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Essais

L’écoute « en aveugle » dans les pratiques plastiques du son de Lars Fredrikson et Max Neuhaus

“Blind” Listening in the Sound Art of Lars Fredrikson and Max Neuhaus
Das „blinde“ Hören in den Klangplastiken von Lars Fredrikson und Max Neuhaus
L’ascolto “cieco” nelle pratiche plastiche del suono di Lars Fredrikson e Max Neuhaus
La escucha “a ciegas” en las prácticas plásticas del sonido de Lars Fredrikson y Max Neuhaus
Léa Dreyer
p. 229-250

Résumés

Lars Fredrikson et Max Neuhaus débutent une pratique plastique du son et exposent leurs premières installations « acousmatiques » dans les années 1960, alors qu’abondent les attaques à l’encontre de l’hégémonie moderniste de la vision, et les pratiques conceptuelles et plastiques « anti-visuelles », dont des approches sonores hybrides, qui interrogent la place du « voir » au sein de l’art. Au début des années 1990, les deux artistes réalisent des œuvres employant l’obscurité comme lieu de possibilité d’une écoute « en aveugle ». Ces installations, dont l’exploration sensorielle est en partie fondée sur l’idée d’une perception « écholocatrice » de l’espace, sont des exceptions dans leurs parcours. Elles interrogent la survivance d’une écoute jouant de la jugulation des sens, de techniques corporelles de l’écoute impliquant des états modifiés de conscience, mais aussi d’une « épistémologie aveugle » (Jones, 2017), particulièrement prisées dans les années 1960 et 1970, et qui réapparaissent au tournant des années 2000.

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Texte intégral

  • 1 Samuel Beckett, L’Innommable, Paris, Minuit, 1956, p. 143.

Peut-être qu’il faudrait être aveugle, aveugle on entend mieux, ce ne sont pas les renseignements qui manquent, nous avons dans nos bagages des accordeurs de piano, ils donnent le la et entendent le sol, deux minutes après, on ne voit rien de toute façon, cet œil est une bévue1.

  • 2 Kihm, 2020. Les expositions « Für Augen und Ohren » et « Écouter par les yeux » (1980) ont fait éta (...)

1Les premières expositions majeures dédiées aux pratiques sonores en art manifestent une difficulté à s’inscrire au sein de la généalogie de l’histoire de l’art2. Les vives réactions suscitées par l’institutionnalisation précipitée de la catégorie controversée d’« art sonore » dans les années 1990 et 2000 – institutionnalisation qui tend à « rassembler des pratiques sous la bannière de leur plus petit dénominateur commun » – trahissent ces lacunes (Kahn, [2006] 2014 ; Neuhaus, [2000] 2019, p. 264). Douglas Kahn rappelle que « la musique expérimentale, jusqu’au début des années 1970, pouvait très bien correspondre à ce que l’on appellerait aujourd’hui le sound art » (Kahn, [2006] 2014, p. 336). Ces pratiques, qui se situent dans la continuité de la musique, se sont toutefois défaites de l’approche téléologique de la composition et des valeurs musicales, et sont parvenues à une autodéfinition discursive spécifique qui leur a permis de trouver une place légitime dans les lieux d’exposition. C’est une des raisons pour lesquelles la musicologie ne les a abordées que tardivement. Aujourd’hui encore, cette relation complexe des plasticiens du son avec le champ de la musique est à l’origine de nombreuses stratégies de définition interstitielles (Canonne, Fryberger, 2020).

  • 3 Hollein, Jørgensen, 2002 ; Duplaix, Lista, 2004 ; Daniels, Naumann, 2011 ; Darò, 2013.
  • 4 Kahn, Whitehead, 1992 ; Kahn, 1999 ; Weibel, 2019.
  • 5 Contraction d’acousmatique et de manie.

2Bien qu’enrichies, à partir des années 2000, par les travaux de chercheurs de disciplines diverses les analysant alternativement dans leur lien avec d’autres pratiques, régimes de perception et médiums artistiques3, ou à partir de leur inscription au sein d’une « culture sonore4 », une importante partie des pratiques théoriques et artistiques sonores ont une tendance à l’essentialisation de l’approche sonore, peut-être en réaction à cette très grande inclusivité. Au sein de ces pratiques créatives et discursives, on remarque l’omniprésence de l’écoute acousmatique – une situation d’écoute où la cause originelle du son n’est pas visible –, et du son « non-référentiel » – dont la cause ne serait pas identifiable –, à la fois comme concepts et comme conditions d’émergence d’une matérialité sonore idéale et autonome – autonome vis-à-vis du discours de l’histoire de l’art, d’une part, et des pratiques de la musique, d’autre part. L’apparition et le développement, à partir des années 1990, des études sur le son et l’écoute (sound studies) joue dans ce phénomène un rôle important. Bien que préconisant une approche transdisciplinaire et l’ouverture, dans la continuité des études culturelles (cultural studies), à un large spectre de domaines d’investigation, les études sonores sont parfois elles-mêmes sujettes à ce que Connor a désigné comme « acousmanie5 » – une attitude d’essentialisation du domaine sonore –, « quand, d’une part, elles soutiennent qu’il est possible d’identifier et d’éprouver le son à l’état pur ou brut et, d’autre part, lorsqu’elles attribuent une valeur particulière à l’état en question » (Connor, 2018, p. 70). Dans la même dynamique, le fantasme d’une écoute « en aveugle », (re)devient paradigmatique dans les pratiques du son en art dans les années 1990 et 2000. Cette écoute « en aveugle », en plus de brouiller les possibilités d’identification causale de l’événement, canalise le sens de l’ouïe au sein de l’expérience sensible, en jugulant ou en soustrayant par exemple tout ou partie de la perception visuelle du spectateur par des moyens extérieurs, artificiels, au sein desquels l’obscurité a une place importante.

  • 6 Nous insistons sur l’exception que constituent les pratiques de Fredrikson et Neuhaus. Si leur appr (...)
  • 7 Max Neuhaus crée Fan Music à New York, et Southwest Stairwell, à Toronto, en 1968. Lars Fredrikson, (...)
  • 8 Tous deux entretiennent par ailleurs une pratique visuelle. Fredrikson est peintre et sculpteur ; N (...)

3Respectivement issus des arts visuels et de la musique, Lars Fredrikson et Max Neuhaus ont été parmi les premiers artistes à revendiquer, dans les années 1960, une pratique plastique du son situationnelle et non musicale, et partagent une approche caractéristique6 : ils créent, de façon continue à partir de la fin de la décennie, des environnements site specific par projection de son ; ils utilisent tous deux des sons de synthèse et des éléments sonores qui n’ont la plupart du temps pas de vocation référentielle ou imitative ; ils abandonnent de façon définitive le critère musical de la définition temporelle intrinsèque de leurs œuvres ; enfin, ils développent une réflexion sur la spatialité de l’œuvre et la mobilité de l’auditeur, jusqu’à préconiser, dans le cas de Lars Fredrikson, une écoute corporelle et méditative (Dreyer, 2021). À partir de 1968 et 1969, Neuhaus et Fredrikson réalisent des installations qu’on pourrait qualifier d’« acousmatiques7 », au sein desquelles ils emploient tous deux le médium sonore de façon exclusive, et réalisent peu, voire aucune intervention visuelle identifiable au sein des lieux investis8.

  • 9 Cartel de l’œuvre 900313, par Lars Fredrikson, au sein de l’exposition collective « Pas n’importe o (...)
  • 10 L’insistance, dans leurs installations, sur la complémentarité des sens dans la découverte d’un esp (...)

4Pourtant, ces deux artistes majeurs de l’« art sonore » créent au tournant des années 1990 des installations où l’obscurité est employée comme élément agissant sur l’expérience sensorielle du visiteur. Neuhaus réalise deux versions d’Infinite Lines from Elusive Sources, la première à la galerie Ghislaine Hussenot à Paris (1988-1989) et la seconde à la galerie Giorgio Persano à Turin (1990-1993 ; Zacharopoulos, Loock, 1990). Quant à Fredrikson, il « montre » 900313 en 1990 dans les garages de la villa Arson, à Nice, dans le cadre de la série d’expositions estivales « Sous le Soleil », accompagnée de la mise en garde : « Ce lieu (garage : 507,4 m², 1107,7 m³ ; boxes pour 18 voitures ; vide) est volontairement non éclairé. Tout éclairage interromprait le fonctionnement et, par là même, l’existence de l’œuvre9. » Ces deux œuvres, conçues pour des espaces plongés dans une grande obscurité, font usage de sons de « clics » ou d’impulsions brèves dans le champ des moyennes et hautes fréquences, aux occurrences et trajectoires imprévisibles. Elles apparaissent comme des unica dans le parcours de ces artistes qui n’avaient jusqu’alors pas fait d’usage aussi démonstratif de l’obscurité dans leurs œuvres10 ; c’est pourquoi on peut s’interroger sur la nature de l’emploi de cette obscurité. L’intention des deux artistes est-elle de proposer un retour à une écoute acousmatique « idéale » – c’est-à-dire à une écoute excluant la vision en plus de la valeur référentielle et « figurative » du son – ou d’offrir une expérience ludique de complémentarité des sens, par l’accommodation optique et une dynamique écho-locatrice ? Cette obscurité est-elle à envisager comme un désir de suppression de la perception optique, comme une absence de lumière – rappelons que l’obscurité totale, au même titre que le silence absolu, est un mythe – ou comme une présence, un élément plastique accompagnant l’activité perceptuelle ?

  • 11 Les œuvres de Neuhaus ont alors déjà été exposées de nombreuses fois à l’étranger, tandis que Fredr (...)
  • 12 Du fait de pratiques antérieures ou connexes – la peinture et la sculpture chez Fredrikson, la musi (...)

5Pourquoi Neuhaus et Fredrikson, à ce stade de maturité de leur parcours artistique et dans le contexte d’une certaine reconnaissance institutionnelle11, insistent-ils sur le caractère « aveugle » de l’écoute acousmatique, alors que cette dernière est déjà dans leurs œuvres d’une nature non-référentielle – empêchant au mieux la tentation d’association visuelle du son à un objet – et dans une certaine mesure « anti-visuelle » ? Que cela révèle-t-il du contexte artistique de ces installations ? À travers un tel rapprochement, il s’agit de considérer, dans un contexte élargi, les pratiques plastiques du son à la fois à partir de leur médium, mais aussi dans le lien qu’elles entretiennent avec les expressions artistiques de la jugulation des sens et notamment de l’« anti-vision ». Pour le comprendre, il semble essentiel de reconstituer l’héritage culturel de ces pratiques, leur généalogie et leurs conditions d’émergence au sein de la musique et des arts plastiques12.

  • 13 Nous préférons à « auditeur » l’adjectif verbal « écoutant », qui nous permet d’insister sur le car (...)
  • 14 Marks, 2002 ; Jones, 2006 ; Howes, Classen, 2014 ; Jones, Mather, Uchill, 2016 ; Howes, 2022.
  • 15 Kelly, 2011 ; Pinch, Bijsterveld, 2012 ; Sterne, 2012 ; Bull, Back, 2016.

6Par l’analyse des pratiques culturelles de l’écoute acousmatique et de son rôle dans l’émergence d’un désir de « phénoménologie objective » de la perception sonore – ayant pour but de mettre au jour les invariants de l’expérience de l’audition –, mais aussi des similitudes qu’entretiennent ces deux propositions de Neuhaus et Fredrikson avec les environnements post-minimalistes, les musiques électroacoustiques et expérimentales et leurs pratiques scéniques, nous retracerons l’évolution des expériences historiques du « son-en-soi », et tâcherons de comprendre ce que véhicule la figure de l’écoutant « aveuglé » dans les installations et sculptures sonores étudiées13. Nous ferons état de la cohabitation de nombreux modes d’analyse de ces pratiques de l’écoute, en nous appuyant notamment sur les méthodologies des études sur les sens14 (sensory studies), liées aux études sur le son et l’écoute (sound studies) – dont on ne compte plus les anthologies depuis les années 199015 –, mais aussi de la musicologie, des études des médias (media studies), et des études sur le handicap (disability studies).

« Moi je dis : l’image nous empêche de voir16 »

  • 16 Lars Fredrikson, entretien avec Maurice Benhamou (non daté), dans Benhamou, 2006, p. 193.
  • 17 Stratégies philosophiques et artistiques interrogeant le modernisme par la critique, le rejet ou le (...)
  • 18 À ce sujet, voir Jones, 2005.
  • 19 Après avoir théorisé le « stade du miroir », Jacques Lacan donne un cours intitulé « Schize de l’œi (...)

7Les premiers travaux du postmodernisme ont attaqué l’hégémonie de la vision et en ont fait la principale cause de la structuration, propre à la pensée moderne, d’un rapport sujet-objet totalisant, stable et autoritaire. En France notamment, la philosophie interroge et critique sa prédominance dans la culture occidentale (Jay, 1993), tandis que Marcel Duchamp, artiste « anti-rétinien » par excellence, devient la figure de proue du conceptualisme et du post-minimalisme américain. Il inspire à Rosalind Krauss plusieurs textes majeurs sur l’« anti-vision17 », parmi lesquels The Optical Unconscious qui explore l’impossibilité d’une vision pleine et maîtrisée telle que l’a érigée le modernisme greenbergien18, et les lacunes propres à la visualité au sein de la phénoménologie et de la Gestalt (Krauss, 1986 et 1993). Dans ce contexte, on voit réapparaître l’usage de la figure du spectateur ou de l’artiste « aveuglé » comme moyen de refonder l’expérience multisensorielle en dehors de la spécularité. Ce « trope de la cécité [trope of blindness] » tel que le désigne Caroline A. Jones, est une figure rhétorique très employée dans l’histoire de la pensée qui a été analysée par les chercheurs en études sur les sens et sur les affects (affect studies), tout comme elle a été interrogée et révisée dans le champ des études sur le handicap (Kleege, 1999 ; Paterson, 2016 ; Kleege, 2018). Elle est un trait caractéristique de la critique post-moderne de l’hégémonie de la vision, qui l’érige en « épistémologie aveugle [blind epistemology] » (Jones, 2017). En même temps que les artistes s’intéressent au parcours corporel et aux pratiques artistiques non-optiques, ils élargissent peu à peu le champ de la sculpture et de l’installation post-minimaliste à d’autres expériences perceptives, notamment sonores – on pense naturellement aux installations et performances de Robert Morris et Bruce Nauman. On trouve aussi ces interrogations quant à la perception visuelle au sein de l’art cinétique et de l’op art, dont Fredrikson, d’abord peintre puis concepteur d’œuvres électromécaniques et luminocinétiques, est un acteur pendant quelques années. À la fin des années 1960, l’artiste commence à créer des Espaces virtuels, des surfaces réfléchissantes en inox gravé, qui témoignent, par l’expérience perceptive complexe qu’ils proposent, de l’impact de la pensée psychanalytique lacanienne sur son travail19 (fig. 1).

1. Jacques Robert, Vernissage de l’exposition « Espaces virtuels » de Lars Fredrikson, Saint-Paul-de-Vence, fondation Maeght, 1972.

1. Jacques Robert, Vernissage de l’exposition « Espaces virtuels » de Lars Fredrikson, Saint-Paul-de-Vence, fondation Maeght, 1972.

© Lars Fredrikson/photo © Jacques Robert. Archives de la Fondation Maeght

  • 20 Notre choix de nous appuyer sur la théorie schaefferienne de l’écoute acousmatique et de l’écoute r (...)

8Les installations sonores de Fredrikson et de Neuhaus, issues de ce contexte anti-visuel, se fondent en grande partie sur une écoute acousmatique : en d’autres termes, leur source sonore originelle n’est ni visible ni, dans la plupart des cas, identifiable. En ce sens, elles peuvent être éclairées par leur comparaison à l’histoire des pratiques acousmatiques (Kane, 2014) et notamment à la théorie de l’objet sonore de la musique concrète, qui ne s’adresse pas seulement à des emplois musiciens (Schaeffer, [1966] 2002 ; Chion, 1983 et 2019). Le passage de la musique « abstraite » – une musique « a priori », qui débute par sa notation silencieuse, la partition – vers la musique concrète de Schaeffer – qui travaille à partir du son –, est en effet caractéristique d’un désir, réitéré tout au long du xxe siècle, d’abandon des valeurs musicales et d’une extension du domaine de l’écoute20 (Solomos, 2013).

Objectivité de l’écoute réduite

9L’écoute réduite définie par Pierre Schaeffer, une « attitude d’écoute qui consiste à écouter le son pour lui-même, comme objet sonore, en faisant abstraction de sa provenance réelle ou supposée, et du sens dont il peut être porteur » (Chion, 1983, p. 33), est une invitation assumée à un effort « anti-naturel » (Schaeffer, [1966] 2002, p. 270) de séparation des sens, une isolation de la perception auditive de l’interrelation audiovisuelle suscitée par le sensorium (le siège de la perception) en contexte d’écoute. Largement fondé sur la pensée phénoménologique, le concept d’objet sonore produit par l’écoute réduite s’appuie sur l’épochè husserlienne, une suspension du jugement de réalité. Schaeffer tâche également de brouiller les possibilités d’identification de l’origine et de la causalité de ses objets par la manipulation de ses « échantillons » sonores, brouillage qui est selon lui facilité dans les situations de dissimulation de la source technique de diffusion sonore.

  • 21 La notion de non-référentialité dans les pratiques sonores est à nuancer : aucun son ne peut réelle (...)
  • 22 « I think what keeps it from being music is its role in the work. Again, we go back to saying that (...)

10Dès leurs débuts, des praticiens du son plastique tels que Neuhaus, Fredrikson, ou Bernhard Leitner, ont aussi une nette préférence pour les sons dépouillés de leur bagage référentiel21. La synthèse sonore est un moyen d’approcher cet idéal d’un son indépendant de ses valeurs et connotations musicales ou informationnelles ; elle leur permet de travailler avec précision sur la forme et les « caractères » des éléments sonores. Selon Neuhaus, pour qui les technologies électroniques sont « la meilleure “peinture” dont nous disposons aujourd’hui pour produire du son » (Neuhaus, [1989] 2019, p. 217), ce sont ces caractères qui définissent la nature des sons et qui permettent de dépasser les limitations culturelles en constituant une sorte de « langage inconscient » (Neuhaus, 1995, p. 116). Cependant, on ne trouve, ni chez Fredrikson ni chez Neuhaus, d’injonction à la réception « objective » de l’objet produit par l’écoute réduite schaefferienne ; ils prennent plutôt en considération les instabilités de la perception propres à chaque individu. En dernière instance, chez ces deux artistes, c’est la place du son au sein de l’œuvre qui l’épargne de ses aspects musicaux et référentiels. C’est ce qu’explique Neuhaus au sujet de la seconde version d’Elusive Sources à la galerie Persano : « Je pense que ce qui préserve [le son] d’être de la musique, c’est son rôle dans l’œuvre. Encore une fois, on en revient à dire que le son, la série de clics, n’est pas l’œuvre ; c’est le catalyseur qui incite l’écoutant à chercher la source… C’est un courant qui vous guide à travers ce lieu22. »

  • 23 Notes de Fredrikson, vers 1986, Nice, archives de l’association Lars Fredrikson Estate.

11L’écoute réduite schaefferienne emploie également la répétition pour amener l’auditeur à percevoir les propriétés invariantes de la perception du son. Bien qu’elle se présente la plupart du temps dans leurs œuvres selon une périodicité aléatoire, la répétition d’éléments sonores est souvent employée chez Neuhaus et Fredrikson. Dans Infinite Lines from Elusive Sources comme dans 900313, les deux artistes font usage d’impulsions – très présentes au sein de l’ensemble de leurs œuvres respectives –, dont les occurrences aléatoires accompagnent un double déplacement : le déplacement du son et du corps de l’écoutant, le déplacement de l’audition et de l’attention « autour » de l’élément sonore. Nous le verrons, ces « clics », dont l’enveloppe est constituée d’une attaque et d’une extinction quasiment simultanées, ont des propriétés de propagation et de réverbération très particulières. À la différence de l’écoute réduite schaefferienne ou des musiques minimalistes, l’utilisation itérative d’éléments sonores rappelle l’importance d’une expérience répétée de l’événement sonore dans l’espace au sein du processus de perception, d’imagination, voire de « modélisation » sensorielle d’un lieu par l’individu, processus qui est au cœur des préoccupations des deux artistes. En témoigne la réflexion très deleuzienne de Fredrikson : « Parce que dans la répétition il y a toujours, latente, une découverte inattendue, parce que la répétition n’est pas une répétition de la chose seulement, mais la répétition de cette chose dans un lieu et dans le temps23. »

La tentation du « son-en-soi24 »

  • 24 Nous empruntons l’expression à Seth Kim-Cohen qui, produisant une critique des limites de l’écoute (...)
  • 25 En psychologie, la privation désigne le fait d’être privé artificiellement d’une chose – un besoin, (...)
  • 26 « The power of the Pythagorean veil to elicit from us images of nocturnal transcendence, otherworld (...)
  • 27 Sur l’influence de la technologie sur les sens et la perception en art pendant la période 1880-1930 (...)

12L’effort scientifique mis en place par Schaeffer relève selon James Steintrager et Rey Chow d’une « objectivité structurale [structural objectivity] » (Steintrager, Chow, 2019, p. 8), née dans le discours scientifique de la fin du xixe siècle (Daston, Galison, [2007] 2012). De même, l’écoute acousmatique, qui n’est pas propre à la musique concrète, s’exprime déjà au sein d’un ensemble de pratiques antérieures à sa conceptualisation qui visent, par la gestion sensorielle, la mise en place de techniques corporelles et la création de situations artificielles de privation ou d’augmentation sensorielle25, à produire une écoute défaite de la perception visuelle. Comme l’affirme Brian Kane, « le pouvoir du voile pythagoricien de susciter en nous des images de transcendance nocturne, d’altérité, de distance et de sublimité ne provient pas de son statut “originel”, mais de son inscription dans une série de pratiques esthétiques modernes, historiques26 ». L’écoute du « son-en-soi » des pratiques acousmatiques a fort à voir avec la quête de transcendance musicale du romantisme allemand. Arthur Schopenhauer qui, toujours selon Kane, déploie une pensée esthétique des techniques corporelles assimilable à une « proto-écoute réduite [proto-reduced listening] », a largement compté dans l’approche de Richard Wagner, laquelle s’incarne à Bayreuth sous la forme d’un dispositif architectural, la fosse d’orchestre (Kane, 2014, p. 99-108). Ici, la physis – le phénomène sonore « en soi » dans son émergence et son déploiement –, prend le pas sur la technè – l’origine technique du son, les interprètes, les techniques corporelles de l’écoute – formant un antécédent à la situation acousmatique par projection sur haut-parleurs (Kane, 2014, p. 114). Ce type de dispositif invite à une écoute sympathique voire à la création d’états de conscience modifiés, recherchés tout au long du xixe siècle dans les pratiques musicales et scéniques (Elcott, 2016 ; Frigau-Manning, 2021). Ces techniques ont également à voir avec une écoute tour à tour désincarnée (Connor, 2000 ; Abbate, 2001), inquiétante, voire occulte (Toop, 2010), très appréciée à l’époque de l’émergence des techniques de reproduction sonore, puis de la radio27.

  • 28 La tradition de l’écoute « en aveugle » perdure dans la musique germanique jusqu’à la Seconde Guerr (...)
  • 29 « In turn, this meaning overflows any instrumental or technological constitution and reaches a part (...)

13Pour Kane, la quête du son pur de la musique absolue28 (Hoeckner, 2002) relève de la fantasmagorie, du fait qu’elle masque ses conditions de possibilité afin de se donner une existence propre, ontologique, anhistorique, soustraite de tout domaine extra-auditif (Kane, 2014, p. 118). Ce sont pourtant les différentes avancées technologiques de captation, transmission, fixation, reproduction et amplification sonore qui sont à l’origine des pratiques de la musique concrète (Taylor, 2001), mais aussi de l’épanouissement du traitement « sculptural », situationnel et immersif du son au sein des arts plastiques. Il est intéressant de constater la survivance de plusieurs des aspects précédemment évoqués dans certaines œuvres de Neuhaus et Fredrikson, dès le début de leurs pratiques plastiques du son. En plus de nourrir la volonté d’une non-référentialité sonore, ils dissimulent souvent les particularités techniques de leurs installations. Ces dernières font d’ailleurs parfois l’objet de lectures très idéalistes : Harald Szeemann considère par exemple l’installation permanente de Neuhaus au CAPC – musée d’Art contemporain de Bordeaux comme une « expérience anhistorique [ahistorical experience] » (Szeemann, 1994 ; fig. 2). Mais cette réticence à faire la démonstration d’un savoir-faire technique est davantage liée, chez Neuhaus, à une stratégie de rejet de l’esthétique « technospectaculaire » dans le champ des arts plastiques. C’est également, chez ces deux artistes, une façon d’éviter que le support technique ne soit perçu par le visiteur comme le « lieu du son ». Chez Fredrikson et Neuhaus, la technologie employée est subordonnée à l’œuvre (Lyotard, Chaput, 1985), et la signification de cette dernière « dépasse toute forme instrumentale ou technologique, et atteint une partie du monde et des choses où l’expérience n’a rien de commun avec une quelconque expérimentation, réalisation technique, démonstration, permutation ou vérification de données, ou de ce qui existe déjà pour et par l’instrument29 ».

2. Max Neuhaus, Deux passages, entre ombre et lumière, identiques dans leur forme, divergents dans leur essence spirituelle [Two Passages Bearing in between Shadow and Daylight Identical in Form, Diverging in Spirit], 1993, installation sonore et lumineuse permanente (bois, haut- parleur et ordinateur), 1 046 × 17 cm (chaque élément), Bordeaux, CAPC – musée d’Art contemporain de Bordeaux (1993-10).

2. Max Neuhaus, Deux passages, entre ombre et lumière, identiques dans leur forme, divergents dans leur essence spirituelle [Two Passages Bearing in between Shadow and Daylight Identical in Form, Diverging in Spirit], 1993, installation sonore et lumineuse permanente (bois, haut- parleur et ordinateur), 1 046 × 17 cm (chaque élément), Bordeaux, CAPC – musée d’Art contemporain de Bordeaux (1993-10).

© Courtesy of the Estate Max Neuhaus/photo © Frédéric Delpech/© Archives du Capc Musée

  • 30 « To an extent that Greenberg might have envied, music has – since at least the advent of notation  (...)

14Cette dissimulation des conditions techniques de l’émergence d’un son autonome est aussi symptomatique, selon Christoph Cox, du néomodernisme des pratiques sonores dans les années 1990 (Cox, 2003), qui s’exprime à travers la réapparition des stratégies de l’abstraction, de la réduction, et d’une attention focalisée sur l’acte perceptuel. Il est intéressant de remarquer par ailleurs que l’idéal de l’écoute d’un « son-en-soi » produit par la situation acousmatique, situation que Schaeffer érige comme méthode dans sa théorie de l’objet sonore, est une fonction de l’intention, au même titre que l’opticalité au sein de l’approche moderniste greenbergienne. C’est ce que Seth Kim-Cohen met en lumière, en analysant les convergences entre l’histoire des pratiques musicales de l’écoute acousmatique et la pensée greenbergienne de la « pureté » du médium (Kim-Cohen, 2009). Tandis que Schaeffer ambitionne de travailler le son comme un médium indépendant des autres arts et régimes d’expérience sensible, Greenberg réduit la peinture à son élément essentiel. « Dans une mesure que Greenberg aurait pu envier, la musique a […] existé en tant qu’effets quantifiés sous la forme de “valeurs” (dans les deux sens du terme)30. » Ces « valeurs » s’incarnent à la fois dans les données sensorielles constitutives, mesurables, ontologiques, du médium employé, mais relèvent aussi de l’idéal moral véhiculé par la jugulation intentionnelle du sensorium au sein de la « bureaucratisation des sens [bureaucratization of the senses] » greenbergienne (Jones, 2005).

  • 31 Dans le cadre de la création de l’Acousmonium, Bayle a étendu la définition des fondements pythagor (...)

15Comme ce sera le cas plus tard dans Infinite Lines from Elusive Sources de Neuhaus et 900313 de Fredrikson, la situation acousmatique de la musique concrète évolue, sous l’impulsion de François Bayle, vers une tendance à investir des espaces plongés dans l’obscurité dans le cadre de concerts31. Ces situations d’obscurité, et plus généralement d’« aveuglement », reviennent en force dans les imaginaires et les pratiques musicales, scéniques, expérimentales et plastiques du milieu du xxe siècle, période de développement des pratiques sonores dans le champ des arts plastiques.

Individuation sensorielle et états modifiés de conscience

  • 32 On pourrait ajouter, du fait de la relative rareté des pratiques plastiques et acousmatiques du son (...)
  • 33 Branche de la psychologie qui étudie la perception des formes, prenant racine en Allemagne au xixe  (...)
  • 34 Nous pensons notamment aux « altérations de pièce [room alterations] » que l’artiste réalise à la f (...)

16L’expérience sonore « en aveugle » en milieu obscur fonctionne comme un choc sensoriel, un traumatisme perceptif, du fait qu’elle provoque une privation artificielle et brutale du sens de la vue, une privation32 que l’on pourrait rapprocher de la « phénoménologie traumatique [traumatic phenomenology] » analysée par Caroline A. Jones au sujet de ce qu’occasionnent sur la perception les situations de perte d’un sens ou d’un organe (Jones, 2018). Elle apparaît au sein des pratiques qu’ont suscitées, dans le champ des arts plastiques, les nouvelles connaissances en neuropsychologie, mais aussi la psychologie expérimentale, en partie héritière de la psychologie gestaltiste33. Aux États-Unis, dans le contexte paranoïaque de la guerre froide, les acteurs de la psychologie expérimentale recourent aux techniques de pleine conscience et s’intéressent aux philosophies et religions extrême-orientales. Malgré le rejet de la Gestalt et son détournement par une partie des minimalistes repentis, les artistes californiens du « minimalisme spatialisé [spatialized minimalism] » (Jones, 2018, p. 195), tels Doug Wheeler et son projet de chambre anéchoïque en 1971 ou les artistes du mouvement Light and Space et leurs espaces immersifs, continuent de créer des œuvres qui reproduisent et perpétuent les pratiques situées à la croisée de la psychologie expérimentale et de la psychologie gestaltiste (Jones, 2018). À la même période, un autre Californien, Michael Asher, réalise des « espaces pauvres [deprived spaces] » (Peltomäki, 2010) aux intentions perceptuelles, et notamment auditives, précises34. Les intrications, dans les pratiques artistiques de cette période aux États-Unis, de la composition musicale, des approches scéniques et architecturales et du développement d’« environnements » accompagnant l’exploration d’états intérieurs perceptifs et psychiques (Celant, 1975), nous éclairent sur la conception de l’écoute « en aveugle » de nos deux artistes, et particulièrement sur la pensée de Fredrikson. Bien que l’expérience fondatrice de John Cage en 1951 dans la chambre anéchoïque lui ait révélé l’impossibilité d’un silence absolu, la privation sensorielle a été perçue, dans les décennies suivantes, comme une démonstration holistique et immersive de l’unité des sens.

  • 35 Ludovic Lignon (au sujet de 900313), entretien avec l’autrice, Nice, le 10 mars 2022.
  • 36 Notes de Fredrikson, vers 1996, Nice, archives de l’association Lars Fredrikson Estate.

17Créées au tournant des années 1990, Infinite Lines from Elusive Sources et 900313 semblent réactiver les processus d’individuation des espaces d’isolation typiques des années 1960 et 1970 : Neuhaus prévoit la première version de son installation pour une personne seule, tandis que Fredrikson, s’il ne prescrit rien aux visiteurs, remarque que l’expérience de son œuvre peut être profondément perturbée par la présence d’autrui35 (fig. 3) : « Écouter se fait en groupe, entendre c’est personnel36. » Accompagnant les premières théories au sujet de l’écoute prénatale, de l’« enveloppe sonore » (Anzieu, Anzieu et al., [1987] 2021) et du rôle de l’écoute « en aveugle » dans la relation psychanalytique (Dolar, 2006 ; Kittler, [1986] 2018), la multiplication, dans les années 1960 et 1970, des dispositifs d’isolation mentale et corporelle des individus révèle une véritable tendance à la construction de zones autonomes invitant au déconditionnement sensoriel et à la méditation. On pense au premier espace de méditation audio-perceptive, l’Initiation Room, de Tania Mouraud en 1970, conçu en collaboration avec Éliane Radigue. À l’été de la même année, Mouraud rencontre La Monte Young et Marian Zazeela, aux Nuits de la fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, où le duo d’artistes montre la Dream House. Y sont également présents Terry Riley et Fredrikson, qui vient de monter quelques mois plus tôt à Bristol sa première installation entièrement sonore.

3. Photographe anonyme, Un auditeur dans une installation sonore de Lars Fredrikson, 1987, Lyon, galerie L’Ollave.

3. Photographe anonyme, Un auditeur dans une installation sonore de Lars Fredrikson, 1987, Lyon, galerie L’Ollave.

© Jean de Breyne

  • 37 Stockhausen, 1971, p. 183, cité et traduit dans Stoïanova, 2014, p. 116.

18Les rencontres musicales et scéniques des Nuits de la fondation Maeght (Caux, 2009) constituent probablement, dans le parcours sonore de Fredrikson, un « déclic » vers les pratiques plastiques du son. L’artiste y rencontre John Cage et assiste en 1969 à plusieurs concerts de Stockhausen qui cherche alors à déployer temporellement et spatialement sa musique. En 1969, Stockhausen fait jouer plusieurs de ses œuvres dans la grotte de Jeita, au Liban (fig. 4). Avec le pavillon allemand de l’Exposition universelle d’Osaka, en 1970, le compositeur réalise son aspiration à une musique « cosmique », où l’obscurité est agent d’une expérience sensorielle autant « sidérale » qu’intérieure : « Avant le début de chaque exécution, la salle est plongée dans le noir, pour que les gens, au milieu de l’agitation de l’exposition, trouvent un lieu où ils peuvent, à l’aide de cette nouvelle musique spatiale, faire un voyage à l’intérieur d’eux-mêmes37. » Cette approche pourrait relever de ce que Riccardo Wanke a défini, pour analyser certaines pratiques contemporaines, comme une « matérialité extatique [ecstatic materiality] » du son, qui se développe dans le contexte de l’après-guerre au sein des pratiques sonores et musicales :

  • 38 « The E-M approach focuses on sound-in-itself, the meeting in sound of composer and listener, the c (...)

L’approche matérialiste extatique se focalise sur le son-en-soi, la rencontre dans le son du compositeur et de l’auditeur, la coexistence de la matérialité quasi atemporelle et de la perception fugitive du son. C’est un concept unifié dans lequel les réactions corporelles, la découverte des profondeurs intérieures et l’expérience personnelle se retrouvent au sein du pur élément sonore38.

4. Manoug Alemian, Concert de Stockhausen dans la grotte de Jeita (Liban), novembre 1969, Kürten, Stockhausen Foundation For Music.

4. Manoug Alemian, Concert de Stockhausen dans la grotte de Jeita (Liban), novembre 1969, Kürten, Stockhausen Foundation For Music.

© Archive of the Stockhausen Foundation for Music, Photograph by Manoug

  • 39 On pourrait citer d’autres compositions spécifiquement écrites pour être jouées dans des espaces so (...)
  • 40 « After the sounds have begun, one comes to recognize the coincidence of the soloist opening his ey (...)
  • 41 Neuhaus, Five Russians (A Tuned Room) (1979) ; Leitner, et ses recherches sur les Headscapes ou Kop (...)
  • 42 Il est tout à fait éloquent, d’ailleurs, que Terry Riley réalise la bande-son de Les Yeux fermés, u (...)
  • 43 « This meditation is best done in very low illumination, or with eyes closed. » Instructions relati (...)

19Les manifestations de ce fantasme de matérialité extatique du son dans les années 1960 et leurs liens avec les milieux d’obscurité39 ont constitué le terreau de l’approche sonore de Fredrikson, qui n’a jamais cessé de s’intéresser à la musique contemporaine et expérimentale. L’artiste affleure dès la fin des années 1960 la recherche d’une expérience intérieure dans ses « sculptures mentales » audio-visuelles, à même selon lui d’entrer en phase avec les différentes fréquences et pulsations du corps. Avec des œuvres-systèmes quasi-cybernétiques – Max Neuhaus emploie également les variations de l’environnement pour moduler ses installations à la fin de cette décennie et au début de la suivante –, Fredrikson épouse les pratiques de la « rétroaction [feed-back] » et de la captation d’activités organiques développées dans la bio music, qui trouve son extension dans la brain music. Liée aux récents développements techniques de l’électroencéphalographie, qui a aussi infiltré les croisements de la psychologie expérimentale et des pratiques sonores (Joseph, 2011), la brain music est par exemple employée par Alvin Lucier dans Music for Solo Performer en 1965 (fig. 5). Gordon Mumma remarque au sujet de cette œuvre, fondée sur la captation des ondes cérébrales alpha de l’interprète, qu’elle ne fonctionnerait pas sans un long entraînement, au sein duquel « un processus de non-visualisation doit avoir lieu40 ». L’« écoute intérieure » et non-optique connaît également d’autres manifestations, notamment chez Leitner, Bill Fontana, Fredrikson et Neuhaus, dans des œuvres et recherches où ils tentent de court-circuiter toute médiation sensorielle en utilisant des hautes fréquences dont la longueur d’onde correspond à la distance entre les deux oreilles, envisageant la boîte crânienne comme une chambre de résonance, le corps comme le lieu de l’œuvre41. L’emploi des pratiques de la méditation dans l’écoute et l’interprétation chez Radigue, Riley42 ou Stockhausen, montrent bien l’omniprésence de telles techniques corporelles et mentales au sein des pratiques expérimentales de l’écoute dans les années 1960 et 1970, où le non-voir et l’intériorisation de l’expérience auditive, induits alternativement par la faible stimulation optique ou l’aveuglement volontaire, interviennent systématiquement. L’« écoute profonde [deep listening] » de Pauline Oliveros, fondée sur la méditation et un ensemble de techniques corporelles amenant à une réceptivité sensorielle et psychologique accrue, pourrait d’ailleurs éclairer notre compréhension de l’écoute dans les œuvres de Fredrikson et Neuhaus. Au sujet de sa pièce Telepathic Improvisation, Oliveros écrit que « cette méditation se fait de préférence dans un environnement très peu éclairé, ou avec les yeux fermés43 ».

5. Photographe anonyme, Alvin Lucier pratiquant le contrôle des ondes cérébrales au Brandeis Electronic Music Studio (Brandeis University, Waltham, Mass.), 1965, dans KAHN, 2013, p. 90.

5. Photographe anonyme, Alvin Lucier pratiquant le contrôle des ondes cérébrales au Brandeis Electronic Music Studio (Brandeis University, Waltham, Mass.), 1965, dans KAHN, 2013, p. 90.

© D.R.

  • 44 « Mon travail est parfois qualifié de méditatif à cause de cette nécessité de concentration, mais j (...)

20Si Max Neuhaus ne souscrit pas à l’assimilation de son œuvre avec les pratiques de la méditation, dont il craint la « connotation44 », son approche prend racine dans ce contexte – rappelons qu’il a été percussionniste de Stockhausen – et en est assurément influencée. Les œuvres de Fredrikson et Neuhaus partagent en effet un intérêt pour l’effort perceptuel et les degrés d’attention que sollicitent leurs œuvres, où l’écoute corporelle joue un rôle important.

Le lieu du son et l’idéal d’un « espace sonore »

  • 45 Cette analyse de la valeur spatiale des œuvres d’« art sonore » est devenue indispensable pour se d (...)
  • 46 Georges Bériachvili, « L’Espace musical, concept et phénomène à travers l’avant-garde des années 19 (...)
  • 47 « The situation is a product of time, context, expectation (protention), and memory (retention). » (...)

21Il est important de revenir à présent sur ce qui distingue le plus clairement les pratiques sonores de Fredrikson et Neuhaus de celles de leurs contemporains musiciens, à savoir la valeur spatiotemporelle de leurs œuvres45. Après le développement des pratiques jouant du mouvement des sources sonores dans l’espace46, les artistes et plasticiens du son proposent de transposer l’expérience du « champ étendu [expanded field] » (Krauss, 1979) de la sculpture minimaliste et post-minimaliste au sein d’un milieu sonore, en misant sur la mobilité des corps. Fredrikson et Neuhaus introduisent dans leurs œuvres des éléments complexes qui fondent une perception non figée, où « la situation est un produit du temps, du contexte, de l’attente (protention), et de la mémoire (rétention)47 ».

  • 48 Ludovic Lignon (au sujet de 900313), entretien avec l’autrice, Nice, le 10 mars 2022.
  • 49 « Two passages bearing in between shadow and light, identical in form, diverging in spirit. »

22L’obscurité de 900313 est dense mais pas absolue. Elle s’installe à mesure que le visiteur pénètre dans les garages de la villa Arson (fig. 6). L’artiste joue de cette liminarité presque théâtrale : « Il n’y avait aucune source de lumière, à part la porte d’entrée. Et le noir à l’intérieur était très dense. À quelques mètres de l’entrée à peine, on était plongé dans un noir d’une intensité extrême48. » Le cheminement dans les escaliers, l’accommodation visuelle nécessaire à la découverte de 900313 ne sont pas sans rappeler l’œuvre in situ permanente de Neuhaus au CAPC de Bordeaux, dont l’artiste accompagne le dessin de la description suivante (fig. 7) : « Deux passages, entre ombre et lumière, identiques dans leur forme, divergents dans leur essence spirituelle49. »

6. Lars Fredrikson, 900313, 1990, vue de l’installation dans l’exposition « Pas n’importe où sous le soleil, V » (7 juill. – 30 sept. 1990), Nice, villa Arson.

6. Lars Fredrikson, 900313, 1990, vue de l’installation dans l’exposition « Pas n’importe où sous le soleil, V » (7 juill. – 30 sept. 1990), Nice, villa Arson.

© Lars Fredrikson/photo © Jean Brasille/Villa Arson Nice

7. Max Neuhaus, Sans titre [Untitled], 1993, diptyque : crayon de couleur sur papier transparent, 47 × 67 cm (dessin) et 47 × 19,5 cm (texte), Bordeaux, CAPC – musée d’Art contemporain (1993-13).

7. Max Neuhaus, Sans titre [Untitled], 1993, diptyque : crayon de couleur sur papier transparent, 47 × 67 cm (dessin) et 47 × 19,5 cm (texte), Bordeaux, CAPC – musée d’Art contemporain (1993-13).

© Courtesy of the Estate Max Neuhaus

  • 50 « To all living creatures who inhabit dark places and who, over the years, have developed acuity in (...)
  • 51 Il y a au moins un noyau sous-cortical, le colliculus supérieur, situé sur la voie auditive, qui co (...)

23Le propos de 900313 et d’Infinite Lines from Elusive Sources est aussi, par le traumatisme artificiel de la perte de visibilité, d’encourager une certaine forme de suppléance sensorielle, où l’ouïe « prendrait le relais » de la vue. C’est peut-être cette idée qui a motivé la création, par Alvin Lucier, autre pionnier de l’expérimentation spatiale du son, de Vespers (1968), une œuvre dédiée « à toutes les créatures vivantes qui habitent des lieux sombres et qui, avec les années, ont développé une acuité dans l’art de l’écholocation ». Lucier préconise de jouer cette œuvre « dans les espaces sombres, à l’intérieur, à l’extérieur ou sous l’eau ; dans des espaces faiblement éclairés avec des lunettes sombres ; et dans des espaces éclairés avec des bandeaux sur les yeux50 ». Cette écoute spatiale « en aveugle » pourrait rapprocher ces œuvres de l’hypothèse selon laquelle le son serait suffisant à l’appréhension sensorielle d’un environnement ou d’un espace, et permettrait à l’écoutant de s’y situer51. Dans une certaine mesure, elles semblent véhiculer ce que Steven Connor appelle le « fantasme de l’espace sonore » (Connor, 2018, p. 70) : « L’idée de l’espace sonore, en réalité, est toujours un idéal, un “et si”, “faisons comme si”. Il s’agit d’un excès imaginaire qui fournit un indice précis du déficit dans lequel le son et l’audition opèrent en matière d’appréhension de l’espace. »

24Du fait de leurs caractéristiques directionnelles et réverbérantes, les impulsions brèves dans le champ des moyennes et hautes fréquences communes aux deux œuvres de Neuhaus et Fredrikson peuvent être utilisées pour modéliser un espace. Cette technique est parfois employée par des personnes présentant une déficience visuelle totale ou partielle. Mais, comme le rappelle Connor, « ces exemples sont frappants précisément parce qu’ils soulignent l’importance d’un entraînement long et difficile » (Connor, 2018, p. 70). Neuhaus et Fredrikson rejouent-ils le concept de « l’homme aveugle hypothétique [hypothetical blind man] » (Kleege, 2005) – cet idéal-type de l’homme totalement aveugle de naissance, un trope qui fait abstraction de la grande diversité des déficiences visuelles et de leur expérience sensible par les individus –, dont l’utilisation est si répandue au sein des cultures visuelles (Jones, 2017), mais aussi des études sur le son et l’écoute (Blesser, Salter, 2007 ; Voegelin, 2014) ? Ce fantasme de la phénoménologie objective accompagnant la question de l’écholocation a déjà été exploré par le philosophe Thomas Nagel, dans sa fameuse expérience de pensée « Quel effet cela fait, d’être une chauve-souris ? », qui démontre l’impossibilité d’éprouver et de connaître objectivement l’expérience subjective que fait autrui du monde phénoménal sans qu’entrent en jeu l’empathie ou l’imagination (Nagel, [1974] 1983).

25Seulement, le propos de ces œuvres de Neuhaus et Fredrikson n’est pas d’imiter l’expérience de perception des masses, des volumes et de l’espace des personnes présentant une déficience visuelle. Pour Neuhaus, « la sensation même d’un lieu, de notre place dans ce lieu, est autant déterminée par le son que par la vue » (Neuhaus, [1989] 2019, p. 215 ; fig. 8). Le médium son n’exclut ni les survivances résiduelles de la vision, ni les données sensibles et mentales qui constituent l’inaperçu et habitent les imaginaires :

  • 52 Ludovic Lignon (au sujet de 900313), entretien avec l’autrice, Nice, le 10 mars 2022.

Et là tu suis les ondes qui se répandent dans l’espace et qui redessinent tous les contours de l’espace. Ce n’est pas “a-visuel”. Ce n’est pas “visuel” dans le sens où il n’y a pas d’image, pas de pixel, pas de vecteur, pas d’indication visuelle dans le lieu ; mais ce lieu, l’espace tel qu’il est géométriquement, en tant qu’intérieur, tu le perçois visuellement. Dans ton cerveau, c’est visuel52.

8. Max Neuhaus, Lignes infinies à partir de sources fuyantes #2 [Infinite Lines From Elusive Sources #2], 1990, diptyque : crayon de couleur sur papier, 45 × 50 cm (dessin) et 45 × 63 cm (texte), Milan, collection Giorgio Persano.

8. Max Neuhaus, Lignes infinies à partir de sources fuyantes #2 [Infinite Lines From Elusive Sources #2], 1990, diptyque : crayon de couleur sur papier, 45 × 50 cm (dessin) et 45 × 63 cm (texte), Milan, collection Giorgio Persano.

© Courtesy of the Estate Max Neuhaus

« Ce qui échappe » : une esthétique de l’inaperçu

  • 53 « In order for a sound to be audible, it is always necessary for it to be in us just as much as we (...)

Regarder, comme l’a remarqué Merleau-Ponty, est une sorte d’avoir. L’écoute ne peut qu’approcher de cette coordination oculo-manuelle appropriative53.

  • 54 Ludovic Lignon (au sujet de 900313), entretien avec l’autrice, Nice, le 10 mars 2022.
  • 55 Fredrikson, au sujet de ses pratiques sonores (émission dédiée à Alberto Giacometti, avec Alain Vei (...)

26Si les particularités de l’espace le permettent, comme c’est le cas dans 900313, l’expérience du comportement d’impulsions sonores en milieu fermé révèle la brièveté même de ce type de perception du son : « à peine en prend-on conscience qu’il est déjà terminé54 », tant est rapide sa dispersion en réverbérations et échos. Même à travers leur répétition, les phénomènes sonores employés dans 900313 et Infinite Lines from Elusive Sources échappent à leur appréhension, à leur « préhension » en tant qu’objets, et interrogent la stabilité de notre perception de l’espace : « Ce qui m’intéresse, là aussi, c’est que tu ne puisses pas le prendre, que tu sois obligé d’entrer dedans – tu es obligé de le vivre d’une autre façon – et à mon avis plus inconsciemment, que tu le respires55… », a déclaré Fredrikson au sujet de ses œuvres sonores. En ce sens, ces œuvres de Neuhaus et de Fredrikson épousent un certain « réalisme sonore [sonic realism] » (O’Callaghan, 2007) où les sons ne sont pas conçus comme des objets-en-soi, des produits de la perception, mais des événements, des occurrences en dehors de toute perception : est-ce qu’un son existe si on ne l’entend pas ? Est-ce qu’un son n’existe qu’en rapport avec un sujet ?

  • 56 « In other words, the cacophony is not silent, just inaudible to all but a very few. » Kahn, 1999, (...)
  • 57 Cox, 2011 et 2018. Chez Georgina Born, le matérialisme sonore va encore plus loin lorsque l’autrice (...)

27Les travaux visuels et sonores de Fredrikson s’inscrivent à la fois dans les nombreuses expériences de transduction sonore des flux électromagnétiques qu’ont faites musiciens et artistes à partir de la fin des années 1950 (Kahn, 2013), et à la croisée d’un être au monde holistique proche des influences philosophiques et spirituelles extrême-orientales et des théories quantiques – Fredrikson est d’ailleurs un lecteur attentif du best-seller Le Tao de la physique de Fritjof Capra (The Tao of Physics, 1975). Comme Neuhaus, qui joue des seuils de perception sonore, Fredrikson invite à une exploration volontairement incomplète de l’imperceptible, de l’omniprésence des vibrations mécaniques et électromécaniques dans ce qu’elles comportent de rumeurs et d’interférences inaperçues mais concevables : « En d’autres termes, la cacophonie n’est pas silencieuse, seulement inaudible à tous sauf à quelques-uns56. » En cela, on peut dire qu’il annonce, dans le domaine sonore, le « matérialisme quantique » récemment exploré par Karen Barad (Barad, 2007) – et dont l’« écoute quantique [quantum listening] » d’Oliveros est un précurseur dans les années 1990. Parmi les émules de cette approche matérialiste57, citons Mark Grimshaw et Tom Garner, qui explorent les « agrégats sonores [sonic aggregates] » (Grimshaw, Garner, 2015, p. 206) comme autant de potentialités et de relations entre l’« endosonore [endosonic] » – le son physique, perçu – et l’« exosonore [exosonic] » – l’espace architectural, les variations atmosphériques, la localisation de l’écoutant, etc.

  • 58 Pour une étude des modes d’attention dans l’œuvre de Max Neuhaus voir Zeitz, 2018.
  • 59 « I never do a piece where I’m not sure that 50 percent of the people who come across it will walk (...)
  • 60 « Attempts to expand the artistic territory through critical in situ interventions, contextual work (...)

28Neuhaus et, dans une certaine mesure, Fredrikson, invitent le visiteur à déployer plusieurs niveaux d’attention correspondant aux aspects complémentaires, artistiques et extra-artistiques, qui font la structure et la signification de leurs œuvres58. À ce titre, ils rejoignent les nombreuses pratiques de l’inaperçu dans les arts plastiques, visuels et sonores (Davila, 2010 ; Brogowski, 2010) : « Je ne fais jamais une pièce si je ne suis pas sûr que 50 % des gens qui la croiseront passeront au travers sans même l’entendre59 », revendique Neuhaus. Daniele Balit réunit ce type de propositions dans la catégorie du « son discret [discreet sound] », comme autant de « tentatives d’étendre le territoire artistique à travers des interventions in situ critiques, des œuvres contextuelles, des infiltrations et autres formes d’intrusion dans le tissu social, aboutissant souvent à des résultats moins visibles et qui ne relèvent pas de l’objet60 ».

Lieu de l’écoute, lieu du corps

  • 61 Dans le champ de la musique, on pourrait aussi citer les compositions de Georg Friedrich Haas, à ex (...)

29Il est intéressant de constater la grande similitude et la contemporanéité de ces deux propositions, où l’obscurité peut être aussi bien considérée comme une absence artificielle, voire traumatique de visualité, que comme un élément plastique densifiant l’expérience de perception de l’œuvre et de ses significations. L’emploi de l’obscurité redouble ce jeu sur les liminalités fictives de la perception et sollicite, au sein des sens de la vue et de l’ouïe, les deux pôles de la saturation et de la privation. C’est cette volonté de ne pas faire du son l’objet immobile et autonome de l’écoute, mais plutôt un vecteur de découverte d’un lieu – le lieu de l’écoute, le lieu du corps –, qui caractérise ces deux œuvres. En cela, elles ne constituent pas de rupture au sein des pratiques de Neuhaus et Fredrikson, mais annoncent à leur insu ce tournant artistique encouragé par une partie des études sur le son vers un rejet du sens de la vue – une « litanie audiovisuelle » séparant l’ouïe de la vision et idéalisant la perception auditive (Sterne, [2003] 2015, p. 26-27), ce que Kim-Cohen a décrit comme un « cul-de-sac phénoménologique » (Kim-Cohen, 2009, p. XIX). Le désir d’un son pur, d’un « son-en-soi » tel qu’il peut apparaître dans ces œuvres, perdure aujourd’hui dans beaucoup d’œuvres sonores, comme autant d’expériences primitives ou prélinguistiques qui offriraient un accès au « réel » par la compensation du préjudice que la vision aurait imputé à la perception. Elles s’expriment à la fois par la survivance de zones d’isolation et de déprivation sensorielle (Ryoji Ikeda réalise Matrix [for Anechoïd Room] en 2000) ou par la multiplication de marches sonores focalisées sur des situations d’aveuglement (Francisco Lopez et Myriam Lefkowitz ont proposé en 2006 des Blind Walks City, où des personnes aveugles guidaient des personnes voyantes dont les yeux étaient bandés)61. Des chercheurs ont repéré la tendance à un « néomodernisme sonore » (Cox, 2003) de ces pratiques instaurant de l’« absence de visualité [sightlessness] » (Blocker, 2007), conçue comme un rapport inclusif, universaliste, à l’expérience esthétique. Jones l’a quant à elle analysée comme un des symptômes de l’art globalisé (Jones, 2017).

  • 62 Lars Fredrikson, dont l’activité picturale abstraite est continue dès la fin des années 1950, dével (...)
  • 63 Il ne s’agit pas ici de considérer rétrospectivement la pratique de Fredrikson au prisme des limita (...)
  • 64 Notes de Fredrikson, vers 1978, Nice, archives de l’association Lars Fredrikson Estate.

30Dans une certaine mesure, ce matérialisme sonore est compatible non seulement avec les modèles de la phénoménologie, mais aussi avec ceux des pratiques et théories politiques et sociales du son (Fischer, 2014 ; Faburel, Guiu et al., 2014 ; Labelle, 2015). Ces dernières proposent, à rebours de la non-signification et de la non-représentation, de faire apparaître les dynamiques de pouvoir qui sous-tendent les institutions artistiques et les lieux publics. De telles préoccupations politiques sont chères à Max Neuhaus, héritier des pratiques de l’esthétique de situation post-minimalistes, et qui revendique la prise en compte du son en art à l’aune de l’activité de l’écoute comme phénomène débordant le seul territoire artistique. On constate que cette sensibilité est plus discrète, voire absente de l’œuvre de Fredrikson – à peine projette-t-il, à la fin de sa vie, de produire des œuvres pérennes dans l’espace public, jamais réalisées – qui, malgré un rejet affiché des institutions et des rituels de l’art, ne donne jamais à ses œuvres un horizon politique affirmé. Mais si son approche du son procède d’un certain formalisme pictural62, et en ce sens répond à une volonté de réduction exclusive de l’écoute à sa composante sonore, l’œuvre de Fredrikson ne se laisse toutefois pas envahir par un désir d’ontologie du « son-en-soi »63. Ainsi le voit-on ironiquement écrire qu’il « n’aime pas Wagner64 ».

31Il y a, dans 900313 comme dans Infinite Lines from Elusive Sources, une dimension ludique qui permet d’en éloigner l’analyse de toute tentation d’absolu : chez Fredrikson, la mise en garde contre les « tricheurs » qui s’aviseraient d’éclairer l’espace ; chez Neuhaus, la quête de la source sonore, la « topographie des variations [topography of changes] » (Loock, Neuhaus, 1990, p. 26). Les « sources fuyantes » de Neuhaus séparent selon lui ces œuvres du reste de son travail. Les deux versions d’Infinite Lines from Elusive Sources n’auraient pas eu cette nature si elles avaient été déployées dans un espace public (Neuhaus, 2019, p. 121) ; en cela, ces œuvres de Fredrikson et Neuhaus semblent profiter du contexte institutionnel qui les désigne et les délimite, à une période où l’approche acousmatique et non-référentielle est encore rare dans le champ des arts plastiques.

32Tandis que Fredrikson joue dans 900313 de la dimension de ce qu’on ne peut pas « prendre » ou « saisir », les Elusive Sources de Max Neuhaus invitent à un exercice de perception active en même temps qu’elles postulent la part inatteignable de toute perception sonore. Les deux artistes réactivent, dans le domaine vibratoire, l’imaginaire de la tache aveugle, à travers la mise en son de l’incomplétude de l’écoute et de l’instabilité du lieu de la perception sonore. Cette incomplétude invite aussi au fantasme, à l’imagination, puisqu’aucune prescription, aucune contrainte visuelle, ne peut abstraire la perception auditive de ses particularités culturelles :

  • 65 Connor, 2018, p. 71.

Dans notre écoute, nous sommes activement passifs, en ce que nous nous soumettons volontiers au son que nous consentons à appréhender. Mais nous sommes aussi passivement actifs, car ce que nous entendons, consciemment et inconsciemment, est sélectionné en fonction des fantasmes et des désirs qui façonnent nos modes d’audition65.

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Notes

1 Samuel Beckett, L’Innommable, Paris, Minuit, 1956, p. 143.

2 Kihm, 2020. Les expositions « Für Augen und Ohren » et « Écouter par les yeux » (1980) ont fait état de la « visibilité de la musique » et du « croisement de la musique et des arts plastiques » (Block, Dombois et al., 1980, p. 5), ou plus prudemment du « matériau son » et de son « importance dans le vocabulaire plastique d’aujourd’hui » (Pagé, Popper et al., 1980, p. 5-6). Elles sont principalement constituées d’objets, et reflètent un désir d’intermédialité et de totalisation typique des premières analyses des pratiques sonores qu’a produites l’histoire de l’art. Les pratiques plastiques du son, du fait de leur qualité interstitielle, n’ont véritablement été intégrées au discours de l’histoire de l’art qu’au tournant des années 2000.

3 Hollein, Jørgensen, 2002 ; Duplaix, Lista, 2004 ; Daniels, Naumann, 2011 ; Darò, 2013.

4 Kahn, Whitehead, 1992 ; Kahn, 1999 ; Weibel, 2019.

5 Contraction d’acousmatique et de manie.

6 Nous insistons sur l’exception que constituent les pratiques de Fredrikson et Neuhaus. Si leur approche rejoint celle de l’emploi du médium sonore dans le contexte post-minimaliste – à ce titre, on pourrait citer Bernhard Leitner, Bill Fontana, et dans une certaine mesure, Michael Asher ou Bruce Nauman –, ils sont les seuls à insister de façon continue sur une certaine non-référentialité des sons employés dans leurs installations.

7 Max Neuhaus crée Fan Music à New York, et Southwest Stairwell, à Toronto, en 1968. Lars Fredrikson, réalise sa première installation sonore à la maison des Quatre Vents, à Paris, en 1969, puis Psychofréquences à l’université de Bristol, en 1970.

8 Tous deux entretiennent par ailleurs une pratique visuelle. Fredrikson est peintre et sculpteur ; Neuhaus, à partir du début des années 1990, réalise un ensemble de dessins de ses installations. Mais ni l’un ni l’autre n’intègre ses travaux visuels au sein de ses installations sonores.

9 Cartel de l’œuvre 900313, par Lars Fredrikson, au sein de l’exposition collective « Pas n’importe où sous le soleil, V » (Nice, villa Arson, 7 juill. – 30 sept. 1990), voir Bernard, Besson, 1995.

10 L’insistance, dans leurs installations, sur la complémentarité des sens dans la découverte d’un espace, sur la vocation non-référentielle des sons qu’ils utilisent, explique certainement que Neuhaus et Fredrikson n’ont jamais éprouvé le besoin de priver le visiteur de son champ de vision. Fredrikson demande pour son œuvre Psychofréquences (1970) qu’il n’y ait « pas beaucoup de lumière » (lettre à Jonathan Robertson, 24 février 1970, archives Jonathan Robertson), mais cette œuvre ne peut pas être considérée comme un antécédent de 900313, car elle ne s’appuie pas, contrairement à toutes ses installations ultérieures, sur la mobilité de l’écoutant.

11 Les œuvres de Neuhaus ont alors déjà été exposées de nombreuses fois à l’étranger, tandis que Fredrikson est parvenu à entériner son enseignement des pratiques plastiques du son à l’École de la villa Arson quelques années plus tôt.

12 Du fait de pratiques antérieures ou connexes – la peinture et la sculpture chez Fredrikson, la musique chez Neuhaus –, mais aussi de leur contexte d’émergence – les années 1960 sont un terrain propice à la naissance de pratiques transdisciplinaires à la croisée de la musique et des arts plastiques –, les trajectoires de ces deux figures du son en art sont intimement liées, malgré un rejet affiché, aux champs de la musique et des arts visuels.

13 Nous préférons à « auditeur » l’adjectif verbal « écoutant », qui nous permet d’insister sur le caractère actif, mobile, intentionnel, de l’écoute déployée dans les œuvres de Neuhaus et Fredrikson.

14 Marks, 2002 ; Jones, 2006 ; Howes, Classen, 2014 ; Jones, Mather, Uchill, 2016 ; Howes, 2022.

15 Kelly, 2011 ; Pinch, Bijsterveld, 2012 ; Sterne, 2012 ; Bull, Back, 2016.

16 Lars Fredrikson, entretien avec Maurice Benhamou (non daté), dans Benhamou, 2006, p. 193.

17 Stratégies philosophiques et artistiques interrogeant le modernisme par la critique, le rejet ou le dépassement du régime de perception optique.

18 À ce sujet, voir Jones, 2005.

19 Après avoir théorisé le « stade du miroir », Jacques Lacan donne un cours intitulé « Schize de l’œil et du regard », où il distingue l’œil comme organe de vision et le regard en tant qu’objet. Il s’est beaucoup penché sur les notions de vision et d’image (Jacques Lacan, « La schize de l’œil et du regard », Le Séminaire, XI. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, s.l., s.n., 1964, p. 65-74). Lars Fredrikson s’est intéressé aux théories lacaniennes à partir de la seconde moitié des années 1960.

20 Notre choix de nous appuyer sur la théorie schaefferienne de l’écoute acousmatique et de l’écoute réduite n’a pas vocation à affirmer que les travaux de Neuhaus et Fredrikson procèdent de cette compréhension, qui s’inscrit dans une approche compositrice ponctuée de critères musicaux étrangers aux pratiques plastiques du son. D’ailleurs, ni Fredrikson ni Neuhaus ne font jamais de référence explicite à la musique concrète. Nous verrons cependant que les concepts d’écoute réduite et d’objet sonore sont des incarnations particulièrement éloquentes d’un désir d’écoute du « son-en-soi » et d’une « objectivité » sonore qui méritent d’être évoquées dans notre enquête, du fait qu’elles s’appliquent en partie aux travaux de Fredrikson et Neuhaus.

21 La notion de non-référentialité dans les pratiques sonores est à nuancer : aucun son ne peut réellement s’abstraire de l’imaginaire de l’écoutant. Il s’agit pour partie, pour des artistes comme Fredrikson, d’un idéal de continuation de la tradition abstraite en peinture, ce qui explique une certaine frilosité vis-à-vis de la musicalité et de façon générale des sons imitatifs. « En réalité, les sons ne peuvent pas s’abstraire de la société au point d’échapper aux poétiques, aux corps, aux matériaux, aux technologies, aux contextes institutionnels et discursifs, ni aux impératifs de la phénoménologie et de son “imagination auditive”. Il faut simplement admettre que la conscience joue un rôle important dans la perception auditive. » Kahn, (2006) 2014, p. 342.

22 « I think what keeps it from being music is its role in the work. Again, we go back to saying that the sound, this series of clicks, is not the work; it’s the catalyst that engages the listener in seeking the source… it’s a current that leads you through this place. » Loock, Neuhaus, 1990, p. 26, nous traduisons.

23 Notes de Fredrikson, vers 1986, Nice, archives de l’association Lars Fredrikson Estate.

24 Nous empruntons l’expression à Seth Kim-Cohen qui, produisant une critique des limites de l’écoute acousmatique, étend la notion d’écoute réduite, une écoute du « son pour lui-même » de Schaeffer, à une écoute du « son-en-soi [sound-in-itself] » pour en souligner les connotations idéalistes, hégéliennes (Kim-Cohen, 2009, p. 121-148).

25 En psychologie, la privation désigne le fait d’être privé artificiellement d’une chose – un besoin, un sens – à laquelle on avait auparavant accès. Nous insistons sur cet aspect « traumatique » de l’expérience de perception au sein des œuvres étudiées.

26 « The power of the Pythagorean veil to elicit from us images of nocturnal transcendence, otherworldliness, distance, and sublimity comes not from its “originary” status, but from its inscription into a series of modern, historical, aesthetic practices: the erasure of the musical performer, the effective power of blindness to transform sound by changing modes of listening, and the use of bodily techniques in the production of transcendence and musical phantasmagoria. » Kane, 2014, p. 12, nous traduisons.

27 Sur l’influence de la technologie sur les sens et la perception en art pendant la période 1880-1930, voir Danius, 2001.

28 La tradition de l’écoute « en aveugle » perdure dans la musique germanique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, avec notamment, dans les années 1940, l’organisation d’une série de Dunkelkonzerte (« concerts d’obscurité », ou « concerts dans l’obscurité ») à Vienne (Gilliam, 1994).

29 « In turn, this meaning overflows any instrumental or technological constitution and reaches a part of the world and of things where experience has nothing in common with any sort of experimentation, technical achievement, demonstration, permutation of verification of data, or of what already exists for and through the instrument. » Entretien avec Max Neuhaus, dans Zacharopoulos, 1990, p. 10, nous traduisons.

30 « To an extent that Greenberg might have envied, music has – since at least the advent of notation – existed as effects quantified as “values” (in both senses of the word). » Kim-Cohen, 2009, p. 40, nous traduisons.

31 Dans le cadre de la création de l’Acousmonium, Bayle a étendu la définition des fondements pythagoriciens de l’écoute acousmatique de Schaeffer à des situations d’obscurité, et prescrit de plonger l’espace dans le noir lors des concerts de musique concrète (Bayle, 1993, p. 181). Il s’agit pour Brian Kane d’un autofondement de la musique acousmatique par l’utilisation d’un mythe de l’obscurité (Kane, 2014, p. 45-72).

32 On pourrait ajouter, du fait de la relative rareté des pratiques plastiques et acousmatiques du son jusque dans les années 1990, que ce choc doit être redoublé dans les situations où le visiteur est dans l’attente d’une expérience visuelle.

33 Branche de la psychologie qui étudie la perception des formes, prenant racine en Allemagne au xixe siècle et se plaçant dans l’héritage de la phénoménologie husserlienne. Jones décrit l’influence des travaux de certains psychologues gestaltistes allemands immigrés aux États-Unis sur la scène artistique californienne des années 1960 et 1970 (Jones, 2018).

34 Nous pensons notamment aux « altérations de pièce [room alterations] » que l’artiste réalise à la fin des années 1960 et 1970, installations qui consistent en une modification discrète des caractéristiques acoustiques et lumineuses d’espaces donnés.

35 Ludovic Lignon (au sujet de 900313), entretien avec l’autrice, Nice, le 10 mars 2022.

36 Notes de Fredrikson, vers 1996, Nice, archives de l’association Lars Fredrikson Estate.

37 Stockhausen, 1971, p. 183, cité et traduit dans Stoïanova, 2014, p. 116.

38 « The E-M approach focuses on sound-in-itself, the meeting in sound of composer and listener, the co-existence of the quasi-atemporal materiality and the fugitive perception of sound. It is a unified concept in which corporeal reactions, innermost discovery and personal experience come together within the pure sonic element. » Wanke, 2017, p. 435, nous traduisons.

39 On pourrait citer d’autres compositions spécifiquement écrites pour être jouées dans des espaces sombres comme The Tortoise, His Dreams and Journeys (1964) de La Monte Young, ou les Glass Concerts (1967-1970) d’Annea Lockwood.

40 « After the sounds have begun, one comes to recognize the coincidence of the soloist opening his eyes with the stopping of the alpha-articulated sounds. Closing of the eyes will not necessarily start the alpha again. The process of non-visualizing must occur. » Gordon Mumma, « Alvin Lucier’s Music for Solo Performer 1965 », dans Austin, Kahn, 2011, p. 81, nous traduisons.

41 Neuhaus, Five Russians (A Tuned Room) (1979) ; Leitner, et ses recherches sur les Headscapes ou Kopfraüme (« espaces de tête ») à partir des années 1980, etc.

42 Il est tout à fait éloquent, d’ailleurs, que Terry Riley réalise la bande-son de Les Yeux fermés, un film de Joël Santoni sorti en 1973 où le personnage principal, marqué par le suicide d’un ami, feint la cécité et déambule dans les rues de Paris.

43 « This meditation is best done in very low illumination, or with eyes closed. » Instructions relatives à l’exécution de l’œuvre Telepathic Improvisation de Pauline Oliveros, dans Pauline Oliveros, Sonic Meditations, Baltimore, Smith Publications, 1974, n.p., nous traduisons.

44 « Mon travail est parfois qualifié de méditatif à cause de cette nécessité de concentration, mais je n’aime pas trop la connotation de ce mot. » Max Neuhaus, « Lieu, moment : quelques observations » (1994), reproduit et traduit dans Neuhaus, 2019, p. 53.

45 Cette analyse de la valeur spatiale des œuvres d’« art sonore » est devenue indispensable pour se doter d’une grille de lecture théorique propre à ces pratiques, en dehors de leur analyse musicale (Etienne, Gauguet, Saladin, 2014).

46 Georges Bériachvili, « L’Espace musical, concept et phénomène à travers l’avant-garde des années 1950-60 (Stockhausen, Xenakis, Ligeti...) », thèse de doctorat, université de Rouen, 2010 ; Born, 2013 ; Ouzounian, 2021.

47 « The situation is a product of time, context, expectation (protention), and memory (retention). » Kim-Cohen, 2009, p. 46, nous traduisons. L’auteur fait ici référence aux concepts de la phénoménologie husserlienne.

48 Ludovic Lignon (au sujet de 900313), entretien avec l’autrice, Nice, le 10 mars 2022.

49 « Two passages bearing in between shadow and light, identical in form, diverging in spirit. »

50 « To all living creatures who inhabit dark places and who, over the years, have developed acuity in the art of echo-location […] Play in the dark places, indoors, outdoors, or underwater; in dimly-lit spaces with dark glasses; and in lighted spaces with blindfolds. » Alvin Lucier cité dans Austin, Kahn, 2011, p. 249, nous traduisons.

51 Il y a au moins un noyau sous-cortical, le colliculus supérieur, situé sur la voie auditive, qui comporte des neurones bimodaux, visuels et auditifs, contribuant à la localisation précise des sources sonores dans l’espace. Seuls les aveugles de naissance ne bénéficient pas de cet apport.

52 Ludovic Lignon (au sujet de 900313), entretien avec l’autrice, Nice, le 10 mars 2022.

53 « In order for a sound to be audible, it is always necessary for it to be in us just as much as we are in it. We inhabit sound, because it happens to us. Looking, as Merleau-Ponty has remarked, is a kind of having. Listening can only approximate to this appropriative hand-eye coordination. » Connor, (2005) 2011, p. 135, nous traduisons.

54 Ludovic Lignon (au sujet de 900313), entretien avec l’autrice, Nice, le 10 mars 2022.

55 Fredrikson, au sujet de ses pratiques sonores (émission dédiée à Alberto Giacometti, avec Alain Veinstein, Lars Fredrikson, Jean Tortel, et Jean Daive, dans Nuits magnétiques, diffusée le 31 août 1978 sur France Culture).

56 « In other words, the cacophony is not silent, just inaudible to all but a very few. » Kahn, 1999, p. 200, nous traduisons.

57 Cox, 2011 et 2018. Chez Georgina Born, le matérialisme sonore va encore plus loin lorsque l’autrice propose l’abandon du langage et de l’épistémologie de l’objet sonore afin d’habituer l’entendement et la perception aux hybridations entre l’humain et le non-humain (Born, 2019).

58 Pour une étude des modes d’attention dans l’œuvre de Max Neuhaus voir Zeitz, 2018.

59 « I never do a piece where I’m not sure that 50 percent of the people who come across it will walk right through it without hearing it. » Max Neuhaus, cité dans Alicia Zuckerman, « Max Neuhaus: Times Square », Arts Electric, 22 mai 2002 [URL : http://www.arts-electric.com/articles/020530.neuhaus.html]).

60 « Attempts to expand the artistic territory through critical in situ interventions, contextual works, infiltrations and other forms of intrusion within the social fabric, often resulting in less visible and non-object-based outcomes. » Balit, 2013, p. 62, nous traduisons.

61 Dans le champ de la musique, on pourrait aussi citer les compositions de Georg Friedrich Haas, à exécuter dans l’obscurité, ou le retour en force de la notion de « sublime » et ses dérivés dans les pratiques de la noise (pour une introduction à ce sujet, voir Hegarty, 2007 ; Demers, 2010).

62 Lars Fredrikson, dont l’activité picturale abstraite est continue dès la fin des années 1950, développe une pratique sonore intimement liée à celle de la peinture (Dreyer, 2021).

63 Il ne s’agit pas ici de considérer rétrospectivement la pratique de Fredrikson au prisme des limitations que se sont imposées récemment les sound studies. Mais cet œuvre illustre bien la « cosmologie » des théories, tendances culturelles et figures artistiques ayant eu une influence considérable sur les pratiques sonores contemporaines.

64 Notes de Fredrikson, vers 1978, Nice, archives de l’association Lars Fredrikson Estate.

65 Connor, 2018, p. 71.

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Table des illustrations

Titre 1. Jacques Robert, Vernissage de l’exposition « Espaces virtuels » de Lars Fredrikson, Saint-Paul-de-Vence, fondation Maeght, 1972.
Crédits © Lars Fredrikson/photo © Jacques Robert. Archives de la Fondation Maeght
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Titre 2. Max Neuhaus, Deux passages, entre ombre et lumière, identiques dans leur forme, divergents dans leur essence spirituelle [Two Passages Bearing in between Shadow and Daylight Identical in Form, Diverging in Spirit], 1993, installation sonore et lumineuse permanente (bois, haut- parleur et ordinateur), 1 046 × 17 cm (chaque élément), Bordeaux, CAPC – musée d’Art contemporain de Bordeaux (1993-10).
Crédits © Courtesy of the Estate Max Neuhaus/photo © Frédéric Delpech/© Archives du Capc Musée
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Titre 3. Photographe anonyme, Un auditeur dans une installation sonore de Lars Fredrikson, 1987, Lyon, galerie L’Ollave.
Crédits © Jean de Breyne
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Titre 4. Manoug Alemian, Concert de Stockhausen dans la grotte de Jeita (Liban), novembre 1969, Kürten, Stockhausen Foundation For Music.
Crédits © Archive of the Stockhausen Foundation for Music, Photograph by Manoug
URL http://journals.openedition.org/perspective/docannexe/image/29696/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 512k
Titre 5. Photographe anonyme, Alvin Lucier pratiquant le contrôle des ondes cérébrales au Brandeis Electronic Music Studio (Brandeis University, Waltham, Mass.), 1965, dans KAHN, 2013, p. 90.
Crédits © D.R.
URL http://journals.openedition.org/perspective/docannexe/image/29696/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 356k
Titre 6. Lars Fredrikson, 900313, 1990, vue de l’installation dans l’exposition « Pas n’importe où sous le soleil, V » (7 juill. – 30 sept. 1990), Nice, villa Arson.
Crédits © Lars Fredrikson/photo © Jean Brasille/Villa Arson Nice
URL http://journals.openedition.org/perspective/docannexe/image/29696/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 468k
Titre 7. Max Neuhaus, Sans titre [Untitled], 1993, diptyque : crayon de couleur sur papier transparent, 47 × 67 cm (dessin) et 47 × 19,5 cm (texte), Bordeaux, CAPC – musée d’Art contemporain (1993-13).
Crédits © Courtesy of the Estate Max Neuhaus
URL http://journals.openedition.org/perspective/docannexe/image/29696/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 96k
Titre 8. Max Neuhaus, Lignes infinies à partir de sources fuyantes #2 [Infinite Lines From Elusive Sources #2], 1990, diptyque : crayon de couleur sur papier, 45 × 50 cm (dessin) et 45 × 63 cm (texte), Milan, collection Giorgio Persano.
Crédits © Courtesy of the Estate Max Neuhaus
URL http://journals.openedition.org/perspective/docannexe/image/29696/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 47k
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Pour citer cet article

Référence papier

Léa Dreyer, « L’écoute « en aveugle » dans les pratiques plastiques du son de Lars Fredrikson et Max Neuhaus »Perspective, 1 | 2023, 229-250.

Référence électronique

Léa Dreyer, « L’écoute « en aveugle » dans les pratiques plastiques du son de Lars Fredrikson et Max Neuhaus »Perspective [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 20 décembre 2023, consulté le 08 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/perspective/29696 ; DOI : https://doi.org/10.4000/perspective.29696

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Auteur

Léa Dreyer

Léa Dreyer est doctorante en histoire de l’art contemporain et ATER à l’université Paris 1 – Panthéon- Sorbonne. Elle travaille sous la direction de Pascal Rousseau sur les pratiques médiatiques de Lars Fredrikson (1926-1997).

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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