• 1 B. Sienkiewicz [@BartSienkiewicz], “Oburzonym: tylko dwa kraje w czasie pokoju dokononały czyski wś (...)
• 2 M. Kucharczyk, “Co PiS zrobił z wojskiem? Jest więcej pieniędzy, ale zabrakło odwagi na “dobrą zmia (...)
• 3 Depuis 2006, les officiers ayant le grade de colonel et général doivent présenter une déclaration d (...)
• 4 En Pologne, le PESEL est un numéro d’identification national à onze chiffres dont les six premiers (...)

1« Seuls deux pays en temps de paix ont réalisé des purges des commandants d'armée les plus importants et les plus expérimentés : l'URSS sous Staline et la Pologne sous le PiS »1. Twittée par Bartłomiej Sienkiewicz, ancien ministre de l’Intérieur et membre de l’opposition Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO), la formule prête à sourire au regard des positions anticommunistes du parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS). Elle interroge néanmoins sur les changements de personnel opérés dans l’armée polonaise depuis l’arrivée au pouvoir du parti en 2015. En deux ans, 80 à 90 % des officiers qui occupaient des postes à responsabilité furent remplacés2 et 48 généraux et 254 colonels mis en retraite anticipée. Interpellé par les députés en mars 2017, le ministre de la Défense Antoni Macierewicz justifiait ces départs par l’irrégularité de certaines déclarations de lustration3. Un officier rapporte anonymement : « aucun de ceux dont le PESEL commençait par le chiffre six ne pouvait dormir sur ses deux oreilles »4.

• 5 L’Armée populaire (Armia Ludowa, AL) est un mouvemente clandestin polonais fondé sur la base de la (...)
• 6 T. Panecki, “La Pologne dans le Pacte de Varsovie”, Revue Militaire Suisse, Vol. 145, 2000, pp. 47- (...)
• 7 Ibid. ; P. Tomaszewski, “Z Układu Warszawskiego do NATO – przemiany w polityce bezpieczeństwa Polsk (...)

3L’Armée populaire de Pologne (Ludowe Wojsko Polskie, LWP) est née de la fusion entre l’Armée polonaise en URSS et l’Armée populaire (Armia Ludowa - AL), fraction de la résistance polonaise dans la Pologne occupée par l’Allemagne nazie5. La LWP fut formée, organisée et équipée pendant et après la Seconde Guerre mondiale par les Soviétiques, qui exercèrent des fonctions de commandement jusqu’au milieu des années 1950 – le ministre de la Défense lui-même était un maréchal soviétique, Konstantin Rokossovski. Membre du Pacte de Varsovie dont le traité avait été signé dans sa capitale en 1955, la Pologne était un élément clé du dispositif de défense de la coalition en raison de sa position géographique et de son potentiel militaire. Les voies de communication qui traversaient le pays permettaient de relier les troupes soviétiques stationnées en République démocratique allemande (RDA) à l’URSS, de sorte que la Pologne constituait une base arrière équipée d’infrastructures et de bases d’approvisionnement6. En cas de conflit, l’armée polonaise avait pour mission de former un « front polonais autonome » (Front Polski) et de lancer une offensive vers l’Allemagne du Nord pour soutenir l’avancée soviétique en direction des territoires belges et néerlandais7.

• 8 En 1947, l’armée polonaise fut impliquée dans la falsification des résultats des élections législat (...)

4Les troupes du Pacte de Varsovie ne furent jamais engagées sur un théâtre d’opérations extérieures, en revanche, elles étaient l’instrument du régime soviétique pour assurer son contrôle politique sur les démocraties populaires. En août 1968, 500 000 soldats dont 24 000 Polonais furent déployés dans le cadre de l’Opération Danube pour rétablir l’autorité de Moscou sur la Tchécoslovaquie en voie de libéralisation. En Pologne également, le régime communiste eut recours à la LWP : en 1947, le gouvernement communiste provisoire s’appuya sur l’armée pour mener une campagne idéologique en vue de remporter les élections législatives8 ; en juin 1956 à Poznań, puis en mars 1968 et en décembre 1970, l’armée fut réquisitionnée pour réprimer les troubles sociaux ; et entre 1981 et 1983, elle appliqua la loi martiale adoptée par le gouvernement, lui-même aux ordres d’un militaire, le général Jaruzelski. La LWP apparaissait comme un instrument fiable du bloc communiste.

• 9 Le général précise qu’il fonde cette thèse sur sa propre expérience, acquise lors de ses études à l (...)
• 10 L. Crump, The Warsaw Pact reconsidered. International relations in Eastern Europe, 1955-69, Routled (...)
• 11 Au total, plus de 1000 officiers et civils ont servi en Corée entre 1953 et 1989. Site institutionn (...)

5Le général Bolesław Balcerowicz souligne cependant que la LWP se distinguait des autres armées du pacte par “sa plus grande liberté, ses prises d’initiative et son refus du doctrinaire9”. Dès janvier 1957, une délégation polonaise fut effectivement envoyée à Moscou pour contester la “loi sur le commandement unifié” qu’elle considérait contraire à l’idée d’indépendance et de souveraineté des pays membres du Pacte de Varsovie10. La LWP avait également pour spécificité de participer à de nombreuses missions et opérations internationales de maintien de la paix. Dès 1953, 60 militaires furent envoyés pour monter un hôpital de la Croix-Rouge polonaise en Corée du nord11 ; entre 1954 et 1975, 214 observateurs militaires participèrent à la Commission internationale de surveillance et de contrôle au Cambodge, Laos et Sud Vietnam ; et entre 1968 et 1970, trois militaires polonais firent partie de l’équipe d’observateurs pendant la guerre du Biafra. En 1973, la LWP participa pour la première fois aux opérations de l’Organisation des Nations unies (ONU), en envoyant des contingents militaires et observateurs, d’abord en Égypte, puis en Syrie (1974), en Éthiopie (1985), en Afghanistan et Pakistan (1988), en Irak et Iran (1988) et en Namibie (1989).

• 12 Fédération de syndicats polonais opposés au régime de la République populaire de Pologne, Solidarno (...)

6À la suite de la victoire de Solidarność12 aux élections législatives semi-libres en juin 1989, un premier gouvernement non communiste fut nommé en Pologne. Il héritait d’une armée de 400 000 hommes, considérée comme la seconde force du Pacte de Varsovie. Le pays resta membre jusqu’en juillet 1991, date de sa dissolution complète. À cette date, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Pologne avaient déjà exprimé leur volonté de rejoindre l’OTAN. Huit ans plus tard, les trois pays étaient membres à part entière de l’Alliance atlantique.

• 13 P. Latawski, “Dismantling the Legacy of the Warsaw Pact”, Whitehall Papers, Vol. 46, 1999, pp. 4-17 (...)
• 14 Symboles de la fin du communisme en Pologne, les négociations de la Table ronde se sont déroulées d (...)
• 15 A. Zima, D'ennemi à Allié : L'adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République Tchèque à l (...)

10La première phase de transformation des forces armées polonaises consista à se défaire des éléments les plus caractéristiques du régime communiste13. Lors des négociations de la Table ronde au printemps 1989, le Parti ouvrier polonais unifié (Polska Zjednoczona Partia Robotnicza, POUP) avait accepté de transférer ses pouvoirs à un gouvernement non communiste à condition de conserver les ministères de l’Intérieur et de la Défense ainsi que la présidence de la République populaire de Pologne (Polska Rzeczpospolita Ludowa, PRL)14. Les premières réformes militaires furent donc initiées sous l’autorité d’un ministre de la Défense communiste du gouvernement de coalition dirigé par le Premier ministre Tadeusz Mazowiecki, membre de Solidarność15.

• 16 T. Szayna, “The Military in a Postcommunist Poland”, RAND Corporation, Note, 1991, pp. 1-72.
• 17 Salmonov, “La doctrine militaire soviétique et quelques considérations sur le caractère de la guerr (...)
• 18 M. Betiuk et W. Saletra, Od Układu Warszawskiego do NATO Polityka obronna RP w latach 1989-2004, Ar (...)

11Dans un premier temps, les autorités polonaises entreprirent de réduire la taille de la LWP. Armée de masse, elle était composée en majorité de conscrits, conformément au modèle soviétique. Le processus de rationalisation et de réduction des forces armées polonaises avait débuté à la fin des années 1980 sous le régime communiste, en raison des difficultés économiques, mais également à la suite des mesures de libéralisation adoptées par le nouveau dirigeant de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev16. Dès 1985, les forces armées soviétiques réévaluèrent leurs objectifs stratégiques et commencèrent à travailler sur une doctrine militaire défensive. Outre les gains économiques qu’offrait cette nouvelle posture, il était également question de donner image moins menaçante de l’URSS afin d’affaiblir la cohésion atlantique17. Le 29 mai 1987, ces changements se répercutèrent au sein du Pacte de Varsovie, qui adopta à son tour une doctrine défensive. Dès lors, la défense polonaise fut recentrée sur son seul territoire en limitant les fonds octroyés aux forces offensives : six unités blindées furent démantelées ; les divisions aéroportées et d’assaut amphibies furent réduites ; et l’armée de l’air et les forces nationales de défense aérienne, autrefois distinctes, fusionnèrent pour créer les forces de défense aérienne (Wojska Lotnicze i Obrony Powietrznej, WLOP)18. L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement non communiste en 1989 ne provoqua pas d’inflexion dans la politique de réduction des forces armées polonaises. Engagé dans une transition politique et économique vers un modèle de démocratie libérale à économie de marché coûteuse, le nouveau gouvernement ne pouvait se permettre de maintenir une armée massive et lourdement équipée.

• 19 P. Latawski, “Painful but Necessary Adjustment: Manpower Issues and Infrastructure”, Whitehall Pape (...)
• 20 P. Tomaszewski, op. cit., p. 123.

12Dans un premier temps, la durée du service militaire fut réduite de vingt-quatre à dix-huit mois en janvier 1990, ce qui permit une baisse importante des effectifs. Puis la Pologne participa aux côtés des pays du Pacte de Varsovie aux négociations de Vienne sur la réduction des forces armées conventionnelles en Europe. Elle signa le traité FCE en novembre 1990 et s’engagea à respecter le traité FCE-1A en juillet 1992, qui fixait à 234 000 le nombre de soldats polonais. Entre 1989 et 1991, les effectifs des forces armées polonaises passèrent de 400 000 à 300 000 hommes, pour ensuite atteindre le nombre de 200 000 en 199919. Cette baisse drastique s’expliquait principalement par la diminution de la durée de la conscription, qui passa de dix-huit à douze mois en 1999. À l’inverse, les officiers supérieurs avaient été moins touchés dans : sur 54 342 postes occupés en 1990, seuls 15 000 départs n’avaient pas été remplacés en 199920.

• 21 P. Latawski, “Dismantling the Legacy of the Warsaw Pact”, op. cit., p. 8.
• 22 T. Mazowiecki, 7 posiedzenia Sejmu Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej w dniu 12 września 1989 roku, (...)
• 23 M. Betiuk et W. Saletra, op. cit., p. 48; T. Szayna, op. cit., p. 26.
• 24  La RAND Corporation est un institut de conseil spécialisé dans les questions de sécurité et de déf (...)

13En 1989, 92 % des officiers, 66 % des adjudants et 40 % des sous-officiers de l’armée polonaise étaient membres du POUP21. Pour le nouveau gouvernement, les services de l’État devaient être décommunisés. Le 12 septembre 1989, le Premier ministre Tadeusz Mazowiecki fit part de sa volonté de dépolitiser l’armée : « la vision du monde, les convictions politiques des officiers et des soldats doivent être une affaire personnelle, qui n'affecte pas le déroulement de leur service et de leur carrière »22. Au mois de novembre, le gouvernement s’attaqua au démantèlement des structures politiques de l’armée. Le parti communiste exerçait son influence à travers le Département politique principal (Główny Zarząd Polityczny, GZP), qui s’occupait de la formation politique et idéologique des soldats. Le 27 novembre, le général communiste Florian Siwicki donna l’ordre de dissoudre le GZP qui fut remplacé par le Département principal de l’éducation (Główny Zarząd Wychowawczy, GZW), dont la mission était désormais de soutenir le moral des troupes, renforcer les valeurs patriotiques et développer l’éducation civique des soldats23. Des cellules politiques continuèrent cependant d’exister jusqu’au début de l’année 1990, et sous la pression du Parlement, le ministre de la Défense interdit finalement toute activité politique dans les armées en février 199024. Entre-temps, le POUP avait été dissout dans la nuit du 29 au 30 janvier 1990.

• 25 Interview du général Jerzy Jarosz, Żołnierz Rzeczypospolitej, 7 août 1990, citée dans T. Szayna, op (...)

14En avril, les services de sécurité de la République populaire polonaise furent liquidés : le Service militaire interne (Wojskowa Służba Wewnętrzna, WSW) et le Service de renseignement extérieur de l’État-major général furent remplacés par la Police militaire (Żandarmeria Wojskowa, ŻW) et le Service d’information militaire (Wojskowe Służby Informacyjne, WSI). En août 1990, l’âge moyen des nouveaux chefs des services de sécurité était de 34 ans ; les officiers les plus âgés, qui avaient fait carrière dans la LWP, avaient été écartés25.

• 26 M. Betiuk et W. Saletra, op. cit., p. 75.
• 27 Il est difficile d’avoir des chiffres exacts concernant cette période car les réductions de personn (...)

15La désidéologisation des armées passa également par la réorganisation des académies militaires et des formations. Dans un premier temps, les études militaires furent dépolitisées et le Centre de formation des officiers politiques, l'Académie militaire des sciences politiques (Wojskowej Akademii Politycznej, WAP) et l'Académie d’État-major général furent remplacés par l’Académie de Défense nationale (Akademia Obrony Narodowej, AON)26. Entre 1989 et 1991, les organes de contrôle politique de l’armée polonaise avaient été démantelés, seul un tiers du personnel des services de sécurité était resté en poste ; quant aux cadres de l’ancien État-major, presque l’intégralité avait été relevée de ses fonctions27.

• 28 Base de données numériques du Système d’Actes Juridiques (ISAP), Dz.U. 1989 nr 75 poz. 444, Ustawa (...)
• 29 La bataille de Varsovie en 1920, également connue sous le nom de « Miracle de la Vistule » fut un m (...)
• 30 Bien que la République populaire de Pologne avait pour position officielle l’athéisme d’État, les a (...)

16Parallèlement à leur dépolitisation, les forces armées polonaises furent « renationalisées ». Le nouveau gouvernement polonais souhaitait transformer la culture des armées en renouant avec des éléments issus de la tradition militaire polonaise – exception faite de la période communiste. La loi portant modification de la Constitution de la République populaire de Pologne du 29 décembre 1989 renomma la LWP « Forces armées de la République de Pologne », qui avaient pour tâche de « veiller à la souveraineté et à l’indépendance de la nation polonaise, à sa sécurité et à sa paix »28. Des symboles nationaux furent (ré)introduits : l’aigle blanc retrouva sa couronne sur les insignes militaires ; les uniformes et la traditionnelle casquette « Rogatywka » de la Seconde République polonaise (1918-1939) remplacèrent les anciennes tenues ; des nouveaux bérets et écussons rappelant l’armée polonaise en Grande-Bretagne furent adoptés et le 15 août redevint le « Jour de l’armée polonaise » en souvenir de la victoire lors de la bataille de Varsovie en 1920, qui avait permis de repousser l’armée rouge dans son avancée vers l’ouest29. Afin de renforcer le lien armée-nation, les autorités polonaises redonnèrent une place d’importance à la religion dans les armées : des messes étaient organisées dans les casernes, le nouveau serment faisait mention de Dieu, et les ordinariats de campagne et les aumôneries furent conservés30.

• 31 A. Dudek, “Ewolucja stanowiska rządu Tadeusza Mazowieckiego w sprawie obecności Polski w Układzie W (...)
• 32 Ibid.

17Se défaire du modèle soviétique impliquait de renégocier les termes de l’alliance militaire qui liait la Pologne à l’URSS, notamment dans le cadre du Pacte de Varsovie. Cependant, le gouvernement polonais refusait d’envisager tout retrait de la coalition tant que la question de sa frontière avec l’Allemagne n’était pas réglée. La République fédérale d’Allemagne (RFA) n’avait jamais reconnu la ligne Oder-Neisse issue des traités de la Seconde Guerre mondiale qui séparait la RDA et la Pologne et sanctionnait le passage d’anciens territoires allemands sous l’autorité de Varsovie. La publication du plan en dix points pour la réunification allemande du Chancelier Helmut Kohl en novembre 1989 ne faisait nulle mention de la reconnaissance de la frontière germano-polonaise, ce qui provoquait la défiance polonaise31. Pour le gouvernement Mazowiecki, l’appartenance de la Pologne au Pacte de Varsovie et le maintien des troupes soviétiques sur son territoire étaient des garanties de sécurité en cas de révisionnisme allemand32.

• 33 T. Szayna, op. cit., p. 8.
• 34 Il est par ailleurs intéressant de noter que l’URSS continua de jouer sur le “syndrome allemand” po (...)

18Malgré l’annonce de l’Union soviétique à la fin de l’année 1988 de réduire ses forces armées en Europe centrale, ainsi que l’abandon de la doctrine Brejnev de « souveraineté limitée » lors de l’adoption du principe du libre choix du système politique et social lors du sommet de Bucarest du Pacte de Varsovie en juillet 198933, la Pologne continua d’assurer la partie soviétique de sa participation à la coalition et soutenait la volonté des réformateurs de la transformer en alliance politique, conformément à l’esprit de la perestroïka. Le Premier ministre Tadeusz Mazowiecki et le ministre des Affaires étrangères Krzysztof Skubiszewski considéraient que tant que la frontière occidentale polonaise n’était pas reconnue par l’Allemagne réunifiée, le pays avait besoin de l’aide des armées du Pacte de Varsovie pour assurer sa sécurité en cas de revanchisme allemand34. Le 21 juin 1990, les parlements de la RFA et de la RDA déclarèrent renoncer à toute revendication territoriale, et les Soviétiques donnèrent leur accord pour la réunification allemande et l’intégration de la RDA dans l’OTAN en juillet. La signature du traité 4+2 en septembre, puis du traité de Varsovie entre l’Allemagne et la Pologne en novembre 1990 officialisèrent la ligne Oder-Neisse comme frontière germano-polonaise. Dès lors, la protection des armées du Pacte de Varsovie et de l’URSS face à une Allemagne potentiellement révisionniste perdait de son intérêt pour la Pologne, qui commença à remettre en question son appartenance à la coalition et le maintien des troupes soviétiques sur son territoire.

• 35 Jacques Lévesque, « De la “maison commune européenne” à la désintégration du pacte de Varsovie... e (...)
• 36 A. Zima, op. cit., p. 51.
• 37 Ibid., p. 53.

19Depuis le début de l’année 1990, la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie tentaient de faire converger leurs politiques extérieures. Les négociations pour la réduction des armes conventionnelles en Europe avaient été l’occasion de coordonner leurs positions, notamment en s’alignant sur celles des pays occidentaux, parfois à l’encontre de celles de l’URSS35. Depuis, la Hongrie et la Tchécoslovaquie exprimaient publiquement leur volonté de quitter le pacte. Quant à l’URSS, elle évitait de fixer des dates de réunion et allongeait les délais entre les comités politiques consultatifs dans un dernier effort de maintenir l’un de ses derniers instruments de domination sur les anciens pays du bloc de l’Est36. La répression des mouvements d’indépendance en Lituanie et Lettonie en janvier 1991 par Moscou précipita le démantèlement du Pacte de Varsovie : les ministres des Affaires étrangères hongrois, polonais et tchèque exigèrent la tenue d’un sommet avant le mois de mars 1991 au risque de se retirer unilatéralement de la coalition37. Le 25 février 1991, la dissolution des structures militaires du pacte fut signée, et le 1^er juillet 1991, ce fut au tour de ses institutions politiques.

• 38 Roksana Szczypta-Szczęch, “Sowieci jadą do domu”, Instytut Pamięci Narodowej.
• 39 A. Dudek, op. cit., p. 165; Mateusz Staroń, “Polska droga do NATO, czyli co na to powie Wielki Brat (...)
• 40 Ibid., p. 166.

20La reconnaissance par l’Allemagne réunifiée de sa frontière occidentale poussa le gouvernement polonais à demander le retrait officiel des troupes soviétiques en septembre 1991. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, environ 65 000 soldats soviétiques étaient stationnés en Pologne. Dès 1989, des manifestations avaient éclaté contre la présence des soldats soviétiques sous le slogan : « Sowieci do domu ! (Soviétiques rentrez chez vous !) »38. En janvier 1990, le président Lech Wałęsa profita d’une interview télévisée pour interpeller l’ambassadeur soviétique sur la date de retrait des troupes soviétiques : « Quand allez-vous retirer vos troupes de Pologne ? » et sans attendre de réponse conclut « cela doit être fait avant la fin de cette année »39. Le 12 février, les autorités soviétiques firent savoir qu’elles étaient disposées à entamer des discussions sur le retrait de leurs troupes avec le gouvernement polonais, ce à quoi le ministre des Affaires étrangères Skubiszewski répondit qu’il était favorable à une réduction des effectifs et un règlement financier tout en précisant qu’un départ définitif serait conditionné aux négociations de Vienne et à la question de la frontière polono-allemande40.

• 41 A. A. Michta, East Central Europe after the Warsaw Pact: Security Dilemmas in the 1990s, Praeger, W (...)
• 42 Malgorzata Kulbaczewska-Figat, “Wyprowadzenie wojsk radzieckich/rosyjskich z Polski”, Dziennik Tryb (...)
• 43 A. Zima, op. cit., p. 60.

21À l’aube de la réunification allemande en septembre 1990, le gouvernement polonais adressa une note à Moscou pour demander l’ouverture des négociations sur le retrait des troupes soviétiques. Les pourparlers débutèrent en décembre 1990 et se révélèrent plus compliqués que ceux avec la Hongrie et la Tchécoslovaquie. Le gouvernement polonais devait composer avec une contrainte supplémentaire : les troupes soviétiques autrefois positionnées en RDA dépendaient du soutien logistique de celles situées en Pologne. Pour l’URSS, ses troupes ne pourraient quitter la Pologne qu’après le départ des soldats stationnés en Allemagne, ce qui ne serait possible qu’en 1994, tandis que la Pologne demandait un retrait avant l’année 199141. La Pologne refusa alors d’accorder le rapatriement des troupes soviétiques d’Allemagne à travers son territoire tant qu’un accord sur le retrait de celles en Pologne ne serait trouvé42. Les négociations achoppaient également sur le règlement des questions financières, la Pologne demandant des dédommagements pour les dégâts causés par le stationnement des troupes soviétiques, tandis que l’URSS réclamait des compensations pour les investissements réalisés43. Ces demandes furent abandonnées et un accord fut finalement trouvé le 26 octobre 1991. La dernière unité de combat russe fut rapatriée le 28 octobre 1992 et une cérémonie d’adieu aux derniers soldats russes fut organisée au palais du Belvédère en présence du président polonais Lech Wałęsa, le 17 septembre 1993 – date anniversaire de l’invasion de la Pologne par l’URSS en 1939.

• 44 R. Kuźniar, « L’Europe centrale et orientale face au concept de zone d’influence », Politique étran (...)

22L’effondrement de l’URSS et le démantèlement du Pacte de Varsovie plaçaient la Pologne dans une « zone grise » de sécurité entre l’OTAN et les anciennes républiques soviétiques, désormais réunies au sein de la Communauté des États indépendants (CEI)44. C’est dans ce climat d’incertitudes stratégiques que la Pologne entreprit de reconstruire sa politique de défense et son appareil militaire.

• 45 S. Koziej et A. Brzozowski, “Strategie bezpieczeństwa narodowego RP 1990–2014. Refleksja na ćwierćw (...)
• 46 Ibid., p. 19.
• 47 T. Szayna, op. cit., p. 13.

23Dès 1989, des travaux furent lancés pour adopter une nouvelle stratégie de défense. Cependant, après quarante-cinq années de domination soviétique, le pays manquait de centres de réflexion stratégique et de spécialistes en affaires militaires. Le 21 février 1990, une première Doctrine de défense de la République de Pologne fut publiée, mais le rythme des changements politiques était tel qu’elle était déjà dépassée au moment de son adoption45. La défense du pays continuait d’être pensée dans le cadre du Pacte de Varsovie pourtant en train de se décomposer46 et les exercices militaires continuaient d’être imaginés selon des scénarios tactiques offensifs47.

• 48 P. Latawski, “Painful but Necessary Adjustment: Manpower Issues and Infrastructure”, op. cit., p. 3 (...)

24À la suite de la dissolution du pacte, une équipe interministérielle fut nommée par le président de la République pour travailler sur un nouveau concept stratégique. Le 2 novembre 1992, les documents Hypothèses de la politique de sécurité de Pologne et Politique et Stratégie de défense de la République de Pologne furent publiés. La souveraineté et l’intégrité territoriale étaient définies comme objectifs stratégique et la posture défensive de la Pologne était réaffirmée. La Pologne précisait ne percevoir aucune menace de la part d’un pays spécifique, ce qui l’obligea à adopter une défense tous azimuts48. Conscientes de se trouver dans une zone grise de sécurité, les autorités polonaises mirent alors l’accent sur la coopération militaire et firent de l’intégration dans l’OTAN et l’Union de l’Europe occidentale (UEO) des objectifs politiques. Dès lors, les réformes entreprises dans le domaine de la défense devaient correspondre aux attentes de l’OTAN et de l’UEO afin de permettre à la Pologne de prétendre à une adhésion.

• 49 L’intervention des militaires dans la politique polonaise n’est pas propre au régime communiste, en (...)

25La démocratisation du régime politique impliquait celle de ses institutions. Sous la République populaire polonaise, le parti communiste était en charge des affaires militaires et les officiers polonais intervenaient dans la vie politique du pays49. Démocratiser l’armée polonaise signifiait qu’il fallait la subordonner au contrôle de représentants politiques élus. Selon le général Bolesław Balcerowicz, ce processus de démocratisation ne rencontra pas d’opposition dans les forces armées :

• 51 E. Coughlan, “Democratizing Civilian Control: The Polish Case”, Armed Forces & Society, Vol. 24, #4 (...)
• 52 M. Betiuk et W. Saletra, op. cit., p. 58.

26Pour que le contrôle civil et démocratique des armées soit effectif, il doit être exercé par le Parlement, que les militaires obéissent à des représentants politiques élus, et que la politique de défense soit définie par la coopération des représentants politiques, des forces armées, d’experts indépendants et de la société civile51. Dans le nouveau système politique, le rôle et les responsabilités de chaque partie devaient être redéfinis. Les négociations de la Table ronde avaient permis d’amorcer ce processus par le transfert des compétences du Conseil d’État, organe suprême du régime communiste, à la fonction présidentielle nouvellement créée par la loi du 29 mai 198952. Le ministère de la Défense fut peu à peu transformé en institution civile avec la nomination de Janusz Onyszkiewicz et Bronisław Komorowski comme vice-ministres de la Défense en avril 1990. En décembre 1991, Jan Parys devint le premier civil nommé ministre de la Défense de la République de Pologne.

• 53 A. Zima, op. cit., p. 226.
• 54 Ibid., p. 227; M. Betiuk et W. Saletra, op. cit., p. 35.

27Le Comité de défense nationale (Komitet Obrony Kraju, KOK), autrefois présidé par le premier secrétaire du POUP, fut subordonné au président de la République et doté d’un organe exécutif, le Bureau de la sécurité nationale (Biuro Bezpieczeństwa Narodowego, BBN), secondé par le Conseil de la sécurité nationale (Rada Bezpieczeństwa Narodowego, RBN) auquel siégeaient les présidents de la Diète, du Sénat et le Premier ministre, le ministre de la Défense, le ministre de l’Intérieur et de l’Administration, le ministre des Affaires étrangères et d’autres potentiels représentants53. Des commissions de défense furent créées à la Diète et au Sénat, mais le manque de formation des députés sur les questions militaires pesait sur leurs activités : des cursus spécialisés furent introduits à l’Université de Varsovie et à l’Académie militaire pour y pallier54.

• 55 M. Betiuk et W. Saletra, op. cit., p. 43.
• 56 Ustawa Konstytucyjna z dnia 17 października 1992 r. o wzajemnych stosunkach między władzą ustawodaw (...)
• 57 Ibid., p. 60.
• 58 P. Winczorek, “Subiektywne spojrzenie na przemiany ustrojowe lat 1989-2009”, Ruch Prawniczy, Ekonom (...)

28En juillet 1992, la Première ministre Hanna Suchocka annonça une réforme des armées qui devait permettre une stricte répartition des tâches administratives et de commandement entre le ministère de la Défense et l’État-major des armées55. En octobre 1992, l’adoption de la « Petite Constitution » permit de redéfinir les compétences de chaque instance, dont une grande partie revenait à l’exécutif. Le président de la République était le chef suprême des armées, il pouvait nommer et révoquer le chef d’État-major et les commandants des types de forces terrestres, aériennes et navales et des districts militaires en concertation avec le ministre de la Défense ; en temps de guerre, il pouvait nommer et révoquer le chef des armées ; en cas de menace extérieure, il pouvait instaurer la loi martiale et donner l’ordre de mobilisation ; et il pouvait donner un avis au Premier ministre sur la nomination du ministre de la Défense56. Il revenait au Parlement de déclarer l’état de guerre en cas d’attaque armée ou de défense collective résultant d’accords internationaux57. Cependant, si la “Petite Constitution” abrogeait la Constitution de la République de Pologne de 1952, elle continuait à se référer à certaines de ses dispositions58. Elle constitua un texte transitoire jusqu’à la nouvelle constitution polonaise en 1997.

• 59 E. Coughlan, op. cit., p. 526.
• 60 A. Zima, op. cit., p. 229.
• 61 Ibid., p. 230.
• 62 W. Biel, “Stępione zmysły wielkiego niemowy. Polska armia w latach 1989‑2012: wybrane zagadnienia”, (...)

29Il subsistait de facto des confusions dans la répartition des responsabilités entre les différents organes du pouvoir. Le processus d’instauration d’un contrôle civil et démocratique sur les forces armées polonaises fut marqué par des rivalités – non pas entre les instances civiles et militaires – mais entre le chef de l’État et le gouvernement59. Élu en décembre 1990, le président Lech Wałęsa avait une lecture extensive de ses attributions dans le domaine de la défense. Alors que la “Petite Constitution” indiquait que le gouvernement nommait les ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de la Défense avec l’avis du président de la République, ce dernier envisageait de les nommer directement sans consulter le gouvernement60. En 1994, les dîners de Drawsko et de Rembertów, entre le président Lech Wałęsa et l’État-major, révélèrent les limites de la démocratisation des forces armées polonaises. Lors de ces rencontres, des généraux apportèrent leur soutien au président contre les politiques menées par les ministres de la Défense Piotr Kołodziejczyk et Janusz Onyszkiewicz, qui furent par la suite démis de leurs fonctions. Le transfert des compétences du ministre de la Défense vers le chef d’État-major Tadeusz Wilecki, qui bénéficiait de l’appui du président, était envisagé. Le contrôle civil et démocratique des armées étant l’un des prérequis de l’adhésion à l’OTAN, la Pologne fut prévenue des conséquences que pourraient avoir ces dérives sur sa candidature61. La défaite de Lech Wałęsa aux élections présidentielles de 1995 permit l’introduction par l’Alliance de la gauche démocratique (Sojusz Lewicy Demokratycznej, SLD) de la loi relative à la fonction de ministre de la Défense, qui subordonna le chef d'État-Major au ministre ; et la constitution du 2 avril 1997 réaffirma les principes du contrôle civil et démocratique des forces armées62.

• 63 P. Latawski, “Definitive Reform?: Plan 2012”, Whitehall Papers, Vol. 46, 1999, pp. 18-36.

30Dès la fin des années 1980, la Pologne entreprit donc de restructurer son armée. En 1992, l’inscription de l’intégration à l’OTAN comme objectif stratégique poussa le pays à réformer son armée sur le modèle de celles de l’alliance. Cependant, le pays manquait à la fois de moyens et d’une vision globale, par conséquent la restructuration des forces armées se fit de manière parcellaire63.

• 64 M. L. Martin, « Le déclin de l'armée de masse en France. Note sur quelques paramètres organisationn (...)
• 65 A. A. Michta, East Central Europe after the Warsaw Pact: Security Dilemmas in the 1990s, op. cit., (...)
• 66 T. Szayna, op. cit., p. 35.
• 67 A. A. Michta, East Central Europe after the Warsaw Pact: Security Dilemmas in the 1990, op. cit., p (...)
• 68 Ibid., p. 21.

31La structure des forces armées polonaises était conforme au modèle soviétique et contraire à la structure pyramidale des armées occidentales64. Le nombre des officiers était supérieur à celui des sous-officiers et des hommes du rang, et il était courant que des commandants remplissent des tâches subalternes65. Le gouvernement Mazowiecki adopta des premières mesures pour renverser la structure de l’armée polonaise tout en la professionnalisant, conformément au modèle occidental. La diminution du temps de service militaire en janvier 1990 devait permettre de réduire le nombre d’engagés non-initiés, tandis que l’introduction d’un statut d’officier et de sous-officier sous contrat d’une durée de cinq ans avait pour objectif de recruter des volontaires qualifiés désireux de mener une carrière au sein des armées66. En janvier 1991, le pays comptait 38 % de militaires professionnels et espérait atteindre le nombre de 50 % au tournant des années 200067. Cependant, malgré ces mesures, la structure des forces armées polonaises évoluait lentement : en 1994, l’armée professionnelle comptait 49 % d’officiers, 29 % d’adjudants et 22 % de sous-officiers subalternes et hommes du rang ; en 1997, ces chiffres étaient respectivement de 48 %, 33 % et 19 %68.

• 69 M. Paszkowski, “Profesjonalizacja Sił Zbrojnych RP jako przykład zmian w wielkich grupach społeczny (...)
• 70 A. A. Michta, East Central Europe after the Warsaw Pact: Security Dilemmas in the 1990, op. cit., p (...)

32De plus, la réduction des forces armées polonaises vint aggraver ce déséquilibre : les rangs intermédiaires et inférieurs furent davantage touchés que les officiers supérieurs, malgré le renvoi des cadres les plus compromis au régime communiste. Ces choix s’expliquaient par le dilemme sécuritaire devant lequel la Pologne se trouvait. Située dans une zone grise de sécurité depuis la dissolution du Pacte de Varsovie et l’effondrement de l’URSS, le pays ne pouvait se passer d’officiers expérimentés au risque de se retrouver affaiblie. Les officiers les plus âgés étaient maintenus à leurs postes et conservaient leurs avantages ; tandis que les jeunes officiers qualifiés préféraient quitter l’armée pour la vie civile qui leur offrait de meilleures perspectives de carrière69. La seconde réduction de la durée du service militaire de dix-huit à douze mois en automne 1997, et la reclassification des postes entre 1998 et 1999 tentèrent à nouveau de corriger ce déséquilibre70.

• 71  P. Latawski, “Definitive Reform?: Plan 2012”, op. cit., p. 41.
• 72 Elle sera cependant réduite en brigade en 1997 en raison des contraintes économiques qui pèsent sur (...)
• 73 Ibid.
• 74 Ibid., p. 41.

33La restructuration toucha également le commandement de l’armée polonaise partagée à la fois en districts militaires (Varsovie, Silésie et Poméranie) et selon les types de forces armées (terrestres, aériennes et navales). Les premiers efforts de réorganisation débutés sous le régime communiste se poursuivirent dans un souci de rationalisation et conformément à la nouvelle doctrine de défense polonaise : un quatrième district militaire composé de brigades plutôt que de divisions fut créé à Cracovie en septembre 199171. Il participait au rééquilibrage de la répartition géographique des forces polonaises jusqu’à présent principalement prépositionnées dans l’ouest du pays. En raison du coût de construction d’infrastructures solides, des investissements furent réalisés pour développer des forces de réaction rapide, et à partir de 1994, la nouvelle 25^ème division de cavalerie aérienne placée sous l’autorité du district militaire de Cracovie fut capable de se déployer dans toute la Pologne en 24 heures72. De nouvelles unités légères telles que la 21^ème brigade de fusiliers de Podhale et la 22^ème brigade d'infanterie de montagne furent également formées73. Au total, les forces armées polonaises comptaient onze divisions, chacune composée d’une cavalerie blindée, une cavalerie aérienne et neuf mécanisée, auxquelles s’ajoutaient quelques brigades74.

• 75 Ibid., p. 39.
• 76 Ibid., p. 43.

34Selon l’universitaire Paul Latawski, ces réformes ne transformaient pas les fondements de la structure de commandement des forces armées polonaises mais ajoutaient plutôt de nouveaux éléments à ce qui existait déjà. Ce n’est que lorsqu’il devint certain que la Pologne allait accéder à l’OTAN qu’une restructuration complète fut planifiée75. En 1997, le commandement des forces terrestres (Wojska Ladowe, WL) fut créé et, à partir des Principes du Programme de modernisation des forces armées 1998-2012 renommés “Plan 2012”, une réforme générale de la structure des forces armées polonaises entraîna la disparition progressive des districts militaires et le transfert de leurs compétences vers le commandement des forces terrestres et les quartiers généraux des voïvodies auxquels étaient rattachées les unités de défense territoriale (OT) nouvellement créées76.

• 77 Military Expenditure Database, Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).
• 78 A. A. Michta, The Soldier-Citizen the Politics of the Polish Army After Communism, Macmillan, Londo (...)

35Les difficultés économiques et les coupes budgétaires pesèrent sur la restructuration de la défense polonaise. La transition politique et économique du pays vers le modèle de démocratie libérale à économie de marché imposait une baisse du budget de la défense au profit d’autres postes de dépense. Entre 1989 et 1992, les dépenses militaires furent réduites de 70,7 %, ce qui empêchait tout nouvel investissement77. En 1995, la reprise de la croissance économique se traduisit par une légère augmentation du budget de la défense. À la demande des militaires, la présidence proposa une loi de financement des armées au Parlement à hauteur de 2,8 % du PIB en 1996, 2,9 % en 1997 et 3 % en 1998 ; la défaite de Lech Wałęsa aux élections de 1995 empêcha le projet d’être adopté78. Le politologue Andrew A. Michta résuma la situation ainsi :

• 80 Sur ce sujet, lire J. Jaworski, “Restrukturyzacja polskiego przemysłu zbrojeniowego”, Prace Komisji (...)
• 81 Ibid., p. 55 ; P. Latawski, op. cit., p. 50.
• 82 A. A. Michta, The Soldier-Citizen the Politics of the Polish Army After Communism, op. cit., p. 74.
• 83 Ibid.

36La réduction du budget de la défense polonaise se répercuta sur l’état de combat des troupes ainsi que sur l’industrie de défense polonaise. Les forces armées étaient principalement équipées d’armements soviétiques, dont certains avaient été produits en Pologne80. Si les limitations fixées par le traité FCE furent l’occasion pour le pays de se séparer de matériels soviétiques obsolètes, les unités polonaises restaient sous-équipées. Les forces terrestres étaient assez bien dotées en artillerie et blindés mais les chars et véhicules de combat d’infanterie étaient dépassés ; les forces aériennes manquaient d’avions et n’atteignaient que 60 % des capacités autorisées par le traité FCE en matière d’hélicoptères de combat ; quant à la marine, seules une flottille navale et une formation de défense côtière étaient opérationnelles81. Outre le manque d’investissement dans de nouveaux armements, la faiblesse des budgets affectait la maintenance des équipements et la formation des soldats82. L’obsolescence des appareils, le manque de simulateurs et d’heures de vol des nouvelles recrues, de trois à quatre fois moins que les pilotes otaniens, expliquaient la multiplication des incidents sur terre et dans les airs83.

• 84 In World Military Expenditure and Arms Transfers, 1987, Washington, D.C. : U.S. Arms Control and Di (...)
• 85 A. A. Michta, “Poland and Nato: the road ahead”, SAIS Review, Vol. 15, #2, Summer-Fall, 1995, pp. 1 (...)

37L’industrie de défense polonaise souffrit également des réductions budgétaires, ainsi que de la privatisation de l’économie. Cinquième pays exportateur d’armements au milieu des années 1980, la Pologne fit face à une baisse drastique de la demande consécutive à l’effondrement de l’URSS et des marchés des anciens pays de l’Est84. Pour se maintenir face au manque de financement, les entreprises polonaises s’en tinrent à répondre aux besoins élémentaires d’une armée polonaise réduite, tout en essayant de se moderniser, notamment en développant des partenariats avec les industries de défense occidentales dotées de capitaux, expertises et technologies85.

• 86 Ibid.
• 87 A. A. Michta, The Soldier-Citizen the Politics of the Polish Army After Communism, op. cit., p. 76.
• 88 M. K. Nelson, op. cit., p. 94.

38L’industrie de défense polonaise avait conservé des licences de production autrefois principalement distribuées par l’Union soviétique aux pays alliés. La firme polonaise PZL-Świdnik continua de produire des hélicoptères PZL Sokół (AW149) et l’usine Bumar-Labędy, des chars T-72M. Les entreprises polonaises modernisèrent également les armements qu’elles détenaient en y incorporant des technologies occidentales : les tanks PT-91 d’origine soviétique furent munis de système de conduite de tir occidentaux et de blindages réactifs86 et le programme Loara polonais transforma les châssis des tanks T-72 pour créer des systèmes de défense antiaérienne87. Enfin, des usines polonaises signèrent des contrats de sous-traitance avec des entreprises étrangères attirées par une main d’œuvre qualifiée et peu chère : la firme PZL-Świdnik conclut des accords avec l’italien Agusta, le franco-allemand Eurocoptere et le français Latecoere88.

• 89 Jusqu’en 1997, le terme « lustration » n’est pas employé en Pologne. Bien que des projets de lois d (...)
• 90 P. Latawski, “Painful but Necessary Adjustment: Manpower Issues and Infrastructure”, op. cit., p. 2 (...)

39Tout au long des années 1990, les forces armées et l’industrie de défense polonaises durent faire face à une fuite du personnel qualifié et à une crise de recrutement. Le manque de moyens couplé à la réduction des effectifs, aux procédures de vérification89 et à la réorganisation des unités affectaient le moral des troupes, qui faisaient face à des pénuries de logement et une baisse de leur niveau de vie. En 1998, les officiers formulèrent la demande de créer un syndicat, ce que le ministre de la Défense Janusz Onyszkiewicz refusa au motif que la loi l’interdisait et qu’une telle instance risquait de politiser l’armée90.

• 91 Enquête réalisée entre 1992 et 1998 par le Bureau militaire de recherche sociologique (Wojskowe Biu (...)
• 92 Ibid., p. 7.

40L’adhésion de la Pologne à l’OTAN fut initiée par les autorités politiques à une époque où les militaires continuaient d’envisager la défense du pays dans un système européen libre de toute alliance. En 1992, à la question « quelle politique de défense est la plus bénéfique pour la sécurité de notre pays ? », 47 % des soldats professionnels polonais interrogés répondaient « s’efforcer de mettre en place un système de sécurité paneuropéen », tandis que 19 % choisissaient « l’adhésion à l’OTAN »91. Ces chiffres s’inversèrent à mesure que la coopération entre l’OTAN et la Pologne se renforça : en 1998, si 28 % des soldats interrogés continuaient de préférer un système de sécurité paneuropéen, 55 % se déclaraient en faveur d’une intégration à l’OTAN92.

• 93 R. Zięba, “Transformation of Polish Foreign Policy”, The Polish Foreign Affairs Digest, #4, 2004, p (...)

41Du côté politique, un consensus se dégageait parmi les différents gouvernements : l’accession à l’OTAN était considérée comme le meilleur moyen de sortir du vide stratégique dans lequel le pays se trouvait. La Pologne était à la fois à la recherche de garanties sécuritaires et de nouvelles opportunités de développement économique ; elle fit le choix d’orienter sa politique étrangère vers les pays occidentaux, ce qu’illustrait la formule du « retour à l’Europe »93.

• 94 A. Zima, op. cit., p. 99.
• 95 En 1992, le traité de Maastricht transforme la Communauté européenne économique (CEE) en Union euro (...)
• 96 K. Skubiszewski, “Stosunki między Polską i NATO w latach 1989-1993 – przyczynek do historii dyploma (...)
• 97 Ibid.

42Le ministre des Affaires étrangères Krzysztof Skubiszewski développa une stratégie de rapprochement progressif afin de sortir les pays occidentaux de leur indifférence à l’égard des pays d’Europe centrale tout en prenant garde à ne pas offenser la Russie94. Dans un premier temps, la Pologne souhaitait s’associer avec le Conseil de l’Europe, la Communauté européenne économique (CEE)95 et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Une adhésion à l’OTAN ne pouvait être envisagée de manière réaliste tant que le Pacte de Varsovie et l’URSS existaient96. Pendant les négociations de Vienne sur les forces conventionnelles en Europe, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Pologne commencèrent à nouer des contacts avec les pays occidentaux. En août 1990, des relations officielles furent établies entre l’OTAN et la Pologne à la faveur de l’avancée des négociations sur la réunification allemande et un bureau de liaison polonais fut établi à Bruxelles où se situait le siège de l’organisation. La stratégie adoptée par le ministre des Affaires étrangères polonais était de faire reconnaître que la sécurité et la stabilité de l’Europe centrale et orientale était dans l’intérêt des pays occidentaux97.

• 98 R. Zięba, op. cit., p. 4.
• 99 Ibid., p. 5.

43La dissolution du Pacte de Varsovie en juillet puis le putsch de Moscou en août 1991 poussèrent le Premier ministre Jan Krzysztof Bielecki à exprimer ouvertement la volonté de la Pologne de rejoindre l’Alliance atlantique lors d’une visite aux États-Unis en septembre 1991. Après quarante-cinq années de domination soviétique, la Pologne souhaitait obtenir des garanties fortes de sécurité. Elle percevait l’OTAN, en particulier la présence américaine en Europe, comme capable de la protéger dans un environnement régional incertain, au sein duquel l’imprévisibilité de la Russie l’inquiétait98. À l’inverse, la confiance des pays d’Europe centrale dans les capacités de défense et de sécurité de la France et de la Grande-Bretagne avait été affectée par l’entre-deux-guerres et le règlement de la Seconde guerre mondiale, et expliquait pourquoi l’option atlantique était préférée à celle européenne99.

• 100 J. Nowak-Jeziorański, Polska droga do NATO, Ossolineum, 2006.
• 101 Ibid. ; le 21 décembre 1991, onze des quinze républiques socialistes soviétiques signèrent les acco (...)

44En octobre 1991, les ministres des Affaires étrangères de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie et de la Pologne, réunis au sein du Groupe de Visegrád, déclarèrent leur objectif commun d’intégrer l’OTAN100. Les États-Unis et l’Allemagne proposèrent d’inclure l’URSS et les pays d’Europe centrale dans les comités politiques et économiques de l’OTAN et de créer le Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA) lors du sommet de l’OTAN à Rome. Cependant, le 20 décembre 1991, lors de la première réunion du CCNA qui réunissait les membres de l’OTAN et les anciens membres du Pacte de Varsovie, l’ambassadeur soviétique annonça que « le pays qu’il représentait avait cessé d’exister » : l’URSS avait été dissoute101.

• 102 K. Skubiszewski, op. cit.

45En 1992, la Pologne profita de chacune de ses rencontres avec les membres de l’OTAN pour faire savoir qu’elle souhaitait rejoindre l’organisation. Le 12 mars 1992, le secrétaire général de l’alliance Manfred Wörner déclara que « la porte de l’OTAN était ouverte » lors d’une visite à Varsovie. Le 10 avril, les ministres de la Défense et les chefs d’État-major des pays d’Europe centrale et orientale participèrent pour la première fois au Comité militaire de l’OTAN. Au début de l’année 1993, le secrétaire général de l’alliance confirma à la Première ministre Hanna Suchocka que la Pologne serait l’un des premiers pays à intégrer l’OTAN, si les conditions d’un élargissement étaient réunies, ce qu’elle répéta au ministre des Affaires étrangères Skubiszewski à Bruxelles en mars 1993102.

• 103 Ibid.

46Jusqu’à l’été 1993, les négociations entre la Pologne et l’OTAN n’avaient pas provoqué d’opposition de la part de la Russie. Lors de la visite du président russe Boris Eltsine à Varsovie en août, une déclaration fut signée dans laquelle la Russie reconnaissait que l’adhésion de la Pologne à l’OTAN n’était pas contraire à ses intérêts. L’approbation du président Boris Eltsine avait été obtenue par le président Lech Wałęsa, malgré l’opposition des ministres russes de la Défense Pavel Gratchev et des Affaires étrangères Andreï Kozyrev103.

• 105  K. Skubiszewski, op. cit.

47La phrase en question était celle-ci : « à l’avenir, une telle décision de la part de la Pologne souveraine, visant à l’intégration paneuropéenne, n’est pas contraire aux intérêts d’autres États, y compris de la Russie »105.

• 106 Ibid.
• 107 « Ponad naszymi głowami » : dans la langue polonaise, cette métaphore fait références aux accords p (...)
• 108 M. Betiuk et W. Saletra, op. cit., p. 127.

48Cependant, le 15 septembre, une lettre fut envoyée par le président russe aux États-Unis, à la Grande-Bretagne, à l’Allemagne et à la France dans laquelle il revenait sur sa déclaration. Il indiquait que l’élargissement de l’OTAN aux pays d’Europe centrale ne saurait être une décision acceptable pour la Fédération de Russie et proposait à la place un accord de coopération entre l’Alliance atlantique et son pays, qui garantirait conjointement la sécurité des pays d’Europe centrale106. Pour la Pologne, qui ne faisait ni partie des destinataires, ni n’avait été mise au courant de ce retournement, il était hors de question qu’un accord soit signé « au-dessus de sa tête »107. Une lettre du ministre des Affaires étrangères fut envoyée aux mêmes pays réaffirmant que l’adhésion de la Pologne à l’OTAN ne menaçait pas les intérêts de la Russie et que le pays s’opposait à rester dans une zone grise de sécurité108.

• 109 R. C. Hendrickson, “The Enlargement of NATO: The Theory and Politics of Alliance Expansion”, Europe (...)

49Le processus d’adhésion de la Pologne à l’OTAN fut favorisé par différents facteurs politiques comme son volontarisme et celui de sa diaspora – en particulier américaine –, ainsi que de l’engagement américain pour l’élargissement, qui bénéficiait sur le plan de la politique intérieure d’un consensus bipartisan109.

• 110 A. Zima, op. cit., p. 150.
• 111 R. C. Hendrickson, op. cit., p. 87.
• 112 A. Zima, op. cit., p. 152.

50Au cours de l’année 1993, les États-Unis développèrent le Partenariat pour la Paix (PpP), un programme de coopération militaire entre l’OTAN et les pays de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) basé sur le principe d’autodifférenciation et qui engageait les participants à « démocratiser, moderniser, standardiser leurs forces armées »110. L’objectif affiché consistait à créer de solides partenariats politiques et militaires afin de stabiliser le continent111. Dans un premier temps, la Pologne reçut négativement cette proposition car aucune garantie de sécurité ni perspectives d’adhésion à l’Alliance n’y étaient attachées112. Les pays d’Europe centrale avaient le sentiment que cette initiative permettait à l’OTAN d’évacuer la question de leur intégration.

• 113 La délégation américaine était composée de l’ambassadrice américaine auprès des Nations Unies Madel (...)
• 114 A. Zima, op. cit., p. 155.
• 115 L’Allemagne, la France et l’Italie partageaient cette inquiétude.

51Après une tournée européenne des dirigeants américains113 pour expliquer les tenants du PpP et l’ajout d’une mention des possibilités d’élargissement de l’OTAN, le partenariat fut ratifié lors du Sommet de Bruxelles en 1994, à la suite duquel le président américain Bill Clinton déclara qu’il ne s’agissait plus de savoir si l’OTAN allait s’élargir mais comment et quand114. Pourtant, il existait encore des dissensions parmi les alliés sur l’intérêt stratégique d’un nouvel élargissement aux pays d’Europe centrale. Côté européen, plusieurs pays étaient réservés, voire réticents, à l’idée d’intégrer les pays d’Europe centrale dans l’OTAN, en raison des coûts engendrés, mais également de crainte que la Russie ne se sente lésée115.

• 116 D. R. Herspring, “Civil–military relations in post-communist Poland; problems in the transition to (...)
• 117 Ibid., p. 88.

52Le 25 avril 1994, la Pologne soumit à l’OTAN une liste de 19 exercices militaires auxquels elle souhaitait participer, ainsi que la promesse d’un renforcement du contrôle civil et démocratique sur ses forces armées116. De son côté, le ministre de la Défense nationale Piotr Kołodziejczyk multipliait les rencontres bilatérales, signait des accords de coopération et espérait obtenir le soutien de ses homologues pour que la Pologne entre dans l’OTAN117. Le 5 juillet 1994, un programme individuel de partenariat pour la Pologne fut adopté et comprenait des exercices militaires conjoints, la formation de personnels administratifs ainsi que la participation de ses forces armées à des missions de maintien de la paix sous le commandement militaire de l’OTAN. Le premier exercice militaire « Cooperative bridge 94 » du PpP fut organisé entre les 12 et 16 septembre 1994 à Biedrusko en Pologne. Sur proposition américaine et afin de donner des gages de sa bonne volonté, le pays fournit un contingent de commandos du Groupe de réaction opérationnelle et de manœuvres (GROM) en Haïti à la fin de l’année 1994. Un an plus tard, la Pologne demanda à participer à la Force opérationnelle de l’OTAN chargée du maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine (IFOR) agissant sur la base d’un mandat de l’ONU. Pour la première fois, un contingent militaire polonais servait aux côtés des forces armées de l’OTAN. Cette mission permit aux forces armées polonaises de gagner en expérience militaire sous le commandement de l’OTAN et de commencer à s’adapter aux normes d’interopérabilité de l’alliance.

• 118 “The Debate on Nato Enlargment”, Hearings before the Committee on Foreign Relations, United States (...)
• 119 White House Press Release, “Statement by the Press Secretary, President Clinton Meets with NATO Sec (...)
• 120 Ibid., p. 90.
• 121 M. Albright, “Statement before the Senate Appropriations Committee”, US Senate Appropriations Commi (...)
• 122 Ibid., p. 91.

53En septembre 1995, l’OTAN publia l’Étude sur l’élargissement qui précisait les conditions pour rejoindre ses institutions, parmi lesquelles figuraient le respect de la Charte des Nations Unies, le développement d’une économie de marché, l’absence de conflit sur son territoire et dans son voisinage, l’instauration d’un contrôle civil et démocratique sur les forces armées, et l’interopérabilité avec les forces de l’OTAN118. C’est à cette époque que les États-Unis prirent le leadership sur la question de l’élargissement, le président Bill Clinton déclarant qu’elle relevait désormais de leurs intérêts nationaux119. Commandants de la force de stabilisation (SFOR) de l’OTAN lors de la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995), les États-Unis considéraient la stabilité et la sécurité du continent européen, en particulier dans les anciens pays communistes, comme des priorités120. En 1997, la Secrétaire d’État Madeleine Albright déclara : « La décision d'élargir l'alliance a favorisé la résolution des différends qui auraient pu conduire à de futures Bosnies. En effet, les trois États que nous avons invités à rejoindre l'OTAN ont résolu tous les problèmes potentiels de ce type »121. Ces arguments étaient renforcés par l’idée que l’adhésion à l’OTAN permettrait aux nouveaux membres de consolider les réformes démocratiques et l’État de droit dans leurs pays. Lors de la campagne présidentielle de 1996, l’élargissement de l’OTAN fut à la fois défendu par les démocrates et les républicains, il faisait l’objet d’un consensus bipartisan122.

• 123 D. E. Pienkos, “Poland, the issue of NATO expansion and the Polish American Congress”, The Polish R (...)
• 124 Ibid., p. 184.
• 125 R. C. Hendrickson, op. cit., p. 92.
• 126 Ibid.
• 127 Ibid.

54Parallèlement la Hongrie, la République tchèque et la Pologne pouvaient compter sur leurs diasporas respectives, en particulier aux États-Unis, pour soutenir l’élargissement de l’OTAN. Environs dix millions d’Américains étaient de descendance polonaise et formaient le sixième groupe d’ascendance européenne dans le pays123. Des organisations s’organisèrent pour promouvoir l’adhésion de la Pologne à l’OTAN. Le Congrès américano-polonais (The Polish American Congress, PAC) regroupait 26 associations d’amitiés polono-américaines, culturelles et de vétérans réparties dans 21 États124. Il mettait en avant la taille de la Pologne, sa position stratégique entre l’Allemagne et la Russie, son potentiel économique, ainsi que l’engagement de ses citoyens dans la défense de valeurs communes à celles des pays occidentaux125. Il participa à la création de la Coalition centre et est-européenne (Central and East European Coalition, CEEC), qui menait des plaidoyers auprès des Sénateurs américains pour défendre l’adhésion des trois pays à l’OTAN126. Parmi les initiatives du CEEC figure le Groupe de Travail pour la Ratification de l’Élargissement de l’OTAN (Enlargement Ratification Working Group) créé pour planifier les actions politiques à conduire127. Ces groupes d’intérêt œuvraient de concert avec les personnels politiques, diplomatiques et militaires de leurs pays pour convaincre ceux de l’OTAN à intégrer la Hongrie, la Pologne et la République tchèque dans ses institutions. En octobre 1996, le président Bill Clinton annonça lors d’une rencontre avec la communauté polonaise à Détroit, que le premier groupe de pays invités à rejoindre l’Alliance deviendrait pleinement membre avant 1999, pour le cinquantième anniversaire de l’organisation et dix ans après la chute du mur de Berlin. Il devint urgent pour les futurs membres de réformer leurs appareils militaires afin de répondre aux critères de l’OTAN.

• 128 J. Zuziak, Od Układu Warszawskiego do NATO. Droga Polski do Sojuszu Północnoatlantyckiego, in 20 la (...)
• 129 M. Betiuk et W. Saletra, op. cit., p. 131.
• 130 Un accord de standardisation (Standardization Agreements, STANAGs) permet aux pays membres de l’OTA (...)
• 131 Le Defense Planning Questionnaire (DPQ) est un document soumis tous les deux ans à chaque État memb (...)
• 132 R. A. Epstein, “When Legacies Meet Policies: NATO and the Refashioning of Polish Military Tradition (...)
• 133 L. Pastusiak, “Poland on her way to NATO”, European Security, Vol. 7, #2, 1998, pp. 54-62.

55Jusqu’à présent, les considérations politiques relatives à l’élargissement de l’OTAN avaient pris le pas sur les questions militaires. En janvier 1996, un plan d’adhésion détaillé fut adressé à la Pologne, qui répondit en février par un plan national d’intégration qui répertoriait l’ensemble des problèmes des forces armées polonaises128. Les domaines qui devaient être réformés en priorité étaient le respect du contrôle civil et démocratique des armées, la transformation de la stratégie de sécurité nationale, la restructuration de l’industrie de l’armement, l’amélioration de la gestion des situations d’urgence, la normalisation et l’interopérabilité des forces polonaises avec celles de l’OTAN et la protection des données classifiées129. Certains accords de normalisation (Standardization Agreements, STANAGs)130 de l’OTAN furent mis à disposition des pays candidats afin de les guider dans la transformation de leurs armées. La Pologne eut également accès au Defense Planning Questionnaire (DPQ)131, habituellement réservé aux membres de l’alliance132, qui permit au ministère de la Défense de planifier la réforme de ses armées avec l’aide d’experts du siège et du Grand Quartier général des puissances alliées en Europe (Supreme Headquarters Allied Powers Europe, SHAPE) de l’OTAN133. Le général Andrzej Fałkowski, à l’époque directeur adjoint du département économique du ministère de la Défense nationale, revint sur le processus d’élaboration de ces programmes :

• 135 A. Zima, op. cit., p. 244 ; Paul Latawski, P. Latawski, “Definitive Reform?: Plan 2012”, op. cit., (...)

56Lors du Sommet de Madrid en juillet 1997, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque furent officiellement invitées à entamer des pourparlers pour rejoindre l’alliance. Une première version des Principes pour le programme de modernisation des forces armées, 1998-2012 avait été adoptée par la SLD en septembre, rapidement amendé par l’Action électorale Solidarność (Akcja Wyborcza Solidarność) qui venait de remporter les élections législatives. Le nouveau Programme d'intégration et de modernisation des forces armées polonaises pour la période 1998-2012 suivait les recommandations de l’alliance et donnait la priorité au changement des systèmes de communication et de commandement ainsi qu’à la modernisation des infrastructures135.

• 136 M. Betiuk et W. Saletra, op. cit., p. 133.
• 137 A. Zima, « La fabrique des négociations d'adhésion. Le cas de l'élargissement de l'OTAN en 1999 », (...)

57Au même moment, entre septembre et octobre, les négociations entre la Pologne et l’OTAN débutaient. Quatre cycles de discussions furent organisés : le premier portait sur le respect des engagements politiques du traité de Washington ; le second s’assurait de l’adoption du concept stratégique de l’OTAN et de l’alignement sur la structure et le système de défense de l’alliance par la Pologne ; le troisième abordait la question de la contribution financière à l’alliance ; et le dernier cycle revint sur le règlement des questions financières et la classification des informations136. Il fut également demandé à la Hongrie, la République tchèque et la Pologne de remplir un DPQ, qui devait permettre à l’OTAN d’identifier les domaines dans lesquels les pays candidats devaient fournir des efforts avant l’adhésion. Il restait un an et demi à la Pologne pour remplir les 65 tâches qui lui avaient été assignées137.

• 139 P. E. Gallis, “NATO: Congress Addresses Expansion of the Alliance”, Congressional Research Service (...)
• 140 T. Edmunds, “NATO and its new members”, Survival, Vol. 45, #3, Autumn 2003, pp. 145-166.
• 141 Entretien avec le général Andrzej Fałkowski, op. cit.

59Le 2 décembre 1997, l’évaluation des DPQ des futurs États membres fuita dans les journaux et indiquait que le niveau des trois futurs membres était loin de celui requis par l’Alliance139. Concernant la Pologne, les difficultés d’interopérabilité des forces armées polonaises étaient jugées « importantes » et « généralisées »140. En dépit de ces conclusions, les ministres des Affaires étrangères hongrois, polonais et tchèques signèrent les protocoles d’accession à l’OTAN les 16 et 17 décembre 1997. En attendant que ces documents soient votés par les parlements des pays membres, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque étaient autorisées à participer à certaines réunions de planification de la défense de l’OTAN141.

• 142 L. Zakrzewski, “Joining Nato : challenges ahead for Poland”, Strategy Research Project, US Army war (...)
• 143 Ibid., p. 34.
• 144 P. E. Gallis, op. cit., p. 9.
• 145 P. E. Gallis, op. cit., p. 10.
• 146 L. Zakrzewski, op. cit., p. 35.

60Nombreuses restaient pourtant les réformes à réaliser pour que les appareils de défense hongrois, polonais et tchèques soient compatibles avec le système de défense otanien. Au début de l’année 1998, le ministère de la Défense polonais reçu des Target Force Proposals (TFP) de la part de l’OTAN qui lui permirent de définir des Target Force Goals (TFG) avec l’aide de spécialistes de l’OTAN142. Selon un document de travail du ministère de la Défense polonais, le pays devait atteindre les objectifs d’interopérabilité avant 1999, créer un système de planification des achats, poursuivre la privatisation de l’industrie de la défense, et fonder un programme d’enseignement, y compris à destination des hommes politiques, des hauts fonctionnaires et de la société civile143. Face à l’ampleur des tâches à réaliser, les sénateurs américains Mark Warner et Daniel Moynihan, membres du parti démocrate, s’inquiétaient du coût que représentait l’élargissement et pensaient préférable que la Hongrie, la Pologne et la République tchèque renforcent leurs institutions démocratiques et systèmes économiques avant d’investir dans la modernisation de leurs appareils militaires, d’autant plus qu’ils considéraient qu’aucune menace extérieure ne pesait sur ces pays144. Mark Warner tenta sans succès d’assortir la résolution de ratification d’un moratoire d’au moins trois ans afin de s’assurer du coût réel de l’élargissement, de la capacité des nouveaux membres à adopter les normes d’interopérabilité de l’OTAN et de l’évolution des relations entre la Russie et les pays d’Europe centrale145. En décembre 1998, une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’OTAN confirma l’intégration des trois nouveaux candidats tout en exigeant d’ « accélérer les préparatifs en vue de remplir les conditions militaires minimales d'adhésion »146. Trois mois plus tard, le 12 mars 1999, le ministre des Affaires étrangères polonais Bronisław Geremek remit l’acte d’adhésion de la Pologne au traité de l’Atlantique nord à la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright. En huit ans, la Pologne était passée de seconde armée du Pacte de Varsovie à membre officiel de l’Alliance atlantique.

• 147 P. E. Gallis, op. cit., p. 13.
• 148 A. Zima, D'ennemi à Allié: L'adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République Tchèque à l' (...)
• 149 L. Zakrzewski, op. cit., p. 37.

61Pourtant, en mai 1999, un rapport du Service de recherche du Congrès américain sur l’élargissement de l’OTAN signalait que les armées des trois nouveaux candidats étaient dotées d’équipements vieillissants, que le nombre d’officiers restait trop élevé, que le nombre d’heures de vol des pilotes de chasse était de 40 à 60 heures par an contre 180 heures en moyenne pour les armées de l’OTAN et que les officiers et sous-officiers manquaient d’esprit d’initiative147. Surtout, sur les 2 000 officiers qui prenaient des cours d’anglais, seul un tiers était capable de communiquer, ce qui affectait l’interopérabilité des armées148. D’autres soulignaient les lacunes en matière de défense aérienne et de procédures de sécurité149. La Pologne avait effectivement adopté une loi sur la protection des informations classifiées en janvier 1999, soit un mois et demi avant son adhésion, un prérequis pourtant essentiel pour être membre de l’OTAN.

• 150 En 1997, la Pologne avait déjà participé à 450 activités dans le cadre du PpP, dont 25 exercices mi (...)
• 151 L’étude des motivations de chaque membre de l’OTAN pour ou contre l’élargissement pourrait faire l’ (...)
• 152 O. Kempf, L’OTAN au XXIe siècle, Artège éditions, 2010 ; cité par L. Xailly, « Communauté euro-atla (...)
• 153 Ibid., p. 54.
• 154 R. C. Hendrickson, op. cit., p. 87.

62Ainsi, la rapidité du processus d’adhésion ne permit pas aux armées centre-européennes d’atteindre les standards de l’OTAN. Néanmoins les réformes mises en place par les autorités politiques et la participation de leurs forces aux exercices et opérations extérieures150 permit de les familiariser aux normes et pratiques de l’alliance. Outre les agendas de politique étrangère de chacun des acteurs impliqués151, la célérité de l’élargissement de l’OTAN peut trouver une explication dans le contexte de l’après-guerre froide et de l’effondrement de l’Union soviétique. En 1949, l’Alliance atlantique fut fondée pour lutter contre la montée en puissance de l’URSS et son influence dans les pays d’Europe de l’Est. Dès 1990, l’indépendance retrouvée des pays placés sous la domination de l’URSS, ainsi que l’intégration de l’Allemagne réunifiée dans ses institutions imposa à l’OTAN de s’adapter à la nouvelle configuration sécuritaire européenne. Les 7 et 8 novembre 1991, le sommet de Rome publia un nouveau concept stratégique dont les axes principaux étaient le développement du pilier européen de l’alliance, l’élaboration d’une future architecture de sécurité européenne, la poursuite du dialogue avec l’Union soviétique et les pays d’Europe centrale et orientale, ainsi qu’une vigilance particulière vis-à-vis des risques potentiels sur sa frontière orientale152. Il convient de noter que le concept de 1991 continuait de considérer l’OTAN comme une alliance d’équilibre face à la possible résurgence d’une menace à l’Est153. À la suite de l’effondrement de l’URSS, la question du maintien de l’OTAN, voire de son bien-fondé fut soulevée par différents milieux politiques, académiques et médiatiques, mais les pays membres n’envisagèrent pas sa dissolution. En 1994, lors du sommet de Madrid, le président Bill Clinton présenta le PpP auquel 23 pays choisirent de participer154. Il semble que le nouveau projet de coopération politique et militaire avec les anciens pays du bloc de l’Est permit de donner un souffle nouveau à l’OTAN.

• 155 A. Zima, D'ennemi à Allié: L'adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République Tchèque à l' (...)

63Malgré des réformes militaires inabouties, le processus d’adhésion à l’OTAN avait permis d’entamer une transformation significative des forces armées centre-européennes, désormais éloignées de l’ancien modèle soviétique. L’OTAN était consciente de l’état réel des forces armées hongroises, polonaises et tchèques : ses membres avaient soutenu les réformes militaires afin que capacités de défense des trois pays répondent aux critères de l’alliance. Les efforts des trois pays candidats avaient joué en faveur de leur adhésion, d’autant que plusieurs des réformes mises en place auraient des résultats sur le long terme155. Pour l’OTAN, la transition des pays de l’ancien bloc de l’Est vers le modèle des démocraties libérales à économie de marché, en particulier l’instauration d’un contrôle civil et démocratique sur les forces armées, avait primé sur la modernisation de leurs appareils militaires. Celle-ci fut ensuite rapidement prise en main par l’OTAN et les autorités politiques hongroises, polonaises et tchèques à la veille de leur adhésion. Ainsi, si la Pologne ne put atteindre les critères organisationnels et techniques fixés par l’OTAN en raison de l’ampleur des réformes qu’il restait à accomplir, elle parvint cependant à convaincre les Alliés de la compter dans ses rangs.