I - Introduction

1Ouverte aux usages civils en 1983, la technique spatiale GPS a rapidement démontré son utilité dans le domaine scientifique, en particulier en géomorphologie et géologie (T. DIXON, 1991 ; K.M. LARSON et D.C. AGNEW, 1991 ; Y. PELER et al., 1998 ; F. PINGUE et al., 1998 ; J.B. SHEPERD et al., 1998 ; etc.).

2Dans cet article, nous allons présenter, comme exemple d'utilisation du GPS pour le suivi de la dynamique des dunes, un travail mené dans deux secteurs du Maroc oriental. Les résultats en ont déjà été en partie publiés (A. SBAI et O. MOUADILI, 2016 ; A. SBAI et al., 2023), mais ils ont été consolidés et réinterprétés pour cette nouvelle publication.

II - Présentation de la zone d'étude

3Les sites étudiés sont situés, le premier, à Maâdar El Msarine (au sud-ouest de Bouarfa) et, le second, au Chott Tigri (Fig. 1). Ils ont pour coordonnées approximatives X = 32°29' N et Y = 1°58' O pour le premier, 32°49 N et 1°39' O pour le second.

4Dans la zone d'étude, au climat méditerranéen dégradé, où les précipitations annuelles ne dépassent pas 200 mm, les champs de dunes occupent surtout les cuvettes (Chott Tigri) et les plaines intra-montagneuses (plaines de Tamlelt et de Bouarfa). Ils s'étendent sur plus de 1000 km² au Chott Tigri et sur plus de 200 km² dans la région de Bouarfa.

5La région de Bouarfa est un élément du Haut Atlas oriental. Celui-ci se présente sous la forme de chaînons montagneux entre 1400 et 2100 m d'altitude, de direction est-ouest, constitués de roches sédimentaires jurassiques et crétacées, qui encadrent de hautes plaines (Fig. 2). Le champ de dunes de Maâdar El Msarine (Photo 1) se trouve dans celle de Tamlelt (1100-1200 m d'altitude).

6Le Chott Tigri, à 45 km au nord-est de Bouarfa, fait partie des Hauts Plateaux du Maroc oriental, dont l'altitude avoisine 1350 m, tandis que le fond de la dépression est à la cote 1148. Long de 60 km d'ouest en est, pour une largeur de 30 km, ce chott est dominé, au nord comme au sud, par des falaises de grès rouges sénoniens presque rectilignes (Photo 2). Un réseau hydrographique peu évolué (oued Mazer, oued Meril) serpente au milieu de formations dunaires récentes vers la sebkha (Ed-Dechar) qui en occupe le centre. Les dunes étudiées appartiennent au champ situé immédiatement au nord-ouest de la sebkha (Photo 2).

7Sur les sites d'étude, les dunes atteignent tout au plus 4 à 5 m de hauteur. De type transverse, au profil en travers dissymétrique, elles ont pour la plupart une ligne de crête allongée selon une direction autour d'ONO-ESE ou d'OSO-ENE, et un versant raide regardant dans une direction nord, ce qui implique l'intervention de vents venant d'une direction sud. Toutefois ces dunes sont organisées en lignes imparfaites, d'orientations elles-mêmes variées, dont l'entrelacement forme des ensembles complexes (Photos 1 et 2, Figure 3) traduisant les actions combinées de vents de différentes directions.

8D'après les données enregistrées à la station de Bouarfa de 1984 à 1989 (A. SBAI et al., 1992), les vents prédominants supérieurs à 2 m/s sont d'est (notamment le Chergui), de nord à est-nord-est et d'ouest à sud (Fig. 4-a). Avec toutes les vitesses de vent, les vents d'est sont également prédominants sur la période 2013-2022, tandis que les vents de nord-est prennent la deuxième position et que ceux d'ouest à sud sont relativement peu représentés (Fig. 4-b). Ces observations s'accordent mal avec les caractéristiques des dunes et des champs de dunes.

9Le sable pourrait venir de l'intérieur du Maroc et plus précisément des vallées du Drâa et du Ziz, qui connaissent une progression des accumulations sableuses (A. BENMOHAMMADI et al., 2000). Il pourrait provenir aussi de l'est (apporté par le Chergui) et de zones proches facilement érodables. Les secteurs d'étude reçoivent du sable, mais ils sont sans doute en même temps des sources d'exportation.

10En dépit du vent et de la sécheresse, les champs de dunes de Maâdar El Msarine et du Chott Tigri portent des individus disséminés de tamaris ("tamarix") et de rtem (genêt blanc ("rtem") (Photo 3).

III - Méthodes

11Pour cette étude, nous sommes partis du postulat, maintes fois démontré par ailleurs, que les vents déterminent les déplacements des sables. L'objectif n'est donc pas d'étudier les relations entre les vents et les évolutions des dunes, ni d'envisager le bilan sédimentaire global des sites d'étude, mais seulement de mettre en évidence les transformations en cours à travers des mesures au GPS. Pour atteindre cet objectif, nous avons utilisé le modèle 1200 de la marque Leica.

12Les fondements de la technique GPS ont déjà été exposés de multiples fois (B. HOFMANN-WELLENHOF et al., 1992 ; A. LEICK, 1995 ; T.A. HERRING, 1996 ; etc.). Le système GPS est basé sur un réseau de 24 satellites en orbite autour de la Terre qui émettent en continu un signal radio codé sur deux fréquences (L1 = 1,2 GHz et L2 =1,5 GHz). Ces signaux sont modulés sur la phase par des codes binaires qui contiennent des informations sur le temps, terme C/A (Coarse Acquisition) ou terme P (Precise Acquisition). Les signaux C/A ont toujours été ouverts à tous, alors que l'accès au code P a été restreint jusqu'au début de l'année 2000 (J.P. MALET et al., 2002).

13Le GPS différentiel utilise des stations fixes de référence (Photo 4) qui lui permettent de corriger les positions déterminées à l'aide d'une station GPS mobile (voir Photo 6). Deux stations de référence ont été aménagées dans le secteur d'étude, en des endroits à la topographie la plus stable possible. Des piquets-repères en ont matérialisé l'emplacement (Photo 5), ce qui a permis de les remettre en place précisément à chaque passage sur le terrain. De 2013 à 2021, le suivi de la dynamique des dunes a fait l'objet d'une campagne de mesures chaque année. Une nouvelle campagne a été effectuée en 2023. Toutes les campagnes ont été réalisées en octobre et/ou novembre. Des piquets mis en place en 2013 ont servi à vérifier la réalité des déplacements décelés à partir des mesures GPS.

14Deux dunes ont été suivies sur chaque site. Pour des raisons de commodité d'accès, elles ont été choisies vers la périphérie du champ de dunes auquel elles appartiennent. À Maâdar El Msarine (dunes 1 et 2 ‒ Photos 6 et 7), les mesures ont été arrêtées après 2019 en raison de travaux pour lutter contre la désertification (Photo 8). Au Chott Tigri (dunes 3 et 4 ‒ Photos 9 et 10), ce sont 10 campagnes qui ont été réalisées (2013-2021 et 2023).

Photo 8 - Aménagements réalisés par la Direction des Eaux et Forêts

15Les limites des dunes ont été déterminées en considérant, non pas les points les plus bas dans les zones inter-dunaires, mais ceux immédiatement au bas des versants en pente forte ou au moins encore moyenne dans toutes les directions (voir Photos 9 et 10). À l'intérieur de ces limites, de nombreuses observations ont été effectuées. À raison d'une mesure tous les un à deux mètres le plus souvent, nous disposons, au total, de 8098 points pour l'ensemble de la période d'étude (Tab. I).

16Les données GPS ont été traitées en mode RTK. Les coordonnées ont été calculées directement dans le référentiel géodésique. La précision atteinte est réputée millimétrique (C. GILBERT, 1993). Pour les différents traitements, nous avons utilisé les logiciels Leica Geo Office 7, Covadis d'Autocad, Surfer et ArcGIS.

17Les surfaces en plan ont été évaluées à l'aide du logiciel Covadis, à partir des mesures effectuées à leurs limites. Les volumes de sable ont été déterminés avec le même logiciel, en utilisant le mode courbatures par prismes. Pour cette détermination, la surface de base modélisée par Covadis en 3D est ondulée. Le centre de gravité volumique des dunes a ensuite été localisé en 2D à l'aide du logiciel ArcGis.

18Le tableau II et la figure 5 synthétisent un certain nombre de données altimétriques. Ils mettent en évidence des différences assez fortes d'une année à l'autre pour tous les paramètres, en particulier dans le cas de la dune 1. Les variations des écarts entre les altitudes maximale et minimale en bordure des dunes (delta base), comme celles des altitudes maximales (Fig. 5), témoignent d'une dynamique éolienne active.

19Les valeurs du delta base obligent à s'interroger sur ce que représentent les volumes modélisés par rapport aux sables sous-jacents. Pour juger de l'évolution d'une dune, nous avons donc tendance à préférer le suivi de son point sommital à celui de son centre de gravité volumique.

IV - Résultats

1 ) Les dunes de Maâdar El Msarine

20Sauf en 2018, la dune 1 a toujours présenté une forme compacte (distance entre les points les plus éloignés en 2013 : 50 m, selon la direction NNO-SSE). La dune 2, en revanche, est allongée selon un axe OSO-ENE (distance entre les points les plus éloignés en 2013 : 118 m). Le contour de ces dunes (Fig. 6 et 7) a évolué au cours du temps, mais de manière relativement limitée si l'on excepte la rétractation provoquée en 2019 par la mise en place des dispositifs antiérosifs. Pour la période 2013-2018, la distance maximale entre les points sommitaux annuels est de 10,4 m pour la dune 1 (2014-2019) et de 12,3 m pour la dune 2 (2014-2018). Les déplacements interannuels des points sommitaux sont irréguliers en distance comme en direction, avec une tendance à une migration vers le nord, surtout sensible entre 2014 et 2015, mais cette tendance ne se retrouve pas pour les limites.

21Les déplacements des centres de gravité sont également irréguliers d'une année à l'autre, mais sans mouvement vers le nord sur l'ensemble de la période d'étude. Si l'on écarte l'année 2019, la distance maximale entre les positions annuelles du centre de gravité est de 10,9 m pour la dune 1 (2013-2016) et de 13,2 m pour la dune 2 (2013-2014).

22Entre 2013 et 2017, 2019 n'ayant aucune signification en termes de dynamique des dunes du fait de l'impact des travaux entrepris, les points sommitaux et les centres de gravité ont bougé respectivement de 8,8 m (vers le nord) et 9,3 m (vers le sud) pour la dune 1, et de 11,9 m (vers le nord-ouest) et 8,1 m (vers le sud-ouest) pour la dune 2.

23Entre 2013 et 2018, la surface et le volume des dunes 1 (Fig. 8) et 2 (Fig. 9) ont globalement décliné, avec des variations d'une année à l'autre, surtout pour la dune 2. Toutefois les valeurs sont restées à des niveaux élevés. Dans les deux cas, 2019 est marquée par l'impact des travaux entrepris pour freiner la désertification.

24En 2017, les altitudes minimale et maximale de la dune 1 ont été inférieures de plus de 5 ou 6 mètres aux valeurs trouvées pour les autres années de 2013 à 2018. Pour autant, ni la surface ni le volume n'ont été affectés. Une déflation, mais ce serait vrai aussi pour un engraissement, peut donc ne pas influencer le volume d'une dune s'il est généralisé et en touche toutes les parties. L'abaissement des altitudes aux limites de la dune tend à accroître le volume de la dune, et il reste toujours du sable sous le volume calculé.

2 ) Les dunes du Chott Tigri

25D'abord est-ouest, l'orientation de la dune 3 est devenue progressivement OSO-ENE (Fig. 10). Sa longueur, en revanche, a peu évolué entre le début et la fin des observations (124 m en 2013, 132 m en 2023), alors qu'elle a atteint près de 160 m en 2017. Le point sommital de la dune s'est déplacé dans des directions parfois différentes d'une année à l'autre, avec toutefois une composante générale vers l'ENE. La distance séparant les positions au début et à la fin des observations avoisine 79 m. Si l'on écarte 2013, année qui se démarque nettement, mais pour laquelle le nombre des points de mesure est très faible, la migration du point sommital est de 40 m vers le NE. Avec un cheminement légèrement différent, mais une direction générale identique, le centre de gravité s'est déplacé de 47 m de 2013 à 2023 (48 m jusqu'en 2021) et de 29 m à partir de 2014 (30 m jusqu'en 2021). En l'absence d'une migration de la dune vers l'est, les déplacements mis en évidence résultent, pour une part, du changement d'orientation de la dune et, pour une autre, d'une modification de son modelé.

26Située à 150 m environ au nord de la dune 3, la dune 4 (Fig. 11) est toute différente : de faible extension (38 m de longueur maximale en 2015) et de forme souvent arrondie, avec un profil nettement dissymétrique (voir Photo 10). Sur la période d'étude, cette dune s'est déplacée de manière assez régulière vers l'ENE, de 82 m environ au total si l'on prend comme référence le point sommital, de 78 m en considérant le centre de gravité. On notera toutefois qu'à partir de 2021, il est devenu délicat de distinguer cette dune de certaines de ses voisines.

27Le volume et la surface de la dune 3 ont subi le plus souvent des évolutions semblables (Fig. 12). Seules les années 2013 et 2014 font exception. En 2013, c'est malgré tout une surface suffisamment étendue qui a permis que le volume ne soit pas trop faible alors que l'épaisseur moyenne de la dune était la plus basse de la période d'étude. En 2014, l'accroissement du volume, beaucoup plus net que celui de la surface, est lié à l'augmentation de l'épaisseur moyenne de la dune en relation avec l'élévation du sommet et l'abaissement du point le plus bas.

28Dans le cas de la dune 4, la surface a manifesté des évolutions marquées (Fig. 13). Mais celles du volume ont été encore plus sensibles, du fait des modifications de la topographie, qui se sont traduites par des fluctuations de l'épaisseur moyenne de la dune. La taille réduite de cette dune est favorable à une traduction exacerbée de tous les changements.

29La différence la plus notable entre les dunes des deux sites réside dans leurs déplacements. Celles de Maâdar El Msarine ont subi des mouvements annuels de différentes directions, si bien qu'elles ont peu évolué entre 2013 et 2018. Au contraire, au Chott Tigri, les dunes ont subi des évolutions plus sensibles. L'extrémité occidentale et le point le plus haut de la dune 3 se sont déplacés vers l'ENE, tandis que son extrémité orientale migrait vers le nord. Le mouvement vers l'ENE a été plus net au total et plus systématique d'une année à l'autre pour la dune 4 que pour la dune 3.

30Toutefois, si l'on considère la complexité des champs de dunes et donc de la dynamique éolienne dans ces secteurs, il serait pour l'instant bien imprudent d'avancer une explication.

V - Conclusion

31Le GPS est un outil remarquable pour suivre toute évolution spatiale, en 2D comme en 3D. Pour autant, il n'apporte pas toutes les solutions pour le suivi des dunes. En effet, tracer le contour d'une dune laisse une grande place à la subjectivité de l'opérateur. De plus, l'appréciation du volume de la dune, et donc de son centre de gravité volumique, doit être interprétée avec prudence dès lors que la dune est ancrée dans du sable. Mais ces réserves, auxquelles il faut ajouter la lourde charge de travail sur le terrain, qui oblige à des observations ponctuelles, n'empêche pas d'acquérir des informations significatives, comme nous l'avons illustré ci-dessus.

32Au delà de la démonstration de l'intérêt de la technique GPS pour le suivi de l'évolution des dunes, la compréhension de la dynamique des champs de dunes du Chott Tigri et de Maâder El Msarine nécessitera tout à la fois d'effectuer des mesures plus rapprochées dans le temps et de les mettre en relation avec les données sur les vents, avec peut-être la nécessité d'effectuer à cet égard des mesures sur les sites eux-mêmes.

Remerciements : Nous exprimons notre profonde gratitude à Claude MARTIN, pour ses conseils, son dévouement et son soutien constant tout au long de la correction de cet article, au Directeur des Eaux et Forêts et de la Lutte contre la Désertification de Bouarfa, pour son aide si précieuse sur le terrain, et au Responsable du Centre Provincial de la Météorologie d'Oujda, qui nous a communiqué des données sur les vents.