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Sur quelques spécificités du discours critique kantien : la philosophie de la philosophie dans la Critique de la raison pure

Laurent Perreau
p. 9-28

Texte intégral

  • 1 Immanuel Kant, Critique de la raison pure, trad. A. Renaut, Paris, GF-Flammarion, 2006 (abrégé CRP) (...)
  • 2 Immanuel Kant, Critique de la raison pratique, trad. J.-P. Fussler, Paris, GF-Flammarion, 2003 (abr (...)
  • 3 Immanuel Kant, Critique de la faculté de juger, trad. A. Renaut, Paris, GF-Flammarion, 2000 (abrégé (...)

1Comment lire Kant ? Et plus précisément, comment aborder l’imposant massif constitué des trois sommets philosophiques que sont la Critique de la raison pure (1781/1787)1, la Critique de la raison pratique (1788)2 et enfin la Critique de la faculté de juger (1790)3 ? Cette seconde question, ainsi recentrée sur la période critique de la philosophie kantienne, n’est en rien une simplification et la réponse qu’on peut lui apporter est loin d’être univoque. En effet, il est manifeste que la question des modalités de lecture du discours critique kantien peut être instruite de diverses manières.

  • 4 On recommandera bien sûr ce formidable instrument qu’est le Kant-Lexikon (Rudolf Eisler Kant-Lexiko (...)
  • 5 Cette difficulté est d’emblée évoquée dans la sévère « recension de Göttingen » due à Garve et Fede (...)

2Selon une première compréhension, cette question est tout d’abord celle qui surgit devant le constat de l’indéniable difficulté des textes. On peut le concéder : celle-ci fait d’emblée obstacle et elle peut rapidement rebuter le lecteur. Cette difficulté tient en grande partie à la technicité extrême de la philosophie kantienne, dont on ne peut s’accommoder qu’en adoptant une lecture patiente, rigoureuse et progressive : il faut lire Kant en faisant l’apprentissage d’une langue nouvelle, c’est-à-dire en élaborant un lexique fondé sur les définitions de Kant4 et en misant sur des acquis théoriques que l’on pourra tenir pour stables, et qui permettront d’aller plus loin dans le détail de l’argumentation. Mais cette difficulté est encore compliquée par la longueur des textes. Sous cette perspective, la question « Comment lire les trois Critiques ? » peut encore être comprise comme une invitation à la réflexion nécessaire que lecteur doit entreprendre sur lui-même, en considérant les conditions subjectives requises pour telle entreprise : le temps consacré aux textes, l’attention extrême de l’esprit, la capacité à ne pas perdre de vue l’essentiel d’une démonstration qui se déploie à différents niveaux, l’endurance enfin, qui sont autant de conditions ou d’aptitudes qui se trouvent requises pour lire Kant effectivement et qui ne doivent pas être sous-estimées5.

  • 6 Immanuel Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, trad (...)
  • 7 Immanuel Kant, « Fondation de la métaphysique des mœurs », Métaphysique des mœurs, vol. I, trad. A. (...)
  • 8 À titre d’exemples, on pourra conseiller Michèle CrampE-Casnabet, Kant. Une révolution philosophiqu (...)
  • 9 Pour ce qui concerne la Critique de la raison pure, il conviendra par exemple de lire attentivement (...)

3Sur un plan plus proprement méthodologique, la question évoquée peut devenir celle des prérequis à la lecture des trois Critiques. Il faudra alors identifier les textes supposés plus accessibles qui feront office d’introductions, de préambules ou de terrains d’exercice : on recommandera par exemple de lire les Prolégomènes à toute métaphysique future6 avant la Critique de la raison pure ou encore la Fondation de la métaphysique des mœurs7 avant la Critique de la raison pratique. La question peut aussi nous inviter à considérer des discours ou textes auxiliaires qui initieront le lecteur et soutiendront son effort, qu’il s’agisse de cours ou d’ouvrages de la littérature secondaire qui se présentent comme autant d’introductions8. Enfin, la question du « comment ? » appelle celle du commencement, et avec elle, celle du repérage des textes-clés qui pourront permettre de saisir les tenants et les aboutissants de la démarche critique kantienne9.

  • 10 Rappelons à cet égard l’insistance de Kant relativement à la nécessité et à l’« utilité négative » (...)

4Les réponses apportées, théoriquement et pratiquement, à ces différentes questions, sont bien sûr déterminantes pour la qualité de l’expérience de lecture qui sera celle du philosophe apprenti ou confirmé qui entend se confronter aux textes fondamentaux de la philosophie kantienne et, au-delà, pour l’intelligence que l’on peut en avoir. Elles concernent tout à la fois la discipline personnelle du lecteur10 et les instruments méthodologiques qui sont à sa disposition pour soutenir l’effort de lecture. Néanmoins ces premières réponses apportées à la question « Comment lire les trois Critiques ? » se situent encore sur un plan pratique qui est en-deçà d’un plan plus proprement théorique, qui doit pour sa part faire pleinement droit aux spécificités philosophiques, argumentatives et plus généralement discursives du texte kantien. Car ce qui fait la difficulté véritable des textes kantiens, ce sont aussi la nouveauté et les particularités d’une discursivité qui n’est pas arbitraire ou laborieuse, mais qui procède d’un diagnostic critique sur la portée et les limites de la métaphysique et, conséquemment, sur la portée et les limites du discours philosophique en tant que tel. Il y a là une forme de circularité : lire Kant suppose de prendre acte d’une nouvelle manière de philosopher, établie par le texte lui-même, et qui découvre sa justification dans sa propre exposition. C’est la raison pour laquelle, au-delà des injonctions à la discipline personnelle et au-delà de l’inventaire raisonné des ressources méthodologiques, il faut affronter les spécificités du philosopher kantien, de ce Logos qui se déploie en pensée et en discours (et en pensée par le discours). C’est en ressaisissant les principes philosophiques de l’écriture kantienne que l’on pourra en déduire quelques principes de lecture.

  • 11 On connaît les condamnations de Thomas de Quincey : « [Kant] écrivait sa propre langue d'une manièr (...)

5Notons que le problème n’est pas celui du style de l’écriture kantienne, qui a pu susciter des appréciations diverses, à dire le vrai le plus souvent négatives11. Certes, le style de Kant n’a pas les séductions de celui d’un Nietzsche, tant il est vrai que le texte kantien, surtout dans les trois Critiques, se caractérise par une forme de sobriété ou de sécheresse didactique dont Kant ne se départit que rarement. Sur ce point, les remarques formulées par Alain Renaut dans la « Présentation » de sa traduction de la Critique de la raison pure sont judicieuses :

  • 12 Alain Renaut, « Présentation », in CRP, p. 8.

Dans la Critique de la raison pure, Kant écrit encore souvent à la manière dont un professeur rédige ses cours, avec un souci très marqué d’accentuer les liens logiques ou de scander les étapes de ses raisonnements […]. Ainsi faut-il en convenir : l’écriture de la critique se soucie moins d’élégance que de puissance démonstrative, comme en témoigne la multiplication des « donc » (also) utilisés, selon le style d’un cours, en début de phrase12.

  • 13 CFJ, « Analytique du sublime », § 53, p. 314.
  • 14 Ibid.
  • 15 Ibid., p. 315.
  • 16 « Dans les propositions elles-mêmes et dans leurs argumentations, de même que dans la forme du plan (...)
  • 17 CRP, « Préface de la deuxième édition », p. 91.

6On peut à cet égard rappeler l’évaluation négative de la rhétorique, et plus précisément de l’éloquence (Beredsamkeit), dont Kant se justifie au paragraphe 53 de l’« Analytique du sublime » de la Critique de la faculté de juger qui développe une « Comparaison de la valeur esthétique respective des beaux-arts »13. Si Kant place la poésie au premier rang des beaux-arts, il voit en revanche dans l’éloquence un « art d’abuser par la beauté de l’apparence » qu’on ne peut par conséquent conseiller « ni pour les tribunaux, ni pour les chaires »14. Kant évoque ensuite des situations relevant du débat juridique ou de l’exhortation morale, où l’éloquence ne doit à ses yeux pas être mobilisée. Mais on peut alors se souvenir que la Critique de la raison pure prétend instituer le tribunal de la raison par elle-même : dans ce cas-là aussi, puisque nous sommes au tribunal, on ne saurait avoir recours aux séductions de l’éloquence ou aux tours et détours de la rhétorique. Au contraire, la clarté conceptuelle, les illustrations mobilisant des exemples vivants et une expression correcte et convenable ont « déjà en soi une influence suffisante sur les esprits humains pour qu’il ne soit pas nécessaire de surcroît d’y ajouter les machines de la persuasion »15. Dès lors, on comprend pourquoi Kant voit dans la seconde édition de la Critique de la raison pure une « occasion […] de porter remède, autant que possible, aux difficultés et à l’obscurité d’où maintes incompréhensions ont pu provenir », mais sans pour autant remettre pour cela en cause les démonstrations établies ou l’organisation d’ensemble du texte16. Si la présentation (Darstellung) paraît encore perfectible, elle « ne change absolument rien quant au fond, en ce qui concerne les propositions et même leurs démonstrations »17. En d’autres termes, les modifications ou corrections apportées concernent les modalités d’exposition du discours mais elles n’atteignent pas, ni ne remettent en cause, la philosophie elle-même.

  • 18 Martin Heidegger, Interprétation phénoménologique de la Critique de la raison pure de Kant, Paris, (...)

7Et si Kant est si certain de ses résultats, ce n’est pas tant parce qu’il juge les contenus doctrinaux indiscutables mais parce que le philosopher lui-même lui semble tout à la fois inédit et inattaquable. C’est en ce sens, sans doute, que Heidegger pouvait encore louer « le caractère exemplaire du philosopher kantien, par opposition à la barbarie qui aujourd’hui ne cesse de s’étendre »18. C’est donc au niveau métaphilosophique, celui de la philosophie de la philosophie, qu’il faut revenir pour comprendre comment le philosopher kantien se réalise dans une discursivité particulière, qui l’accomplit et le justifie tout à la fois. La philosophie de la philosophie, chez Kant, rend compte d’une expérience nouvelle de la pratique philosophique et d’une conscience inédite des caractéristiques formelles de la philosophie. Les principes discursifs de la critique kantienne sont à situer à ce niveau, celui d’une démarche philosophique conséquente et méthodique qui procède d’une réflexion de la philosophie sur elle-même. Les principes de lecture des textes de Kant doivent être déduits de ces principes qui régissent le philosopher kantien.

La définition kantienne de la philosophie : les contraintes de la discursivité

  • 19 « Déterminer cette idée pratiquement, c’est-à-dire de façon suffisante pour la maxime de notre cond (...)
  • 20 Ibid.

8Dans ce qui suit, nous allons laisser de côté une caractérisation importante de la philosophie comprise comme doctrine de la sagesse (Weisheitslehre) ou doctrine du souverain Bien19. Dans le domaine de la philosophie morale, Kant reconduit en ces termes l’antique définition de la philosophie comprise comme amour de la sagesse tout en lui donnant un sens nouveau, puisque la philosophie est à présent tenue pour une doctrine de la sagesse « pour autant que la raison s’efforce, dans cette doctrine, de parvenir à la science »20. La philosophie désigne en ce sens une connaissance spéculative qui prend pour fin le concept du souverain Bien (lequel est en fait l’idée de l’union du bonheur et de la vertu) et qui contribue ainsi à la fondation de la détermination pratique de la volonté. La philosophie est donc au service d’une destination pratique de la raison et de l’existence humaine.

  • 21 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 713/B 741, p (...)
  • 22 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 712/B 740, p (...)

9Cette fonction pratique de la philosophie ne doit pas être perdue de vue mais elle suppose une signification proprement théorique ou formelle qui doit nous intéresser plus particulièrement. Dans la « Théorie transcendantale de la méthode » qui constitue la deuxième grande partie de la Critique de la raison pure, Kant s’attache à définir la nature, la portée et les limites de la philosophie au moyen d’une comparaison avec les mathématiques : « La connaissance philosophique est la connaissance rationnelle par concepts, la connaissance mathématique est la connaissance rationnelle par construction de concepts »21. Philosophie et mathématiques sont les deux espèces d’une « connaissance rationnelle », c’est-à-dire d’une connaissance procédant de la raison pure, ou absolument a priori (au sens où elle ne trouve pas son origine dans l’expérience, ni ne lui emprunte aucun élément)22.

  • 23 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 726/B 754, p (...)
  • 24 CRP, « Introduction », A 3/B 7, p. 97-98.
  • 25 « C’est dans cette forme que consiste donc la différence essentielle entre ces deux espèces de la c (...)
  • 26 Grandjean Antoine, La philosophie de Kant. Repères, Paris,Vrin, 2016, p. 32.

10Cette définition particulière de la philosophie est à entendre dans le cadre d’une évaluation des mérites respectifs de la philosophie et des mathématiques. Cette comparaison a une fonction de délimitation : il s’agit de cerner les spécificités de la philosophie par différence, en les distinguant de celles des mathématiques. De manière implicite, il s’agit aussi de savoir si la philosophie doit ou non prendre son modèle sur les mathématiques et si cette dernière doit normer l’exercice de la philosophie. La réponse de Kant à cette deuxième question est très claire et elle est négative : « […] la géométrie et la philosophie sont deux choses tout à fait différentes, quand bien même elles se prêtent mutuellement la main en physique, et […] les démarches de l’une ne sauraient jamais être imitées par l’autre »23. Le dessein de Kant, dans cette partie de la « Discipline de la raison pure » qui doit déterminer un ensemble de principes contraignant l’usage de la raison pure, est de prévenir les excès de dogmatisme en matière de philosophie (le dogmatisme étant défini comme un excès de confiance dans les pouvoirs de la raison24). La philosophie n’a pas à prendre son modèle sur les mathématiques car il existe des différences formelles entre les deux types de discours25. Comme le formule très justement Antoine Grandjean : il n’y a pas, chez Kant, de « monisme de la méthode rationnelle »26.

  • 27 Voir également la Logique, où Kant précise que la philosophie est « la connaissance rationnelle par (...)

11La différence peut sembler ténue mais elle est décisive : la philosophie est une connaissance par concepts tandis que les mathématiques développent une connaissance par construction de concepts27. Le terme de « construction » (Konstruktion) désigne le processus par lequel l’objet est présenté dans l’intuition pure (laquelle est purement formelle puisqu’elle relève de l’espace et du temps qui sont les formes a priori de la sensibilité). La construction mathématique par concepts se rapporte ainsi directement à son objet : ce qui compte n’est pas tant le triangle imaginé ou perçu que le triangle « en général », c’est-à-dire le triangle conçu. Par différence, il est manifeste que, dans le cas de la philosophie, il n’y a pas d’intuitivité a priori. Les concepts sont des représentations mentales générales et abstraites qui y sont considérées pour elles-mêmes et dans leur généralité. Il faut des médiations pour que la connaissance s’établisse et elle est donc discursive.

  • 28 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 727/B 755, p (...)

12Kant poursuit son analyse des différences entre mathématiques et philosophie en relevant trois limites du discours philosophique : l’impossibilité de parvenir, en philosophie, à des définitions, des axiomes et des démonstrations qui seraient équivalentes à ce que l’on peut trouver dans le domaine des mathématiques28.

  • 29 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 731/B 759, p (...)
  • 30 Cette intention est celle du Kant-Lexikon de Rudolf Eisler : « Et même si le but visé en premier li (...)

13Tout d’abord, il n’y a pas, dans le domaine de la philosophie, de définitions principielles ou définitives, précisément parce que la construction du concept à partir de l’intuition pure n’est pas possible. Dans le cas de la philosophie, on ne dispose pas de définitions à proprement parler, mais plutôt d’expositions (Exposition) : il s’agit d’expliciter patiemment le sens du concept, c’est-à-dire de détailler un ensemble de caractéristiques conceptuelles tout en maintenant une forme de prudence dans la délimitation recherchée. La définition d’un concept philosophique serait donc le terme idéal d’une exposition qui est en fait une recherche progressive, une exploration des caractéristiques conceptuelles du concept considéré. L’exposition procède d’un travail de décomposition ou d’analyse et la définition ne peut être que le terme de ce processus, et non son commencement29. On comprend dès lors pourquoi Kant s’attache à préciser la signification des termes employés, afin de garantir une intelligence minimale du concept mobilisé, mais on comprend aussi du même coup pourquoi il lui arrive si souvent de revenir sur l’« exposition » de ces significations conceptuelles : celle-ci n’est pas définitive. Cet effort d’élaboration et de réélaboration du lexique philosophique apparaît in fine comme une vaste opération de re-sémantisation de la langue philosophique qui est encore un processus en cours. Il implique, de la part du lecteur, qu’une attention particulière soit portée aux expositions/définitions des termes proposés par Kant, non seulement pour saisir leur signification mais également pour ressaisir le mouvement de pensée qui est au principe de l’analyse30. Nous tenons là un premier principe de lecture qui découle directement d’une spécificité du philosopher kantien.

  • 31 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 733/B 761, p (...)

14Par ailleurs, Kant insiste sur le fait que le discours philosophique ne peut pas miser sur des évidences absolues, ou plus précisément sur des principes synthétiques a priori qui seraient absolument certains. Le discours philosophique ne peut donc pas procéder en définissant préalablement des axiomes, à la manière des mathématiques : « La philosophie n’a donc pas d’axiomes, et il ne lui est jamais accordé d’imposer de manière aussi absolue ses principes a priori : bien plutôt lui faut-il se prêter à légitimer par une déduction solidement étayée le droit qu’elle a d’y recourir »31. Nous ne commenterons pas plus avant ce qui apparaît comme un principe préventif, qui n’implique pas par conséquent de principe de lecture particulier, sinon celui-ci : on ne doit pas lire Kant en cherchant à identifier un petit nombre de propositions premières qui pourraient avoir valeur d’axiomes. On ne lit pas la Critique de la raison pure comme on peut lire un traité de mathématiques ou encore comme on peut lire l’Éthique de Spinoza.

15Enfin, Kant souligne le fait que la preuve, dans le cas de la philosophie, est seulement discursive. Il établit ainsi une distinction entre la démonstration (Demonstration) des mathématiques, qui est une preuve apodictique parce qu’intuitive et ce qu’il appelle, dans le cas de la philosophie, une preuve (Beweis) et plus précisément une preuve « acroamatique » (terme qui désigne ordinairement un enseignement oral). En somme, les démonstrations mathématiques se développent dans l’intuition de l’objet alors que la philosophie n’a pour elle que les mots. Il en résulte une forme d’incertitude quant à la qualité des preuves que la philosophie peut établir. Ce n’est pas dire, pour autant, que la philosophie ne peut rien établir, loin de là, mais le fait qu’elle ne peut fonder ses considérations sur une quelconque expérience intuitive.

  • 32 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Dialectique transcend (...)
  • 33 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Dialectique transcend (...)

16Pour bien comprendre l’enjeu de cette difficulté, il faut revenir au début de la « Dialectique transcendantale ». Kant y distingue l’entendement, qui est le « pouvoir d’unifier les phénomènes par l’intermédiaire de règles » et la raison, qui est le « pouvoir d’unifier les règles de l’entendement sous des principes »32. La raison produit des raisonnements et c’est là son usage logique : le raisonnement part d’un principe établi, qui est une proposition initiale, pour en déduire une autre proposition, qui sera sa conclusion. Dans le cas des mathématiques, cet usage logique ou formel de la raison n’est pas problématique : nous avons une connaissance immédiate du triangle qui procède d’une construction de concept à partir de l’intuition pure du triangle et nous pouvons, au terme d’un raisonnement, parvenir à une conclusion relative à une propriété du triangle (par exemple : la somme de ses angles est égale à deux angles droits33). C’est en ce sens que le raisonnement mathématique de la raison apparaît comme une démonstration comprise au sens fort. Mais dans le cas de la philosophie, les raisonnements de la raison ne peuvent se référer à une quelconque intuition pure, comme il en va pour les mathématiques.

  • 34 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Dialectique transcend (...)
  • 35 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Dialectique transcend (...)

17Dès lors, l’usage pur de la raison (dans la mesure où elle est à l’origine de jugements et de concepts qui ne proviennent que d’elle) ne peut manquer, en regard, de poser problème. Cet usage pur est nécessaire et il correspond à une aspiration légitime de l’esprit humain. En effet, la raison peut ordonner les connaissances d’entendement les unes par rapport aux autres en cherchant à leur donner une plus grande unité : « la raison, en procédant à ses raisonnements, cherche à ramener la grande diversité des connaissances de l’entendement au plus petit nombre de principes (de conditions universelles) et à y produire par là la plus grande unité. »34 Ainsi la raison peut-elle contribuer à « mettre l’entendement en complet accord avec lui-même »35.

  • 36 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », IV, A 782/B 810, (...)
  • 37 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », IV, A 783/B 811, (...)
  • 38 Dans la première préface de la Critique de la raison pure, Kant évoque déjà deux « exigences essent (...)

18Mais on doit alors prendre acte d’une alternative nouvelle, qui ne peut être véritablement présentée qu’au terme de la « Dialectique transcendantale ». Une première possibilité pour la philosophie consiste à se réaliser, encore et toujours, par l’intermédiaire de raisonnements transcendants et dialectiques, comme cela fut longtemps le cas dans la métaphysique traditionnelle. Une seconde possibilité consiste à prendre acte de l’impossibilité d’une telle métaphysique, en produisant des raisonnements qui relèveront d’une démarche critique et transcendantale : « la raison ne doit pas [s’] appliquer directement à l’objet, mais doit au contraire démontrer (dartun) d’abord la validité objective des concepts et la possibilité de leur synthèse a priori »36. Puisque le raisonnement philosophique ne peut se fonder sur une intuition comme dans le cas des mathématiques, il se réalisera, dans le cas des concepts de l’entendement, sous la forme d’une philosophie transcendantale qui a pour seule norme « l’expérience possible »37. Et dans le cas des concepts de la raison (soient les Idées du monde, de l’âme et de Dieu), il faudra s’astreindre à une « discipline de la sobriété », c’est-à-dire renoncer à la confiance excessive dans les pouvoirs de la raison qui caractérisait la métaphysique dogmatique pour adopter une attitude de prudence et de retenue. Kant peut alors énoncer une série de règles qui doivent désormais régir la production des preuves sous le régime de la philosophie transcendantale38.

  • 39 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », IV, A 786/B 814, (...)

19Tout d’abord, il ne faudra tenter « aucune preuve transcendantale sans avoir préalablement réfléchi et sans avoir justifié vis-à-vis de soi-même la source où l’on entend puiser les principes sur lesquels on songe à construire ces preuves et établi de quel droit on peut en attendre le bon résultat de ses raisonnements »39. Soit ces principes sont ceux de l’entendement et ils ne vaudront que dans les limites de l’expérience possible ; soit ces principes sont ceux de la raison et ils ne peuvent être que régulateurs : ce ne sont pas des principes objectifs. Kant énonce une deuxième règle qui stipule que la preuve d’une proposition transcendantale ne peut être qu’une et unique (là où la métaphysique dogmatique se perd dans une multitude de preuves qui s’opposent les unes aux autres), puis une troisième qui préconise de n’accepter que les preuves ostensives (c’est-à-dire qui rendent visible la source même du raisonnement) pour laisser de côté les preuves apagogiques (par l’absurde) qui sont trop indirectes.

20Ainsi, parce que la philosophie ne dispose que de preuves là où les mathématiques développent de véritables démonstrations fondées sur l’intuitivité des objets mathématiques, il faut que nous prenions conscience de ce défaut et nous attachions à le compenser par une discipline rigoureuse. Celle-ci vaut à l’évidence pour l’auteur du discours critique mais cette exigence se communique également au lecteur de la critique, qui doit lui-même vérifier par devers-lui les preuves de la philosophie transcendantale et prévenir l’éventuel retour de la métaphysique dogmatique.

La réflexivité, condition d’un nouveau philosopher

  • 40 Sur cette question, nous renvoyons à ces références, qui établissent déjà nettement l’importance de (...)
  • 41 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », IV, A 786/B 814, (...)

21Comme nous venons de le voir, la comparaison méthodique de ces deux connaissances rationnelles que sont la philosophie et les mathématiques permet de mettre en évidence, par différence, certaines des spécificités du discours philosophique. Dans le même mouvement, l’analyse kantienne montre aussi qu’il n’est plus possible de prendre les mathématiques en modèle pour les ériger en norme du discours philosophique. Or la situation problématique engendrée par cette impossibilité d’imitation ne peut être véritablement dépassée qu’en mobilisant les ressources d’une nouvelle normativité régissant la production du discours philosophique, que Kant découvre dans une pratique réflexive de la philosophie, au sens où celle-ci, devenue critique et transcendantale, se soutient nécessairement d’une réflexion que le sujet conduit sur lui-même40. Cette réflexivité s’indique d’ailleurs dès la première règle de la section exposant « La discipline de la raison pure relativement à ses preuves » : la première règle concernant toute administration de la preuve n’est-elle pas de n’en tenter aucune « sans avoir préalablement réfléchi (überlegt) et sans s’être justifié quant à la source d’où l’on entend prendre les principes sur lesquels on pense [l’]établir », c’est-à-dire sans avoir vérifié s’il s’agit de « principes de l’entendement (par exemple, celui de la causalité) » ou de « principes issus de la raison pure »41 ?

  • 42 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcenda (...)

22Afin de mieux analyser ce qui apparaît dès lors comme un présupposé de la « Discipline de la raison pure », il convient de se rapporter à un texte décisif qui figure à titre d’« Appendice », à la fin de l’« Analytique des principes », immédiatement après l’exposé du « Chapitre III » relatif à « la distinction de tous les objets en général entre phénomènes et noumènes » : il s’agit du texte intitulé « De l’amphibologie des concepts de la réflexion, produite par la confusion entre l’usage empirique de l’entendement et son usage transcendantal »42.

  • 43 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcenda (...)

23Une amphibologie (du grec amphibolia, « lancer de tous côtés ») est ordinairement une construction grammaticale ambiguë et indécidable, en vertu de laquelle une phrase peut avoir deux sens différents et donner lieu à des raisonnements fallacieux. Dans le discours kantien, elle désigne une erreur savante de l’entendement (celle-ci étant bien distincte des illusions naturelles de la raison) qui procède d’une mauvaise distinction, voire d’une absence de distinction, entre phénomènes et noumènes et, par suite, entre les différents pouvoirs de nos différentes facultés. L’amphibologie transcendantale est ainsi une « confusion de l’objet pur de l’entendement avec le phénomène »43.

  • 44 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcenda (...)
  • 45 Sur la critique de Leibniz, nous renvoyons à Matthieu Haumesser, « Que signifie pour Kant l'erreur (...)
  • 46 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcenda (...)

24Les philosophies de Leibniz et de Locke en donnent deux déclinaisons possibles, qui sont comme deux erreurs symétriques. D’un côté, « Leibniz intellectualisait les phénomènes »44 en faisant du phénomène une représentation de la chose en soi et en ne reconnaissant pas la sensibilité comme une source de représentations à part entière45. De l’autre, Locke « avait globalement sensualisé les concepts de l’entendement »46 en les présentant comme les produits d’une réflexion empirique. Dans chacun de ces deux cas, on fait dépendre l’ensemble de nos représentations d’une seule source de connaissances (l’entendement dans le cas de Leibniz ; la sensibilité dans le cas de Locke) et on dénie à toute autre source de connaissance tout pouvoir de représentation.

  • 47 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcenda (...)

25Cette amphibologie transcendantale – ou cette confusion dans l’attribution des pouvoirs respectifs des différentes facultés de l’esprit – peut pourtant être évitée. Il faut savoir reconnaître le « lieu transcendantal » de chaque représentation ou concept, soit la faculté à laquelle nous pouvons les référer, par l’intermédiaire d’une réflexion. Cette assignation est aussi la redécouverte du fondement légitime de cette représentation et des règles qui régissent sa détermination. C’est là l’objet de ce que Kant appelle la « topique transcendantale », soit une réflexion portant spécifiquement sur la différenciation des facultés, sur le fondement de la différenciation entre noumène et phénomène : « […] l’appréciation de cette place [à savoir le « lieu transcendantal »], telle qu’elle revient à chaque concept d’après la diversité de son usage, et l’indication des règles selon lesquelles ce lieu se peut déterminer pour tous les concepts constituerait la topique transcendantale – une doctrine qui apporterait une protection radicale contre ce par quoi l’entendement pur peut se laisser capter subrepticement, et contre les illusions qui en résultent, en distinguant toujours à quelle faculté de connaissance les concepts appartiennent en propre »47.

  • 48 « Les concepts peuvent être comparés logiquement sans que l’on se soucie de savoir à quoi se rattac (...)
  • 49 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcenda (...)
  • 50 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcenda (...)

26Or la topique transcendantale, qui est la juste distinction de ce qui revient à chaque faculté, n’est elle-même possible que par l’entremise d’une réflexion particulière, que Kant appelle « réflexion transcendantale ». Tout comme la topique logique d’Aristote procédait d’une réflexion logique, la topique transcendantale a pour condition l’exercice de la réflexion transcendantale48. Dans le cas de la réflexion logique, celle-ci prend la forme d’une opération logique qui élabore des concepts, par abstraction et identification d’une détermination commune. Or la réflexion est, dans sa définition la plus générale, un « état de l’esprit où nous nous disposons en premier lieu à découvrir les conditions subjectives sous lesquelles nous pouvons parvenir à des concepts »49. Par suite, la réflexion transcendantale sera cette opération qui permet de distinguer ce qui relève de chacune de nos deux sources de représentations, à savoir la sensibilité et l’entendement : « L’acte par lequel je rapproche la comparaison des représentations en général de la faculté de connaissance où elle trouve sa place, et par lequel je distingue si c’est comme appartenant à l’entendement pur ou à l’intuition sensible qu’elles sont comparées les unes aux autres, je l’appelle la réflexion transcendantale. »50 La réflexion transcendantale suppose donc une réflexivité critique, qui démêle le jeu des facultés et attribue à chacune ce qui lui revient (ce que Kant désigne souvent par le terme de « source »), mais elle est aussi et surtout transcendantale en ce qu’elle réfléchit le fondement de nos connaissances depuis les conditions de possibilité de l’expérience en général. La réflexion transcendantale est ainsi ce qui révèle la finitude de l’être connaissant, qui ne connaît jamais que des phénomènes.

  • 51 CRP, « Préface de la deuxième édition », B XVI, p. 78.
  • 52 Sur tout ceci, CRP, « Introduction », A 15/B 29, p. 113.

27La réflexion transcendantale joue ainsi un rôle crucial dans la Critique de la raison pure, qui la présuppose avant de parvenir à l’exposer pour elle-même. Elle s’indique déjà dans la métaphore de la « révolution copernicienne » que Kant entreprend dans le domaine de la théorie de la connaissance, puisque celle-ci ne doit plus se régler sur les objets de connaissance mais bien sur les pouvoirs du sujet connaissant51. La réflexion transcendantale est encore à l’œuvre dès la fin de l’« Introduction », même si Kant ne la thématise pas alors comme telle. En effet, c’est bien parce qu’il respecte d’emblée les principes de la réflexion transcendantale que Kant répartit le plan de la Critique de la raison pure en une « théorie des éléments » et une « théorie de la méthode », la première précédant nécessairement la seconde. C’est encore au nom de la réflexion transcendantale qu’il faut partir de ces « éléments » de la connaissance que sont la sensibilité et l’entendement. De même, il faudra commencer par une « Esthétique transcendantale », c’est-à-dire par l’examen de la sensibilité, parce que celle-ci contient des conditions a priori sous lesquelles les objets nous sont donnés avant d’être pensés, avant d’en venir à la « Logique transcendantale » ; mais cette proposition n’est intelligible qu’en procédant d’une réflexion transcendantale qui pousse déjà assez loin le repérage du rôle joué par chaque faculté, et le rapport de l’une à l’autre52.

  • 53 Ibid.
  • 54 CRPr, « Doctrine des éléments de la raison pratique pure », « Analytique de la raison pratique pure (...)
  • 55 Immanuel Kant, Opus postumum, Paris, PUF, 1986, p. 236.

28Procédant progressivement, Kant n’indique alors que « ce qui simplement semble nécessaire »53, sans exposer les principes de son philosopher. Il ne le fera qu’au terme de l’examen respectif des pouvoirs, de la portée et des limites des deux facultés que sont l’entendement et la sensibilité, à la fin de l’« Analytique transcendantale » et après la distinction essentielle entre noumènes et phénomènes. La réflexion transcendantale est donc à l’œuvre tout au long de l’« Esthétique transcendantale » et de l’« Analytique transcendantale », avant d’être ressaisie pour elle-même dans l’« Amphibologie », puis de se redéployer dans la « Dialectique transcendantale » : apprendre à distinguer entre phénomènes et noumènes, au terme de l’examen particulier des pouvoirs respectifs de la sensibilité et de l’entendement, permet de se défaire de certaines illusions ontologiques et de comprendre les dérives de la raison. Dans la Critique de la raison pratique, la réflexion transcendantale se révélera encore indispensable, notamment au terme de l’« Analytique de la raison pratique pure », pour rappeler la distinction entre le point de vue phénoménal et le point de vue nouménal, sans lequel la liberté transcendantale n’est pas concevable54. Au terme de son œuvre, Kant insistera encore sur l’importance de cette réflexivité qui structure en réalité toute démarche transcendantale : « La philosophie transcendantale est le principe formel de se constituer soi-même systématiquement comme objet de connaissance »55.

29Il faut donc déduire de ces considérations cet autre principe de lecture : la Critique de la raison pure ne se lit pas comme une « longue chaîne de raisons » en déduisant méthodiquement une série de propositions philosophiques qui seraient issues d’un premier principe. Elle se déploie bien plutôt selon une réflexion transcendantale qui ramène constamment la question du fondement des connaissances à celle de leurs conditions subjectives, soit au jeu des facultés et aux conditions de possibilité de l’expérience en général. Il faut lire le discours critique en y découvrant un dispositif propice à la reprise et à la vérification des propositions kantiennes par le sujet lecteur lui-même, en tant qu’il est lui-même un sujet transcendantal qui peut procéder par-devers lui à l’examen de la portée et des limites des facultés.

Sur la systématicité problématique de la critique

  • 56 Kant ironise volontiers sur l’incapacité philosophique de celui qui a appris tel ou tel système, ai (...)
  • 57 Alain REnaut, « Présentation », in CRP, p. 9

30Il résulte de ces premières considérations une conséquence importante : le discours philosophique kantien s’ordonne peut-être selon une certaine systématicité, mais celle-ci n’est plus celle qui reproduirait un ordre des raisons qui serait lui-même en correspondance avec l’ordre de l’être. La systématicité kantienne n’est plus régie par le double impératif de principialité et de déductivité qui avait cours auparavant56. En effet, le discours critique procède du constat d’une crise de la raison qui s’exprime à travers une crise de la métaphysique, en tant que celle-ci prétend être une science du suprasensible. Dès lors, il ne peut plus s’inaugurer d’un principe supposé premier, un et unique qui serait « commencement et commandement » et qui régirait la totalité déductive des connaissances. La métaphysique dogmatique, qui se prétend science de l’être en tant qu’être, est d’emblée invalidée : ce n’est plus sur cette pseudo-science que la philosophie peut se fonder. C’est en ce sens qu’Alain Renaut peut soutenir que « la structure de la Critique prise dans son ensemble est résolument non systématique, au sens où, n’étant pas édifiée par la raison, la théorie des facultés ne suit pas une démarche déductive »57. Ce propos ne doit pas laisser croire que le discours critique serait si « résolument non-systématique » qu’il ne serait qu’une collection de considérations philosophiques désordonnées. Comprenons : le discours critique kantien est « non-systématique » en tant qu’il renonce à une conception désormais caduque de la systématicité, tout en aspirant à une systématicité nouvelle qui procéderait directement de la réflexion critique que le sujet conduit sur lui-même et qui ne perdrait pas de vue la destination pratique de la philosophie. Dans cette tension et cet effort, la systématicité du discours est visée et non encore effective.

  • 58 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 832/B 860, (...)
  • 59 Ibid.

31Il revient ainsi à « L’architectonique » de la « Théorie transcendantale de la méthode » de fixer les conditions nouvelles d’un « art des systèmes »58. Plus précisément, celle-ci devra préciser les conditions de l’unité systématique qui confère à un ensemble de connaissances le statut d’une science authentique. La systématicité demeure donc aux yeux de Kant la condition de la scientificité. Sans elle, les connaissances sont seulement juxtaposées, sans lien apparent entre elles ou encore présentées dans un ordre de succession arbitraire. Avec elle, l’ensemble des connaissances s’ordonne comme une totalité organique, articulée selon une unité interne. Kant propose par ailleurs une conception téléologique du système, qu’il définit, dans la Critique de la raison pure, comme « l’unité des diverses connaissances sous une Idée »59. Comme Kant le souligne dans la Critique de la raison pratique, cette compréhension téléologique de l’unité systématique relève bien d’un effort philosophique spécifique :

  • 60 CRPr, « Préface », p. 97.

Mais il y a encore un second point qui retient l’attention, qui est plus philosophique et architectonique : c’est de saisir adéquatement l’idée du tout et, à partir de cette dernière, d’avoir une vue d’ensemble, dans une pure faculté rationnelle, de toutes ces parties dans leurs rapports réciproques les unes avec les autres, au moyen de la dérivation de celles-ci partant du concept de ce tout. Cet examen et cette garantie ne sont possibles que par la connaissance la plus intime du système […]60.

  • 61 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 838/B 866, (...)

32Or, dans le cas de la philosophie (à l’occasion redéfinie par Kant comme « système de toute connaissance philosophique »61), et par suite du discours critique kantien, que peut-on exactement espérer sur ce point ? Et, selon la réponse donnée à cette question, quelles seront les conséquences pour le lecteur du discours critique ?

33La réponse donnée par Kant à la première question posée est double et elle se déploie selon la distinction structurante que Kant opère entre le concept scolastique de la philosophie et le concept cosmique de la philosophie. Dans les deux cas, la question de la systématicité éventuelle de la philosophie en général et du discours critique en particulier ne se pose pas dans les mêmes termes.

  • 62 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 838/B 866, (...)
  • 63 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 838/B 866, (...)
  • 64 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 840/B 868, (...)
  • 65 En ce sens, il faut redire, contre certaines lectures positivistes de Kant, que l’objectif de la Cr (...)
  • 66 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 838/B 866, (...)
  • 67 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 841/B 869, (...)

341. Le concept scolastique de la philosophie est celui qui se contente de viser l’unité systématique des connaissances et de celles-ci seulement : il vise exclusivement la « perfection logique de la connaissance »62. Or, si l’on prend un tel concept pour en faire l’Idée d’une totalité systématique des connaissances philosophiques, force est de constater que la philosophie (ou plutôt son concept) demeure « une simple Idée d’une science possible, qui n’est nulle part donnée in concreto, mais dont on cherche à s’approcher par divers chemins, jusqu’à ce que soit découvert l’unique sentier servant de voie d’accès […] »63. Autrement dit, l’état actuel des connaissances philosophiques, considérées en elles-mêmes et pour ce qu’elles sont, ne satisfait nullement aux exigences d’unité, de totalité et d’ordre qui sont celles d’un authentique système. Ce qui ne signifie nullement qu’un tel système ne soit pas, en droit, possible : au contraire, « toute la connaissance philosophique […] provenant de la raison pure » qui se déploierait « selon un agencement systématique de l’ensemble »64 pourrait bien regagner le nom de métaphysique, celle-ci n’étant plus une pseudo-science qui serait le produit du dogmatisme (c’est-à-dire d’un excès de confiance dans les pouvoirs de la raison) mais une totalité rigoureusement ordonnée des connaissances relatives à l’usage spéculatif de la raison (perspective qui sera celle d’une métaphysique de la nature) et à l’usage pratique de la raison (perspective qui sera celle d’une métaphysique des mœurs)65. Mais pour l’heure, aux yeux de Kant, le discours philosophique n’est pas parvenu à ce point. C’est bien la raison pour laquelle Kant soutient que « tant que l’on n’en est pas là, on ne peut apprendre aucune philosophie », mais qu’il faut apprendre à philosopher66, c’est-à-dire à rechercher activement et en toute responsabilité la voie d’un système qui demeure pour l’heure non encore atteint. Ces remarques ont des conséquences importantes sur le philosopher kantien, qui est comme tendu vers l’Idée d’une systématicité qui n’est pas encore advenue. Le discours critique kantien est nécessairement celui d’une recherche ou d’un effort et il se déploie dans la transition entre une crise du discours métaphysique traditionnel et une connaissance systématique non encore advenue. Dès lors, la philosophie de la raison pure est « une propédeutique (un exercice préliminaire) qui examine le pouvoir de la raison relativement à toute connaissance pure a priori, et elle s’appelle critique »67. Cette propédeutique, en tant que telle, n’est pas encore le système des connaissances philosophiques qui est visé par le concept scolastique de la philosophie. Le lecteur de la Critique doit donc tout à la fois faire son deuil de l’ancienne systématicité et se résoudre à attendre l’apparition d’un système nouveau, sous la double perspective d’une métaphysique de la nature et d’une métaphysique des mœurs.

35Cependant, si le système achevé n’est pas encore à notre disposition, est-ce à dire que le discours critique serait dépourvu d’unité et ordre et qu’il se déploierait de manière purement arbitraire ? Le discours critique n’est pas encore systématique mais il est soumis à une double exigence. La première exigence relève de ce que l’on pourrait appeler une téléologie d’ordre méthodologique : parce qu’il est en recherche d’une systématicité nouvelle, le discours critique ne peut être qu’une méthodologie dûment informée, se déployant après l’inventaire des éléments qui sont à notre disposition pour élaborer des connaissances rationnelles. La théorie des éléments doit donc précéder la méthode qui sera le terme du discours critique, mais non encore celui d’une philosophie qui doit se réaliser comme système. La deuxième exigence qui détermine l’ordonnancement du discours critique tient au fait que la critique doit porter sur la raison elle-même, selon une réflexivité qui lui assigne, à titre d’objets d’examen, les seuls pouvoirs de connaissance qui sont ceux de l’esprit humain. On procédera donc méthodiquement, en examinant successivement la portée et les limites de la sensibilité, de l’entendement et de la raison.

  • 68 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 839/B 867, (...)

362. Le concept cosmique de la philosophie nous donne à penser une téléologie de la raison humaine et une destination pratique de la philosophie : « Dans cette optique, la philosophie est la science du rapport entre toute connaissance et les fins essentielles de la raison humaine »68. Le philosophe apparaît alors comme un « législateur » de la raison : il n’est plus le technicien habile, voire l’artiste de la raison, comme dans le cas du concept scolastique de la philosophie, mais il devient celui qui restitue les normes véritables de la connaissance dont l’esprit humain est capable. La « systématicité » du discours critique est alors d’ordre téléologique puisqu’elle rapporte l’unité de l’ensemble à des fins dites « essentielles ». Parmi celles-ci, la « fin finale » est à l’évidence celle de la destination morale de l’être humain et nous retrouvons ici, in fine, la définition de la philosophie comprise comme doctrine de la sagesse, déjà évoquée plus haut. Cette « fin finale » détermine par suite une série de fins subalternes ou secondaires.

  • 69 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Canon de la raison pure », A 805/B 833, p. 658.

37Il y a là, croyons-nous, le principe d’une systématicité relative du discours critique, puisque celui-ci trouve son impulsion véritable dans ces « intérêts de la raison » que Kant évoque dans le « Canon de la raison pure » : « tout intérêt de ma raison (aussi bien spéculatif que pratique) se réunit dans les trois questions suivantes » : « Que puis-je savoir ? », « Que dois-je faire ? » et « Que m’est-il permis d’espérer ? » »69.

  • 70 CRPr, « Préface », p. 95.

38Ces trois questions engagent le philosophe qui reconnaît sa propre finitude d’être connaissant, sa nécessaire soumission aux devoirs que lui prescrit la loi morale, son impuissance relative enfin pour ce qui est de la réalisation effective de cette destination morale. S’il y a un « système de la critique », comme Kant le mentionne parfois70, celui-ci scelle l’unité de questionnements qui se déploient dans les domaines distincts de la théorie de la connaissance, de la morale et de la religion. Cette systématicité ne se distribue donc pas selon une distinction d’objets mais bien selon le repérage de problématiques cardinales qui irriguent désormais la réflexion philosophique.

  • 71 À titre de comparaison, nous renvoyons à notre article : Laurent pErrEau, « L’éthique ultime de Hus (...)

39La systématicité du concept cosmique de la philosophie nous oblige donc à assumer cette problématicité foncière du questionnement philosophique. Cette systématicité s’ordonne selon les « intérêts » fondamentaux de la raison et non selon des objets déjà identifiés. On peut ainsi en déduire un principe de lecture qui ne sera pas de l’ordre de la méthodologie du discours philosophique, comme dans le cas du concept scolastique : le lecteur des Critiques kantiennes doit s’efforcer de percevoir leur complémentarité tout en s’élevant à la hauteur d’une réflexion, devenue à ce point quasi-méditative71, sur notre spécificité anthropologique. Et celle-ci tient pour l’essentiel au fait que nous n’avons de connaissance que dans les limites de l’expérience possible et que nous ne disposons que d’une liberté finie.

40En examinant successivement la discursivité, la réflexivité et la systématicité du discours philosophique kantien, on comprend donc, rétrospectivement, pourquoi les critiques kantiennes, et tout particulièrement la Critique de la raison pure, déploient une métaphilosophie conséquente, qui réfléchit continûment aux spécificités du philosopher kantien et aux possibilités de la philosophie en général. Tout le paradoxe, et toute la difficulté de cette métaphilosophie, tient au fait qu’elle ne peut pas s’exposer en préambule. En effet, elle ne peut pas précéder le discours critique car le philosopher kantien doit d’abord se donner en réponse à des pratiques de la philosophie susceptibles de causer la ruine de la philosophie elle-même. Dès la première préface de la Critique de la raison pure, le péril est d’ailleurs immédiatement désigné sous les deux figures du philosophe dogmatique et du philosophe sceptique, qui tout deux ne reconnaissent plus les limites exactes de la raison, et par suite de la philosophie. C’est en donnant le discours critique comme une réponse en acte, dans une sorte de performativité qui lui permet de réaliser un philosopher nouveau au moment où celui-ci s’énonce en discours, que Kant propose une nouvelle manière de philosopher. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons dû procéder à rebours, en allant d’abord ressaisir les contraintes de la discursivité exposée dans la « Discipline de la raison pure », avant de restituer le présupposé de la réflexion transcendantale, pour enfin en déduire une série de conséquences relativement à la question de la « systématicité » du discours critique. Par-delà les difficultés de lecture qui dépendent des conditions subjectives du lecteur ou relèvent des subtilités de la méthodologie mobilisée à l’abord du texte, il y a bien des spécificités de l’acte de lecture du discours critique qui procèdent des spécificités du philosopher kantien et qu’il faut situer à ce seul niveau.

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Notes

1 Immanuel Kant, Critique de la raison pure, trad. A. Renaut, Paris, GF-Flammarion, 2006 (abrégé CRP). Dans ce qui suit, nous donnons systématiquement les références à la pagination des éditions originales du texte.

2 Immanuel Kant, Critique de la raison pratique, trad. J.-P. Fussler, Paris, GF-Flammarion, 2003 (abrégé CRPr).

3 Immanuel Kant, Critique de la faculté de juger, trad. A. Renaut, Paris, GF-Flammarion, 2000 (abrégé CFJ).

4 On recommandera bien sûr ce formidable instrument qu’est le Kant-Lexikon (Rudolf Eisler Kant-Lexikon, Paris, Gallimard, 1994).

5 Cette difficulté est d’emblée évoquée dans la sévère « recension de Göttingen » due à Garve et Feder mais qui paraît anonymement le 19 janvier 1782 dans les suppléments aux Göttingische Gelehrte Anzeigen : « Cette œuvre, qui exerce sans cesse l’intelligence du lecteur, même si elle ne l’instruit pas toujours, qui souvent fatigue l’attention jusqu’à l’épuisement, qui parfois lui vient en aide au moyen d’images heureuses, ou l’en récompense par des conclusions inattendues ou d’intérêt général, est un système de l’idéalisme supérieur […]. » (Jean Ferrari, « Kant et la recension Garve-Feder de la Critique de la raison pure », Études Philosophiques, 1, 1964, p. 14).

6 Immanuel Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, trad. L. Guillermit, Paris,Vrin, 2000.

7 Immanuel Kant, « Fondation de la métaphysique des mœurs », Métaphysique des mœurs, vol. I, trad. A. Renaut, Paris, GF-Flammarion, 1994, p. 49-155.

8 À titre d’exemples, on pourra conseiller Michèle CrampE-Casnabet, Kant. Une révolution philosophique, Paris, Bordas, 1989 ; Olivier DEKEns, Comprendre Kant, Paris, Armand Colin, 2011 ; Gilles DElEuzE, La philosophie critique de Kant, Paris, PUF, 1963 et enfin Antoine GranDjEan, La philosophie de Kant. Repères, Paris,Vrin, 2016.

9 Pour ce qui concerne la Critique de la raison pure, il conviendra par exemple de lire attentivement, a minima et dans un premier temps, les deux « Préfaces », l’« Introduction », l’« Esthétique transcendantale » et le début de l’ « Analytique transcendantale », mais sans négliger la lecture de la « Théorie transcendantale de la méthode ».

10 Rappelons à cet égard l’insistance de Kant relativement à la nécessité et à l’« utilité négative » de la discipline : dans le cas de la raison pure, celle-ci « a un tel besoin d’une discipline freinant son penchant à s’étendre au-delà des limites étroites de l’expérience possible et lui épargnant les excès et les erreurs que c’est même toute la philosophie de la raison pure qui se consacre uniquement à cette utilité négative » (CRP, A 711/ B 739, p. 602-603).

11 On connaît les condamnations de Thomas de Quincey : « [Kant] écrivait sa propre langue d'une manière tout à fait grossière ; et certains diraient de manière barbare, [...] mais voilà qui irait trop loin. Joseph Scaliger, dans l'Introduction à ses Annotations sur Manilius, insiste, de manière très appropriée, sur la distinction entre barbare loqui et incondite loqui. Telle était précisément la différence entre Wolf (celui qui systématisa Leibniz) et Kant. On peut dire que Wolf qui, à l'époque de notre Reine Anne, écrivait dans une diction hybride et disparate, faite d'allemand, de français et de latin, écrivait barbare ; Kant écrit incondite, c'est- à-dire sans composition ni assimilation (digestion). » (Thomas de Quincey, « Kant in his Miscellaneous Essays », The Works of Thomas de Quincey in Fifteen Volumes, Adam & Charles Black, Édimbourg, XII, p. 312-313, cité par Éric Dayre, « Thomas de Quincey : sur le style transcendantal de Kant », Littérature, 93, 1994, p. 99-100)

12 Alain Renaut, « Présentation », in CRP, p. 8.

13 CFJ, « Analytique du sublime », § 53, p. 314.

14 Ibid.

15 Ibid., p. 315.

16 « Dans les propositions elles-mêmes et dans leurs argumentations, de même que dans la forme du plan et dans sa structure globale, je n’ai rien trouvé à modifier. » (CRP, « Préface de la deuxième édition », p. 88-89).

17 CRP, « Préface de la deuxième édition », p. 91.

18 Martin Heidegger, Interprétation phénoménologique de la Critique de la raison pure de Kant, Paris, Gallimard, 1982, p. 338.

19 « Déterminer cette idée pratiquement, c’est-à-dire de façon suffisante pour la maxime de notre conduite raisonnable, c’est l’affaire de la doctrine de la sagesse, et celle-ci à son tour, en tant que science, est la philosophie, dans la signification que ce mot avait pour les Anciens, pour lesquels elle enseignait dans quel concept il convient de placer le souverain Bien et la conduite à suivre pour l’acquérir. » (CRPr, II, « Dialectique de la raison pratique pure », I, p. 228).

20 Ibid.

21 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 713/B 741, p. 604.

22 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 712/B 740, p. 603. Dans la Logique, Kant oppose les connaissances rationnelles, qui sont des connaissances provenant de principes (ex principiis), aux connaissances historiques, qui sont des connaissances provenant de données (ex datis) (Immanuel Kant, Logique, trad. L. Guillermit, Paris,Vrin, 1966, p. 21-22).

23 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 726/B 754, p. 611.

24 CRP, « Introduction », A 3/B 7, p. 97-98.

25 « C’est dans cette forme que consiste donc la différence essentielle entre ces deux espèces de la connaissance rationnelle, et elle ne repose pas sur la différence de leur matière ou de leurs objets. » (CRP, A 714/B 742, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, p. 604).

26 Grandjean Antoine, La philosophie de Kant. Repères, Paris,Vrin, 2016, p. 32.

27 Voir également la Logique, où Kant précise que la philosophie est « la connaissance rationnelle par simples concepts » (nous soulignons, Kant Immanuel, Logique, op. cit., p. 23).

28 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 727/B 755, p. 612 sq.

29 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 731/B 759, p. 614.

30 Cette intention est celle du Kant-Lexikon de Rudolf Eisler : « Et même si le but visé en premier lieu a été de montrer, en toute clarté, la manière dont Kant a conçu les problèmes, du commencement jusqu’à la fin de son travail philosophique, on n’en a pas moins veillé, autant que faire se pouvait, à citer non pas des définitions et des remarques de Kant détachées et privées de leur contexte, mais sur tous les thèmes de quelque importance, des mouvements de pensée avec leur logique interne. » (Rudolf eisler, « Préface », in Kant- Lexikon, vol. I, Paris, Gallimard, 2011, p. IX.)

31 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », I, A 733/B 761, p. 616.

32 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Dialectique transcendantale », « Introduction », A 302/B 359, p. 334.

33 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Dialectique transcendantale », « Introduction », A 303/B 359, p. 335.

34 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Dialectique transcendantale », « Introduction », A 305/B 361, p. 336.

35 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Dialectique transcendantale », « Introduction », A 305/B 362, p. 337.

36 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », IV, A 782/B 810, p. 645.

37 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », IV, A 783/B 811, p. 645.

38 Dans la première préface de la Critique de la raison pure, Kant évoque déjà deux « exigences essentielles », mais qui ne sont pas encore des règles édictées depuis la conscience de la nécessité d’une discipline de la raison pure, puisqu’elle ne concerne que les modalités de communication du discours : « Certitude et clarté, deux points qui concernent la forme de cette investigation, sont encore à considérer comme des exigences essentielles que l’on peut légitimement adresser à l’auteur qui a l’audace de faire sienne une entreprise aussi délicate. » (CRP, « Première Préface », A XV, p. 67). L’exigence de certitude implique, idéalement, que l’on parvienne à des propositions absolument certaines et à des connais- sances a priori solidement établies. L’exigence de clarté n’est plus, comme chez Descartes, relative à l’évidence qui est la marque psychologique du vrai : elle concerne les concepts (clarté logique) et les exemples (clarté intuitive). Les exigences de certitude et de clarté valent alors comme des impératifs formels ou stylistiques, alors que les règles énoncées à la fin de la « Discipline de la raison pure » procèdent de l’ensemble de la démarche critique déployée dans l’« Esthétique » et la « Logique » transcendantales.

39 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », IV, A 786/B 814, p. 647.

40 Sur cette question, nous renvoyons à ces références, qui établissent déjà nettement l’importance de cette question : Dieter HEnriCH, « Zu Kants Begriff der Philosophie », in Kritik und Metaphysik. Studien. Heinz Heimsoeth zum achtzigsten Geburtstag, Berlin, Walter de Gruyter & Co, 1966, p. 50 sq. ; Willi Goetschel, Kant als Schriftsteller, Wien, Passagen Verlag, 1990, p. 105-126 ; Alain Renaut, « Présentation », CRP, p. 11 ; et enfin et surtout Antoine Grandjean, Critique et réflexion. Essai sur le discours kantien, Paris,Vrin, 2009.

41 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Discipline de la raison pure », IV, A 786/B 814, p. 647.

42 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcendantale », « Analytique des principes », III, A 260/B 316, p. 309 sq.

43 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcendantale », « Analytique des principes », III, A 270/B 326, p. 315.

44 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcendantale », « Analytique des principes », III, A 271/B 327, p. 316.

45 Sur la critique de Leibniz, nous renvoyons à Matthieu Haumesser, « Que signifie pour Kant l'erreur de Leibniz ? Autour de l'“Amphibologie des concepts de la réflexion” », Kant-Studien, vol. 101, n° 1, 2010, p. 1-21.

46 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcendantale », « Analytique des principes », III, A 270/B 326, p. 315.

47 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcendantale », « Analytique des principes », III, A 268/B 324, p. 314.

48 « Les concepts peuvent être comparés logiquement sans que l’on se soucie de savoir à quoi se rattachent leurs objets, si, comme noumènes, ils relèvent de l’entendement ou, comme phénomènes, de la sensibilité. Mais si, avec ces concepts, nous voulons accéder aux objets, une réflexion transcendantale préalable est nécessaire afin de déterminer pour quelle faculté de connaissance ils doivent être objets, si c’est pour l’entendement ou la sensibilité. » (CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcendantale », « Analytique des principes », III, A 269/B 325, p. 315).

49 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcendantale », « Analytique des principes », III, A 260/B 316, p. 309-310.

50 CRP, « Théorie transcendantale des éléments », « Logique transcendantale », « Analytique transcendantale », « Analytique des principes », III, A 261/B 317, p. 310.

51 CRP, « Préface de la deuxième édition », B XVI, p. 78.

52 Sur tout ceci, CRP, « Introduction », A 15/B 29, p. 113.

53 Ibid.

54 CRPr, « Doctrine des éléments de la raison pratique pure », « Analytique de la raison pratique pure », « Des ressorts de la raison pratique pure », p. 202 sq.

55 Immanuel Kant, Opus postumum, Paris, PUF, 1986, p. 236.

56 Kant ironise volontiers sur l’incapacité philosophique de celui qui a appris tel ou tel système, ainsi ordonné selon les critères de la principialité et de la déductivité, puisqu’il est alors condamné à une position d’imitation devant la construction artificielle et arbitraire qui lui est proposée : « […] celui qui a proprement appris un système de philosophie, par exemple celui de Wolff, quand bien même il aurait en tête tous les principes, toutes les définitions et démonstrations, en même temps que la division de tout cet édifice doctrinal, quand bien même il pourrait tout dénombrer sur ses doigts, ne saurait pourtant avoir d’autre connais- sance de la philosophie wolffienne qu’une connaissance historique complète : il ne sait et ne juge que ce qui lui a été donné. » (CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 836/B 864, p. 676).

57 Alain REnaut, « Présentation », in CRP, p. 9

58 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 832/B 860, p. 676.

59 Ibid.

60 CRPr, « Préface », p. 97.

61 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 838/B 866, p. 677.

62 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 838/B 866, p. 678.

63 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 838/B 866, p. 677.

64 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 840/B 868, p. 679.

65 En ce sens, il faut redire, contre certaines lectures positivistes de Kant, que l’objectif de la Critique de la raison pure n’est pas d’anéantir la métaphysique mais bien de découvrir la ou les voie(s) de sa refondation.

66 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 838/B 866, p. 677.

67 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 841/B 869, p. 679.

68 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Architectonique de la raison pure », A 839/B 867, p. 678.

69 CRP, « Théorie transcendantale de la méthode », « Canon de la raison pure », A 805/B 833, p. 658.

70 CRPr, « Préface », p. 95.

71 À titre de comparaison, nous renvoyons à notre article : Laurent pErrEau, « L’éthique ultime de Husserl. De l’auto-méditation à l’autoresponsabilité », Symposium, 25, 1, 2021, p. 19-38.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Perreau, « Sur quelques spécificités du discours critique kantien : la philosophie de la philosophie dans la Critique de la raison pure »Philosophique, 26 | 2023, 9-28.

Référence électronique

Laurent Perreau, « Sur quelques spécificités du discours critique kantien : la philosophie de la philosophie dans la Critique de la raison pure »Philosophique [En ligne], 26 | 2023, mis en ligne le 07 juillet 2023, consulté le 28 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/philosophique/1753 ; DOI : https://doi.org/10.4000/philosophique.1753

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Auteur

Laurent Perreau

Université de Franche-Comté, Laboratoire des Logiques de l’Agir (UR 2274) et Archives Husserl de Paris (CNRS-UMR 8547)

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Droits d’auteur

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