1 Le sol chinois regorge d’une grande diversité de ressources minérales, et les industries extractives jouent un rôle important dans de nombreuses économies locales à travers le pays. Cependant, l’impact environnemental, économique et surtout sociopolitique de ces industries n’a reçu qu’une attention limitée de la part des milieux académiques. Dans ce contexte, River-sand Mining : An Ethnography of Resource Conflict in China offre une analyse indispensable de l’impact sociopolitique de l’exploitation minière en Chine contemporaine. Parmi les quelque 200 types de minerais activement exploités en Chine, l’ouvrage se concentre sur l’extraction des sables fluviaux, un matériau relativement commun et très largement utilisé dans la construction. L’auteure s’appuie sur une recherche ethnographique fondée sur des enquêtes de terrain approfondies menées au sein de plusieurs localités de la région autonome Zhuang du Guangxi, pour dresser un panorama de l’écologie politique de l’extraction des sables fluviaux dans ces localités. La richesse des exemples factuels nous permet d’appréhender les motivations et les comportements des différents acteurs impliqués dans ces processus, qu’il s’agisse des mineurs, légaux ou illégaux, des villageois des localités concernées, des membres des gouvernements locaux, etc.

2L’ouvrage comprend huit chapitres. À l’exception des chapitres d’introduction, de conclusion ainsi que du deuxième chapitre, qui présente la méthodologie de cette recherche ainsi que ses sources de données, les cinq autres s’organisent autour de quelques problématiques et acteurs majeurs de l’industrie minière. Le chapitre 3 examine la marchandisation des sables fluviaux et les conséquences écologiques de leur exploitation ; il démontre comment cette activité, devenue lucrative au cours des dernières décennies, a aussi conduit à une hausse des conflits liés aux ressources dans les zones d’extraction. Ce chapitre pose ainsi le cadre d’analyse des suivants. Le chapitre 4 s’appuie sur le plan de développement par projets du gouvernement chinois et la construction massive d’infrastructures pour expliquer le caractère tant convoité des sables fluviaux et la hausse des prix de cette ressource, attirant une main-d’œuvre de mineurs légaux ou illégaux. Malgré quelques anecdotes intéressantes sur la construction d’infrastructures en Chine rurale, ce chapitre manque de cohérence avec le reste du livre. Le chapitre 5 présente les différentes législations qui régissent l’exploitation des sables fluviaux en Chine et révèle une gestion bureaucratique fragmentée au niveau local (infra provincial) qui semble expliquer l’importance de l’extraction illégale ainsi que la corruption dans les villes et les villages du Guangxi. Dans ce contexte de structures juridiques et administratives défaillantes, les chapitres 6 et 7 s’intéressent de plus près aux conséquences négatives subies par les citoyens des communautés rurales sur le plan environnemental, économique et sociopolitique. Ces pages fournissent une information de première main sur la manière dont les moyens de subsistance des villageois ont été affectés par les activités d’extraction minière, et décrivent comment ces derniers tentent de résister via des pétitions adressées au gouvernement, des manifestations sur les réseaux sociaux ou encore par leurs croyances religieuses. Ces deux chapitres dépeignent avec précision les causes et les modalités du conflit de ressources engendré par l’exploitation des sables fluviaux.

3L’auteure, elle-même originaire de cette région, témoigne d’un réel attachement à l’égard des membres de l’ethnie Zhuang et les communautés qui constituent son sujet d’étude. Le regard qu’elle porte sur ces zones d’extraction ainsi que sur les villageois est celui d’une chercheure, mais aussi celui d’une membre de la communauté, et cette proximité lui permet de recueillir quantité d’informations rares et d’observer avec attention des détails que d’autres n’auraient peut-être pas relevés. Cette perspective unique permet à l’ouvrage d’aborder presque tous les aspects de l’exploitation des sables fluviaux, du cadre juridique et administratif jusqu’à l’impact sur les citoyens et les interactions avec ces derniers, en passant par la description des conditions du marché ou des opérations concrètes d’extraction. Bien qu’il s’agisse d’une étude de cas concernant un type d’exploitation donné dans le sud-ouest de la Chine, l’ouvrage propose un panorama pertinent de l’écologie politique des petites entreprises locales d’extraction minière à l’échelle du pays. Il sera une source de nombreuses informations utiles pour qui souhaite mieux comprendre les industries extractives et leurs implications environnementales et sociopolitiques, en Chine ou ailleurs.

4Cela étant dit, l’auteure aurait sans doute pu s’appuyer sur cette profusion de détails empiriques pour conduire une analyse plus approfondie et ouverte sur des domaines de recherche élargis. Pour commencer, l’auteure présente dans l’introduction l’ethnie Zhuang comme détentrice d’un savoir écologique indigène. Pourtant, l’analyse empirique menée à travers l’ouvrage n’expose pas de quelle manière les Zhuang se démarquent, par leur façon de penser ou d’agir, de l’ethnie majoritaire Han ou d’autres groupes ethniques. On aurait pu explorer plus avant ce qui fait la particularité de cette population et en quoi l’ethnicité influe sur le sujet du livre, et peut-être même contribue ainsi à la recherche ethnographique. Par ailleurs, l’auteure utilise plusieurs catégorisations antagonistes pour qualifier les types de mineurs travaillant sur les sites d’extraction des sables fluviaux : légaux et illégaux, locaux et non locaux, femmes et hommes, et ce sont là des distinctions tout à fait valables. Mais il aurait été intéressant d’analyser si les individus des différentes catégories se comportent de façon différente, et si oui comment. Par exemple, comparés à ceux des entreprises extérieures qui souhaitent seulement extraire les sables et faire du profit, est-ce que les mineurs issus des populations locales ont plus à cœur les intérêts des villageois dont ils partagent non seulement l’identité mais aussi un horizon à plus long terme d’interactions sociales ? Est-ce que les mineurs illégaux entrent plus facilement en conflit avec les villageois que les mineurs embauchés légalement ? Ces questions intéresseraient sans doute les chercheurs étudiant l’économie politique de l’exploitation minière. Enfin, l’auteure se fonde sur des études de terrain pour constituer des tableaux répertoriant les caractéristiques de chaque village. Cependant, il manque une analyse détaillée de la façon dont ces villages font face aux conflits, aux manifestations, à la corruption engendrés par l’exploitation minière. Une étude comparative des différents villages aurait fourni une information intéressante sur les modes de gouvernance en milieu rural en Chine.

5Dans l’ensemble, cet ouvrage nous conte donc une fable assez typique de ce que j’appellerai la malédiction des ressources locales : tandis que l’abondance de ressources minérales profite aux entrepreneurs de l’industrie extractive et aux économies locales, les activités d’extraction, elles, apportent pour les communautés et les citoyens tout un éventail d’externalités négatives – dommages environnementaux, pertes économiques, risques sanitaires et conflits sociaux. Dès lors, l’inégale répartition des bénéfices et des coûts fait de l’exploitation minière une activité injuste et génératrice de conflits entre les gagnants et les perdants. Mais ce livre révèle surtout le fossé entre la législation élaborée au niveau national et son application locale : malgré l’existence de lois et de règlements imposés d’en haut, la gouvernance locale s’avère souvent défaillante, laissant le champ libre à une industrie extractive qui corrompt et accapare le pouvoir local, au détriment des citoyens. Ces révélations font de ce livre un ajout essentiel au corpus grandissant de la recherche concernant les impacts de l’extraction des ressources minérales sur le développement local et la gouvernance en Chine contemporaine.