L’art nouveau de l’école de Nancy : usages du jugement réfléchissant et débordement de la forme
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- 1 « D’une certaine façon, la vigueur de l’ensemble lui assure une beauté certaine, mais on sent parto (...)
- 2 Voir l’ouvrage d’Eugène grasset, La plante et ses applications ornementales, publié en 1896, « gram (...)
- 3 Il s’agit de « réduire la vision du réel à une sorte de schéma, à des plages de couleurs presque un (...)
- 4 Ibid.
- 5 Ibid.
1Envisageant à nouveaux frais les rapports entre forme et fonction, l’Art nouveau privilégie l’épure, la simplification des formes au profit de l’utile, et consacre ainsi le triomphe de la beauté adhérente. C’est ainsi que l’une des pièces emblématiques du mouvement, le bureau en forme de courge d’Henry Van de Velde, a vocation à satisfaire aussi bien le désir de l’esthète que les besoins de l’utilisateur1 : agencement pratique et beauté se renforcent et se soutiennent mutuellement, donnant forme à une unité organique. Dans l’Art nouveau, le répertoire naturaliste2contribue à un renouvellement de la forme qui se traduit par le rejet de l’angle droit au profit de la courbe et de l’ondulation (évolution vers le style « nouille »), et par la place accordée à la dissymétrie. Or les formes inspirées de la faune et de la flore n’ont pas vocation à être apposées sur l’objet comme de purs ornements, elles doivent être aptes à l’accomplissement d’une fonction. C’est pourquoi elles se présentent sous une forme synthétique ou schématique3qui doit épouser la forme même de l’objet : « Le but n’est point de traduire les choses dans une vérité transitoire, mais d’en donner une image susceptible de la transformer en composition décorative, de l’adapter à un objet4. » À la différence des Impressionnistes, « il ne s’agit pas de transcrire les sensations que la nature nous procure, mais d’en analyser les détails à la manière d’un botaniste et de leur faire subir des métamorphoses décoratives qui en expriment la synthèse5. »
- 6 « En 1908, dans la première édition posthume des écrits de son mari, Madame Gallé justifiera l’incl (...)
- 7 À titre d’exemple, Gallé, qui s’intéresse de près aux orchidées, « va produire toute une série de v (...)
- 8 « Ce fut l’un des meilleurs élèves du lycée de Nancy, remportant chaque année, depuis la seconde ju (...)
2Émile Gallé, fondateur de l’École de Nancy, occupe une place singulière dans ce mouvement. Ébéniste, céramiste, maître verrier mais aussi biologiste, dont les pré-occupations rejoignent celles de l’artiste6 : le renouvellement du répertoire formel passe par la connaissance des plantes, par l’inventaire patient de toutes les anomalies et variantes que le botaniste reproduit dans ses œuvres7. Nous tenterons de montrer que la pratique artistique de l’ancien bachelier ès lettres, qui ne pouvait ignorer Kant8, se fonde sur un certain usage du jugement réfléchissant, donnant à penser la technique comme imitation de la technique de la nature. Où l’on montrera que la nouveauté de l’Art nouveau ne consiste pas seulement dans le renouvellement du catalogue des formes disponibles, mais dans une manière inédite d’envisager le rapport entre forme et matière, en particulier chez Gallé. C’est en effet le problème du statut de la forme qui est soulevé : la forme est-elle réalisation attendue d’une puissance ou expression inédite d’une tendance qui se fait jour ? Les réalisations de l’Art nouveau donnent-elles à percevoir la concrétisation prévisible d’une forme déjà connue, ou bien la dynamique même qui est à l’origine de la forme et qui menace de la déborder ?
Des formes naturelles à la force formatrice
- 9 « Cet âge, surprenant, admirable à tant d’égards, a prétendu produire du décor, en inonder industri (...)
3À la fin du xixe siècle, la reproduction industrielle des styles du passé est à la mode. L’état de l’art décoratif se caractérise par le manque d’inventivité, ce que déplore Émile Gallé quand il constate que l’époque se complaît « dans de serviles imitations du passé9 ». Ne parvenant pas à exprimer les aspirations actuelles, les formes anciennes sont dépassées car elles correspondent à une sensibilité datée. D’où le problème : comment sortir du pastiche et trouver un art résolument nouveau ? Où trouver les formes aptes à exprimer leur siècle ? Selon Gallé, c’est dans la nature que le décorateur doit trouver l’inspiration :
- 10 Ibid.
Et d’abord, la nature lui apporte aujourd’hui des formes nouvelles ; la science lui offre des symboles vierges, caractéristiques, inconnus à nos ancêtres et propres à frapper les regards qui ont désappris de voir les choses familières10.
- 11 « Dans l’esprit de Gallé, cette passion pour la botanique et la recherche des mécanismes de l’évolu (...)
- 12 « Émile Gallé n’est pas un simple botaniste. Il cherche jusqu’à sa mort à comprendre par quels méca (...)
- 13 « Par contre, la nature, qui, elle, ne fournit pas les festons et les astragales, prête à l’artiste (...)
- 14 D’où la nécessité de bien connaître les bases de la botanique : « Le décorateur qui connaîtra le vo (...)
4Les « formes » sont « nouvelles » parce qu’elles correspondent à des espèces végétales ou animales venues de l’étranger ou parce qu’elles sont le fruit d’une sélection artificielle pratiquée par les hommes. Dans tous les cas il est nécessaire de les étudier et de les connaître : l’artiste attentif à la nature est alors amené à se faire scientifique11. Gallé était bien plus qu’un horticulteur averti, c’était un chercheur, dont on reconnaît aujourd’hui la qualité et l’originalité du travail12. Cette attention rigoureuse portée aux formes naturelles permet de comprendre pourquoi Gallé raille les « salmigondis » ou « vermicelles » de l’école parisienne, sorte de caricature du modèle naturel13. Pour l’œil du biologiste, les outrances de l’Art nouveau parisien se présentent en effet comme des formes déréglées, sans lien avec ce que la nature peut offrir. Il est inutile et ridicule de vouloir singer la nature en la déformant : les « faiseurs » tombent dans l’hubris en oubliant le modèle naturel. Pour l’École de Nancy, dont la devise pourrait être : « Rien de trop », la nature est à la fois modèle et principe de mesure14.
5Or prêter attention au divers des formes ne suffit pas ; encore faut-il réglementer leur usage dans la décoration : plantes et animaux ne doivent pas en effet être associés de manière arbitraire à n’importe quel objet. L’usage du répertoire naturel doit donc correspondre à un besoin de l’homme :
- 15 Émile gallé, « Le mobilier contemporain orné d’après la nature », dans L’Amour de l’art, op. cit., (...)
Imaginons un meuble à sécher les cigares. Irons-nous, pour l’orner, chercher les acanthes et compulser les décors architecturaux, le Parthénon, Reims et Versailles ? Moins prétentieuse et plus indiquée peut-être serait une modeste étude sur les formes d’un plan de tabac. La tige, la fleur élégante, la capsule, la feuille surtout de ces Solanées présenteront une variété bien suffisante de formes et de caractères pour vêtir trois pieds, décorer pittoresquement une tablette et ciseler un bouton de tiroir15.
- 16 Philippe garder, op. cit. p. 88.
6« Le décorateur devrait choisir, dans la conception d’un meuble, un thème qui suggère sa raison d’être, sa fonction16. » Le « coffret à cigares » doit « suggérer » l’usage en instaurant une continuité entre l’ornement et la fonction de préservation du tabac. Le rapport entre l’usage et l’ornement n’est pas accidentel, purement fortuit, comme cela aurait été le cas si le pot à tabac avait eu la forme du Parthénon, mais essentiel car la forme rappelle ce qu’elle contient, les cigares, et par suite sa fonction, à savoir la conservation du tabac. L’ornement intégré dans la structure même de l’objet cesse du même coup d’être un élément superflu et comme rapporté du dehors, il est constitutif de la cause formelle de l’objet.
- 17 Le spécialiste Roger-Henri Guerrand souligne en effet chez Gallé la tendance, en apparente contradi (...)
- 18 Nous faisons référence à une œuvre de Louis Majorelle exposée au Musée de l’École de Nancy.
7Or dans les réalisations de l’École de Nancy le lien entre la forme et la fonction n’est pas toujours aussi facile à établir17 : quel usage de l’objet les libellules intégrées dans la table à thé suggèrent-elles ? De la même façon, quel lien peut-il y avoir entre des nénuphars et un ensemble de bureau18 ? L’École de Nancy ne se rend-elle pas coupable à son tour d’une forme d’hubris ?
- 19 Nous n’oublions pas l’importance de la dimension symbolique, notamment chez Gallé, mais nous voudri (...)
8Nous faisons l’hypothèse que ce n’est pas seulement l’observation des formes végétales ou animales qui auraient inspiré Gallé et ses émules, ou le désir de créer un décor signifiant19, mais, plus généralement, la nature elle-même comme « force formatrice », telle que Kant la définit :
- 20 Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, Paris, Gallimard, Édition publiée sous la direction (...)
Un être organisé n’est donc pas une simple machine, car celle-ci dispose exclusivement d’une force motrice ; mais l’être organisé possède en soi une force formatrice qu’il communique aux matériaux qui n’en disposent pas (il les organise), force motrice qui se transmet donc et qui n’est pas explicable par le simple pouvoir du mouvement (le mécanisme)20.
- 21 Jacques Darriulat, http://www.jdarriulat.net/Auteurs/Kant/Kantfondateur/KantFondateur6.html, § 11, (...)
9Dans l’organisme, il n’y a pas de parties juxtaposées comme dans une machine, mais intégration des organes dans une fin commune qui n’est autre que la vie de l’ensemble. Cette intégration est rendue possible par un pouvoir d’organisation propre à l’organisme vivant. La force formatrice est en effet la capacité, dans l’être organisé, de conférer une unité à toutes les parties en vue de conserver le tout : elle est ce par quoi il persévère dans son être. Jacques Darriulat la définit comme une « pulsion vivante propre à la matière organisée21 ». Le terme « formation » suggère que l’organisme a la capacité de se donner une forme selon une dynamique interne.
- 22 « Certains sont d’avis que la nature et la substance des êtres qui sont par nature est le constitua (...)
10Aube et Crépuscule, le lit réalisé par Gallé pour une commande, suggère bien l’idée d’une finalité interne et l’action d’une force formatrice, tant le lit, dont la forme rappelle celle du papillon, semble prendre appui pour s’envoler. À tel point que si on l’enterrait, on pourrait croire que ce ne serait pas du bois qui repousserait, mais un être vivant autonome. Tout se passe comme si Gallé et ses émules s’étaient donné pour objectif de faire mentir la fable d’Antiphon rapportée par Aristote au livre II de la Physique22. D’après cette expérience de pensée, à supposer qu’un lit enterré puisse pousser, ce n’est pas un lit mais du bois qui sortirait de terre, car la forme lit n’est qu’une configuration accidentelle, imposée par une force extérieure à la matière : la volonté humaine. Les réalisations de l’École de Nancy parviennent au contraire à suggérer l’idée d’une union naturelle entre forme et matière, et par suite la présence d’un principe interne d’organisation.
11Le primat accordé à l’expression de la force formatrice fait passer au second plan le souci de la précision. La représentation de la nature doit certes être fidèle, mais elle ne doit pas consister en une reproduction photographique désincarnée, sous peine de manquer son but. Elle doit émouvoir en exprimant la vie :
- 23 Émile Gallé, « Le décor symbolique », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 64-65.
Mais qui ne conçoit que l’artiste, penché à reproduire la fleur, l’insecte, le paysage, la figure humaine, et qui cherche à en extraire le caractère, le sentiment contenu, fera une œuvre plus vibrante et d’une émotion plus contagieuse que celui dont l’outil ne sera qu’un appareil photographique, ou qu’un froid scalpel ? Le document naturaliste le plus scrupuleux, reproduit dans un ouvrage scientifique, ne nous émeut pas, parce que l’âme humaine en est absente23.
- 24 « C’est dans ses études que l’artiste décorateur doit s’appliquer à une notation rigoureuse. Mais i (...)
Le « scalpel » de celui qui privilégie la précision à l’« émotion » tue car il dissèque : au lieu de prêter attention à la forme générale de l’organisme, il introduit des séparations artificielles entre les parties du vivant, analysé et décomposé comme pourrait l’être une machine. La précision anatomique doit céder le pas à une forme de « synthèse24 » plus conforme à la perception que nous avons de l’être vivant, qui apparaît d’abord sous sa forme globale, laquelle est irréductible à la somme de ses parties.
- 25 Ainsi dans la salle à manger de Vallin présentée au musée de l’École de Nancy, on peut avoir la sen (...)
12De même que la précision anatomique doit céder le pas à la vie, la fonction technique exprimée par la structure est transcendée par la forme organique. Dans l’Art nouveau, et en particulier chez Gallé, ce n’est donc pas tant l’esthétique qui sacrifie à l’utile que l’utile qui sacrifie à la forme organique. Sinon comment expliquer le caractère baroque de certains ornements, parfaitement inutiles du point de vue de l’utilisateur, mais essentiels à l’unité de la forme ? Pour peu qu’on les envisage comme les parties organiques d’un tout, les ornements expriment leur caractère de nécessité. Le phagocytage de la fonction par la forme organique permet sans doute d’expliquer le caractère un peu oppressant de certaines réalisations25.
13Dans son travail, l’artisan doit tenir compte du fait que la matière du vivant est irréductible au jeu des forces physiques. Or il apparaît rapidement que ce projet d’artefact organique se présente comme une gageure : les moyens employés ne sont-ils pas étrangers par essence à la fin qui leur est assignée ? Le problème se présente en ces termes : comment suggérer la force formatrice avec les moyens de la technique ?
L’art nouveau comme imitation de la technique de la nature
- 26 Émile gallé, « Le mobilier contemporain orné d’après la nature », dans L’Amour de l’art, op. cit., (...)
14Il y a chez Gallé une véritable théorisation du meuble comme totalité organique. Le fondateur de l’École de Nancy affirme en effet que les meubles doivent être considérés comme des « conceptions vivantes, issues de l’observation des organismes26 » :
- 27 Ibid., p. 346.
Voici donc notre idéal réalisé : le meuble traité comme un corps nu, orné du bon équilibre de sa structure, de ses organes épanouis comme ceux de l’animal ou du végétal, en leurs nerfs, en leurs chairs, pelages, plumages, tissus, membranes, écorces, en leur bourgeonnement, floraison, fructification ; voilà le labeur de statuaire, l’œuvre d’intellectualité, de vérité, de liberté – œuvre de tact, difficile, durable et belle – que nous préconisons, que nous proposons à nos propres et derniers efforts27.
15Le meuble n’est pas un assemblage de parties disparates, comme c’était le cas dans les styles précédents, mais une totalité dans laquelle les éléments, aussi variés qu’ils puissent être, concourent à l’harmonie générale. Il est un tout dont la confection doit à l’ingéniosité de l’artisan, qui imitera dans la nature ce qu’il y a de plus efficace et de plus beau.
16Or le souci de l’unité organique se heurte rapidement au problème des raccords : l’ébéniste doit en effet assembler des pièces qu’aucun lien ne relie a priori. La réalisation de l’« idéal » organique de Gallé semble contrariée : comment la technique peut-elle raccorder de manière naturelle ce qui n’a pas de lien organique ? Voici la réponse apportée par le fondateur de l’École de Nancy :
Je me suis préoccupé, à mon tour, de traiter avec naturel les raccords. Je me suis demandé comment la nature avait résolu le problème. De bien des façons, suivant les règnes, les familles, les matières et les fonctions organiques.
Et d’abord, dans les végétaux, dans un grand nombre de cas, il n’y a pas de lignes ni de nœuds de suture entre les axes et les expansions latérales, ni de solution de continuité apparente : les organes confluent et découlent l’un de l’autre. Les modelés sont poussés jusqu’au bout et filent d’un seul élan comme dans certains types du style Louis XV et du Modern Style, naturels au moins en cela.
- 28 Ibid., p. 344. Émile Gallé consacre plusieurs pages à ce problème. Nous n’en donnons ici qu’un bref (...)
J’ai usé parfois librement moi-même de ce mode, lorsque j’ai transposé dans l’industrie du meuble les caractères de certaines monocotylédones dont la tige est annuelle, sans arrêt de croissance jusqu’à l’inflorescence terminale28.
17L’Art nouveau proscrit tout assemblage mécanique : les éléments doivent être intégrés dans l’œuvre de façon à donner l’impression d’une unité organique sur le modèle de la plante ou de l’animal. Dans le meuble – mais cela vaut également pour les réalisations architecturales – cela se manifeste par l’aménagement d’une continuité entre les parties afin d’effacer tout ce qui pourrait laisser croire à un assemblage artificiel entre deux éléments. Ainsi, plutôt que de souligner la rupture entre les pieds d’un meuble et sa partie supérieure, on cherche à l’atténuer afin de donner l’impression d’une transition naturelle entre deux organes, comme celle que l’on trouve par exemple entre la racine et la tige de la plante. L’imitation de l’unité organique implique également le recours à la courbe plutôt qu’à la ligne droite pour suggérer la continuité des parties, et par suite le mouvement vital. Ajoutons à cela l’emploi de la dissymétrie qui permet de renforcer l’unité d’ensemble en suggérant un développement naturel semblable à celui de la croissance.
- 29 « De la flore lorraine, nous avons tiré des applications à nos métiers. Nous avons cherché à déduir (...)
- 30 Émile gallé, « Le style du mobilier contemporain orné d’après la nature », dans L’Amour de l’art, o (...)
- 31 Il y a là un enjeu social et politique qui a son importance mais que nous ne pouvons développer ici (...)
18Dans ce texte, Gallé considère que les difficultés d’ordre technique trouvent leur solution dans l’observation des procédés de la nature. L’artisan est en effet encouragé à regarder la manière dont la nature s’y prend pour envelopper, protéger, lier entre elles sans les souder les parties de l’être vivant. Il ne s’agit donc pas de reproduire l’être vivant à la manière de Vaucanson, mais bien de s’inspirer des multiples procédés que la nature a mis en place pour lier et subordonner les parties au tout. La nature semble proposer des usages possibles de la matière pour assembler les organes et construire les êtres. Le rôle de l’artisan est alors de « transposer » « les méthodes29 » qu’il observe dans la nature dans son propre travail. « Transposer » ne signifie pas reproduire de manière mécanique, mais imiter en ajustant, c’est-à-dire en tenant compte des spécificités de la matière. Ailleurs Gallé affirme que l’Art nouveau n’est autre que « la traduction pas à pas des artifices décoratifs de la nature elle-même30 ». Le verbe « traduire » suggère, outre l’idée de signification, celle de l’orientation vers une fin qui pourrait être l’animation du vivant. On comprend que les moyens employés ne peuvent pas être étrangers à la fin qui est visée dans la mesure où c’est la nature elle-même qui paraît faire usage de procédés techniques, de sorte que le travail de l’artisan s’inscrit dans le prolongement de celui de la nature31. C’est donc par l’imitation de ce que Kant appelle la « technique de la nature » que l’artisan parvient à suggérer la présence d’une force formatrice dans son œuvre :
- 32 Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, op. cit., p. 47.
La causalité de la nature, à l’égard de la forme de ses produits comme fins, je l’appellerais la technique de la nature. Elle s’oppose à la mécanique de la nature, laquelle consiste en sa causalité par la liaison du divers, sans qu’il y ait un concept au fondement de l’espèce d’unification qu’elle accomplit32.
- 33 « Donc, la faculté de juger se fait elle-même a priori un principe de la technique de la nature pou (...)
19Même si, à notre connaissance, Gallé, ni aucun des maîtres de l’Art nouveau nancéien, ne se réfère explicitement à Kant, il semblerait – les textes de Gallé autorisent cette interprétation – que l’imitation de la technique de la nature ait permis tout à la fois le renouvellement du répertoire des formes et servi de fil directeur au travail de l’artisan, pour qui la nature apparait comme un maître à imiter, ou, mieux, un art qui parvient à trouver des solutions aux difficultés techniques, l’ingéniosité que l’esprit humain décèle dans la nature servant alors de modèle à l’intelligence technicienne. La finalité sans fin aurait ainsi inspiré à Gallé et à d’autres la conception de nombre de leur productions, donnant lieu à une réflexion de la réflexion : les techniques humaines s’inspirent de la technique de la nature que la faculté de juger perçoit dans la nature33. La redéfinition de l’Art nouveau comme imitation de la technique de la nature permet de l’appréhender comme un paradigme dans le domaine des arts décoratifs : le modèle naturel vient se substituer à l’ancien modèle architectural, devenu défaillant dans sa technique – rapiécer des formes disparates ou les fondre en un bloc figé – et inapte à exprimer la sensibilité et les pensées de l’époque.
L’élan vital ou la forme débordée
- 34 On peut rappeler ici que l’Art Nouveau est contemporain du cinéma : « La fin du xixe siècle a appor (...)
20Le changement de paradigme apporté par l’imitation de la technique de la nature accorde une place inédite au mouvement34 : car ce n’est pas tant la forme naturelle que reproduit l’Art nouveau (les styles antérieurs l’ont déjà fait) que l’éclosion même de la forme. Autrement dit c’est moins la forme comme terme d’un devenir que le devenir forme qui importe, soit le travail d’engendrement de la nature. Cette dernière n’est donc pas conçue comme un répertoire de formes fixes, mais comme un ensemble de formes en formation irréductibles au concept.
- 35 Christophe Bardin, « Gallé/Daum, deux approches différentes du végétal comme source d’inspiration » (...)
- 36 Céramique lorraine. Chefs d’œuvres des xviiie et xixe siècles, Conseil régional de Lorraine, Metz, (...)
- 37 Émile gallé, « L’École de Nancy à Paris », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 197.
- 38 Ibid.
- 39 Henri Bergson, L’évolution créatrice, Paris, Puf, collection « Quadrige », IIe édition, 2007, p. 30 (...)
21Cet intérêt pour le travail de la forme se donne à voir chez Gallé notamment dans le travail du verre : « L’œuvre doit permettre de restituer la complexité et la beauté de la nature et le mouvement suggéré sur les vases est l’expression plastique du ’’flux vital qui parcourt tout organisme vivant’’35 ». L’intérêt pour le mouvement de la vie se traduit aussi par l’attention à la forme qui se défait, comme on peut le voir dans une cruche en forme de courge, pièce de céramique conçue par Ernest Bussière et réalisée avec la faïencerie Keller et Guérin : « La forme marquée par de nombreuses gibbosités et la couverte de ton sombre, maculée de brun, laissent supposer que le fruit est en fin de maturité36. » De fait c’est bien l’être vivant, qui croît et se transforme, et non le concept figé ou l’étude anatomique, que l’artisan doit prendre en considération : l’École de Nancy privilégie « l’observation scientifique des modèles vivants37 » et en fait son « principe38 » fondamental. Or ce qui se donne à voir dans le vivant, c’est moins l’acheminement vers la forme qu’un processus de formation qui n’est jamais fini, du moins tant que dure le vivant. En d’autres termes le vivant donne à voir la forme affranchie du concept, par excès ou par défaut, comme dans les cruches en forme de courge de Bussière. On pourrait peut-être déceler, dans cette attention et cette fascination pour ce que l’on pourrait appeler la vie de la forme, une préfiguration de l’élan vital que Bergson conceptualisera après la mort de Gallé. En suggérant le mouvement de la vie, notamment la croissance, les réalisations de l’Art nouveau phénoménalisent la forme en devenir, soit la création même d’une forme instable que le concept ne peut entièrement présager. L’Art nouveau semble avoir pris acte du fait que « la forme n’est qu’un instantané pris sur une transition39 ». Il y a là ce que l’on pourrait appeler un débordement de la forme, si on entend par là le mouvement par lequel la forme se renouvelle. Renouvellement ne signifiant pas actualisation d’une essence, mais avènement d’une configuration que l’on ne pouvait anticiper, soit le processus même de la création artistique :
- 40 Ibid., 340.
La germination et la floraison de cette forme s’allongent en une irrétrécissable durée, qui fait corps avec elles. De même pour les œuvres de la nature. Ce qui y paraît de nouveau sort d’une poussée intérieure40.
- 41 Henri Bergson, op. cit., p. 254-255.
- 42 Il y a sans doute quelques exceptions à cela : on peut songer par exemple au mobilier élancé de Ren (...)
22Les processus végétaux de la « germination » et de la « floraison » décrivent l’émergence de la forme dans la création artistique, montrant ainsi que cette dernière est indissociable du processus qui la fait naître. Or ce processus connaît des accidents : aussi est-ce la courbe, avec tout ce qu’elle peut comporter d’accidentel, qui correspond le mieux à l’image que l’on peut se faire de l’élan vital. Lorsqu’il se manifeste en effet, l’élan vital est littéralement torturé : « Le mouvement qu’il exprime est tantôt dévié, tantôt divisé, tantôt contrarié, et l’évolution du monde organisé n’est que le déroulement de cette lutte41 ». Or l’Art nouveau est bien un art de la courbe42 : les détours, les retours, les asymétries inattendues et parfois fantasques concrétisent aussi bien la spontanéité du mouvement naturel que les « contrariétés » qu’il subit. L’Art nouveau paraît donc bien donner à voir l’effort de l’élan vital et la genèse torturée des formes, produits transitoires d’un affrontement.
Notes
1 « D’une certaine façon, la vigueur de l’ensemble lui assure une beauté certaine, mais on sent partout quelque chose de plus qu’une simple solution esthétique, chaque détail se justifiant en effet du point de vue fonctionnel. La courbure globale du meuble fait répons à l’envergure des bras de l’utilisateur, la finition plastique du bord arrière sert tout autant à renforcer l’ensemble qu’à y déposer les ustensiles d’écriture […]. Dans ce meuble, le formel et le fonctionnel entrent ainsi en symbiose. On ne saurait y reconnaître la subordination de l’un par rapport à l’autre, mais plutôt une intensification réciproque de leurs dynamiques. Tout y est à la fois ornement et élément constitutif répondant à sa finalité. […] Par la forme courbe et le jeu mouvant des lignes, l’artiste entend fasciner l’utilisateur et l’attirer sous son charme. Le meuble affiche sa qualité, mais aussi combien il doit être agréable d’y travailler. » (Klaus-Jürgen semBaCh, L’Art nouveau, Paris, Cologne,Taschen, 2010, p. 24 et 26-27).
2 Voir l’ouvrage d’Eugène grasset, La plante et ses applications ornementales, publié en 1896, « grammaire française de l’Art nouveau » (l’expression est de Bernard Champigneulle).
3 Il s’agit de « réduire la vision du réel à une sorte de schéma, à des plages de couleurs presque uniformes rigoureusement encloses dans des lignes de contours » (Bernard ChamPigneulle, L’Art nouveau. Art 1900, Modern Style, Jugenstjl, Paris, Somogy, 1972).
4 Ibid.
5 Ibid.
6 « En 1908, dans la première édition posthume des écrits de son mari, Madame Gallé justifiera l’inclusion de longs extraits d’études botaniques, sous le titre : Écrits pour l’Art, en écrivant que si Gallé avait été à l’origine d’une renaissance des arts décoratifs, c’est parce que sa vie durant, il avait étudié la nature à la fois en artiste et en homme de science. » (Philippe Garder, Émile Gallé, Paris, Flammarion, 1990, p. 29) « Préoccupations scientifiques et préoccupations artistiques sont intimement mêlées chez Émile Gallé ; dans son esprit, elles ne forment qu’une seule entité. » (François Le Tacon, « De la botanique à l’art », dans Émile Gallé, l’amour de la fleur. Les écrits horticoles et botaniques du maître de l’Art nouveau, édition établie et commentée par François Le Tacon et Pierre Valck, Nancy, Éditions Place Stanislas, p. 315).
7 À titre d’exemple, Gallé, qui s’intéresse de près aux orchidées, « va produire toute une série de vases à décor d’Ophrys fuciflora ou d’Ophrys frelon, dont il va représenter les variants ainsi qu’une forme ancestrale. Il représente aussi, mais moins souvent, Ophrys insectifera ou Ophrys mouche. Gallé va aussi représenter les hybrides qu’il étudie scientifiquement avec passion, et en particulier l’hybride Ophrys mouche x Ophrys frelon, encore appelé Ophrys devenensis. » (François Le Tacon, op. cit., p. 322).
8 « Ce fut l’un des meilleurs élèves du lycée de Nancy, remportant chaque année, depuis la seconde jusqu’à la classe de philosophie, tous les premiers prix de narration et de discours français et latin. » (Roger-Henri guerranD, L’Art nouveau en Europe, Paris, Éditions Perrin, « Tempus », p. 113). « À l’âge de seize ans, après avoir quitté le lycée de Nancy, Émile Gallé alla poursuivre ses études en Allemagne. Pendant quatre ans (1862-1866), en particulier à Weimar comme élève d’un certain professeur Jade. » (Philippe garDer, Émile Gallé, op. cit., p. 16).
9 « Cet âge, surprenant, admirable à tant d’égards, a prétendu produire du décor, en inonder industriellement et commercialement le monde, et cela dans des conditions bien spéciales, bien fâcheuses ; les exécutants de ces décors actuels n’ont guère pu, comme leurs ancêtres, apprécier la pure joie de l’ouvrier amoureux de son œuvre ; le compositeur lui-même s’est traîné dans de serviles imitations du passé, copies dont la pensée était absente, dont le symbole, créé par d’autres âges, est incompris du nôtre, et répond à d’autres besoins, à une autre conception de la vie. » (Émile gallé, « Le décor symbolique », dans L’amour de l’art. Les écrits artistiques du maître de l’Art nouveau, édition établie et commentée par François le tacon, Nancy, Éditions Place Stanislas, 2008, p. 67).
10 Ibid.
11 « Dans l’esprit de Gallé, cette passion pour la botanique et la recherche des mécanismes de l’évolution formait un tout harmonieux avec sa passion pour la création artistique. […] Dans le manuscrit consacré aux orchidées lorraines, Émile Gallé y décrit minutieusement l’ovaire torsadé d’une orchidée, Orchis militaris, et le dessine avec tout autant de précision. En même temps, il imagine une utilisation possible en ébénisterie, évoquée dans une courte note annexée à la description scientifique : « Dessiner à part la délicieuse petite colonnette que je ferai d’ailleurs grandir pour donner au tourneur en bois et sculpteur ». Le texte scientifique porte également l’annotation suivante : « remarque, modèle de colonne et piètement », […] » (François Le Tacon, « Émile Gallé, la botanique et les idées évolutionnistes à Nancy à la fin du xixe siècle », dans Annales de l’Est, En hommage à Émile Gallé, Actes du colloque organisé par l’Académie de Stanislas 28-29 septembre 2004, édités sous la direction de François le taCon, p. 90).
12 « Émile Gallé n’est pas un simple botaniste. Il cherche jusqu’à sa mort à comprendre par quels mécanismes la vie a évolué et donné naissance à cette infinie diversité. À la fin du xixe siècle, la pensée scientifique d’Émile Gallé se situe au niveau de celle des plus grands. Il poursuit l’œuvre des penseurs évolutionnistes du xixe siècle, Lamarck, Goethe et Darwin. Il a pour ambition d’établir la phylogénie de certaines familles, comme celle des orchidées, et pour objectif de déterminer comment une espèce peut dériver d’une autre. Enfin, il décrit clairement les mutations et comprend, le premier ou un des premiers, le rôle qu’elle peuvent jouer dans l’évolution des espèces. » (François le taCon, « Émile Gallé, la botanique et les idées évolutionnistes à Nancy à la fin du xixe siècle », dans Annales de l’Est, En hommage à Émile Gallé, op. cit., p. 90-91).
13 « Par contre, la nature, qui, elle, ne fournit pas les festons et les astragales, prête à l’artiste bien d’autres choses que les lombrics et les ténias, les pseudos-varechs et les vermicelles affolés dont on a pensé faire, avec beaucoup de talent, à l’occasion de 1900, un berceau où abriter le vingtième siècle, un style helminthique et « larveux ». Si c’est là le mobilier moderne, nous consentons à reprendre la perruque et la queue. » (Émile gallé, « Le mobilier contemporain orné d’après la nature », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 338).
14 D’où la nécessité de bien connaître les bases de la botanique : « Le décorateur qui connaîtra le vocabulaire phytographique, c’est-à-dire les termes précis qui définissent les formes, sera à même de se prémunir contre les tendances fâcheuses à la déformation. […] Donc, l’étude botanique empêchera l’artiste d’oublier les exquises créations naturelles. » (Émile gallé, « De la nécessité des notions physiologiques pour le compositeur désireux de créer une ornementation en harmonie avec la diffusion moderne des sciences naturelles », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 143).
15 Émile gallé, « Le mobilier contemporain orné d’après la nature », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 339.
16 Philippe garder, op. cit. p. 88.
17 Le spécialiste Roger-Henri Guerrand souligne en effet chez Gallé la tendance, en apparente contradiction avec les principes de l’Art nouveau, à privilégier la forme à la fonction : « Il a fallu que tous les végétaux se transforment en meubles, la plupart du temps au détriment de cette commodité dont le maître aimait à dire qu’elle était indispensable » (L’Art nouveau en Europe, op. cit., p. 121).
18 Nous faisons référence à une œuvre de Louis Majorelle exposée au Musée de l’École de Nancy.
19 Nous n’oublions pas l’importance de la dimension symbolique, notamment chez Gallé, mais nous voudrions explorer une autre hypothèse.
20 Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, Paris, Gallimard, Édition publiée sous la direction de Ferdinand Alquié, « II. Analytique du jugement téléologique », § 65, 1985, p. 338.
21 Jacques Darriulat, http://www.jdarriulat.net/Auteurs/Kant/Kantfondateur/KantFondateur6.html, § 11, [consulté le 05/X/2021].
22 « Certains sont d’avis que la nature et la substance des êtres qui sont par nature est le constituant interne premier de chaque chose, par soi dépourvu de structure, par exemple que d’un lit la nature c’est le bois, d’une statue l’airain. Un indice en est, dit Antiphon, que, si on enterrait un lit, et si la putréfaction acquérait la puissance de faire pousser un rejet, ce n’est pas un lit qui viendrait à l’être mais du bois, parce que, d’après lui, ce qui lui appartient par accident c’est la disposition conventionnelle que lui a donnée l’art, alors que sa substance c’est cette réalité qui, continûment, perdure tout en subissant cela. » (aristote, Physique, II, 1, 193a, l. 5-15, trad. P. Pellegrin, Paris, GF Gallimard, 2e édition revue, 2002).
23 Émile Gallé, « Le décor symbolique », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 64-65.
24 « C’est dans ses études que l’artiste décorateur doit s’appliquer à une notation rigoureuse. Mais il convient, en général, dans le mobilier, que cette information reste à l’état latent, synthétique. Il ne s’agit pas de transformer le fauteuil en une pièce d’anatomie. » (Émile gallé, « Le mobilier contemporain orné d’après la nature », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 340).
25 Ainsi dans la salle à manger de Vallin présentée au musée de l’École de Nancy, on peut avoir la sensation que c’est nous-mêmes qui allons être digérés, et servir ainsi de repas.
26 Émile gallé, « Le mobilier contemporain orné d’après la nature », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 338.
27 Ibid., p. 346.
28 Ibid., p. 344. Émile Gallé consacre plusieurs pages à ce problème. Nous n’en donnons ici qu’un bref aperçu.
29 « De la flore lorraine, nous avons tiré des applications à nos métiers. Nous avons cherché à déduire de la nature les méthodes, les éléments et le caractère propres à créer un style moderne d’ornementation, […]. » (Émile Gallé, « L’École de Nancy à Paris », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 198).
30 Émile gallé, « Le style du mobilier contemporain orné d’après la nature », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 346.
31 Il y a là un enjeu social et politique qui a son importance mais que nous ne pouvons développer ici. Le modèle de l’artefact organique implique en effet une organisation sociale du travail qui passe par l’abolition de la division des tâches : « l’ouvrier, l’exécutant, ne sera plus réduit à l’état de machine et ne connaîtra plus ce hard labour de réaliser, à la sueur du front, des parties de l’œuvre d’autrui sans en pouvoir embrasser l’ensemble » (Émile Gallé, « Le mobilier contemporain orné d’après la nature », dans L’Amour de l’art, op. cit. p. 335).
32 Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, op. cit., p. 47.
33 « Donc, la faculté de juger se fait elle-même a priori un principe de la technique de la nature pour sa réflexion, sans pouvoir cependant l’expliquer ou la déterminer plus avant, ou sans avoir pour cela un fondement objectif de détermination des concepts universels de la nature (provenant d’une connaissance des choses en elles-mêmes) : au contraire, elle se fait ce principe uniquement pour pouvoir réfléchir d’après ses propres lois subjectives, suivant son besoin, mais néanmoins en accord en même temps avec les lois de la nature en général. » ibid., p. 41.
34 On peut rappeler ici que l’Art Nouveau est contemporain du cinéma : « La fin du xixe siècle a apporté deux nouveautés au monde : le cinéma et l’Art Nouveau. […]. Si l’origine des deux phénomènes remonte à un fait commun, ce sera en premier lieu la fascination d’un mouvement qui avait déjà conquis presque tous les domaines de la vie. L’accélération croissante du trafic, de l’efficacité mécanique et des possibilités de l’action humaine ne pouvait plus laisser personne indifférent. Refléter cet élément dynamique constituait l’un des premiers propos du cinéma, tandis que sa sublimation esthétique représentait la spécificité de l’Art Nouveau. » (Klaüs-Jurgen Sembach, op. cit., p. 8).
35 Christophe Bardin, « Gallé/Daum, deux approches différentes du végétal comme source d’inspiration », https://books.openedition.org/pus/3315?lang=fr , [consulté le 29/X/2021]. Christophe Bardin cite P.Thiebault, « La régression vers le végétal et l’aquatique », Catalogue de l’exposition 1900, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 14 mars-26 juin 2000, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2000, p. 274.
36 Céramique lorraine. Chefs d’œuvres des xviiie et xixe siècles, Conseil régional de Lorraine, Metz, Éditions serpenoises, Presses universitaires de Nancy, p. 314.
37 Émile gallé, « L’École de Nancy à Paris », dans L’Amour de l’art, op. cit., p. 197.
38 Ibid.
39 Henri Bergson, L’évolution créatrice, Paris, Puf, collection « Quadrige », IIe édition, 2007, p. 302.
40 Ibid., 340.
41 Henri Bergson, op. cit., p. 254-255.
42 Il y a sans doute quelques exceptions à cela : on peut songer par exemple au mobilier élancé de Rennie Mackintosh. Mais notre propos concerne avant tout l’École de Nancy.
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Référence papier
Lucie Jeanguyot, « L’art nouveau de l’école de Nancy : usages du jugement réfléchissant et débordement de la forme », Philosophique, 25 | 2022, 57-67.
Référence électronique
Lucie Jeanguyot, « L’art nouveau de l’école de Nancy : usages du jugement réfléchissant et débordement de la forme », Philosophique [En ligne], 25 | 2022, mis en ligne le 22 février 2023, consulté le 01 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/philosophique/1664 ; DOI : https://doi.org/10.4000/philosophique.1664
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