste que l’événement social majeur que représente le mariage, ou la naissance d’un héritier, avec ses festivités momentanées, s’accompagne d’une production de décor pérenne ; les palais nobles italiens en fournissent maints exemples, du palazzo Farnèse à Rome au palazzo Spinola a Pellicceria à Gênes en passant par le palazzo Pitti à Florence. Le surgissement d’un décès dans l’histoire familiale est quant à lui généralement suivi d’un renouvellement total ou partiel des décorations intérieures, et d’une dispersion éventuelle des biens par une vente après décès17.

  • 18 Sur ce point, décisif au sein des familles nobles génoises, je me permets de renvoyer à Anne Perrin (...)

15Cette question de la temporalité associée aux usages amène à s’interroger sur l’histoire des objets et des images, en particulier sur l’histoire différenciée de leur possession. Cette dernière devient collective et transgénérationnelle quand les objets concernent la maisonnée dans son entier : un plat orfévré en argent, un crucifix en or serti de diamants, reçu de quelque personnage illustre, un tableau de collection ou une sculpture antique acquis par un aïeul. Elle demeure individuelle ou interpersonnelle quand les objets relèvent d’une consommation ponctuelle et affective : un objet de vertu, un chapelet, une estampe de dévotion. L’objet gardé, isolé, montré selon un dispositif impliquant le regard des cohabitants, des héritiers, des invités, répond toujours à une volonté de narrer un récit historique qui dépasse la vie du possesseur initial. Apparaît ici le thème central des héritages, fondamental pour comprendre l’habitat aristocratique18. C’est en dotant, ou pas, l’objet ou l’image d’une qualité mémorielle, que sont déterminées sa présentation et sa conservation dans la demeure, et donc sa qualité de trace pour les générations futures.

  • 19 Bernard Mary, La Photo sur la cheminée. Naissance d’un culte moderne, Paris, Métailié, 1993.

16– Magali Nachtergael. Le fait d’accrocher des images dans son foyer semble un geste historiquement construit dans la modernité bourgeoise : on sait que les tableaux de petit format du Siècle d’or néerlandais étaient conçus pour les petits murs des maisons des riches ports de commerce. La bourgeoisie issue du commerce, qui a aimé rapporter des images de ses voyages, du Grand Tour jusqu’au tourisme de masse, s’est beaucoup servi de cette pratique comme signe extérieur et domestique de richesse « humaniste » : une sorte de petit cabinet de curiosités, dont la carte postale fut un des avatars à la période contemporaine. Ces images, avec les « photos sur la cheminée »19 et les albums de famille, archives rangées que l’on déploie pour faire récit de son roman familial, sont activées pour des publics invités, donc choisis. Dans les années 1970, les séances de diaporama de vacances faisaient partie d’une cérémonie du retour de voyage qui mettait en scène l’individu comme dans un roman-photo du quotidien, et dont le récit était performé, à la manière des conférences à la lanterne magique au début du xxe siècle. L’exposition des images domestiques rencontre donc l’histoire de la photographie en tant que média, et celle de ses usages publics. À la fin du xxe siècle, on peut par exemple distinguer des pratiques d’exposition de photographies familiales en cadre, en pêle-mêle ou en photomontage, mais aussi noter la circulation d’images domestiques, comme les cartes postales, ou glanées dans la presse, donnant lieux à des petites affiches fabriquées avec des images de magazine.

17– Manuel Charpy. Le meilleur moyen de toucher du doigt les images qui peuplaient les intérieurs du xixe et du premier xxe siècle est de fréquenter les brocantes, les puces et autres vide-greniers. Dans le fouillis des images de cette période, les portraits tiennent la première place. Trop matériels pour être considérés comme des archives, ils sont trop ordinaires et bricolés pour figurer ailleurs que dans des musées d’ethnographie. Or, en « vidant les maisons » selon l’expression consacrée au cours du xixe siècle, on laisse ces images non seulement esseulées mais orphelines de leurs contextes domestiques et, par là, des usages qui en font le sens. Au milieu des daguerréotypes, des photo-cartes de visite, de photographies sur dos carte postale et cartons dentelés, des albums, des portraits à l’huile, des portraits en cheveux et des diapositives, un tableau est présent partout : celui précisément d’un orphelin en larmes, connu dans une grande partie du monde comme le Crying Boy (fig. 5). Il est attribué à un Vénitien, spécialisé dans la peinture pour touristes, installé en Espagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sans doute pour rejoindre le franquisme. Le modèle serait un orphelin perdu dans les ruines de Madrid bombardée. On devine la difficulté à reconstruire l’histoire de cette image ordinaire, réalisée par un peintre qui ne cesse de changer de pseudonyme. Peu importe : multipliée à partir des années 1950, elle conquiert l’Europe puis le monde – on la retrouve en Turquie, au Brésil, au Maroc… – comme l’image d’un enfant sans foyer.

5. Crying Boy, oléographie sur papier gaufré, vide-grenier de l’avenue Botzaris, Paris, XIXe arrondissement, automne 2019.

5. Crying Boy, oléographie sur papier gaufré, vide-grenier de l’avenue Botzaris, Paris, XIXe arrondissement, automne 2019.

Photo © Manuel Charpy

18Si on peut en trouver des variantes, il s’agit toujours d’oléographies imprimées sur un papier gaufré imitant la toile et encadrées. Quelques déclinaisons au point de croix disent son caractère parfaitement domestique. À la fois image et objet, il interroge la nature des portraits domestiques : image populaire d’un orphelin anonyme, il est comme l’envers des portraits de famille, sans ascendance et sans foyer. Son histoire commence par son accrochage dans un intérieur : pour des centaines de milliers d’habitants à travers l’Europe, l’acheter revient à offrir un foyer à un enfant perdu. À rebours, en Afrique du Sud, dans les banlieues blanches de la classe moyenne et populaire du Cap, on trouve le Crying Boy dans de nombreuses maisons de plain-pied, closes par de solides barreaux d’acier. Il est le plus souvent vissé au mur du salon, au-dessus du canapé à venir. Habitants et agents immobiliers étaient encore formels dans les années 2010 : décrocher ce portrait conduirait à voir la maison ravagée par un incendie. Finalement, dans toutes les configurations, en apparence aux antipodes, ce petit garçon ne peut à nouveau être orphelin, sans foyer. Cette pratique ne peut être réduite à du sentimentalisme populaire. Tous les portraits bourgeois que l’on retrouve dispersés sur les étals racontent en creux ce même mouvement : un portrait sans toit perd son sens. Acheter ce tableau c’est également acheter une image du passé : l’orphelin est peint dans les années 1940 à la manière de Murillo, avec des touches marquées. Accrocher cet orphelin chez soi c’est aussi paradoxalement se créer une généalogie, se rattacher au passé.

19Au xixe siècle, les portraits bourgeois – au sens très large du terme – qui fourmillent dans le marché de l’occasion disent ce même projet. Tout le monde n’a pas les moyens d’avoir des ancêtres. Or, une demeure bourgeoise digne de ce nom ne peut se penser sans sa galerie d’ancêtres, évocation sans ambiguïtés des pratiques aristocratiques d’Ancien Régime. D’où le travail incessant de conversion des clichés photographiques dans des formes anciennes – en peinture, au fusain, sur toile ou panneau de bois ; d’où l’existence des peintres de quartier et d’ateliers qui proposent de faire la « copie fidèle » des portraits – pour peu que les commanditaires précisent les couleurs de la carnation, des cheveux et des yeux. Par ces opérations, il s’agit pour une bourgeoisie en partie récemment parvenue de réécrire une histoire longue, stable et profonde. Par bonheur pour elle, l’industrie et le commerce du xixe siècle sont à l’écoute : les magasins d’antiquaires sont peuplés de portraits anciens et au besoin des peintres retouchent les images pour les faire concorder au récit familial. La forme d’un sourcil ou un clocher y suffisent. Posséder une galerie, c’est s’enraciner, c’est faire d’un appartement parisien standard, une demeure. Ce désir est si fort qu’à partir des années 1840, on peut louer des appartements avec leur galerie d’ancêtres. L’imitation de la patine qui couvre de plus en plus l’ameublement gagne aussi les portraits.

20Ce rapport au temps fonctionne à revers : ces images doivent plonger leurs racines dans le passé et en même temps assurer une postérité. Le xixe siècle s’acharne à fabriquer des images qui durent, et s’inquiète à propos de photographies tant qu’on les croit volatiles sur leur fragile support de papier. Elles sont alors transposées par un tirage « inaltérable au charbon » et, dès les années 1860, sur verre, céramique, etc. Dans les intérieurs, le passé se regarde à travers du verre : vitrines, sous-verres… Les portraits sont glissés dans des blocs de verre, sous des cloches (fig. 6). Ils sont ainsi suspendus dans l’espace et donc le temps, visibles et inaccessibles. Les portraits hantent les maisons. Parallèlement, la boule de cristal s’impose à partir des années 1860 pour dialoguer avec les ancêtres dans les séances de spiritisme.

6. Cloche de mariage avec souvenirs, ferrotype et photographie, années 1890-1900, collection Manuel Charpy.

6. Cloche de mariage avec souvenirs, ferrotype et photographie, années 1890-1900, collection Manuel Charpy.

Photo © Manuel Charpy

21Accrocher ces images n’est pas un geste anodin. Plus on craint la fragilité des images, plus elles sont arrimées au décor et au mobilier par de lourds cadres, des albums pesants clos par des fermoirs de bronzes, avec des plats en cuir, en bois, voire en marqueterie de marbre. Ces objets donnent un abri aux images et aux habitants un ancrage dans le passé. Faire durer les images, leur assurer une postérité, c’est s’inscrire dans l’Histoire, proposer aux habitants une expérience du temps. Si ces images participent d’une forme d’autobiographie matérielle et de l’économie générale du souvenir, elles sont aussi des promesses pour l’avenir. Les portraits prennent également une place grandissante au cours du siècle dans les testaments. Ils sont légués par la grâce du multiple à toutes les branches de la descendance avec l’ardent désir de voir son souvenir perpétué. Il est logique de les retrouver sur les tombes. La dernière demeure, de plus en plus standardisée, devient personnelle quand une photographie en médaillon y est fichée comme « souvenir éternel ».

22– Pierre-Olivier Dittmar. L’espace domestique n’est jamais homogène et se fragmente dans une série de lieux aux valeurs et aux usages contrastés. Suivant les contextes, les images migrent au sein de l’espace domestique, préférant souvent des pièces de réception où les habitants s’affichent, bénéficiant parfois de lieux spécifiques comme les studioli, ou se réfugiant sur des supports plus inattendus comme le frigo ou les murs des toilettes. Comment penser ce rapport entre les images et les différents lieux de l’espace domestique ?

  • 20 De l’architecture, livre VII, chap. iv.
  • 21 Andrew-Wallace Hadrill, Houses and Society in Pompeii and Herculaneum, Princeton, Princeton Univers (...)

23– Stéphanie Wyler. Vitruve le dit20 : tout est ques­tion de decor, au sens latin du terme, autrement dit, il faut que le décor convienne (decet) à la fonction de la pièce et à la dignité du propriétaire21. Les maisons romaines sont ainsi faites qu’elles associent une pars communis, une partie ouverte à tous (l’atrium, le tablinum, le jardin, etc.), et une pars propria, une partie réservée à la famille et aux invités (les différentes salles de réception – triclinium, œcus –, les chambres, les bains). On observe ainsi une répartition pour ainsi dire sociale des images entre ces deux parties de la domus, dans lesquelles la famille se met en scène de manière différenciée : selon des normes traditionnelles, voire conservatrices, dans la partie « publique » (l’atrium et le tablinum, où figurent normalement le laraire, le portrait des ancêtres pour les grandes familles, des mythes associés aux valeurs politiques et sociales de la maison) et, dans la partie « privée », une expression plus luxueuse, tournée vers l’otium (le temps à soi), vers une culture élargie notamment aux valeurs grecques du banquet et du théâtre (comme les décors de la maison du Ménandre, à commencer par la fresque éponyme qui figure le poète de la Nouvelle Comédie dans le péristyle).

  • 22 Pietro Giovanni Guzzo, Vincenzo Scarano Ussani, Veneris figurae. Immagini di prostituzione e sfrutt (...)
  • 23 Federica Giacobello, Larari pompeiani. Iconografia e culto dei lari in ambito domestico, Milan, Edi (...)
  • 24 Valérie Huet, Stéphanie Wyler, « Associations de dieux en images dans les laraires de Pompéi », dan (...)

24Au-delà de cette bipartition générale, la fonction des pièces détermine largement la nature des ornements : dans certains cas, on peut même déduire cette fonction de l’analyse du décor, qui pouvait s’adapter au mobilier aujourd’hui disparu (les lits des pièces de banquet, la séparation entre antichambre et alcôve des chambres à coucher). En revanche, les thèmes iconographiques sont plus difficiles à catégoriser et illustrent peu les activités qui se déroulaient dans les pièces, à quelques exceptions notables près (les motifs aquatiques des pièces thermales, comme dans la maison du Ménandre, les images érotiques des boutiques ouvertes à la prostitution, dans certaines maisons, comme celle du Faune22) : les scènes de banquet ne proviennent pas majoritairement des triclinia, ni les fresques représentant des jardins ne décorent que les péristyles, même si on peut les y trouver, naturellement. Il ne faut pas oublier que certaines pièces pouvaient être polyvalentes et que les images qui s’y déployaient devaient convenir aux différentes fonctions qu’elles remplissaient (certains cubicula pouvaient servir de chambre à coucher et de pièce de réception pour un public réservé, comme dans la maison de Marcus Lucretius Fronto). En outre, le soin apporté à certains décors peut étonner face à nos propres catégories : les laraires des cuisines, destinés aux esclaves de la famille, sont souvent beaucoup plus richement peints que ceux, plus sobres, des atria. C’est ce que l’on voit par exemple avec le laraire récemment découvert dans une villa rustique à Terzigno23 (fig. 7). Les statuettes, qui étaient exposées dans la niche au moins le temps des rituels, n’y ont pas été retrouvées (parce qu’entreposées ailleurs ou emportées par les habitants qui ont fui la catastrophe), mais on peut saisir dans d’autres laraires24 les jeux d’images qui avaient lieu entre les fresques fixes, les statuettes mobiles qui présentifient les dieux du foyer au moment du sacrifice, et la réalité de la cuisine du sacrifice pérennisée en peinture.

7. Laraire de la cuisine d’une villa de Terzigno (Cava Ranieri), milieu du ier siècle après J.-C., 210 × 260 cm, Parc archéologique de Pompéi, inv. 86755.

7. Laraire de la cuisine d’une villa de Terzigno (Cava Ranieri), milieu du ier siècle après J.-C., 210 × 260 cm, Parc archéologique de Pompéi, inv. 86755.

© Su concessione del ministero della Cultura

  • 25 Outre l’étude classique d’Andrew Wallas-Hadrill, voir récemment Alexandra Dardenay, Nicolas Laubry (...)

25Du point de vue des laraires, on ne décèle pas de distinction majeure entre les images disposées dans les domus de ville et les villas de campagne, qui possèdent souvent une partie résidentielle (la pars urbana) pour recevoir le maître de maison. En revanche, il n’y a pas de partie « publique » dans les villas dont les décors répondent aux critères d’un otium libéré des contraintes d’espace et de décence « politique » et, mis à part les laraires dans les espaces serviles, la pars rustica des fermes est bien évidemment beaucoup plus grossièrement décorée, souvent sans motifs figuratifs. Cette approche sociologique des espaces domestiques, qui s’appuie autant sur l’architecture que sur les décors, a été sensible à la distribution des espaces à l’intérieur des maisons les plus riches (et pas nécessairement les plus grandes), en fonction des différents membres de la familia romaine (incluant esclaves et affranchis), mais aussi au changement probable des équilibres sociaux après le tremblement de terre en 62 de notre ère. Les réfections des grandes maisons campaniennes qui l’ont suivi dénotent un changement de profil et de goût de leurs propriétaires25.

  • 26 Witold Rybczynski, Home. A Short History of an Idea, New York, Penguin Book, 1986.
  • 27 John Lukacs, « The Bourgeois Interior: Why the Most Maligned Characteristic of the Modern Age May y (...)

26– Gil Bartholeyns. L’épineuse séparation moderne du privé et du public est anachronique pour le Moyen Âge, on le sait, et elle l’est plus longtemps qu’on ne le pense. Des auteurs comme Witold Rybczynski font remonter la « privatisation » de la maison au moment où elle cesse progressivement d’être aussi le lieu du travail26. Or la privatisation est articulée à un autre grand récit, celui de la sécularisation : parce que l’image domestique est censée ne pas être religieuse, la multiplication des images dans les maisons correspondrait à l’hypothèse de l’« Âge bourgeois » formulée par l’historien John Lukacs27.

  • 28 Heidi de Mare, « Domesticity in Dispute. A Recon­sideration of Sources », dans Irène Cieraad (dir.) (...)
  • 29 Richard Sennett, La Conscience de l’œil. Urbanisme et Société (1990), Lagrasse, Verdier, 2009, p. 5 (...)

27Sur l’historicité du foyer « privé » d’abord, l’historienne de l’art Heidi de Mare28 rappelle que, contrairement à ce qu’on dit de l’espace nordique et en particulier des Pays-Bas comme inventeurs de l’intimité domestique, l’abondance de fenêtres, de portes, de cours demandait au contraire de se comporter chez soi à peu près comme on se comporte dehors. Richard Sennett n’a sans doute pas tort de suggérer que, jusqu’au xviiie siècle, la maison d’Ancien Régime ressemble souvent à « une sorte de rue couverte29 ». On peut y voir un indice dans l’évolution du mot « intérieur » (interior en latin et en anglais) : d’abord réservé à l’âme, son application au bâtiment ne remonte pas avant les années 1800.

28Cela étant dit, il reste à savoir comment la teneur des espaces domestiques détermine la présence et le type d’images. À la fin du Moyen Âge, le lieu où l’on rencontre couramment des images, notamment des plafonds peints, est la pièce d’apparat, un espace semi-public où s’exposent le lignage, les devises mais aussi des scènes singulières, qui interpellent le regard contemporain et relèvent d’un certain entre-soi (fig. 8). La frontière se trouve ici moins au seuil, à la rue, qu’au sein de la maison, entre ce type de lieux conviviaux et la chambre conjugale en particulier, lieu divorcé de l’espace commun, et qui présente souvent des images religieuses, jusque dans le loculus du lit où, comme dans l’Annonciation de Rogier van der Weyden (atelier, vers 1435), pend un médaillon représentant un Christ pantocrator tenant le globe céleste.

8. Scène de genre peinte sur un closoir (poutre 3 face A), vers 1450, Montagnac, hôtel de Brignac.

8. Scène de genre peinte sur un closoir (poutre 3 face A), vers 1450, Montagnac, hôtel de Brignac.

Photo © Caroline Lejeune / RCPPM

  • 30 Die Exempla aus den Sermones feriales et communes des Jakob von Vitry, Joseph Greven (éd.), Heidelb (...)
  • 31 Wilhelm Ludwig Schreiber, Manuel de l’amateur de gravure sur bois et sur métal au xve siècle, Berli (...)

29Il est possible d’appréhender le lien entre la valeur des espaces domestiques et les images, plus généralement, en revenant au lieu traditionnel des images qui est d’abord l’église. Pierre-Olivier Dittmar l’a mis en évidence, et c’est très important : à la fin du Moyen Âge on assiste à une domestication de l’église, la « maison de Dieu » s’enrichit de chapelles privatives, d’espaces réservés aux familles ; en même temps on assiste à une translation des images religieuses vers l’espace domestique. Une histoire rapportée par Jacques de Vitry, antérieure à 1220, raconte le choix fait par un particulier, déçu par son église : le voilà parti pour ramener sur son dos, après deux jours de voyage, une « ymagines beate Marie » qu’il va installer chez lui30. La devotio moderna accentue cette migration, soutenue notamment par le livre, support de la prière (souvenons-nous que la lecture devient alors silencieuse), par les retables portatifs bien entendu, mais aussi par des petits objets comme les fameuses noix de prière (fig. 9). Enfin, si l’on examine le recensement de Schreiber31, on voit que les estampes des xve et xvie siècles ont en très grande majorité pour sujets, le Christ, la Vierge, les saints et saintes, et l’Ancien Testament.

9. Dieu dans sa gloire ; Jugement dernier, grain de chapelet ou noix de prière, Flandres, 1500-1535, Paris, musée du Louvre, inv. no OA 5609.

9. Dieu dans sa gloire ; Jugement dernier, grain de chapelet ou noix de prière, Flandres, 1500-1535, Paris, musée du Louvre, inv. no OA 5609.

Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

  • 32 Pierre Verlet insistait déjà sur cet aspect dans Pierre Verlet, La Maison du xviii e siècle en Fran (...)
  • 33 Sur cet espace, Cécile Lestienne a produit un article issu de sa thèse de doctorat soutenue à l’uni (...)

30– Anne Perrin Khelissa. À l’Époque moderne, le système du décor lié au décorum s’appuie sur les principes antiques que Stéphanie Wyler a exposés plus haut. À la fin de cette période, on observe une dissociation accrue des usages. La multiplication et la spécialisation des espaces domestiques se renforcent progressivement, et plus particulièrement dans la seconde moitié du xviiie siècle32. Ce changement répond à une recherche avide de confort et de bien-être, portée par une conscience aiguë de l’agrément et du plaisir. Les modifications apportées à l’espace de la chambre – lieu où se concentraient auparavant activités privées et publiques –, assorti de cabinets particuliers ou de boudoirs dans les appartements de commodité, montrent une sophistication des attentes liées au délassement, au repos et au soin de la personne. La diversification des objets et des images fonctionne de pair avec l’aménagement des espaces. La présence de statuettes figurant des amours ou d’autres dieux aux poses lascives, de personnages voyeurs peints ou tissés sur les feuilles de paravents ou les écrans à main, d’objets d’âtre attisant le feu et de pendules comptant le temps partagé des amants vient érotiser ces espaces (fig. 10), comme l’évoque également la littérature libertine. La chambre peut rester au xviiie siècle un espace semi-public, notamment pour les réceptions particulières au moment de la toilette, mais les tablées nombreuses n’y sont plus dressées comme au xviie siècle, puisque se déploient les salles idoines dites « à manger33 ».

10. Nicolas de Launay, d’après Pierre-Antoine Baudouin, Le Carquois épuisé, 1765-1777, eau-forte, Paris, musée du Louvre, collection Edmond de Rotschild, inv. no 5877 LR/ recto.

10. Nicolas de Launay, d’après Pierre-Antoine Baudouin, Le Carquois épuisé, 1765-1777, eau-forte, Paris, musée du Louvre, collection Edmond de Rotschild, inv. no 5877 LR/ recto.

Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec

  • 34 Jacques-François Blondel, De la distribution des maisons de plaisance et de la décoration des édifi (...)

31Tout l’enjeu de la distribution intérieure moderne procède d’une volonté de créer des circulations différenciées, par des escaliers, des étages d’entresols, des enfilades, dont l’objectif est de relier, au besoin, les divers lieux entre eux. Jacques-François Blondel est un de ceux qui normalisent ces préceptes dans De la distribution des maisons de plaisance et de la décoration des édifices en général34. Il ne s’agit donc pas d’une fragmentation, mais de créer et de prolonger la circulation d’un lieu à l’autre, à l’intérieur de la demeure et également vers l’extérieur, avec l’espace de la cour ou du jardin.

  • 35 George Vigarello, Le sentiment de soi : histoire de la perception du corps (xv e-xx e siècle), Pari (...)
  • 36 Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire des émotions, Paris, Seuil, (...)
  • 37 Sur ces questions, on pourra se rapporter à Stéphane Castelluccio, L’Éclairage, le chauffage et l’e (...)

32Dans votre question, la remarque qui soulève, il me semble, une problématique importante tient à la notion d’intimité. Pour les hommes et les femmes du xxie siècle, historiens et historiennes des périodes anciennes, elle appelle à se déprendre de la conception que nous avons de notre propre identité individuelle. Cette dernière ressemble peu – si l’on se rapporte aussi bien aux archives qu’à la littérature – à celle qu’en avaient les hommes et les femmes du passé. Outre les données sociales, religieuses, économiques, techniques, l’état des sciences médicales avant que n’émerge la psychanalyse à la fin du xixe siècle déterminait un sentiment de soi particulier. Georges Vigarello a consacré un ouvrage à ce thème35 et les volumes collectifs dédiés à l’histoire des émotions enrichissent aussi l’étude de l’univers domestique36. L’impératif de politesse qui scelle les relations sociales sous l’Ancien Régime atteste une présence forte, intégrée, de l’altérité et de la collectivité chez les individus. Codes de civilité, règles de l’étiquette et du protocole, manuels de savoir-vivre, structurent les rapports et les normalisent, de sorte que les hiérarchies et les écarts de rang soient maintenus. L’appropriation collective inhérente à l’espace domestique ancien fait directement écho à ces pratiques. En effet, la demeure héberge plusieurs membres familiaux, en associant par ailleurs des personnes de rang inférieur appartenant à la domesticité. La cohabitation en un même lieu de tout ce monde, lié par des relations d’interdépendances fortes en dépit des écarts sociaux, forme un univers domestique organisé et vivant. Dans les testaments aristocratiques, la domesticité est toujours prise en considération ; c’est un devoir de rang, éthique, de se soucier de leur existence à la suite des successions, comme une précaution prise pour garantir la réputation morale des familles. Y apparaissent des attachements dont il n’est pas exclu qu’ils soient affectifs : robes de maîtresse de maison et petits bijoux légués nommément à des femmes de chambre par exemple, ou encore montres léguées à des précepteurs ou à des aumôniers. Cette dimension humaine est rarement discutée, tout comme ce qu’implique – dans l’ombre et de façon consubstantielle – l’éclat des décors et la culture des apparences : un entretien continuel mis en œuvre par ces classes inférieures (dépoussiérer, laver, blanchir, réparer, etc.)37. Enfin, notons que cette dimension communautaire de la domus ancienne s’est largement perdue dans les villes occidentales depuis la Révolution industrielle.

  • 38 Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie (1931), Paris, Société française de photographi (...)

33– Manuel Charpy. Les images habitent toute une série d’espaces et de géographies qui s’emboîtent. Ce qui se passe aujourd’hui n’est qu’une forme actuelle du travail ordinaire au xixe siècle qui consiste à trouver une demeure aux images et à transformer un espace en demeure par les images. L’arrimage des images à un décor qui les situe répond au partage toujours plus rigide des espaces, au cours du xixe siècle, entre espaces féminins et masculins, de réception et intimes, des habitants et des domestiques. Couloirs, multiplications des serrures sur les portes et sur les meubles, insonorisation des cloisons et des portes, systèmes de commande à distance des domestiques… La machinerie crée des microgéographies. Si la situation d’un portrait contribue à lui donner un sens, il participe en retour à qualifier le lieu qu’il habite. La galerie d’ancêtres, par exemple, est longtemps installée dans l’antichambre, forme de prolégomènes sociaux et de rupture temporelle d’avec la ville. Les images intimes et, plus encore, trop vulgaires, sont lentement rejetées dans les replis des appartements – petits salons, boudoirs et bureaux – puis dans les chambres. L’album, se souvient Walter Benjamin, est ainsi au début du xxe siècle « de préférence dans les recoins les plus glacés des maisons38 ». Les portraits en cheveux – composés avec les cheveux de défunts collés sur ivoire – sont remisés hors de la vue des visiteurs tant ils sont un surgissement brutal des corps morts, qui plus est.

  • 39 Louise d’Alq, Le Maître et la maîtresse de maison, Paris, Bureaux des causeries familières, 1887, p (...)
  • 40 Ermance Dufaux, Le Savoir-vivre dans la vie ordinaire et dans les cérémonies civiles et religieuses(...)

34Les frontières dans les intérieurs sont changeantes, toutes sociales : les portraits au daguerréotype puis en photographie des parents proches trouvent leur place dans les salons des années 1840-1870. On trouve à ce sujet des conseils infinis dans les manuels domestiques pour placer ces images. L’auteur du Maître et la maîtresse de maison peut écrire, en 1887, que le « charmant fouillis des souvenirs du cœur », « photographies » et « portraits de famille », trouve sa place dans les chambres et, à la rigueur, dans le cabinet de travail39. Ermance Dufaux, plus pragmatique, précise : « La place des portraits de famille est au salon [mais] les photographies resteront dans l’album ; à peine s’il est fait exception pour deux ou trois des plus notables ; encore l’élégance du cadre doit-elle sauver la vulgarité de ce genre de portrait40. » Les objets eux-mêmes, leurs bricolages ainsi que les archives privées – factures de tapissiers, d’encadreurs… – disent ces pratiques, plus que les inventaires qui placent les portraits extra-bono, les rendant invisibles. Aux yeux du xixe siècle, un portrait, qu’il soit modeste ou exécuté par un maître, ne peut être prisé. Les spectres abrités dans les intérieurs font corps avec les habitants et ne peuvent appartenir au monde de la marchandise. Il est, dès lors, logique de retrouver ces portraits de parents et amis en photo-carte emportées avec soi dans les portefeuilles, montées dans des étuis portatifs, placées sous verre ou en ferrotype pour être accrochées en médaillon ou en bracelets. Sacs à main des femmes et costumes des hommes ressemblent à des meubles. Jusqu’à la fin du xxe siècle, la bourgeoisie sort dans la rue avec sa galerie d’ancêtres.

35– Pierre-Olivier Dittmar. Peut-on véritablement parler d’une cohabitation avec les images ? Ce terme peut englober plusieurs degrés de présence, d’une dimension ornementale des lieux de vie à des imputations d’intentionnalité dans le cas d’images de culte présentes sur des autels domestiques par exemple. Dans tous les cas, une cohabitation ne se passe jamais sans heurts, sans conflits et sans négociations. Comment cette cohabitation se manifeste-t-elle pratiquement ?

  • 41 Leon Battista Alberti, De re aedificatoria, IX, 4 ; en français : L’Art d’édifier, Pierre Caye et F (...)
  • 42 Voir l’étude importante du sociologue David Halle, Inside Culture. Art and Class in the American Ho (...)

36– Gil Bartholeyns. Il est évident que les images ne remplissent jamais une fonction bien précise ni une seule. Dans le célèbre conseil donné aux fiévreux par Alberti de se faire peindre des fontaines raffermissantes sur les murs de leur chambre, beauté et prophylaxie vont de pair41. On peut en dire autant des dieux lares brillamment ouvragés, ou d’un Modigliani dans un appartement de l’Upper East Side, qui démontre à la fois le goût et le capital de ses habitants42. Le petit paysage de Klee de l’appartement rêvé par Jérôme et Sylvie, dans Les Choses de Georges Perec, exprime leur désir de bourgeoisie. Les baraques étasuniennes de la Grande Dépression se couvrent de cartons de panneaux publicitaires récupérés (fig. 11) : la fonction d’isolation se double ici d’un agrément inopiné, sans quoi les images n’auraient sans doute pas été tournées vers l’intérieur. Mieux vaut une image que pas d’image du tout.

11. Walker Evans, Garçon dans une maison de mineur, près de Morgantown, Virginie-Occidentale, 1935, New York, The Metropolitan Museum of Art, Walker Evans Archive, 1994, inv. no 1994.258.374.

11. Walker Evans, Garçon dans une maison de mineur, près de Morgantown, Virginie-Occidentale, 1935, New York, The Metropolitan Museum of Art, Walker Evans Archive, 1994, inv. no 1994.258.374.

Photo © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / © W. Evans Arch., The Metropolitan Museum of Art

37En évoquant les négociations, on ne peut pas manquer celles qui se jouent entre images ou entre types d’image. Au Moyen Âge, la tapisserie et, de façon générale, les textiles occupent une place importante. Si bien que, dans les comptabilités, une « chambre » désigne un ensemble textile accroché au mur ou à un système d’accrochage dans la pièce, autour du lit, ou pour marquer une séparation. Ce type de décor en forme d’aula s’interpose en quelque sorte à la peinture murale qui va parfois jusqu’à imiter, aux xiiie et xive siècles, le drapé de ces « chambres ».

38La question de l’arrangement entre habitants en faveur de telle image ou tel lieu – parfois de vraies guerres d’occupation – apparaît nettement dans les témoignages et travaux des étudiants sur leur vie avec les images. Cela me permet de revenir à ce sujet qui m’est cher : avoir des images chez soi demande d’avoir un chez soi. Quand on vit à plusieurs (en colocation par exemple) les images ont tendance à se replier dans la chambre et, quand la chambre est elle-même partagée, au mur le long duquel se trouve le lit (fig. 12). Des séparations invisibles affectent les lieux, que les images viennent manifester et établir, marquant les frontières de la cohabitation. Il est alors étonnant de constater que ces agencements / arrangements parfois âpres, par exemple quand un couple emménage pour la première fois, ne préjugent pas du « degré » de présence quotidien des images pour les résidents. La plupart du temps, on reconnaît qu’elles existent dans une sorte de présence de basse intensité, sur un mode mineur ou faible mais pas secondaire cependant. C’est un mode d’existence particulier, une sorte d’infra-ordinaire paradoxal, qui invite souvent à la réflexion : « Les images, explique une étudiante en 2018, sont omniprésentes chez moi, et en même temps elles ne sont pas tout le temps présentes à mon esprit, à mon regard. Ce fait d’exister à peine change pourtant tout […]. Je leur accorde une importance presque sacrée, même si elles sont plutôt peu visibles dans mon environnement […]. C’est une approche plus spirituelle que sentimentale. »

12. Autour du lit : chambre d’étudiant, France, 2017.

12. Autour du lit : chambre d’étudiant, France, 2017.

39– Stéphanie Wyler. L’exemple des laraires dans les maisons romaines, ces petits autels domestiques dans lesquels sont représentées les divinités de la maison (génie, lares et autres pénates), sous la forme de statuettes et de fresques, est intéressant à penser dans ce cadre. Comme nous l’avons évoqué plus haut, ils peuvent être dupliqués dans l’atrium et dans les cuisines, avec des décors différenciés, sobres dans la pièce « publique », hauts en couleurs dans les communs. Il ne s’agit pas d’une concurrence, mais d’une collaboration entre les divinités qui s’adaptent à leur mission précise, localisée dans la maison (protéger la cuisine des dangers du feu par exemple, garantir rituellement la préparation de la viande), et aux regards des spectateurs différents (l’atrium offre l’image des ancêtres de la famille à tout visiteur qui entre dans la maison, aux esclaves et éventuellement à la famille dans la cuisine).

40La question s’est aussi posée devant l’érotisme cru de certaines images et de représentations phalliques que l’on peut retrouver dans la plupart des pièces de la maison, du vestibule d’entrée (fig. 13) aux chambres à coucher et aux salons (voir le dévoilement d’un phallus bien détaillé en contexte dionysiaque, comme sur une mosaïque de Cuicul-Djémila), ainsi que sur les objets mobiles utilisés dans la maison (lampes, vaisselles, bijoux, etc.). Les prudes matrones, les pudiques mères de famille qui se voilent dès qu’elles sortent, détournaient-elles le regard dès qu’elles passaient devant ces images, ou ces représentations participaient-elles d’une forme d’apprentissage par les images, souvent associées à des dieux (dont le modèle de comportement dans les mythes pouvait être moralement douteux) ? L’image est là qui se donne à voir : si négociation il y a, c’est aussi en fonction des regards qui les contemplent et des discours qui les accompagnent.

13. Priape, fresque de Pompéi, vestibule de la maison des Vettii (VI, 15, 1, in situ), 62-79 après J.-C.

13. Priape, fresque de Pompéi, vestibule de la maison des Vettii (VI, 15, 1, in situ), 62-79 après J.-C.

© Su concessione del ministero della Cultura

  • 43 La bibliographie sur l’exotisme entre le xviie siècle et le xviiie siècle, en particulier asiatique (...)

41– Anne Perrin Khelissa. Les diverses modes qui se succèdent, ou apparaissent parfois de façon concomitante dans les décors à l’époque moderne, relèvent d’esthétiques multiples. Les images placées sur les objets, des compositions historiques tissées en tapisseries aux médaillons ornant les boîtes à tabac, des figures sculptées en bas-relief sur les battants des armoires aux motifs de fleurs peints en laque sur les clavecins, empruntent tantôt au vocabulaire ornemental naturel, tantôt au répertoire formel antique, tantôt aux beaux-arts, essentiellement à la peinture. Si au xviiie siècle, les artistes et les artisans font des recherches pour créer une harmonie d’ensemble, en unifiant notamment les teintes et les thèmes employés sur différents supports, la logique qui préside à l’ensemble de la période est celle de l’accumulation, avec des associations d’univers contrastés. Il suffit de lire les inventaires pour s’en rendre compte. L’introduction des produits venus d’Orient, intensifiée au xviie siècle avec le commerce des compagnies des Indes – potiches chinoises, vases anciens du Japon montés en bronze par les marchands-merciers, textiles et laques asiatiques, outre les tapis de table persans et les naturalia de provenance indécise –, agit comme ferment de comparaison et d’émulation avec les productions européennes. Toutes ces importations représentent une source d’inspiration majeure pour les artisans occidentaux43 (fig. 14).

14. Mathieu Criaerd, Encoignure de la chambre bleue de la comtesse de Mailly au château de Choisy, 1742, vernis martin, Paris, musée du Louvre.

14. Mathieu Criaerd, Encoignure de la chambre bleue de la comtesse de Mailly au château de Choisy, 1742, vernis martin, Paris, musée du Louvre.

Photo © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier

42Cette notion de cohabitation des images que permet l’espace domestique, avec des corrélations multiples qui surpassent les supports, met aussi en relation des domaines que l’historiographie a distendus : les beaux-arts et les « arts décoratifs ». Outre le fait que des peintres et des sculpteurs pourvoient la production artisanale en modèles dessinés, la médiation que représente le marché de l’estampe ornementale permet d’expliquer le lien iconographique et stylistique entre une portière et un napperon d’autel privé, une nature morte peinte et son équivalent reproduit sur du papier peint.

  • 44 Perrin Khelissa, 2015, cité n. 32.
  • 45 Anne Perrin Khelissa, « Quand les sens prennent vie... Des liens possibles entre cinéma et histoire (...)
  • 46 Citons notamment les travaux de Mimi Hellman.

43L’ambiance et la sensation d’un lieu, la façon dont les objets sont investis par des gestes, par des manipulations, par des projections aussi sensuelles que mentales, renvoient également à l’imprégnation corporelle inhérente à l’espace domestique. La vibration lumineuse d’une bougie se consumant sur son bougeoir, la senteur de pétales déposés dans un pot-pourri, le son d’un couvert tintant sur un plat en porcelaine, la douceur d’une garniture de siège frôlée par le tissu d’une robe, produisent de concert des effets qui font cohabitation. Par les actions et par la mise en mouvement de ces objets le chercheur peut reconstituer des dynamiques de corrélations44. Les sources principales de l’histoire de la culture matérielle, inventaires et testaments, n’offrent guère d’indications sur ces points, raison pour laquelle les représentations peintes ou gravées d’intérieurs, comme la littérature, la philosophie et l’anthropologie sont des approches et des sources précieuses. J’insisterai en conséquence sur la nécessité, d’un point de vue méthodologique, d’associer ces disciplines pour traiter de l’espace domestique. Aussi, la crainte de l’anachronisme ne suffit pas, il me semble, à éluder l’hypothèse d’une intuition ou d’une information transmise par l’expérience. Au musée, les period rooms possèdent cette vertu de suggestion ou d’évocation, que peuvent aussi véhiculer d’autres médiums comme le cinéma45. Une analyse technique et formelle approfondie des objets et des images livre pareillement, en tant que telle, une multitude d’informations. Des historiens de l’art – qui ne sont pas toujours lus par les historiens de la culture matérielle d’ailleurs –, opèrent ce retour à l’objet et à sa réalité physique46. S’interroger sur le poids d’un habit porté et ses dimensions, en fonction de la largeur des sièges prévus pour s’asseoir, se questionner sur la légèreté ou au contraire la massivité d’un meuble, en lien avec son emplacement dans la demeure, observer la courbure d’un encadrement, en fonction du lieu d’accrochage du tableau, sont des données palpables qui traduisent des usages, des pratiques et, par extension, des types de production et de consommation domestiques. Ainsi, par ce pouvoir suggestif, évocateur, les générations actuelles peuvent entretenir avec celles de jadis une familiarité sensible à travers l’espace universel qu’est le foyer domestique.

44– Manuel Charpy. Là encore, le détour par une pratique populaire et contemporaine permet de réinterroger les rapports aux portraits, y compris du xixe siècle. Si les portraits de Crying Boy protègent les maisons des descendants anglais et afrikaners en Afrique du Sud, ils sont réputés, en Angleterre, se retourner contre les habitants. Cohabitation difficile et construction médiatique étrange : la scène inaugurale se déroule en 1985, dans une maison semblable aux autres, dans la ville ouvrière de Rotherham (South Yorkshire), alors laminée par la désindustrialisation. Une friteuse déclenche un incendie. Le frère de la maîtresse de maison, pompier, est formel : tout est réduit en cendres sauf le Crying Boy. L’émotion locale est vite transformée en phénomène national par le Sun qui sait que la reproduction a été vendue à des dizaines de milliers d’exemplaires. La rédaction du tabloïd appelle lectrices et lecteurs à lui envoyer leur tableau et organise un autodafé avec les 2 500 images reçues (fig. 15). De tels pouvoirs prêtés à cette image n’ont rien d’archaïques, et il ne s’agit pas non plus d’une pure construction médiatique. Le pouvoir des images est aussi profane et il modèle demeures et habitants.

15. Autodafé du Crying Boy, image de presse anonyme, publiée le 31 octobre 1985 dans le Sun.

15. Autodafé du Crying Boy, image de presse anonyme, publiée le 31 octobre 1985 dans le Sun.
  • 47 Alq, 1887, cité n. 39, p. 285.
  • 48 Alphonse Davanne, « Invention et applications de la photographie », Annales du Conservatoire des ar (...)

45Les portraits de famille sont des instruments et sont à l’origine d’une somatique partagée (les gestes de la réflexion, d’assurance, de modestie, notamment, sont codifiés par les portraits). Plus profondément encore, ces images modifient les imaginaires. Au premier chef, celui de la famille, à la fois nucléaire et hérissée de racines et de branches. Les albums, comme autant d’arbres généalogiques réorganisés dans chaque famille grâce aux images multiples, fabriquent une représentation visuelle de la famille – y compris d’ancêtres inconnus ou de parents qu’on ne fréquente pas. Ces lignages visuels aiguisent le sentiment de soi car ils proposent une expérience intime du temps et du passé : toute une génération découvre dans la seconde moitié du xixe siècle à la fois son corps travaillé par le temps et des ancêtres qu’elle n’a pas connus. Louise d’Alq, dans son guide de 1887, en donne le mode d’emploi : « L’album est comme un agenda animé. En le feuilletant, on [se] retrouve devant ces figures connues, aimées parfois, parfois aussi indifférentes […]. Celui-ci est mort jeune ; il a laissé des regrets… […] Ah ! comme celle-ci était jolie alors ! […] C’est ainsi que nous revoyons ce cher passé, que nous évoquons des souvenirs47. » En 1892, le chimiste et photographe Alphonse Davanne célèbre quant à lui « les douces émotions […] éprouvées à feuilleter l’album où se retrouvent les sites parcourus et admirés, les portraits amis, les images des disparus tracées par cette lumière même que reflétaient leurs visages aimés48 ». L’écriture autobiographique est largement préemptée par l’image : à partir de la seconde moitié du xixe siècle, on se remémore le passé en noir et blanc.

46Les Crying Boy ne sont que l’expression spectaculaire de l’effet des portraits sur les individus, les familles et les demeures. Il n’est pas étonnant que les orphelins inquiètent cet édifice qui lie images, habitants et demeures, et puissent le réduire en cendres.

47– Magali Nachtergael. Aujourd’hui, la négociation des images placées dans les espaces collectifs peut aussi être soumise à des variations entre les images « officielles », souvent encadrées, et les images scotchées qui sont plus mobiles (dessins d’enfant, croquis, essais). Les lieux de passage sont plus facilement investis, du fait qu’ils semblent libres et n’engagent pas de façon formelle et solennelle l’ethos ou l’identité des occupants de l’habitation : ces espaces articulent la maison comme des lieux d’exposition ou écrivent des bribes d’histoires familiales, avec discrétion. Les images qu’on y trouve signalent aussi des idées, des atmosphères ou une explicite mise en scène de soi (images de vacances, de mariages, des événements relevant du stéréotype de l’événement photographique). Le xxe siècle a sûrement été plus scénographique que ne l’est le xxie, et l’analyse des images des intérieurs au Congo belge par l’historienne de l’art Sandrine Colard montre à quel point la standardisation des modèles européens modernes y a servi d’outil d’intégration sociale. Désormais, on voit défiler sur écran des diaporamas de façon aléatoire. Des stocks images, vendues dans les grands magasins d’ameublement, ornent les murs des pièces où l’on reçoit, signalant une fausse neutralité décorative. Dans les intérieurs des classes moyennes on note souvent une tension entre singularisation et standardisation. Chez les plus pauvres, les images servent aussi à cacher des murs au sinistre aspect. La série photographique « Kolwezi » de Sammy Baloji (fig. 16), prise dans les baraquements des travailleurs des mines en République démocratique du Congo, montre que les images standardisées, posters de métropoles ou paysages lointains, servent ainsi à masquer les bâches qui servent de murs à ces maisons de fortune. Les usages de l’exposition d’images dans l’espace domestique relèvent, on le voit, de pratiques aussi variées que d’intentions et de contextes socio-économiques et géographiques différents. Ils sont à leur manière résolument situés et il faut les considérer comme tels.

16. Sammy Baloji, Raccord no 1, cité de Kawama, 2012, tirage jet d’encre sur papier baryté de la série « Kolwezi ».

16. Sammy Baloji, Raccord no 1, cité de Kawama, 2012, tirage jet d’encre sur papier baryté de la série « Kolwezi ».

© Sammy Baloji, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Imane Farès

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Notes

1 Georges Didi-Huberman, « Imitation, représentation, fonction. Remarques sur un mythe épistémo­logique », dans Jérôme Baschet et Jean-Claude Schmitt (dir.), Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, actes de l’« International Workshop on Medieval Societies » (Erice, centre Ettore Majorana, 1992), Paris, Le Léopard d’or, 1996, p. 59-86.

2 Ces catégories sont paradigmatiques, et connaissent de nombreuses variations et exceptions, notamment celle des collections privées. Voir à ce propos Mario Praz, La Maison de la vie, Paris, Gallimard, 1993. Je remercie Thomas Golsenne de m’avoir fait connaître cet ouvrage exceptionnel. On pense également à Krzysztof Pomian, Le Musée, une histoire mondiale, t. I. Du trésor au musée, Paris, Gallimard, 2020.

3 Rémi Labrusse, « Des pièces d’époque aux capsules temporelles. Temps historique et temps vécu dans l’expérience esthétique », Gradhiva, no 28, 2018 [URL : journals.openedition.org/gradhiva/3721].

4 Éliane de Larminat, Houses and Homes : photographier la maison aux États-Unis, 1930-1990, Cherbourg-en-Cotentin, Le Point du jour, 2020.

5 Daniel Roche, La Culture des apparences, Paris, Fayard, 1989.

6 Albert Piette, Le Mode mineur de la réalité. Paradoxes et photographies en anthropologie, Louvain, Peeters, 1992.

7 Je me permets de renvoyer à Pierre-Olivier Dittmar « Co-habiter avec les images », Bérénice Gaillemin et Élise Lehoux (dir.), Trajectoires biographiques d’images, numéro thématique d’Images re-vues. Histoire, anthropologie et théories de l’art, no 15, 2018 [URL : journals.openedition.org/imagesrevues/6022].

8 En attendant une synthèse sur la place des images, un panorama général est donné par les cinq volumes de L’histoire de la vie privée, dirigés par Philippe Ariès et Georges Duby entre 1985 et 1987.

9 En particulier Gilles Sauron, Les Décors privés des Romains. Dans l’intimité des maîtres du monde, Paris, Picard, 2009 ; Ida Baldassarre, Angela Pontrandolfo et al., La Peinture romaine, Paris, Actes Sud, 2006.

10 Voir par exemple l’analyse des médaillons d’enfants peints dans une chambre de la maison de Marcus Lucretius Fronto par Évelyne Prioux, « L’épigramme de la “chambre” jaune : Micon et Péro dans la maison de Marcus Lucretius Fronto », Pallas, no 93, 2013, p. 217-235 [URL : journals.openedition.org/pallas/1457].

11 Francesco De Angelis, Suzanne Muth (dir.), Im Spiegel des Mythos. Bilderwelt und Lebenswelt / Lo specchio del mito. Immaginario e realtà, actes du colloque (Rome, Deutsches archäologisches Institut, 1998), Wiesbaden, Reichert Verlag, 1999, en particulier l’article de Bettina Bergmann, « Rhythms of Recognition: Mythological Encounters in Roman Landscape Painting », p. 81-107.

12 Méthodologiquement, ces jeux ne peuvent être reconstruits que par l’analyse conjointe des textes et des images, comme le fait remarquablement (parmi d’autres) Jas´ Elsner, Roman Eyes: Visuality and Subjectivity in Art and Text, Princeton, Princeton University Press, 2007.

13 Voir le dossier édité par Emmanuelle Valette, Stéphanie Wyler, « Le spectacle de la nature », Cahiers « Mondes Anciens », no 9, 2017 [URL : journals.openedition.org/mondesanciens/1872], en particulier Éric Morvillez, « “Avec vue sur jardin” : vivre entre nature et paysage dans l’architecture domestique, de Cicéron à Sidoine Apollinaire » [URL : http://journals.openedition.org/mondesanciens/1926 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mondesanciens.1926].

14 Gil Bartholeyns, Monique Bourin, Pierre-Olivier Dittmar, « La domestication des images », introduction, dans Gil Bartholeyns, Monique Bourin, Pierre-Olivier Dittmar (dir.), Images de soi dans l’univers domestique, xiii e-xvi e siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 11-18.

15 Sur ces accommodements du jour et de la nuit, je me permets de renvoyer à Gil Bartholeyns, « A History of Domestic Disorder: The French Royal Household in the Thirteenth and Fourteenth Century », dans Christopher Fletcher (dir.), Everyday Political Objects, Londres, Routledge, 2021, p. 48-61.

16 La bibliographie ne peut être cernée ici. Pour la France, renvoyons aux travaux pionniers d’Antoine Schnapper sur le xviie siècle, notamment Curieux du Grand Siècle : collections et collectionneurs dans la France du xviie siècle, Paris, Flammarion, 1994 ; et à ceux de Patrick Michel pour le xviiie siècle, dont Peinture et plaisir. Les Goûts picturaux des collectionneurs parisiens au xviiie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.

17 Là encore, la bibliographie serait trop vaste. On peut mentionner les travaux de Patricia Waddy sur les palais romains et ceux de Gérard Labrot sur le système résidentiel napolitain.

18 Sur ce point, décisif au sein des familles nobles génoises, je me permets de renvoyer à Anne Perrin Khelissa, Gênes au xviiie siècle. Le Décor d’un palais, Paris, INHA / CTHS, 2013. Nous avions donné une place centrale aux testaments, vecteurs d’une conscience qualitative (et non uniquement descriptive) des biens mobiliers.

19 Bernard Mary, La Photo sur la cheminée. Naissance d’un culte moderne, Paris, Métailié, 1993.

20 De l’architecture, livre VII, chap. iv.

21 Andrew-Wallace Hadrill, Houses and Society in Pompeii and Herculaneum, Princeton, Princeton University Press, 1994. Sur la notion de « décor » envisagée à travers celle de l’ornement, voir le numéro thématique Ornement / ornemental de la revue Perspective, no 1, 2010 [URL : https://journals.openedition.org/perspective /1194].

22 Pietro Giovanni Guzzo, Vincenzo Scarano Ussani, Veneris figurae. Immagini di prostituzione e sfruttamento a Pompei, Naples, Electa, 2000.

23 Federica Giacobello, Larari pompeiani. Iconografia e culto dei lari in ambito domestico, Milan, Edizioni universitarie di lettere, economia, diritto, 2008, p. 221-222.

24 Valérie Huet, Stéphanie Wyler, « Associations de dieux en images dans les laraires de Pompéi », dans Francis Prost et al. (dir.), Figures de dieux : construire le divin en images, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

25 Outre l’étude classique d’Andrew Wallas-Hadrill, voir récemment Alexandra Dardenay, Nicolas Laubry (dir.), Anthropology of Roman Housing, Turnhout, Brepols, 2020.

26 Witold Rybczynski, Home. A Short History of an Idea, New York, Penguin Book, 1986.

27 John Lukacs, « The Bourgeois Interior: Why the Most Maligned Characteristic of the Modern Age May yet Be Seen as its Most Precious Asset », The American Scholar, vol. 39, no 4, 1970, p. 616-630.

28 Heidi de Mare, « Domesticity in Dispute. A Recon­sideration of Sources », dans Irène Cieraad (dir.), At Home. An Anthropology of Domestic Space, Syracuse, NY, Syracuse University Press, 1999, p. 13-30.

29 Richard Sennett, La Conscience de l’œil. Urbanisme et Société (1990), Lagrasse, Verdier, 2009, p. 58.

30 Die Exempla aus den Sermones feriales et communes des Jakob von Vitry, Joseph Greven (éd.), Heidelberg, Carl Winter, 1914, no 4, p. 5-7.

31 Wilhelm Ludwig Schreiber, Manuel de l’amateur de gravure sur bois et sur métal au xve siècle, Berlin, Librairie Albert Cohn, 1891, 2 vol.

32 Pierre Verlet insistait déjà sur cet aspect dans Pierre Verlet, La Maison du xviii e siècle en France : société, décoration, mobilier, Fribourg, Office du livre, 1966 ; et des recherches plus récentes continuent de l’approfondir ; voir notamment Claire Ollagnier, « L’Appartement au xviiie siècle : un espace diversifié au service d’une convivialité nouvelle », dans Anne Perrin Khelissa (dir.), Corrélations. Les objets du décor au siècle des Lumières, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2015, p. 63-79.

33 Sur cet espace, Cécile Lestienne a produit un article issu de sa thèse de doctorat soutenue à l’université Paris-Sorbonne sous la direction d’Alexandre Gady en 2017 : Cécile Lestienne, « La salle à manger : naissance et adoption d’une pièce réservée au repas (xviie-xixe siècle) », In Situ, no 41, 2019 [URL : https://journals.openedition.org/insitu/26742].

34 Jacques-François Blondel, De la distribution des maisons de plaisance et de la décoration des édifices en général, Paris, Jombert, 1737-1738, 2 vol.

35 George Vigarello, Le sentiment de soi : histoire de la perception du corps (xv e-xx e siècle), Paris, Seuil, 2014.

36 Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire des émotions, Paris, Seuil, 2016-2017, 3 vol.

37 Sur ces questions, on pourra se rapporter à Stéphane Castelluccio, L’Éclairage, le chauffage et l’eau aux xviie et xviiie siècles, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2016.

38 Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie (1931), Paris, Société française de photographie, 1996, p. 17.

39 Louise d’Alq, Le Maître et la maîtresse de maison, Paris, Bureaux des causeries familières, 1887, p. 67.

40 Ermance Dufaux, Le Savoir-vivre dans la vie ordinaire et dans les cérémonies civiles et religieuses, Paris, Garnier frères, 1883, p. 16.

41 Leon Battista Alberti, De re aedificatoria, IX, 4 ; en français : L’Art d’édifier, Pierre Caye et Françoise Choay (éd. et trad. fr.), Paris, Seuil, 2004, p. 435-436.

42 Voir l’étude importante du sociologue David Halle, Inside Culture. Art and Class in the American Home, Chicago, The University of Chicago Press, 1993.

43 La bibliographie sur l’exotisme entre le xviie siècle et le xviiie siècle, en particulier asiatique, étant pléthorique, nous préférons renvoyer ici à un ouvrage qui défend une hypothèse nouvelle à partir de cette thématique, à savoir que la conception même de l’espace pictural s’en est trouvée modifiée ; Isabelle Tillerot, Orient et ornement, l’espace à l’œuvre ou le lieu de la peinture, Paris, Éditions Fondation des sciences de l’homme, 2018.

44 Perrin Khelissa, 2015, cité n. 32.

45 Anne Perrin Khelissa, « Quand les sens prennent vie... Des liens possibles entre cinéma et histoire du décorum », Nostalgies du présent, numéro thématique de Cinémas, vol. 29, no 2, 2021, p. 131-147.

46 Citons notamment les travaux de Mimi Hellman.

47 Alq, 1887, cité n. 39, p. 285.

48 Alphonse Davanne, « Invention et applications de la photographie », Annales du Conservatoire des arts et métiers, t. IV, 1892, p. 32-53.

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Table des illustrations

Titre 1a-b. Portraits en médaillon d’un garçon en Mercure et d’une petite fille, Pompéi, maison de Marcus Lucretius Fronto (V, 4, a), cubiculum 6 (in situ), 62-79 après J.-C.
Crédits © Su concessione del ministero della Cultura
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Titre 2. Scène d’initiation dionysiaque, panneau de stuc au plafond du cubiculum B de la villa augustéenne sous la Farnésine, 40-30 avant J.-C., Rome, Museo Nazionale Romano, inv. 1072.
Crédits © Su concessione del ministero della Cultura – Museo Nazionale Romano / Photo © G. P. Casaceli
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Titre 3. Gabriel Metsu, Jeune femme lisant une lettre, 1664-1666, huile sur bois, 52,5 × 40,2 cm, Dublin, National Gallery of Ireland, Presented, Sir Alfred and Lady Beit, 1987 (Beit Collection), inv. NGI. 4537.
Crédits Photo © National Gallery of Ireland
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Titre 4. Francesco Antonio Meloni, Banquet pour l’élection du gonfalonier de Bologne Alamano Isolani en novembre 1701, Bologne, Pinacoteca Nazionale di Bologna, Gabinetto dei Disegni e delle Stampe.
Crédits © De Agostini Picture Library / Scala, Florence
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Titre 5. Crying Boy, oléographie sur papier gaufré, vide-grenier de l’avenue Botzaris, Paris, XIXe arrondissement, automne 2019.
Crédits Photo © Manuel Charpy
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Titre 6. Cloche de mariage avec souvenirs, ferrotype et photographie, années 1890-1900, collection Manuel Charpy.
Crédits Photo © Manuel Charpy
URL http://journals.openedition.org/perspective/docannexe/image/24775/img-6.jpg
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Titre 7. Laraire de la cuisine d’une villa de Terzigno (Cava Ranieri), milieu du ier siècle après J.-C., 210 × 260 cm, Parc archéologique de Pompéi, inv. 86755.
Crédits © Su concessione del ministero della Cultura
URL http://journals.openedition.org/perspective/docannexe/image/24775/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 336k
Titre 8. Scène de genre peinte sur un closoir (poutre 3 face A), vers 1450, Montagnac, hôtel de Brignac.
Crédits Photo © Caroline Lejeune / RCPPM
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Fichier image/jpeg, 412k
Titre 9. Dieu dans sa gloire ; Jugement dernier, grain de chapelet ou noix de prière, Flandres, 1500-1535, Paris, musée du Louvre, inv. no OA 5609.
Crédits Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
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Titre 10. Nicolas de Launay, d’après Pierre-Antoine Baudouin, Le Carquois épuisé, 1765-1777, eau-forte, Paris, musée du Louvre, collection Edmond de Rotschild, inv. no 5877 LR/ recto.
Crédits Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec
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Titre 11. Walker Evans, Garçon dans une maison de mineur, près de Morgantown, Virginie-Occidentale, 1935, New York, The Metropolitan Museum of Art, Walker Evans Archive, 1994, inv. no 1994.258.374.
Crédits Photo © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / © W. Evans Arch., The Metropolitan Museum of Art
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Titre 12. Autour du lit : chambre d’étudiant, France, 2017.
URL http://journals.openedition.org/perspective/docannexe/image/24775/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 272k
Titre 13. Priape, fresque de Pompéi, vestibule de la maison des Vettii (VI, 15, 1, in situ), 62-79 après J.-C.
Crédits © Su concessione del ministero della Cultura
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Titre 14. Mathieu Criaerd, Encoignure de la chambre bleue de la comtesse de Mailly au château de Choisy, 1742, vernis martin, Paris, musée du Louvre.
Crédits Photo © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier
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Titre 15. Autodafé du Crying Boy, image de presse anonyme, publiée le 31 octobre 1985 dans le Sun.
URL http://journals.openedition.org/perspective/docannexe/image/24775/img-15.jpg
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Titre 16. Sammy Baloji, Raccord no 1, cité de Kawama, 2012, tirage jet d’encre sur papier baryté de la série « Kolwezi ».
Crédits © Sammy Baloji, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Imane Farès
URL http://journals.openedition.org/perspective/docannexe/image/24775/img-16.jpg
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Pour citer cet article

Référence papier

Gil Bartholeyns, Manuel Charpy, Pierre-Olivier Dittmar, Magali Nachtergael, Anne Perrin Khelissa et Stéphanie Wyler, « Lieux de vie, lieux d’images : une autre histoire occidentale de l’espace domestique »Perspective, 2 | 2021, 43-66.

Référence électronique

Gil Bartholeyns, Manuel Charpy, Pierre-Olivier Dittmar, Magali Nachtergael, Anne Perrin Khelissa et Stéphanie Wyler, « Lieux de vie, lieux d’images : une autre histoire occidentale de l’espace domestique »Perspective [En ligne], 2 | 2021, mis en ligne le 30 juin 2022, consulté le 16 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/perspective/24775 ; DOI : https://doi.org/10.4000/perspective.24775

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Auteurs

Gil Bartholeyns

Gil Bartholeyns enseigne les cultures visuelles et matérielles au département des humanités de l’université de Lille. Il est corédacteur en chef de la revue Techniques et Culture. Il a récemment écrit, avec M. Charpy, L’Étrange et folle aventure du grille-pain, de la machine à coudre et des gens qui s’en servent (Paris, Premier Parallèle, 2021) ; l’essai Le Hantement du monde. Zoonoses et pathocène (Bellevaux, Dehors, 2021). Politiques visuelles, qu’il a dirigé (Dijon, Les Presses du réel, 2016), examine les visual studies et leur réception continentale. Avec Th. Golsenne, il a dirigé La Performance des images (Bruxelles, Éditons de l’université de Bruxelles, 2010), et avec P.-O. Dittmar et V. Jolivet, Image et transgression au Moyen Âge (Paris, PUF, 2008).

Manuel Charpy

Ancien normalien, agrégé d’arts appliqués, docteur en histoire contemporaine, Manuel Charpy est chargé de recherche au CNRS et directeur d’InVisu (laboratoire CNRS/INHA) depuis janvier 2019. Il enseigne l’histoire de l’art et l’histoire contemporaine dans les écoles d’arts appliqués et les universités depuis 20 ans. Il a créé en 2015 Modes pratiques, revue d’histoire du vêtement et de la mode. Auteur de contributions et d’ouvrages à la fois sur l’histoire de l’Afrique de l’Ouest et sur la culture matérielle en France au xixe siècle, il travaille actuellement à des livres sur l’histoire du vêtement et de la mode (Paris, La Découverte, à paraître) et l’histoire du portrait (Une image à soi. Histoires des usages sociaux d’une image, Paris, Flammarion, à paraître). Il vient d’écrire, avec G. Bartholeyns, L’Étrange et folle aventure du grille-pain, de la machine à coudre et des gens qui s’en servent (Paris, Premier Parallèle, 2021).

Articles du même auteur

Pierre-Olivier Dittmar

Pierre-Olivier Dittmar est historien, maître de conférences à l’EHESS où il occupe la chaire d’histoire et d’anthropologie du vivant (xii-xvie siècle). Ses travaux portent sur les interfaces avec les non-humains au cours d’un long Moyen Âge, qu’il s’agisse des animaux, des invisibles, ou des artefacts. Il a notamment coécrit, avec ­G. Bartholeyns et V. Jolivet, Image et transgression au Moyen Âge (Paris, PUF, 2008) et, avec J. Baschet et J.-Cl. Bonne, Le Monde roman, par-delà le bien et le mal : pour une iconographie du lieu sacré (Paris, Arkhê, 2012), un numéro d’Images re-vues consacré au « Devenir-animal » (no 6, 2009) et, plus récemment, avec J. Baschet, Les Images dans l’Occident médiéval (Turnhout, ­Brepols, 2015), ainsi qu’un numéro de Techniques et cultures consacré à « Matérialiser les désirs. Techniques votives » (2018) et, avec G. ­Bartholeyns, et M. ­Bourin, Images de soi dans l’univers domestique, xiiie-xvie siècle (Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018).

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Magali Nachtergael

Professeure en littérature, théorie et arts visuels à l’université Bordeaux-Montaigne, Magali Nachtergael est aussi commissaire d’exposition et critique d’art. Spécialiste des interactions entre littérature et culture visuelle, elle a publié Les Mythologies individuelles, récit de soi et photographie au xxe siècle (Amsterdam / New York, Rodopi, 2012) et récemment, avec Ch. Foucher Zarmanian, Le Phototexte engagé. Une culture visuelle du militantisme au xxe siècle (Dijon, Les Presses du réel, 2021).

Anne Perrin Khelissa

Anne Perrin Khelissa est maîtresse de conférences en histoire de l’art moderne à l’université Toulouse – Jean Jaurès et membre du laboratoire FRAMESPA-UMR 5136-CNRS. Elle codirige avec Émilie Roffidal le programme de recherche « Les académies d’art et leurs réseaux dans la France préindustrielle » (ACA-RES ; URL : https://acares.hypotheses.org) soutenu par le Labex SMS, le Centre allemand d’histoire de l’art et l’INHA. Ses publications explorent principalement l’histoire du décor et de la culture matérielle au xviiie siècle, à travers les figures de marchands, de commanditaires, autant qu’à partir des objets manufacturés et des savoirs artistiques. Dans Luxe intime. Essai sur notre lien aux objets précieux (Paris, CTHS, 2020), elle propose d’associer la démarche historienne à une approche anthropo­logique et sensible.

Articles du même auteur

  • Network as a Concept in Art History: Milestones and Current Issues
    Der Begriff des Netzwerks in der Kunstgeschichte: Etappen und aktuelle Fragen
    La nozione di “rete” in storia dell’arte: origine e sviluppi attuali
    La noción de red en la historia del arte : referencias y variables actuales
    Paru dans Perspective, 1 | 2019

Stéphanie Wyler

Stéphanie Wyler est maîtresse de conférences en histoire et anthropologie des mondes romains à l’université de Paris et membre du laboratoire ANHIMA (UMR 8210). Elle étudie les polythéismes de l’Italie romaine dans une perspective d’anthropologie des images. Elle a codirigé récemment un numéro d’Images re-vues sur « Les Images dans les images – Antiquité et Moyen Âge » (no 9, 2020).

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