Remerciements : Nous remercions chaleureusement toutes les personnes ayant participé à la fouille entre 2016 et 2020, sans qui cette synthèse n’aurait été possible. Cette opération a encore bénéficié des moyens de l’ANR Procome dirigée par Claire Manen entre 2014 et 2017 (https://anr.fr/Projet-ANR-13-CULT-0001) et enfin, la rédaction de cet article a bénéficié d’une aide du gouvernement français, gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du projet Investissements d’Avenir UCA^JEDI portant la référence n° ANR-15-IDEX-01.

Introduction

1Le terme de néolithisation, dans son acceptation aujourd’hui classique, désigne toutes les étapes menant à l’adoption de l’économie de production des moyens de subsistance, c’est-à-dire le passage des dernières sociétés de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs aux premières communautés paysannes. Ce phénomène constitue un bouleversement majeur dans l’organisation des sociétés et ses implications vont bien au-delà d’un simple changement dans les modes de production de nourriture, mais concernent également les sphères techniques, culturelles, symboliques, sociales et peuvent modifier le rapport que les sociétés entretiennent avec leur environnement. En Europe, la question des contacts et de la nature des interactions entre communautés agro-pastorales et groupes de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs semble difficile à saisir, mais cruciale pour esquisser la complexité des différents scénarios de la néolithisation (e.g. Gallay 1995, Zvelebil 2000, Perrin & Manen 2021). Aujourd’hui, les zones en marge de celles occupées par les groupes néolithiques sont investies ou ré-investies pour tester les différentes possibilités de contacts, aboutissant à l’adoption des modes de vie néolithiques. Pour ne citer que deux exemples, on pense notamment aux groupes de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs qui adoptent la poterie, mais pas les pratiques agro-pastorales dans le sud de l’Ukraine (Endo et al. 2022, Kiosak et al. 2021), ou bien aux groupes du Swifterbant au sud du delta du Rhin, qui semblent adopter la céramique et les pratiques agricoles au contact des groupes néolithiques post-rubanée dans la première moitié du V^e millénaire (Teetaert & Crombé 2021, Crombé et al. 2020).

2Le site de Combe-Grèze et les arrière-pays méditerranéens en général, ont été largement mobilisés dans la narration de tels scénarios de contacts. Mais, si l’on connaît désormais assez bien la néolithisation de la France méditerranéenne, la néolithisation des arrière-pays demeure plus insaisissable. Historiquement, plusieurs dénominations ont pu être utilisées pour qualifier les manifestations culturelles du VI^e millénaire BCE dans l’actuel sud-ouest français : Tardenoisien III, Roucadourien, Néolithique ancien para-méditerranéen, Néolithique péri-cardial (e.g. Bailloud 1970, Roussot-Larroque 1977, Guilaine 1982, Arnal 1987). En fonction du terme retenu et des chercheurs qui l’emploient, des interprétations différentes du phénomène sont sous-entendues, et on oscille entre la perception d’une néolithisation autochtone et celle d’un faciès périphérique au Néolithique ancien méditerranéen. Systématiquement, les scénarios concernant cette néolithisation mobilisaient des sites stratifiés et des assemblages archéologiques associant une composante attribuée à des chasseurs-cueilleurs (taxons animaux et végétaux sauvages et une industrie lithique attribuée au second Mésolithique sur la base de la présence de bitroncatures trapézoïdales) à une composante attribuée à des communautés agropastorales (rares espèces domestiques, céramique, et production lithique se référant au Néolithique ancien, notamment avec certaines de pointe de flèches, dites flèches de Montclus). Sur ces bases, J. Roussot-Larroque a élaboré un scénario de néolithisation autochtone et autonome de la sphère méditerranéenne, qu’elle a qualifié de « Roucadourien » (e.g. Roussot-Larroque 1977). Selon cette autrice, l’entité roucadourienne serait issue du Second Mésolithique, alors appelé Tardenoisien, et se poursuivrait jusqu’au Néolithique final, sans ruptures profondes. Prenant le contre-pied de ce modèle autochtoniste, J. Guilaine proposait pour sa part l’hypothèse d’un « faciès latéral appauvri correspondant à l’adoption de la poterie par des populations de l’intérieur à partir de l’influence de la zone côtière » pour expliquer la néolithisation des arrière-pays (Guilaine 1986 : 73).

3Progressivement, l’homogénéité et l’autonomie de cette vaste entité ont largement été remises en cause. D’une part, l’origine proche-orientale de la plupart des espèces domestiques est nettement démontrée (e.g. Zohary 1982, Poplin et al. 1986, Marinval 1987, Uerpmann 1987), ce qui vient contredire définitivement l’hypothèse d’une invention locale de l’agriculture et de l’élevage. D’autre part, la fragilité des contextes archéologiques et des assemblages associés est soulevée : par exemple, les sites fondant le modèle roucadourien présentent des stratigraphies peu dilatées, où la compaction de plusieurs occupations est démontrée à postériori ou largement envisageable (Marchand 1999).

4Aujourd’hui, plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer l’originalité des productions et le caractère mixte des assemblages du VI^e millénaire, qui peuvent alors résulter de différents facteurs (Valdeyron et al. 2013, Defranould et al. 2017) :

• biais taphonomiques et mélange de plusieurs occupations distinctes,
• recompositions culturelles, suite à des contacts entre différents groupes humains, en particulier les derniers chasseurs-cueilleurs et les premières communautés agropastorales,
• adaptations fonctionnelles de groupes pleinement néolithiques.

5Situé dans la région des Grands Causses et fouillé principalement à la fin des années 1970, le site de Combe-Grèze entre dans le débat sur la néolithisation des zones périphériques à la sphère méditerranéenne. En effet, G. Costantini et G.B. Arnal, qui fouillent aussi à la Poujade (Millau, Aveyron) et à Roquemissou (Montrozier, Aveyron), intègrent ces trois sites au modèle Roucadourien défini par J. Roussot-Larroque (Costantini 1984, Costantini & Maury 1986, Arnal 1987, 1995, 2006).

6Depuis les années 2010, une révision complète de ce gisement a été entreprise, à la fois par un retour sur le mobilier des fouilles anciennes mais également par un retour sur le terrain, dans la doline en avant de l’abri. Ce travail étant maintenant achevé, nous proposons ici une synthèse des données disponibles pour ce gisement.

Cadre géologique et géomorphologique

7Le plateau du Causse Noir, sur lequel s’implante le site, participe à l’ensemble des plateaux calcaires bordant le flanc sud-est du Massif central (fig. 1a). Il est délimité au nord par les gorges de la Jonte, à l’ouest par celles du Tarn et au sud par celles de la Dourbie. À l’est, à partir de Trêves, le causse laisse la place aux terrains métamorphiques du massif des Cévennes. La doline de Combe-Grèze est localisée dans la partie ouest de ce plateau, à une altitude de 800 m NGF, au sein de formations de calcaire dolomitique attribuées au Bathonien supérieur (J2a, Mennessier & Collomb 1986). Le relief de ce plateau est marqué par les ravins abrupts qui débouchent dans la vallée du Tarn, auxquels s’ajoutent de nombreuses formes épikarstiques (avens, combes, etc).

Clichés C. Manen, UMR5608-TRACES, septembre 2016.

8La doline de Combe-Grèze mesure environ 200 m dans son axe nord-ouest/sud-est, pour un encaissement maximal d’une quinzaine de mètres environ. Elle présente un relief asymétrique, ses flancs nord et ouest-est sont marqués par un escarpement abrupt d’une dizaine de mètres de moyenne sous lequel s’installe l’abri, tandis qu’au sud et à l’est ses flancs sont formés par une pente douce. Plusieurs éléments structurent la morphologie actuelle de la doline (fig. 2) :

• Un escarpement ouest correspondant à l’érosion des formations dolomitiques locales, formant une barre rocheuse orientée nord-ouest/sud-est et haute d’une douzaine de mètres. Son pied est armé par un talus formé de blocs métriques détachés de la paroi et emballés de dépôts sableux. Un couvert végétal dense rend la lecture du relief délicate, mais on observe en un point au moins un creusement évoquant un abri. À l’avant de celui-ci, on retrouve de grands blocs détachés qui pourraient correspondre à un ancien toit effondré.
• Au nord-ouest se situe un talweg d’environ 75 m sur 20 m, actuellement surélevé d’une dizaine de mètres par rapport au fond de la doline. Cette dépression est comblée de matériaux sableux et de blocs provenant de l’érosion de ses bordures calcaires. Ce relief correspond à une canole, c’est-à-dire à une zone d’érosion du massif reprenant sans doute une faiblesse structurale (peut-être une faille). Celle-ci paraît actuellement presque comblée, sans doute à cause d’une faible compétence des écoulements hydriques dans ce petit bassin versant, lequel débouche dans la doline sous la forme d’un épandage dont les limites et la stratigraphie demandent à être précisées.
• Au nord, un escarpement en forme d’éperon surplombe l’abri d’une dizaine de mètres (fig. 1c). Il s’agit là encore du résultat de l’érosion du massif dolomitique en particulier du fait d’écoulements superficiels.
• Au nord-est enfin, l’éperon est interrompu par une incision liée à des écoulements depuis le plateau au-dessus de la doline. En l’état on observe ce qui paraît être un important cône de déjection, qui présente en surface des dépôts rougeâtres pouvant correspondre à des matériaux d’altération superficiels du plateau en position secondaire.

9Ainsi, les sédiments retrouvés dans le secteur nord de la doline sont donc susceptibles de correspondre à plusieurs sources : des altérites produites in situ et plus ou moins soutirées ; des apports de parois issus de l’altération des escarpements calcaires à l’air libre, sous les effets conjugués de la gravité et des processus d’altération (cryoclastie, hydroclastie, action éolienne) ; et enfin des écoulements superficiels et des apports colluviaux issus des versants et des petits bassins versants bordiers. Cependant, le pointement calcaire du bas de l’éperon pourrait avoir limité ces derniers apports vers le secteur en avant de l’abri.

10En complément, la morphologie du substrat calcaire dolomitique a pu être approchée dans la doline, en particulier par des refus de tarières conformes à la morphologie générale de la doline. Le profil semble indiquer un remplissage sédimentaire épais d’environ 2 à 3 m, s’épaississant vers le centre de la dépression.

Les opérations de terrain

Les opérations anciennes

11En 1960, M. Lacas découvre le site qui se présente comme un petit trou sous une courte barre rocheuse de calcaire dolomitique. Il entreprend des travaux de désobstruction dans l’objectif de dégager un éventuel réseau spéléologique. Il met au jour des ossements humains qu’il interprète comme les vestiges d’un ossuaire chalcolithique et ne poursuit pas plus avant ses explorations. Le site est ensuite vandalisé, ce qui contraint M. Lacas et J. Maury à effectuer une première campagne de fouilles à l’intérieur du diverticule en 1962 ou 1963 (Maury & Lacas 1965, Maury 1967, Costantini & Maury 1986). Lors de cette première campagne, sur une surface réduite de 2 m², les fouilleurs identifient une succession de quatre couches sur une séquence stratigraphique d’un peu moins d’1 m d’épaisseur (fig. 3a et b) :

• La couche 1 se compose d’un sédiment de sable brun et de blocs d’effondrement. Des os humains, des perles en jayet, des tessons attribués à l’âge du Fer et quelques armatures sont mentionnés dans les publications.
• La couche 2 correspond à un foyer lenticulaire. Les fouilleurs évoquent quelques pièces lithiques rapportées au Mésolithique.
• La couche 3 est constituée de sables jaunes et de nombreux charbons. Elle livre un mobilier similaire à celui de la couche 2.
• La couche 4 se distingue de la couche 3 supérieure par une absence de charbons et par une coloration légèrement plus rosée. Là encore, les auteurs font mention d’armatures mésolithiques.

12Les fouilleurs estiment alors être face à une occupation du « Tardenoisien final » (Maury 1964) ou « Tardenoisien tardif, chronologiquement contemporain du Néo-chalcolithique » (Maury & Lacas 1965 : 255).

13Entre 1979 et 1981, G. Costantini et J. Maury reprennent la fouille durant trois campagnes, leur but est alors de documenter la néolithisation des Grands Causses (Costantini & Maury 1986). Ils explorent une surface de 14 m², juste à l’entrée de l’abri. La stratigraphie alors établie présente la succession de quatre couches (fig.3 a et c) :

• La couche 1, stérile, correspond à un niveau de sol superficiel (humus) et de blocs « provenant de l’épierrement de la doline » (ibid. : 437).
• La couche 2 se compose d’un sédiment argilo-sableux, marron clair et compact. Elle a livré quelques tessons attribués au Bas-Empire romain.
• La couche 3 consiste en un amas de pierres interprété tour à tour comme des vestiges d’une ancienne clôture (Maury 1982 : 168) ou comme des blocs d’effondrement de la falaise (Maury & Costantini 1986 : 438).
• La couche 4 se compose d’un sable dolomitique noir et a livré un matériel céramique et lithique abondant, ainsi que deux foyers, localisés dans les sous-couches C4B et C4D.
• La couche 5 se distingue de la couche 4 par un niveau de sable légèrement plus clair. Cet ensemble a livré essentiellement des productions lithiques.
• La couche 6, constituée de sable jaune stérile a été sondée sur 80 cm avant d’atteindre le substrat géologique.

14Face à la difficulté d’identifier des unités stratigraphiques plus précises dans ce sable dolomitique homogène, G. Costantini et J. Maury ont choisi de fouiller les couches 4 et 5 par décapages de 10 cm. Notons encore que l’ensemble des sédiments a été tamisé à l’eau (Costantini 1981). À l’époque, les fouilleurs rapportent la couche 4 au Néolithique ancien, tandis que la couche 5 est qualifiée avec beaucoup de prudence de « proto-néolithique ? » tel que défini par J. Guilaine à l’abri Jean Cros : une période « postérieur[e] au vrai Mésolithique, immédiatement antérieur[e] au Cardial. Le terme proto-néolithique peut aussi s’entendre au sens économique dans la mesure où la présence d’ovicapridés peut laisser supposer une possible orientation vers l’élevage et donc une néolithisation en marche » (Guilaine 1979 : 124-125).

Les opérations récentes dans la doline

15À partir de 2014, la doline est réinvestie, dans l’objectif de préciser la séquence sédimentaire et de tester l’existence de niveaux archéologiques mésolithiques et néolithiques conservés en plein air, en avant de l’abri. Ces travaux démarrent dans le cadre de l’ANR Procome, avec une série de carottages dans la doline, conduits par J.-M. et L. Carozza, qui permettent d’identifier un ou plusieurs paléosols, dont le fonctionnement est daté entre le Néolithique ancien et le Néolithique moyen par des mesures radiométriques effectuées sur des microcharbons (carottage CG3, dates acquises entre 157 et 155 cm, voir infra ).

16À l’automne 2016, une première opération de sondage a lieu dans la doline (dir. C. Manen). Trois tranchées sont alors réalisées et des niveaux néolithiques sont identifiés dans la tranchée n° 3, tandis que les deux autres tranchées n° 1 et 2 situées au sud-ouest de la doline demeurent négatives. S’en suivent alors deux opérations programmées en 2018 et 2020 (dir. E. Defranould) qui permettent des observations à plus large échelle (fig. 4). Ces opérations ont permis de mettre en évidence la stratigraphie générale du remplissage de la doline, qui s’organise en quatre grands ensembles sédimentaires, marqués par un pendage accusé en direction du nord-est (fig. 5) :

1. Un horizon superficiel humifère pouvant comporter d’abondantes déjections d’ovins et/ou être fréquemment labouré, la doline étant régulièrement mise en pâture ou en culture. Les racines et traces de bioturbation y sont abondantes.
2. Le second ensemble est constitué de sables limoneux de teinte brune et livre un mobilier archéologique attribué à différentes périodes allant de l’Antiquité à la Préhistoire récente. Ces dépôts semblent correspondre à des apports colluviaux remobilisant et redistribuant aléatoirement des mobiliers archéologiques de différentes périodes.
3. Le troisième ensemble semble tronqué au débouché de la canole, donc absent des tranchées 1 et 2, mais présent dans les autres secteurs de fouilles. Il est constitué de sables limoneux grisâtres, relativement pulvérulents et enrobant un lit de petits blocs calcaires. Les sédiments sont issus de l’érosion des formations locales et sont donc sans doute d’origine colluviale et/ou gravitaire. Les analyses micromorphologiques semblent indiquer que la teinte sombre des sédiments est liée à la présence homogène de matière organique amorphe sombre, emballant les sables dolomitiques, permettant de rattacher cet ensemble à un l’horizon superficiel d’un rendosol, maintenant enfoui. Ce type de sol, formé probablement sous couvert forestier, découle de l’accumulation de matière organique, incorporée progressivement au substrat issu de l’altération de terrain carbonaté, ici les sables dolomitiques (Cadillon 1970). Cet ensemble livre des mobiliers néolithiques avec une organisation verticale des vestiges qui pourrait indiquer un cadre taphonomique plus favorable, avec une partie haute enregistrant des vestiges néolithiques et protohistoriques, tandis que la partie basse associée à l’horizon de petits blocs se rapporte au Néolithique ancien (voire au second Mésolithique ?). La formation de cet ensemble peut s’expliquer de différentes manières : il peut s’agir d’un niveau d’occupation postérieurement dilaté notamment via des processus biopédologiques, soit par un apport de matériel archéologique conjoint à un dépôt colluvial. Malgré tout, le matériel archéologique y est frais et les remontages céramiques sont peu dispersés, ce qui pourrait suggérer une remobilisation sur une courte distance.
4. Le quatrième et dernier ensemble identifié, stérile, est constitué de sables clairs, de teintes et de textures variées et pourrait avoir été mis en place antérieurement à l’Holocène.

Cadrage chronologique

17Au total, 13 mesures radiocarbone permettent de préciser les datations des occupations de l’abri et de la doline de Combe-Grèze (tabl. 1). Ces trains de datations ont été réalisés à différents moments :

• La mesure Gif-446 a été obtenue dans les années 60 lors de la première campagne de J. Maury et M. Lacas dans le diverticule au fond de l’abri. Cette mesure est issue de la couche 3 selon les publications (Maury 1967) ou de la couche 4 selon la base de données en ligne BANADORA1. Quoi qu’il en soit, la nature inconnue de l’échantillon daté, comme l’important écart-type associé, rendent cette date peu utile.
• Quatre datations (UBA_34885 à UBA_34888) ont été réalisées dans le cadre de l’ANR Procome, sur des échantillons d’os animaux calcinés issus des fouilles anciennes et de l’intérieur de l’abri. Les échantillons osseux ont été nettoyés puis broyés à 250 microns à l’aide d’un mortier en agate. Ils ont ensuite subi un prétraitement sous vide léger avec de l’acide acétique 1N pendant 20h. Après séchage, les échantillons ont fait l’objet d’une hydrolyse sous vide poussé de la poudre avec de l’acide orthophosphorique 102 % pendant 10 minutes pour extraire le CO₂ du carbonate de l’os calciné, qui a été récupéré dans une ampoule scellée. Le gaz CO₂ a ensuite été réduit sous forme graphite et son âge ¹⁴C mesuré par AMS.
• Cinq dates (Beta_411648 à Beta_412726) sont issues de la carotte GC3 réalisée en 2014. Les échantillons sont des résidus carbonisés dont l’espèce n’a pas été déterminée, et ont été prélevés à différentes altitudes de la carotte, entre 88 à 157 cm sous le niveau du sol actuel, mais ne sont pas directement associés à un contexte archéologique.
• Enfin, une série de trois mesures permet de dater les occupations à l’extérieur de l’abri, dans la doline. Elles ont toutes été réalisées sur carporestes carbonisés issus des fouilles récentes.

Tabl. 1. Datations radiocarbone, calibration avec le logiciel OxCal v4.4.4 et courbe de Calibration IntCal20.

Zone	Niveau	Matériel	Taxon	Partie anat.	Code Labo	Mesure (BP)	Calibration
Zone 2 - Abri	C4 - Fouilles Maury-Lacas	Charbon	Indet.		Gif-446	6420 ± 180	-5712/-4954
	C4A-C4B	Os calciné	Petit ruminant	fgt diaph MTC	UBA-34885	7426 ± 32	-6390/-6231
	C4C	Os calciné	Felis/Lynx	calcaneum	UBA-34886	6524 ± 31	-5607/-5382
	C5A	Os calciné	Cervus elaphus	fgt diaph MTC	UBA-34887	5024 ± 37	-3948/-3709
	C5A	Os calciné	Grd mammifère	fgt os long	UBA-34888	11050 ± 48	-11 142/-10 893
Zone 1 - doline	US1505.d1.PR6	Fruit	Corylus avella	fgt nucule	Lyon-18078 (SacA-61510)	Postérieur à 1950 AD	--
	US1406	Fruit	Corylus avella	fgt nucule	Lyon-18077 (SacA-61509)	3990 ± 30	-2577/-2460
	US1307	Fruit	Corylus avella	fgt nucule	Beta-479997	7220 ± 30	-6219/-6011
	CG3 -88 cm	Charbon	Indet.		Beta-411648	980 ± 30	+995/+1158
	CG3 -92 cm	Charbon	Indet.		Beta-412725	2920 ± 30	-1214/-1016
	CG3 -132 cm	Charbon	Indet.		Beta-412726	2960 ± 30	-1265/-1054
	CG3 -155 cm	Charbon	Indet.		Beta-411651	4630 ± 30	-3515/-3356
	CG3 -157cm	Charbon	Indet.		Beta-411652	6140 ± 30	-5210/-4997

18Pour l’intérieur de l’abri, la série de mesures indique clairement un problème de cohérence dans la séquence reconnue à l’époque avec de nombreuses inversions stratigraphiques (fig 6 en haut). Abstraction faite de leur positionnement, ces mesures donnent tout de même des indications sur les périodes d’occupation du site :

• La date comprise entre 3 950 et 3 710 cal. BCE (UBA-34887) est cohérente avec une occupation à la fin du Néolithique moyen ou au début du Néolithique récent. L’identification d’une petite série de tessons pouvant être attribués à la fin du Néolithique (voir infra) corrobore l’hypothèse d’une occupation à cette période.
• La mesure de 5 560 à 5 390 cal. BCE (UBA-34886), bien qu’un peu ancienne, pourrait dater une occupation du Néolithique ancien, contemporaine de la phase 1b (développement du Cardial) de la néolithisation méditerranéenne (Manen & Guilaine 2010). Cet horizon chronoculturel peut éventuellement être renforcé par la date comprise entre 5 210 et 5 000 BCE issue de la carotte CG3, à l’extérieur de l’abri.
• La date de 6 390-6 230 cal. BCE (UBA-34885) est cohérente avec une occupation au second Mésolithique, comparable aux mesures établies pour cet horizon chronoculturel à Roquemissou, situé à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Combe-Grèze (Perrin et al. 2018).
• Enfin la date comprise entre 11 110 et 10 830 cal. BCE (UCA-34888), pourrait témoigner d’une occupation du site au Tardiglaciaire, bien qu’aucun vestige archéologique caractéristique de cette période n’ait été pour l’heure identifié.

19En ce qui concerne l’extérieur de l’abri, les mesures portent sur des US pour lesquelles des relations stratigraphiques n’ont pu être directement observées sur le terrain (fig. 6 au milieu). L’objectif de ces mesures était de dater l’horizon marqué par le lit de pierres décimétriques attribué au Néolithique ancien sur la base du mobilier céramique et lithique, donc des niveaux supposés stratigraphiquement équivalents. Malheureusement, ces dates ne permettent pas de conclure à l’intégrité des dépôts archéologiques. En effet :

• La mesure issue de l’US 1505.d1, Lyon-18078(SacA-61510) fournit un résultat postérieur à 1 950 AD. La date peut soit résulter d’une percolation de l’échantillon depuis un niveau supérieur, soit marquer une nette perturbation de ce niveau que l’on attribuait précédemment au Néolithique ancien. Pour des raisons évidentes de lisibilité, cette mesure n’est pas représentée sur la figure 6.
• La date issue de l’US 1406, Lyon-18077(SacA-61509), livre une mesure comprise entre 2 580 et 2 460 cal. BCE, qui là encore semble en discordance avec l’attribution au Néolithique ancien de ce niveau.
• La mesure Beta_479997, issue de l’US 1307, provient du sondage SD31 conduit en 2016. Cette US est équivalente à l’US 1406 de la tranchée 4, et correspond au niveau de pierres décimétriques supposément attribué au Néolithique ancien. Or, la mesure comprise entre 6 220 et 6 010 cal. BCE est trop ancienne pour correspondre à une occupation du début du Néolithique, et renvoie davantage à une occupation du second Mésolithique. La présence de céramique dans ce niveau est donc incompatible avec la mesure radiocarbone, ce qui là encore peut marquer un problème de percolation ou de mélange stratigraphique.
• Enfin, les datations obtenues sur microcharbons dans la carotte CG3 (fig. 6 en bas) ne sont pas formellement associées au contexte archéologique, mais permettent de préciser la chronologie du remplissage de la doline. Le ou les premiers paléosols identifiés peuvent être datés par deux mesures (Beta_411651 et Beta_411652) entre le Néolithique ancien (entre 5 210 et 5 000 cal. BCE) et le Néolithique moyen (entre 3 515 et 3 360 cal. BCE). Leur altitude concorde avec l’horizon à pierres calcaires décimétriques, attribué au Néolithique ancien selon notre hypothèse de départ. Cependant, les deux échantillons dont sont issues ces datations ne sont séparés que de 3 cm de profondeur, ce qui implique soit un très faible colmatage de la doline entre ces deux dates, soit un mélange d’occupations. Les trois autres datations supérieures (Beta_412725, Beta_412726 et Beta_411648) se situent dans les colluvions, mais pourraient indiquer une fréquentation de la doline à la transition entre le Bronze moyen et final et durant le bas Moyen Âge.

20Ainsi, toutes ces dates peuvent dans une certaine mesure renseigner les périodes d’occupation de la doline et de l’abri, à l’Épipaléolithique, au second Mésolithique, à différents moments du Néolithique, jusqu’aux périodes modernes. Malheureusement, leur inorganisation stratigraphique et leur incohérence avec le mobilier des niveaux qu’elles sont censées dater permettent de conclure à des phénomènes de perturbation importants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’abri.

Les données carpologiques

21Entre les campagnes de 2016, 2018 et celle de 2020, 11 prélèvements sédimentaires ont été réalisés et étudiés en carpologie (tabl. 2). Le traitement des sédiments a fait appel à la méthode de la flottation manuelle. La plupart des échantillons ont été flottés sur une colonne de tamis à mailles 0.4 et 2 mm, le refus lourd étant ensuite filtré avec une maille de 0,8 mm.

Tabl. 2. Tableau de décomptes des carporestes (données L. Bouby/UMR5554-ISEM et F. Durand/Inrap).

Mode flottation (maille min, mm)		Fin (0.4)	Fin (0.4)	Fin (0.4)	Fin (0.4)	Chantier
Année		2016	2016	2016	2018	2018
US		3005	3006	3007	1505-d1	1406
Tranchée		3	3	3
Sondage/Zone		31	31	31	Z1-Sect3-G11a/H11cd
Pr.					6	4
Vol tamisé (l)		11	35	39	11	636
Corylus avellana	fg. nucule	1	1	1	1	1
Pinus sp.	fg. bractée					1
Chenopodiaceae	sem		1
Lathyrus/Vicia	fg graine		1	1
Indéterminé	fg.		2
Matière organique amorphe carbonisée	fg.	X	X	X
Total (hors MO)		1	5	2	1	2

22Au final, cinq échantillons se sont avérés positifs (US 3005, 3006, 3007, 1406 et 1505). Mais seule une dizaine de carporestes carbonisés ont pu être récoltés, correspondant essentiellement à des fragments de nucules de noisette (Corylus avellana). Un fragment de bractée de pin (Pinus sp.) provenant de l’US 1406 (F10-PR4), et quelques semences d’herbacées sauvages ont également été retrouvées (US 3006, 3007).

23L’assemblage carpologique est donc très limité. De plus, certains fragments de noisettes ont fait l’objet de datations radiocarbone qui ont révélé l’existence de mélanges entre éléments de différentes époques (voir supra). Ainsi, si l’état carbonisé des carporestes semble confirmer leur relation avec les activités humaines, il n’est guère possible d’en discuter la portée paléoécologique et paléoéconomique. Il convient de relever l’absence de plantes cultivées, tout en gardant à l’esprit que plusieurs graines et fruits ont néanmoins pu constituer des ressources alimentaires, les noisettes en particulier.

Les données anthracologiques

24Les résultats anthracologiques ont été obtenus grâce à l’étude des fragments de charbons de bois issus de la flottation manuelle (cf. supra) à la maille de 2 mm. Cent-quatre-vingt-quatre fragments provenant principalement de l’US 1406, initialement attribuée au Néolithique ancien, ont été observés au microscope à réflexion à des grossissements compris entre x50 et x500. L’identification taxonomique a été couplée à l’analyse des dégradations causées par les champignons xylophages selon la méthodologie proposée par Henry et Théry-Parisot (2014). L’action de ces microorganismes sur la microstructure du bois restant visible post combustion, ce dernier type d’études permet de formuler des hypothèses sur l’état du bois employé dans les foyers et, par extension, sur les modes de collecte (abattage ou ramassage), ou encore sur le fonctionnement/la fonction des foyers (voir, par exemple, Théry-Parisot 2001, Henry & Boboeuf 2016, Vidal Matutano et al. 2017). Toutefois, au vu de l’ampleur potentielle des mélanges affectant l’assemblage, qui n’était pas connue lorsque l’étude a été réalisée, il convient de rappeler la valeur diagnostique très limitée des résultats qui vont suivre.

25Seuls trois taxons ont été identifiés. Le pin de type sylvestre (anthracotype Pinus type sylvestris, qui inclut le pin sylvestre et le pin noir) domine nettement, suivi du chêne à feuillage caduc (anthracotype Quercus fc., chêne pubescent, chêne rouvre ou chêne pédonculé) puis du buis (Buxus sempervirens). Concernant l’état du bois de pin utilisé, les proportions entre les différents degrés d’altération sont cohérentes avec les profils expérimentaux (fig. 7). La signature dominante obtenue correspond à celle de la combustion de bois mort légèrement à moyennement dégradé. Macroscopiquement, c’est un bois qui a déjà perdu sa coloration initiale et tout ou partie de son écorce, que l’on rencontre donc plutôt au sol que sur pied (Henry & Théry-Parisot 2014).

26La forte proportion de pin renvoie à une végétation de type pineraie à pin sylvestre de l’étage supra-méditerranéen à montagnard, bien connue pour d’autres sites des Grands Causses occupés entre le Paléolithique et le Néolithique (Théry et al. 1996, Henry & Boboeuf 2016, Liottier et al. 2017). Dans ces contextes, le remplacement des pineraies par la chênaie caducifoliée intervient tardivement entre 3 500 et 1 500 cal. BC environ (Vernet 1981, Quilès et al. 2002, Vernet 2006). Quand bien même l’assemblage anthracologique serait homogène, il ne permet donc pas d’attribuer ce spectre limité à une période en particulier, bien que la présence du chêne et du buis suggère que la formation de ce dépôt est d’âge holocène, sans qu’il soit possible de trancher entre Méso- et Néolithique.

27En parallèle, la part importante de pin sylvestre, récolté légèrement dégradé, pourrait refléter une sélection préférentielle de bois mort de ce taxon, renvoyant à une réalité de la végétation, mais aussi à la possibilité pour les occupants de Combe-Grèze de subvenir à leurs besoins en tirant profit de l’élagage naturel important de ce taxon. Les proportions non négligeables de bois de compression (environ 60 %), suggérant l’utilisation de branchages, parle également en ce sens. Or, une sélection axée sur le petit bois de ramassage, idéal pour un usage immédiat, est compatible avec des occupations de courte durée et/ou des besoins peu importants. Des résultats très similaires ont été obtenus pour la couche G du Clos de Poujol, où la sélection du bois de feu semble moins soignée que celle mise en évidence pour les autres niveaux du même site (Henry & Bobœuf 2016), ou encore pour le foyer 1063 de Roquemissou daté de l’Azilien (Henry 2016).

Les données archéozoologiques

28En 2016, le matériel faunique issu de l’intérieur de l’abri, initialement étudié par T. Poulain au début des années 1980 (Costantini & Maury 1986), a fait l’objet d’une réévaluation. Mille-trois-cent-dix restes ont été comptabilisés (206 pour la couche 5 et 1 104 pour la couche 4, tabl. 3), contre 1 642 d’après les rapports rédigés par T. Poulain. Les opérations à l’extérieur de l’abri n’ont fourni aucun reste faunique, empêchant d’étoffer les résultats issus des fouilles anciennes.

Tabl. 3. Décompte des restes de faunes étudiés pour les couches 5 et 4 de l’intérieur de l’abri de Combe-Grèze (données S. Bréhard et J.-D. Vigne/UMR7209-MNHN).

	Couches	Couche 5					Couche 4						TOTAL
	Niveaux	5C	5B	5A	5	Total	4F	4E	4D	4C	4B	Total
Crapaud commun	Bufo cf. bufo				1	1							1
Oiseaux	Aves								1		1	2	2
Loup	Canis lupus									1		1	1
Renard	Vulpes vulpes								2	3		5	5
Blaireau	Meles meles								1			1	1
Lynx ?	cf. Lynx									1		1	1
Carnivore indét.	Carnivora									1		1	1
Lièvre	Lepus sp.								1	5		6	6
Lapin	Oryctolagus cuniculus		1			1			5	4		9	10
Lièvre/lapin	Lagomorpha							1		2	4	7	7
Suinés	Sus scrofa ssp.		2	6	6	14	7	3	23	4	1	38	52
Chevreuil	Capreolus capreolus									3		3	3
Caprinés	Caprini								3	1		4	4
Bouquetin/chèvre	Capra sp.							3	1	2		6	6
Petits ruminants			1			1		6	5	2		13	14
Cerf	Cervus elapus			2	1	3	9	2	2	8	2	23	26
Bœuf	Bos taurus									1		1	1
Grands ruminants								1				1	1
	Total		4	8	8	20	16	16	44	38	8	122	142
	Bois de cerf				4		2		17	31	1	51	51
Homme	Homo sapiens									2		2	2
TOTAL Déterminés			4	8	12	20	18	16	61	71	9	175	195
Indeterminés		8	10	56	112	186	45	53	393	328	110	929	1115
TOTAL		8	14	64	124	206	63	69	454	399	119	1104	1310

29Pratiquement tous les restes ont été chauffés (seuls les os de crapaud sont indemnes de traces de chauffe, suggérant une origine distincte), la plupart étant totalement carbonisés ou calcinés. Ce constat est le résultat de pratiques anthropiques, les fragments de céramiques étudiés ne présentant pas de stigmates de recuits et les analyses micromorphologiques ne pointant pas l’existence de feux naturels. Le matériel est en outre extrêmement fragmenté, avec pour conséquence un taux de détermination très faible (15 % ; taux équivalent à celui obtenu par T. Poulain) et une détermination à l’espèce difficile. Les mammifères identifiés sont le cerf, le chevreuil, les suinés, le bœuf, les caprinés, le renard, le blaireau, le loup, le lapin et le lièvre. Sur les 195 restes déterminés, aucun os de mouton (Ovis aries) n’a été formellement identifié et pour les six restes attribués au genre Capra (C4), il n’a pas été possible de trancher entre chèvre et bouquetin, les éléments étant de grande taille. Un seul reste, en C4E, a pu être attribué au bœuf (Bos taurus) et aucun reste n’a pu être attribué de façon assurée au porc (Sus s. domesticus), la grande taille des éléments squelettiques de suinés adultes suggérant plutôt la présence de la forme sauvage. L’assemblage pour la couche 5 est très petit (20 restes déterminés ; C4 : 122 NRd) mais les spectres de faune obtenus pour les deux couches ne sont pas différents statistiquement : ils sont dominés par les suinés (C4 : 31 %), la petite faune sauvage (C4 : 27 %) et le cerf (C4 : 19 %). Les animaux domestiques apparaissent donc très rares à Combe-Grèze, contrairement à ce qui avait été proposé précédemment (« À la Combe-Grèze, l’élevage principalement orienté sur le porc et le mouton, constitue entre la moitié et les deux tiers de la faune », ibid. : 450). Les perturbations stratigraphiques identifiées (cf. supra) font obstacle à des comparaisons fines, mais soulignons que cette faible présence des taxons domestiques rapproche Combe-Grèze des occupations néolithiques de Camprafaud, Lombard, Dourgne (Bréhard & Vigne 2022) ou Clos de Poujol (Vigne inédit), de Roquemissou (Leduc 2019, Bréhard inédit) ou pour l’occupation du Néolithique moyen de Roucadour (Lesur et al. 2001).

Les productions lithiques

30La présentation des productions lithiques issues des fouilles anciennes a déjà fait l’objet d’une publication (Defranould 2014). Les fouilles récentes n’ont livré que peu de matériel et ne modifient pas significativement les résultats, aussi nous renvoyons à cette publication pour une description plus précise des chaînes opératoires lithiques. Nous proposons ici une étude typo-technologique assez classique, qui a pour objectif de restituer les chaînes opératoires mises en œuvre par les tailleurs ayant fréquenté le site (e.g. Pelegrin 1995 ou Tixier 2012). Le répertoire typologique utilisé correspond à celui établi par T. Perrin et al. (2018), lui-même issu du répertoire de D. Binder (1987). Tenant compte du fait que le site corresponde à un palimpseste d’occupations, tant dans la doline qu’à l’intérieur de l’abri, nous avons pris le parti de considérer la série dans son ensemble, sans tenir compte des multiples subdivisions stratigraphiques. Les discussions sur l’attribution chronoculturelle des différentes chaînes opératoires venant dans un second temps, pour tirer le maximum d’informations possibles sur les périodes d’occupations du site.

31Au total, l’assemblage se compose de 2 763 pièces, 2 501 proviennent des fouilles anciennes à l’intérieur de l’abri, tandis que 262 proviennent des opérations récentes dans la doline.

32Plusieurs groupes de matière première sont identifiés :

• Le groupe qu’on nomme habituellement « chaille » et qui correspond à des silex grossiers rencontrés sur les Causses dans les calcaires du Bajocien inférieur. Ces niveaux à chailles sont facilement reconnaissables dans les coupes naturelles que représentent les falaises caussenardes ou au pied de celles-ci. En revanche, hormis sur le Larzac au niveau de la Cavalerie, on ne connaît pas d’affleurement de ces matériaux sur les plateaux, puisque les dolomies du Bathonien viennent recouvrir les niveaux bajociens (Abraham 2001). Dans ce groupe on distingue deux faciès, les chailles roses à oxyde de fer, et les grises où ces oxydes font défaut.
• Un silex à grain fin, lité, de couleur gris-bleu. Ce silex présente de nombreux éléments figurés, notamment des éléments de squelette rond, son origine est probablement tertiaire.
• Un silex à grain fin, de couleur gris clair, parfois veiné, avec oxyde de fer, d’origine inconnue.
• Un silex de teinte gris foncé, microzoné, d’origine inconnue.
• Un silex à grain fin, de couleur sombre, brune ou noire, avec des inclusions blanches en baguette, visibles même à l’œil nu.

33Hormis pour les silex-chaille du Bajocien qui dominent nettement l’assemblage, l’origine des autres matériaux siliceux est inconnue, d’où leur regroupement dans la catégorie des silex d’origine inconnue (tabl. 4). De plus, une part importante de l’assemblage a subi des altérations thermiques, environ 30 %, ce qui limite la reconnaissance des différents matériaux mis en œuvre. Le taux de pièces brûlées est probablement à reconsidérer, car la chaille enregistre de manière moins évidente que le silex les altérations de surface de type craquelures.

Tabl. 4. Décompte des restes lithiques étudiés, issus de l’intérieur de l’abri (n=2501) ou de la doline (n=262 ; données E. Defraould/UMR7264-CEPAM).

	Silex Bajocien / Chaille	Silex d'origine inconnue	Indéterminé	Total
Bloc	11	1	1	13
Esquilles	204	18	34	256
Débris	480	19	141	640
Total 1	695	38	176	909
Éclats entiers	243	15	30	288
Fragments proximaux	304	13	15	332
Autres fragments	85	15	19	119
Lame(lle)s entières	152	8	25	185
Fragments proximaux	278	24	31	333
Fragments mésiaux	172	31	33	236
Fragments distaux	268	25	52	345
Nucléus	12	3	1	16
Total 2	1514	134	206	1854
Total général	2209	172	382	2763

34Tous matériaux confondus, les pièces retouchées représentent 164 objets ce qui correspond à 9 % des produits débités (tabl. 5). Le corpus d’outils est dominé par différents types d’armatures et les déchets associés à leur fabrication (41 % des produits retouchés), viennent ensuite les outils sur lames (38 %) et les outils sur éclats plus minoritaires dans l’assemblage (15 %). Le corpus d’armature se divise en plusieurs catégories (fig. 9) :

• Des armatures à retouches bifaciales de type PB3 ou PB42 (fig. 8, n° 1 et 2), au nombre de deux, qui font référence au Néolithique moyen ou récent (Léa et al. 2009).
• Des armatures à troncature inverses ou alternes, présentant parfois des retouches rasantes sur leur face supérieure, de type BG3 (fig. 8 n° 4 à 9). Ces pièces se rapportent traditionnellement au Néolithique ancien (e.g. Escalon de Fonton & Guilaine 1979), même si ce type de pointes de flèche peut se retrouver dans des contextes du Second Mésolithique (Perrin et al. 2019).
• Des armatures trapézoïdales ou triangulaires à troncature obliques (BG11, fig. 8 n° 13 à 17) obtenues par le procédé du microburin (MB12 ; fig. 8 n° 10 à 12), qui font plutôt référence à la sphère du Second Mésolithique (Valdeyron 2000).
• Des lamelles étroites à bord abattu (BA1 ; fig. 8 n° 18 à 20), caractéristiques du Premier Mésolithique (e.g. Valdeyron 1994).
• Enfin, des bitroncatures à troncatures directes (BG2 ; fig. 8 n° 3), plus ubiquistes pour l’ensemble du Néolithique et du Second Mésolithique.

Tabl. 5. Décompte typologique de l’outillage lithique (données E. Defranould/UMR7264-CEPAM).

			Chaille / Silex Bajocien	Silex d’origine inconnue	Indet.	Total
Armatures	Armature à retouche bifaciale	PB		2		2
	Géom. à bitroncatures inverses ou alternes et/ou retouches rasantes	BG3.	2	8	1	11
	Géom. à bitroncatures directes	BG2.	1	3		4
	Géom. à une troncature oblique	BG1.	17	4	3	24
	Microburins	MB12	15		3	18
	Lamelles étroites à bord(s) abattu(s)	BA1.	1	4	4	9
Outils sur lames	Lames à bord(s) abattu(s)	BA2.	9	1	2	12
	Grattoirs sur lames	GR2.	3	2	2	7
	Lame(lle)s à troncature oblique	TR2	3	1		4
	Lame(lle)s à retouches latérales semi-abrupte	RA2.			1
	Lame(lle)s à bord(s) abattu(s) - dont lame à coche	BA2.	10	2	2	14
	Lame(lle)s à enlèvements irréguliers	IR22	17	6	3	26
Outils sur éclats	Grattoirs sur éclat	GR.	7	1	4	12
	Éclats à bord abattu partiel	BA42	1			1
	Éclats denticulés	CC1	3			3
	Éclats à enlèvements irréguliers	IR21	7		1	8
	Outils indéterminés	IND	5	1	3	9
Total			101	35	29	164

35Au total, trois chaînes opératoires distinctes ont pu être documentées. Trois types de supports ont été produits : des lames larges, des supports allongés naturellement pointus et des lamelles étroites qui correspondent à autant de chaînes opératoires (fig. 9).

36La première de ces chaînes opératoires recherche la production de lamelles étroites (fig. 9 à gauche). Un seul nucléus peut faire référence à ce type de supports, les modalités du débitage ne peuvent donc pas être généralisées. Ce nucléus est de petit module, réalisé sur un éclat de chaille épais. Les lamelles sont obtenues par percussion tangentielle tendre. Elles sont ensuite façonnées par retouches abruptes d’un ou plusieurs bords pour créer des armatures microlithiques de type BA1. Ce schéma de production est aisément attribuable au premier Mésolithique (e. g. Valdeyron 1994, Bobœuf 1998, Angelin 2017).

37La seconde production vise l’obtention de supports allongés, aux bords convergents, pour lesquelles la distinction entre lame et éclat n’est pas aisée (fig. 9 au milieu). Les tailleurs ont systématiquement recours aux chailles bajociennes pour cette chaîne opératoire. Les débitages sont conduits sur des nucléus discoïdes, exploités de manière centripète, une surface de débitage servant de plan de frappe à l’autre. Les supports sont obtenus par percussion directe. Il est malaisé de rapporter un type d’outils à cette production, et donc d’en comprendre réellement la finalité. Il est en outre difficile de rapprocher cette chaîne opératoire d’un horizon chronoculturel, tant les exemples comparables pour l’Holocène font défaut dans la littérature, à notre connaissance.

38La dernière de ces chaînes opératoires vise la confection de supports laminaires dont la largeur se situe autour de 12 mm (fig. 9 à droite). Ces produits ont été débités tant sur des chailles que sur des silex, à partir de nucléus unipolaires. Les étapes de mise en forme des blocs sont peu connues, même si la fréquence de talons lisses par rapport aux talons corticaux permet d’envisager l’aménagement d’un plan de frappe par l’enlèvement d’un éclat épais. L’importance des lames à pan naturel suppose un débitage sur table resserrée. Les nucléus sont exploités sur une face du bloc, et parfois une nouvelle séquence de débitage est initiée à partir du même plan de frappe sur un autre côté du nucléus. Un réaménagement des convexités peut intervenir en cours de débitage par l’enlèvement d’éclat large. Les lames sont débitées par percussion indirecte, leurs talons sont volontiers lisses ou concaves, et aucune préparation du point d’impact n’est remarquée. Les supports produits sont larges, réguliers et parfois à trois pans. Les armatures trapézoïdales de type BG1, généralement attribuées au Second Mésolithique, ainsi que les pointes de trait apparentées aux flèches de Montclus (de type BG3.), classiquement considérées comme des marqueurs du Néolithique ancien, peuvent toutes deux résulter de cette chaîne opératoire. Au final, il n’est pas possible d’affirmer que l’un ou l’autre de ces types d’armature appartient préférentiellement à cette chaîne opératoire, ou encore qu’ils soient produits de manière synchrone. Ainsi, cette production peut se rapporter indifféremment au second Mésolithique et/ou au Néolithique ancien.

Les productions céramiques

39Le mobilier céramique issu des fouilles anciennes de l’abri a fait l’objet d’un réexamen initié en 2013, puis repris et enrichi par le matériel récolté au cours des nouvelles opérations de terrain en 2016 et 2018. Dans l’abri, la présence sporadique de fragments de vases du Chalcolithique est mentionnée par les fouilleurs à la base de la couche 3 (Costantini & Maury 1986). D’après l’examen du matériel mis au jour lors des opérations récentes, l’ensemble sédimentaire 2 et le sommet de l’ensemble 3 comprennent des tessons caractéristiques des productions de l’âge du Bronze ancien (vases à lèvre à marli, décor de cordon digité, décor d’incisions en U à la pointe mousse), tandis que d’autres fragments renvoient au Néolithique final. Les indices de ces occupations sont ténus sur le site, parfois mêlés à du mobilier de périodes historiques (céramique médiévale et sigillée, fragment d’amphore massaliète) et à quelques tessons dont l’aspect reflète plutôt les productions attribuées au Néolithique ancien. Concernant le Néolithique final, le principal élément diagnostique est un petit vase ouvert de type gobelet (Cauliez 2011), à paroi très éversée décorée dans sa partie supérieure d’un petit cordon continu unique rectiligne horizontal de section demi-circulaire. Ces caractéristiques sont assez ubiquistes pour la période, mais se trouvent toutefois plus fréquemment aux alentours de 2 500 ans avant notre ère ou au sein de la deuxième moitié du III^e millénaire avant notre ère. Il faut donc considérer que l’occupation du Néolithique final de Combe-Grèze se place dans la phase terminale de la séquence chronoculturelle, ce qui est cohérent avec la datation de Lyon-18077 comprise entre 2 577 et 2 460 cal. BC (tabl. 6). Ce vase est en effet en résonance avec les productions dites du Treilles récent, principalement documentées par les stratigraphies aveyronnaises de la grotte I des Treilles à Saint-Jean-et-Saint-Paul et de la grotte I de Sargel à Saint-Rome-de-Cernon (Costantini 1984).

Tabl 6. Principaux éléments présents dans les pâtes des échantillons analysés en lame mince.

Groupe

Sous-groupe

Qz

Mica

Crist

Volc

Micr

Spar

Cal fe

Calc

Dolo

Sil/Cal

Nod

Ox fe

Nb_échantillons

A

+

++++

tr

1

B

B1

+ *

+ *

tr *

++

tr / +++

12

B2

+

+ *

tr *

tr *

++

tr / ++

3

B3

++

tr / +

++ *

+ *

+++ *

tr *

+ / ++

+ / ++

4

B4

+++

tr

tr

tr

+++

tr

1

C

+

+

1

D

tr

1

E

+ / ++

tr

tr

tr

2

F

+++

tr

tr *

tr

tr / +++

2

Total

27

Qz : quartz, Crist : roche cristalline, Volc : roche volcanique, Micr : micrite, Spar : sparite, Cal fe : calcaire ferrugineux, Dolo : dolomite, Sil/Cal : silex/calcédoine, Nod : nodule, Ox fe : oxydes de fer. tr : trace, + : rare à peu abondant, ++ : moyennement abondant, +++ : abondant, ++++ : très abondant, * : présence non systématique (données F. Convertini/Inrap/UMR5140-ASM).

40La série du Néolithique ancien forme un petit corpus de 541 tessons. Ces éléments proviennent majoritairement de la couche 4 de l’abri et de l’ensemble sédimentaire 3 de la doline. Le mobilier est très fragmenté puisque la majorité des tessons présentent une longueur maximale inférieure à 5 cm. Les parois sont épaisses, très majoritairement comprises entre 8 et 11 mm. Les fragments morpho-stylistiques sont peu nombreux (N = 37) et seuls deux fragments ont permis la restitution graphique de profils (fig. 10, n^os 1-2). Ces formes à contour simple, dérivées de la sphère ou de l’ellipse, sont de petite et moyenne contenances et correspondent aux types des bols et jattes (Binder et al. 2010a). Le corpus des fragments de bords comporte des éléments rectilignes, à orientation verticale ou rentrante. Les lèvres sont préférentiellement arrondies mais peuvent aussi être aplaties ou déjetées. La jatte comporte un départ de préhension placé au niveau du bord et le seul élément complet de la série consiste en une prise ovalaire non perforée, isolée du récipient. Les décors sont rares (N = 10), disposés en ruban horizontal positionné sur et/ou sous la lèvre. Le décor par impression simple apparaît privilégié (fig. 10, n^os 3-10). Les outils utilisés sont divers : ongle, doigt, poinçon, pointe mousse. Un petit fragment de bord comporte des impressions réalisées à la coquille (fig. 10, n^o 9). Rappelons à ce sujet que deux fragments de coquillages marins ont été signalés dans la couche 4 de l’abri, sans précision taxinomique (Costantini & Maury 1986 : 449). Les décors plastiques sont minoritaires, représentés par deux petits cordons lisses horizontaux appliqués (fig. 10, n^os 11-12) et par un cordon horizontal pincé (fig. 10, n^o 10). Le pincement est réalisé par pression du pouce et de l’index sur la pâte encore humide. Ce procédé entraîne des impressions digito-unguéales à chaque pincement. Ce décor trouve un parallèle notable dans les productions cardiales du site de Pendimoun en Provence (Binder & Sénépart 2010 : fig. 6, n^o 1).

41La forte fragmentation de la série ne permet pas de caractériser précisément les chaînes opératoires. Le façonnage par éléments assemblés semble prépondérant et la présence de trois petits fragments de pâte en forme de colombins au sein du mobilier des fouilles anciennes étaye ce diagnostic. Parmi les macrotraces récurrentes, une partie évoque l’emploi de petits colombins ronds superposés et pincés (fig. 11, n^o 1), fréquemment observés dans les contextes attribués au Néolithique ancien des arrière-pays méditerranéens (Roussot-Larroque 1977, Houdré & Vital 1984, Arnal 1995, Defranould et al. 2018). Cependant, plusieurs tessons comportent également des macrotraces qui s’apparentent à la technique de façonnage aux patches spiralés (fig. 11, n^o 2), récemment mise en évidence dans les productions du Néolithique ancien méditerranéen (Gomart et al. 2017, Caro 2020, Cámara Manzaneda et al. 2022). Enfin, de petites impressions ou incisions disposées en ligne sont observées sur la tranche de certains tessons, lorsque la cassure s’est produite au niveau de la jointure entre deux éléments (fig. 11, n° 3). Cette particularité peut être apparentée à une striation volontaire de la paroi au cours de l’ébauchage (guillochage) afin d’améliorer l’adhérence des éléments assemblés, notamment dans le cas d’un façonnage en plusieurs phases entrecoupées par des temps de séchage (Roux 2016). La restitution des procédés de façonnage demande encore à être clarifiée, mais l’ambivalence des traits diagnostiques pourrait résulter d’une méthode d’ébauchage associant plusieurs techniques : petits colombins enroulés sur eux-mêmes (patches) et petits colombins pincés. Les surfaces internes et externes des tessons présentent majoritairement un aspect lissé. Les macrotraces les plus fréquentes suggèrent une exécution à l’aide d’un outil imprégné d’eau (Roux 2017). Parallèlement, quelques individus portent des macrotraces de brunissage sur pâte cuir (fig. 11, n^os 4-6). La coloration des tessons montre une gamme de tons variés, souvent hétérogènes à dominante claire. Ces traits évoquent des cuissons en atmosphère oxydante selon des dispositifs et procédés qui favorisent les « coups de feu » et l’oxydation inégale des parois.

42En 2016, une analyse pétrographique en lames minces a été réalisée sur un échantillon de 27 vases provenant de différentes strates de la couche 4 de l’abri (fouille Costantini et Maury), sélectionnés d’après leurs caractéristiques techniques et morpho-stylistiques (Convertini 2010). De manière générale, les matrices sont phylliteuses, souvent d’aspect cotonneux, mais la caractérisation des inclusions non plastiques et de leur densité dans la pâte conduit à la distinction de six groupes pétrographiques, dont un (groupe B) subdivisé en quatre sous-groupes. Les principaux constituants de ces groupes sont rassemblés dans le tableau 6.

43Deux principaux types de dégraissant ont été introduits au cours de la préparation dans les terres exploitées : carbonates et os calciné et pilé (tabl. 7 ; fig. 12a, b, c). Par ailleurs quelques grains de céramique sont présents dans les pâtes de deux vases, mais il est délicat de parler de chamotte compte tenu de leur très faible concentration (fig. 12d). Les carbonates sont variés dans leur composition et leur origine. Leurs dimensions varient entre 50 μm pour les plus petits et jusqu’à 6 mm pour les plus grossiers. Ils sont le plus souvent mal homogénéisés dans les pâtes et constituent des concentrations qui voisinent avec des zones vides. Les rhomboèdres de dolomites/calcites sont le dégraissant le plus répandu puisqu’il est présent dans 24 pâtes sur 27, issues de tous les groupes et sous-groupes pétrographiques (hormis le groupe A, seule terre non dégraissée). L’os calciné et pilé a été observé pour trois vases, incorporé à différentes terres (groupes D, E et F). Les fragments sont rares ou très rares. Dans la même lame mince, ils peuvent être usés ou anguleux ce qui traduit l’emploi de stocks différents. L’ajout d’os pilé dans les pâtes est associé à d’autres dégraissants : carbonates pilés (rhomboèdres) et/ou grains de céramique, sable carbonaté.

Tabl. 7. Répartition des différents types de dégraissants dans les terres exploitées.

Groupe	Sous-groupe	Carbonates palissadés	Carbonates cristallins	Rhomboèdres	Carbonates de grotte	Sable carbonaté	Os pilé	Céramique	N_échantillons
A									1
B	B1	X *	X	X	X				12
	B2			X					3
	B3			X					4
	B4			X					1
C				X					1
D				X			X	tr	1
E		X *		X *		X *	X *		2
F				X *			X *	tr *	2
Total									27

tr : trace, X : présence, * : présence non systématique (données F. Convertini/Inrap/UMR5140-ASM).

44Les potentialités d’origine des matériaux apparaissent nombreuses (fig. 13). Le site est localisé à quelques kilomètres de la confluence de la Jonte et du Tarn, à l’extrémité occidentale du Causse Noir dont l’assise est constituée de terrains du Jurassique inférieur et moyen (Mennessier & Collomb 1986, supra.). En résumé, la base de la série est marneuse, puis devient calcaire à la fin du Lias, puis la dolomie envahit le tout. Par ailleurs, un pointement basaltique d’âge Quaternaire affleure à quelques centaines de mètres de l’abri. Le site est précisément localisé dans les dolomies ruiniformes du Bathonien supérieur (j2b). L’environnement géologique procure ainsi des marnes qui affleurent sur des dizaines de mètres d’épaisseur en coupe dans les gorges du Tarn, des terra rossa qui constituent des accumulations au fond des dépressions et des argiles de grotte résultant de la décalcification des carbonates (calcaires et dolomies).

45Ainsi, la terre du groupe A est quasiment en totalité constituée d’éléments dolomitiques qui sont très vraisemblablement locaux (Bathonien supérieur). La pâte de ce vase est la seule de la série étudiée qui soit dépourvue de tout dégraissant.

46Au sein du corpus, dominent les terres du groupe B à l’origine de la très grande majorité des vases analysés. Par l’homogénéité de leur matrice, les terres du groupe B, ne peuvent être issues que de la même formation. La totale absence (sous-groupe 1) ou la rareté des quartz (sous-groupe 2) orientent les attributions vers des terres quasiment dépourvues de tout apport détritique tandis que les ressources des sous-groupes 3 et 4, qui sont plus riches en quartz, pourraient correspondre à ces mêmes terres enrichies d’apports extérieurs issus d’autres formations voisines. L’absence de référentiel des types de dépôts locaux empêche de déterminer avec certitude les types de terres exploitées, mais, dans l’hypothèse de productions locales, l’origine la plus plausible peut être située dans l’environnement des marnes décarbonatées liasiques présentes en contrebas dans la séquence du Causse Noir, mais l’emploi des terra rossa ou des argiles de grotte ne peut pas être totalement écarté, surtout pour les vases des sous-groupes B3 et B4 plus riches en quartz. De façon plus détaillée, les échantillons du sous-groupe B1 sont les plus nombreux et présentent la particularité d’avoir été dégraissés avec plusieurs types de carbonates, au moins trois, mais la plupart du temps quatre. Parmi eux se trouvent notamment des carbonates originaires de grottes ce qui permet d’affirmer que les terres ont été préparées dans un environnement karstique. D’ailleurs, ces matériaux pourraient correspondre éventuellement à des fragments naturels présents dans les terres. Les carbonates palissadés et cristallins semblent être des spécificités locales, qui ont été systématiquement recherchés et broyés pour en faire de la poudre destinée à être mélangée aux argiles. L’origine de ces éléments n’est pas totalement élucidée, mais les carbonates cristallins semblent correspondre à des dolomies présentes sur le site. En revanche, les carbonates palissadés sont des dolomies ou des calcaires, qui peuvent être issus des formations locales du Jurassique. Les vases fabriqués avec les autres terres du groupe B peuvent être rapprochés des productions du groupe B1 grâce à la présence de la dolomite/calcite pilée comme unique dégraissant. L’emploi de calcites pilées devient la norme en Languedoc oriental à l’Épicardial, dans des contextes géologiques carbonatés (Binder et al. 2010b). Un déterminisme géologique peut exister pour ces éléments abondamment représentés sur les Causses, mais une influence depuis le Languedoc semble également plausible.

47Les terres des groupes C et D posent le même problème que les terres du groupe B, car elles renferment peu de quartz ou en sont dépourvues. Là aussi, des marnes totalement décarbonatées ont pu être exploitées localement, mais, peut-être plus encore que pour le groupe B, ces terres d’une grande finesse peuvent correspondre à des ressources qui sont présentes dans une multitude de contextes sédimentaires. Le récipient fabriqué à partir d’une terre du groupe C a été dégraissé avec de la calcite pilée. Le cas du vase du groupe D qui correspond au fragment de bord portant un décor à la coquille (fig. 10, n^o 9), est particulièrement intéressant. En effet, dans une terre totalement dépourvue d’inclusions naturelles ont été introduits de la dolomite/calcite pilée et surtout des fragments d’os calciné puis pilé, auxquels peuvent se rajouter des grains de céramique. Au Néolithique ancien, l’association de ces caractéristiques techniques et ornementales est bien documentée en contexte cardial en Provence occidentale (Sénépart & Convertini 2003). Elle existe plus rarement en contexte épicardial en Languedoc oriental et central, permettant d’envisager des phénomènes de transferts et de circulation entre différentes communautés (Manen et al. 2010, Manen & Convertini 2014, Convertini inédit). Il est donc probable que le vase de Combe-Grèze soit dans la même situation que les récipients recueillis en Languedoc, c’est-à-dire qu’il corresponde à une production étrangère au Causse Noir.

48Les terres du groupe E présentent des caractéristiques relativement nettes. La présence d’une fraction d’origine plutonique est peut-être à rattacher aux alluvions de la Jonte ou du Tarn qui prennent leur source en domaine granitique, mais plus sûrement dans les argiles de décalcification locales issues de formations carbonatées renfermant une fraction terrigène. Les terra rossa sont de bons candidats pour correspondre aux terres exploitées. La pâte de l’un des vases renferme un ajout de carbonates palissadés et des rhomboèdres de dolomite/calcite pilée qui plaident en faveur d’une production locale. Le second vase présente un assemblage inédit, composé d’un sable carbonaté à forte teneur en dolomite locale et de fragments d’os. Cette association est importante puisqu’elle témoigne vraisemblablement d’un produit local pour lequel a été intégré un type de dégraissant relevant d’une tradition bien représentée en France méditerranéenne dès la fin du VI^e millénaire avant notre ère (os pilé). Or, le vase correspond au bord décoré d’un cordon pincé (fig. 10, n^o 10), renvoyant aux productions cardiales de Provence (supra.). La tradition céramique allochtone (recette de pâte et répertoire ornemental) illustrée par le récipient du groupe D a donc pu être appliquée localement (copie, mobilité des producteurs ?).

49Les deux terres à l’origine des vases du groupe F sont banales et, à ce titre, restent non localisées. La pâte de l’un des vases ne renferme que de la dolomite/calcite pilée comme dégraissant, ce qui peut indiquer une production locale (fig. 10, n^o 7). L’autre pâte est proche de celle du vase décoré à la coquille du groupe D puisqu’elle a été dégraissée avec des fragments d’os et renferme également quelques grains de céramique. Néanmoins, ce vase ne comporte aucun décor. La présence dans la pâte d’un lithoclaste avec des vacuoles circulaires, peut-être d’origine volcanique, pourrait indiquer une ressource locale car un affleurement effusif est présent près du site, mais des formations basaltiques existent également en Languedoc central.

Conclusion

50À l’issue de cette synthèse, le caractère mélangé des assemblages se confirme nettement. À l’intérieur de l’abri, les nombreuses inversions stratigraphiques des mesures radiocarbone confirment l’existence de biais taphonomiques importants, déjà pressentis par les études de mobilier. À l’extérieur de l’abri, les opérations de terrain n’ont pas permis de mettre en évidence des occupations précisément contextualisées, mais uniquement un épandage de mobilier archéologique pouvant relever d’implantations anthropiques à l’avant ou aux abords immédiats de l’abri et postérieurement perturbées par des processus biopédologiques ou sédimentaires. En effet, sur la base des analyses géomorphologiques et micromorphologiques, deux hypothèses peuvent expliquer la remobilisation du matériel archéologique. La première suppose des occupations anthropiques en place à l’avant de la cavité, postérieurement perturbées par des processus pédologiques (bioturbations) et éventuellement sédimentaires (ruissellement, solifluxion colluvionnement). La seconde suppose des occupations anthropiques au niveau de la canole ou de son exutoire (et/ou de la cavité) remobilisés par les mêmes types de processus sédimentaires. La première hypothèse nous paraît plus pertinente compte tenu de la relative fraîcheur du mobilier attribué au Néolithique ancien, en particulier lithique et céramique, qui est très peu émoussé.

51En dépit de cette limite majeure, il est possible de préciser quelque peu les périodes d’occupation de la doline de Combe-Grèze au cours de la Préhistoire :

• Une potentielle occupation ou un épiphénomène durant le Tardiglaciaire, marquée par une unique mesure radiocarbone sur un os carbonisé et sans mobilier associé.
• Une occupation fugace au Premier Mésolithique Sauveterrien paraît bien attestée à l’intérieur de l’abri par des productions lithiques spécifiques se rapportant à cet horizon (fig. 9 à gauche), même si elle n’est pas datée par le radiocarbone.
• Une ou plusieurs occupations au Second Mésolithique, sur la foi des datations comprises entre 6 400 – 6 000 BCE (voire 5 500 – 5 300 BCE ?), possiblement synchrone de ce que l’on observe ailleurs dans le sud-ouest de la France (Perrin et al. 2017), mais que l’on n’arrive pas à discriminer des productions spécifiques au Néolithique ancien.
• Une ou plusieurs occupations à la fin du VI^e millénaire que l’on peut rapporter au Néolithique ancien.
• Quelques rares éléments des productions matérielles, céramiques et lithiques, tout comme des datations qui peuvent renvoyer à la fin du Néolithique.

52La problématique de la néolithisation des arrière-pays méditerranéens qui avait guidé notre retour au terrain n’est donc qu’imparfaitement approchée, du fait du mélange de plusieurs occupations holocènes. En particulier, il est difficile d’avancer sur les potentialités des contacts entre derniers chasseurs-cueilleurs mésolithiques et premiers groupes agro-pastoraux néolithiques, qui avaient orienté notre retour sur ce site. Tenant compte de l’état lacunaire des données sur la néolithisation en Aveyron et comme dans le quart sud-ouest de la France (Perrin et al. 2018), il nous semblait tout de même important d’exploiter au maximum les résultats obtenus à Combe-Grèze pour avancer quelques hypothèses, à tester à l’avenir dans d’autres contextes plus favorables. Ainsi, si l’on considère les différents éléments de Combe-Grèze pouvant se rapporter aux débuts du Néolithique indépendamment de leur contexte de prélèvement, on peut proposer plusieurs hypothèses concernant les premiers impacts néolithiques sur le Causse (fig. 14) :

• Certains éléments de la culture matérielle (certaines pointes de flèches, types de dégraissant et de décors céramiques et donc de traits techniques) renvoient à la sphère méditerranéenne cardiale/épicardiale et permettent d’affermir des liens très importants avec cette entité.
• Les productions permettent également de formuler l’hypothèse d’une recomposition culturelle à partir de ce fonds cardial. Cette recomposition peut être marquée par une tradition d’ébauchage céramique propre aux contextes aveyronnais, à laquelle s’ajoutent des décors qui peuvent renvoyer à la sphère atlantique dite NACA (Caro 2020). Enfin, on ne peut totalement exclure que les armatures trapézoïdales de type BG1 renvoient non seulement aux occupations mésolithiques, mais aussi potentiellement à des productions de communautés d’agro-pasteurs. Tous ces éléments pourraient signer une recomposition culturelle, marquée par des emprunts sélectifs à différentes influences : méditerranéennes, atlantiques, voire au substrat mésolithique indigène…
• Gardant à l’esprit les biais taphonomiques qui tronquent notre perception des occupations, l’ensemble des éléments identifiés peut être compatible avec une hypothèse fonctionnelle qui ferait de cette doline et de cet abri, un site occupé sur de courtes durées, potentiellement pour des fonctions spécifiques. Ce dernier cas de figure est soutenu par la rareté du matériel, l’absence de pratiques agropastorales identifiées, comme de possibles occupations sur une courte durée marquées par des vases de petite contenance, la combustion de bois mort. Ce qui permet de proposer un site occupé temporairement lors d’incursions spécifiques sur le Causse.

53Ainsi, malgré leurs caractères décontextualisés, les vestiges récoltés sur le site de Combe-Grèze lors des diverses interventions entrent pleinement, pour le Néolithique ancien, dans le cadre aujourd’hui bien établi et connu de la néolithisation méditerranéenne. Son expansion sur les causses aveyronnais s’inscrit dans un processus continu et progressif. Combe-Grèze matérialise ainsi un point d’étape de cette expansion néolithique, même si la nature exacte des occupations ne peut être démontrée. Ces données rendent encore plus indispensable la découverte d’un ou plusieurs sites dont le contexte stratigraphique serait mieux maîtrisé pour infirmer ou étayer les scénarios proposés ici.