• 1 Montaigne, Essais, livre III, chapitre 13 - 1580-1588 Édition Pléiade, Gallimard, 2007, p. 1112.
• 2 Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, JORF du 13 juillet 1976, p. (...)

1« Nous avons en France plus de lois que tout le reste du monde ensemble et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Épicure… (Les lois) les plus désirables sont les plus rares, plus simples et générales »1 écrivait déjà Montaigne en 1588. L’inflation normative est donc un mal dont les racines sont anciennes à l’épreuve d’une citoyenneté politique et administrative fragilisée. Il s’agit donc de mieux encadrer cette production normative afin d’une part de réduire la distance du citoyen à un État prescripteur et d’autre part d’accompagner la réforme de l’État devenu stratège (Bezès, 2009). Il ne s’agit pas seulement de corriger les malfaçons d’un projet de loi ou d’un décret, sur fond d’une légistique rénovée mais d’inscrire cette « gouvernance » dans le cadre non plus seulement d’une modernisation de l’administration mais d’une réforme de l’État. Comme le précise Philippe Bezès, il s’agit « de repenser toute l’architecture de l’État à l’aune d’un modèle néo-managérial de réorganisation » et de poursuivre : « L’objectif est, à terme, de recentrer les administrations centrales (en charge de la conception, de l’animation, de l’évaluation et du contrôle des politiques publiques) en les différenciant de services spécialisés dans la mise en œuvre opérationnelle, qu’il s’agisse des services déconcentrés de l’État, eux-mêmes réorganisés, ou d’acteurs parapublics ou privés auxquels on déléguerait la production de certains biens collectifs ». L’emprise bureaucratique sur la production des normes n’est plus à démontrer (Chevallier, 2011). La médiation des services administratifs centraux conditionne ainsi les étapes de la fabrication des lois. La réforme de l’État conduit ainsi à une refonte des missions de l’administration centrale et à une revitalisation des assemblées parlementaires chargées officiellement de « produire » les lois. « La qualité du droit » devient un enjeu institutionnel de la « gouvernance réglementaire » (Groulier, 2015). Pour Cédric Groulier, « Il s’est agi de construire une représentation de la réglementation, en la figurant comme levier de l’action publique, mais aussi comme objet ayant un coût économique et social, et de prescrire la bonne manière de gérer une politique réglementaire ». En amont des projets de loi, il importe en définitive d’améliorer leur pertinence et en aval d’évaluer les résultats au miroir des objectifs assignés (Barbier, 2014). À ce titre, la nécessité d’un contrôle parlementaire de l’application des lois découle de l’article 24 de la Constitution qui dispose que « le Parlement contrôle l’action du Gouvernement ». La promotion symbolique de l’évaluation parlementaire et le renforcement de son organisation institutionnelle se conjuguent pour revaloriser les « études d’impact » apparues en France dans le cadre du droit de l’environnement2.

• 3 Recommandation du Conseil de l’OCDE concernant l’amélioration de la qualité de la réglementation of (...)
• 4 OCDE, La réforme de la réglementation, rapport 1997.
• 5 OCDE, Politiques de régulation dans les pays de l’OCDE. De l’interventionnisme à la gouvernance de (...)
• 6 OCDE, Politique réglementaire et gouvernance. Soutenir la croissance économique et servir l’intérêt (...)
• 7 OCDE, Mieux légiférer en Europe-France, Rapport 2010. L’étude de l’OCDE « Mieux légiférer en France (...)
• 8 Circulaire du 21 novembre 1995 relative à l’expérimentation d’une étude d’impact accompagnant les p (...)
• 9 Circulaire du 26 janvier 1998 relative à l’étude d’impact des projets de loi et de décret en Consei (...)
• 10 Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V^e Rép (...)
• 11 Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de (...)
• 12 Le CNEN fait suite à la Commission Consultative d’Évaluation des Normes créée par l’article 95 de l (...)

2L’Organisation de coopération et de développement économiques préconisait en mars 1995 le recours aux études d’impact dans le but d’améliorer la qualité de la réglementation3. Cette recommandation sera suivie du rapport de 1997 et donnera lieu à la proclamation de sept principes de gestion4. Ces derniers ont servi de référence pour l’examen des politiques menées dans les États de l’OCDE5. Le dernier rapport en date, « Politique réglementaire et gouvernance. Soutenir la croissance économique et servir l’intérêt général » retrace en 2012 dix ans de travaux de l’OCDE6 sur la question et constitue le rapport de synthèse d’un projet conduit en partenariat avec la Commission européenne7. Suivant ces recommandations, la France a adopté une circulaire du 21 novembre 19958, complétée le 26 janvier 19989, en imposant une étude d’impact préalable aux projets de loi et principaux projets de décret en Conseil d’État. La révision constitutionnelle de 200810 et plus particulièrement la loi organique de 200911 qui la met en œuvre font des études d’impact un outil juridique devant accompagner le processus législatif, de telle sorte que leur contenu va évoluer au fur et à mesure de l’élaboration du projet. La loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 adoptée en application de l’article 39 de la Constitution a fait de l’étude d’impact une formalité obligatoire de présentation des projets de loi dès la transmission au Conseil d’État et lors du dépôt sur le bureau d’une des deux assemblées. Cette étude d’impact constitue un instrument de rationalisation de la confection de la loi (Combrade, 2017). Les études d’impact doivent ainsi contenir une analyse des options alternatives à la réglementation permettant éventuellement au ministère concerné de renoncer à rédiger un projet de loi. La promotion de l’examen systématique de substituts à la réglementation encourage davantage le transfert de compétences entre les mains d’institutions infra-étatiques ou d’acteurs privés censés être plus aptes à réagir aux contraintes de leur environnement que la suppression de toute réglementation. L’évaluation des politiques publiques s’est enrichie d’une instance de concertation devenue par la loi n° 2013-921 du 17 octobre 2013 le Conseil National d’Évaluation des Normes (CNEN)12. Ce Conseil n’a pas à évaluer ex ante le projet de loi mais à tirer les conséquences financières des mesures réglementaires d’exécution des lois relatives aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics.

• 13 Le Conseil Constitutionnel précise au demeurant dans sa décision DC 2001-448 que la Cour des compte (...)

3L’évaluation des politiques publiques par le Parlement ne repose pas exclusivement sur des études d’impact (Chanut et Lamarque, 2014). La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a renforcé les liens entre la Cour des comptes et le Parlement en introduisant à l’article 47-2 de la Constitution le principe selon lequel la Cour est chargée d’une mission d’assistance en matière de contrôle du gouvernement, de contrôle de l’exécution des lois de finances, de l’application des lois de financement de la sécurité sociale et d’évaluation des politiques publiques. La Cour des comptes tend ainsi à s’affirmer comme une institution « équidistante » du Gouvernement et du Parlement13.

• 14 Loi CAP, JORF, 8 juillet 2016.
• 15 Assemblée Nationale, Rapport n° 3798, 12 octobre 2011 par MM. Richard Dell’agnola, Nicolas Perrucho (...)
• 16 Cour des comptes, Rapport annuel 2016, Tome II, La politique d’archéologie préventive : des mesures (...)

4La loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine qui constitue le principal texte du mandat du Président Hollande dans le secteur culturel, n’échappe pas à la multiplication des sources d’expertise14. Ce texte constitue la plus importante réforme du code du patrimoine depuis son adoption en 2004 (Cornu 2017 ; Pontier, 2016 ; Le Roux, 2017). Y sont insérées plusieurs dispositions visant à rationaliser la création artistique et la protection du patrimoine culturel. Sans être exhaustif, on peut rappeler outre l’étude d’impact analysée ci-après, le rapport d’information en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées d’octobre 201115 ou bien encore le rapport de la Cour des Comptes en 2016 à propos de l’archéologie préventive.16

• 17 Assemblée Nationale, Rapport n° 3068, 17 septembre 2015 par M. Patrick Bloche, Tome I, page 15.
• 18 Pour Pierre-Laurent Frier, la notion de patrimoine culturel recouvre « l’ensemble des traces des ac (...)
• 19 Sénat, Rapport n° 340, 12 janvier 2016 par M. Jean-Pierre Lelieux et Mme Françoise Ferat, Tome I pa (...)

5Dans ce contexte, l’examen de l’étude d’impact du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine constitue-t-il un référentiel suffisant pour apprécier la globalité d’un dispositif culturel qui embrasse tous les champs des politiques culturelles contemporaines ? De l’aveu du rapporteur à l’Assemblée Nationale ce texte met en exergue une filiation entre la création culturelle contemporaine et sa réception dans le cadre d’un héritage intergénérationnel : « L’ambition portée par ce texte est d’abord sociétale, car il affirme le rôle fondamental de la culture dans la consolidation du lien social et la perpétuation de la mémoire collective »17. Ce texte de loi agrège ainsi divers projets de loi antérieurs relatifs notamment à l’acte II de l’exception culturelle mais également au patrimoine monumental qui semble a priori distant18. Par l’apparente dispersion des dispositifs, la teneur de l’étude d’impact est déconcertante. Bien plus, les rapporteurs du projet de loi devant le Sénat constataient avec amertume un défaut méthodologique : le projet « conduit à y inscrire plusieurs des dispositions initialement envisagées et ensuite écartées par le Gouvernement et qui, de ce fait, n’ont pas fait l’objet d’une véritable étude d’impact préalable »19. En quoi cette étude d’impact a-t-elle conduit à éclairer les parlementaires qui ont adopté un texte de 119 articles contre les 46 initialement envisagés ? Si formellement, la structure adoptée dans le cadre de cette étude d’impact favorise une amélioration de la qualité du droit (1), il n’est pas certain qu’elle contribue foncièrement à une maîtrise des dispositifs patrimoniaux faute d’une analyse financière rigoureuse (2).

• 20 Une nouvelle circulaire du Premier Ministre du 23 août 2012, recommande que les textes législatifs (...)

6La mise en place de l’étude d’impact manifeste un intérêt pour l’efficacité fonctionnelle du droit. L’Administration évalue les lois et règlements pour anticiper leurs effets sur les comportements individuels. Après avoir dressé un diagnostic de la situation, l’étude aborde l’impact normatif des dispositions (sur le terrain juridique, administratif, budgétaire, social voire environnemental, et enfin l’égalité Homme-Femme)20 pour conduire, d’une certaine manière, à améliorer ex ante la qualité de la loi. L’étude d’impact du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine révèle un positionnement multidimensionnel faisant jouer accessoirement une logique de démocratie participative (1.1.) et principalement une logique de type rationnelle-instrumentale (Lianos et Fazekas, 2014 (1.2.).

• 21 Département des études de la prospective et des statistiques et Forum pour la gestion des villes et (...)
• 22 Étude d’impact, page 15.
• 23 La loi relative à la Nouvelle organisation territoriale de la République n° 2015-991 du 7 août 2015 (...)

8S’il paraissait inutile d’avoir recours à une consultation des auteurs et des artistes pour affirmer l’existence d’un principe fondamental, celui d’une création artistique libre, il en allait différemment pour déterminer l’étendue les droits revendiqués par ces bénéficiaires dans la mesure où ils constituent une « butte témoin » d’un droit d’accès à la culture. Proclamer la liberté de création artistique en tant que droit autonome n’allait pas de soi dans la mesure où cette liberté est considérée comme une composante de la liberté d’expression. L’étude d’impact restitue les objectifs de cet énoncé au regard des droits culturels contenus dans des dispositifs internationaux mais également au soutien d’un contexte où les droits des artistes ont pu être fragilisés. Cela étant, les artistes n’ont pas tous les droits comme le rappelle « l’affaire Finlay » en 1987‑1988, où une œuvre commandée à un artiste par l’État véhiculait, selon certains critiques d’art, des valeurs ambiguës (par rapport au nazisme), ce qui avait conduit l’État à annuler la commande. Le corpus des droits inhérents à la diffusion de la création artistique est davantage révélateur d’une difficulté d’évaluation dans la mesure où les compétences dans le domaine notamment des arts du spectacle vivant sont partagées entre l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Ces compétences sont même enchevêtrées en matière de financement. La politique culturelle met nécessairement en jeu des cofinancements par les différents niveaux de collectivités, ne serait-ce que pour la construction d’équipements culturels. Ces cofinancements sont attestés par une étude réalisée en mars 2014 par le département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication, en association avec le Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 201021. Sans mentionner expressément cette analyse, l’étude d’impact précise au titre du diagnostic qu’en 2013, « le ministère de la culture et de la communication a aidé 2105 structures sur crédits déconcentrés dans le champ de la création artistique. Une analyse annuelle de la globalité des financements publics (ministère de la culture et de la communication et collectivités territoriales) menée sur 1200 structures permet de connaître pour l’année 2010 le montant annuel global des aides publiques accordées : elles ont bénéficié de plus de 958 millions d’euros par an toutes collectivités publiques confondues (dont 31 %, soit environ 292 millions d’euros, du ministère de la culture et de la communication) »22. Cela étant, il n’est nullement précisé au titre des items concernés par une telle politique de diffusion culturelle et artistique, les enjeux financiers qui leur seraient propres. Il aurait été utile d’apprécier, ultérieurement au dépôt de l’étude d’impact, la cohérence de ces items à la lumière de la loi « NOTRe » du 7 août 201523 qui a encouragé une simplification de l’organisation des cofinancements au plan local, en instaurant des procédures de centralisation du traitement des demandes de financement par la voie du conventionnement entre ces entités.

• 24 Étude d’impact, page 48.
• 25 Le ministère de la culture a utilisé pour ce faire une ressource experte, à savoir l’étude de l’Ins (...)
• 26 L’article 32- I de la loi CAP dispose « qu’est artiste amateur dans le domaine de la création artis (...)

9Pour promouvoir la diversité culturelle et élargir l’accès à l’offre culturelle, le législateur culturel a renforcé certains droits. Ainsi, dans le cadre de « l’exception handicap » il importe de faciliter la consultation et la reproduction d’œuvres pour les personnes atteintes d’une ou de plusieurs déficiences des fonctions motrices, physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques et empêchées, du fait de ces déficiences, d’accéder aux œuvres. Au terme de l’étude d’impact, « Le dispositif de “l’exception handicap” n’a toutefois été mis en œuvre que récemment, les dispositions réglementaires d’application ayant été prises, s’agissant du dispositif général, par le décret n° 2008-1391 du 19 décembre 2008, et, s’agissant du dispositif particulier relatif au dépôt des fichiers numériques, par le décret n° 2009-131 du 6 février 2009 qui désigne la BnF comme organisme dépositaire de ces fichiers »24. En renforçant ces droits, le ministère de la culture consacre une évaluation ex post de ce dispositif25. Il en va différemment du statut « d’artiste-amateur »26 dont la consécration est intervenue au cours des débats parlementaires. Sur proposition du gouvernement, la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a donc adopté un article additionnel qui confère un cadre juridique rénové aux pratiques artistiques amateurs. Cet article définit « l’artiste amateur » et précise les conditions dans lesquelles il peut se produire dans un cadre non lucratif mais aussi dans le cadre de représentations commerciales. Ce dispositif n’a ainsi pas fait l’objet d’une étude d’impact.

• 27 Le décret n° 2017-432 du 28 mars 2017 relatif aux labels et au conventionnement dans les domaines d (...)

15Un premier label est attribué par le ministre chargé de la culture « aux structures, aux personnes morales de droit public ou de droit privé ou aux services en régie d’une collectivité territoriale qui en font la demande et dont le projet artistique et culturel présente un intérêt général pour la création artistique dans les domaines du spectacle vivant ou des arts plastiques ». Hormis le décret n° 72-904 du 2 octobre 1972 relatif aux contrats de décentralisation dramatique qui encadre les rapports entre l’État et les centres dramatiques nationaux, la politique de soutien aux structures de création et de diffusion dite « labels et réseaux » repose aujourd’hui sur une circulaire du 31 août 2010, modifiée le 22 février 2013, qui regroupe en un seul texte les circulaires relatives à chaque label du spectacle vivant. La loi précise que l’attribution du label s’apprécie « au regard d’un cahier des missions et des charges, qui fixe les objectifs de développement et de renouvellement artistique, de coopération entre établissements, d’engagement au service de la diversité artistique, de démocratisation culturelle par des actions de médiation, dont celles concernant l’éducation artistique et culturelle, de traitement équitable des territoires, d’éducation artistique et culturelle ainsi que de professionnalisation des artistes et des auteurs des secteurs du spectacle vivant et des arts plastiques »27.

• 28 Étude d’impact, page 22.

16Pour réaliser ces multiples objectifs, l’étude d’impact concentre son analyse sur l’existence de solutions alternatives jugées néanmoins trop contraignantes. Ainsi, « La voie de la délégation de service public implique une mise en concurrence qui est inenvisageable au regard du risque de déstabilisation du maillage de ces institutions. Le statut de l’établissement public de coopération culturelle (EPCC) est celui qui présente le plus d’adéquation avec les besoins et les spécificités des structures labellisées. Toutefois, imposer par la loi la transformation de toutes les structures en EPCC ne paraît pas approprié, eu égard au caractère particulièrement attentatoire à la liberté de commerce et de l’industrie pour les structures de droit privé, du coût budgétaire que représente le passage en EPCC et de la circonstance que le pouvoir d’initiative de la création d’un EPCC relève des collectivités territoriales et non de l’État »28. Cet examen technique n’est toutefois pas accompagné d’un impact chiffré en termes notamment d’emplois artistiques.

• 29 Étude d’impact, page 96.

19Plusieurs solutions alternatives avaient été envisagées mais ont été finalement écartées à raison d’un mode de gestion jugé inadapté. Ainsi, la transformation des FRAC en établissement public de coopération culturelle n’était pas envisageable au regard de son coût budgétaire et de la gouvernance induite par ce statut qui génère « un formalisme et une surcharge de gestion qui viendrait inévitablement réduire la marge artistique des FRAC et leur réactivité »29. Par ailleurs, l’éventuel transfert de ces collections aux collectivités territoriales, autre solution envisagée, conduirait à accroître leurs difficultés financières dans le contexte budgétaire actuel. Une ultime option aurait pu être d’étendre le régime applicable aux collections des musées de France aux collections des FRAC. Néanmoins, cette option n’était pas envisageable à court terme dans la mesure où plusieurs effets de cette appellation s’avèrent incompatibles avec les modes de gestion des FRAC. Les activités scientifiques des musées de France doivent être assurées sous la responsabilité de professionnels présentant des qualifications conformes au statut de conservateur. Or, l’étude d’impact précise à juste titre que « La direction des FRAC est traditionnellement exercée par des professionnels de l’art contemporain qui n’appartiennent pas à ce corps de fonctionnaires ».

• 30 Étude d’impact, page 231.

21Le troisième label abordé dans l’étude d’impact est relatif au patrimoine du XX^e siècle. La connaissance et la valorisation raisonnée de ce patrimoine architectural constituent aujourd’hui des enjeux majeurs au regard des problématiques de la construction de logement, de la rénovation urbaine et de la transition écologique. Ainsi, les ensembles architecturaux parmi les réalisations de moins de cent ans d’âge, dont la conception présente un intérêt architectural ou technique suffisant reçoivent un label par décision motivée de l’autorité administrative, après avis de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture. Le label disparaît de plein droit si l’immeuble est classé ou inscrit au titre des monuments historiques, ou cent ans après sa construction. L’objectif de la réforme envisagée est « d’informer la direction régionale des affaires culturelles de toute demande de permis de construire, de permis de démolir ou de permis d’aménager portant sur un immeuble ou ensemble labellisé »30.

• 31 Des CCR emblématiques existent depuis plusieurs dizaines d’années comme la Fondation Royaumont, l’A (...)

24Ainsi, les pôles nationaux de référence sont créés « pour rassembler, conserver et valoriser des collections publiques non présentées dans le musée de France qui en est propriétaire, selon des thématiques précises définies préalablement dans un projet scientifique et culturel ». Le label en question est déterminé par l’histoire et la nature particulière des collections du musée candidat comme vraisemblablement celui d’Aquitaine de Bordeaux au titre de sa collection liée à l’esclavage et au commerce triangulaire. La détermination et la répartition des pôles relèvent du ministre chargé de la culture. Enfin, le législateur donne « corps » au label Centre culturel de rencontre, ainsi pérennisé. Il est attribué par le ministre chargé de la culture à toute personne morale de droit public ou de droit privé à but non lucratif qui en fait la demande et qui, jouissant d’une autonomie de gestion, occupe de manière permanente un site patrimonial ouvert au public qu’elle contribue à entretenir ou à restaurer31. Le label établit en définitive un cadre collaboratif entre l’État, les collectivités territoriales et les organismes de gestion.

• 32 Le Conseil Constitutionnel l’a confirmé dans la décision n° 2015-715 du 5 août 2015, dans ses consi (...)
• 33 Pour maîtriser la production normative, le Conseil d’État dans son étude de 2016 relative à la simp (...)
• 34 Conseil d’État, étude annuelle 13 juillet 2016, Simplification et qualité du droit, pages 107-108.

25L’analyse empirique de cette politique culturelle conduit à deux observations. D’une part, l’obligation d’étude d’impact n’est pas un frein à l’exercice du droit d’amendement des assemblées. Elles restent libres, de neutraliser les prévisions de l’étude d’impact en modifiant le projet de loi32. A contrario, l’obligation d’étude d’impact, faute d’être réalisée en période « glissante » au titre des principaux amendements déposés, en particulier pour ceux d’origine gouvernementale, n’apporte pas non plus de soutien aux modifications du projet de loi33. D’autre part, l’étude d’impact devrait être le moment privilégié pour examiner ex post le contrôle de l’application des lois. Or si les diagnostics sont bien établis, les bilans à l’appui d’une modification réglementaire restent parcellaires. La combinaison entre étude ex ante et étude ex post n’ayant pas été institutionnalisée, c’est de manière empirique que le Parlement se réfère à l’étude d’impact initiale lorsqu’il contrôle l’application de la loi. Dans son étude annuelle de l’année 2016, relative à la simplification et à la qualité du droit, le Conseil d’État propose que l’évaluation ex post des textes législatifs soit rendue plus systématique par l’inscription dans les lois et ordonnances de clauses de réexamen à échéance de 6 mois, 2 ans et 5 ans34.

• 35 CE, 21 mai 1971, requête n° 78825, Rec. Lebon p. 409, GAJA n° 85.

28L’analyse « coûts‑avantages » présente certains défis fondamentaux alors que celle-ci est ancienne et a trouvé un écho certain dans la détermination jurisprudentielle de l’intérêt public (Rose-Ackerman et Perroud, 2014). Selon une jurisprudence désormais célèbre, Ville nouvelle-est, le Conseil d’État a approfondi son contrôle de l’utilité publique d’une opération, en développant la théorie du bilan35. La logique sous-jacente à ce modèle est de renseigner les coûts juridiques, sociaux et environnementaux. De leur confrontation se dégage « l’intérêt public ». Par ailleurs, les travaux d’Elinor Ostrom en 1990 ouvrent la voie d’une réflexion rénovée quant aux utilités présentes et futures des « biens communs ». Dans cette perspective, la protection et la valorisation du patrimoine culturel et archéologique conjuguent des objectifs universels, à savoir endosser le poids de la responsabilité des générations présentes envers celles à venir pour un patrimoine commun, mais également des impératifs de gestion dans la mesure où cette notion de patrimoine renvoie à une appropriation collective dont les pouvoirs publics demeurent les garants.

• 36 Étude d’impact, page 135.

29Dans ce contexte, la volonté d’adosser la conservation des biens communs à des protections internationales se manifeste dans l’étude d’impact à maintes reprises. En premier lieu, la Convention du 16 novembre 1972 concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel approuvée par la France le 20 mai 1975, a créé un label « patrimoine mondial » pour les sites considérés comme ayant une valeur universelle exceptionnelle. L’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs groupements sont désignés responsables de la protection, de la conservation et de la mise en valeur du bien reconnu en tant que bien du patrimoine mondial en application de cette convention. La prise en compte du patrimoine mondial dans les documents d’urbanisme concerne au premier chef, l’État et les collectivités territoriales qui devront prévoir des zones tampon et un plan de gestion. Le projet de loi a ainsi prévu la création des zones tampon autour d’un bien classé patrimoine mondial. Sa délimitation inclut l’environnement immédiat du bien, mais aussi « les perspectives visuelles importantes et d’autres aires ou attributs ayant un rôle fonctionnel important en tant que soutien apporté au bien et à sa protection »36. Cependant, aucune évaluation financière n’a été envisagée à ce stade de la réflexion.

• 37 Étude d’impact, Page 80.

30La prise en compte de textes internationaux fait office de modus operandi au titre du contrôle de la circulation des biens culturels, dans le ressort de l’archéologie comme en matière de patrimoine à valeur universelle. Au miroir de l’étude d’impact, ils font acte d’autorité dans la prise de décision publique. Ainsi, le projet de loi introduit un contrôle à l’importation des biens culturels au sein de la Convention UNESCO du 17 novembre 1970, ratifiée par la France en 1997. Ce dispositif vise à introduire un pouvoir de contrôle douanier à l’importation des biens culturels pour mieux lutter contre le trafic de biens culturels. La mention d’un impact financier est ici des plus superficiels, purement « procédurale ». Il est en effet indiqué : « En ce qui concerne les impacts économiques et financiers, un assainissement du marché de l’art français est attendu ; cette mesure étant de nature à limiter la prise de risques des professionnels »37. La définition du patrimoine archéologique renvoie de son côté à la convention de Malte du 16 janvier 1992.

• 38 Étude d’impact, Page 84.

31Le sort réservé aux œuvres ayant fait l’objet d’un refus de certificat, qui sont des trésors nationaux est souvent insatisfaisant dans la mesure où l’État se trouve trop souvent en difficulté au moment du financement de leur acquisition et dans la situation de devoir renoncer à se porter acquéreur. De plus, quand le propriétaire du trésor national accepte l’offre d’achat présentée par l’État, celui-ci doit s’acquitter du prix d’acquisition dans un délai de six mois. Le projet de loi prévoit notamment de renvoyer à un projet d’ordonnance l’allongement de la durée d’acquisition et un refus définitif du certificat sous certaines conditions. L’analyse d’impact financier est superficielle alors même que des droits de propriété privée sont en « balance » en l’absence d’indemnisation de cette mesure de classement d’office : « Au titre des impacts économiques et financiers, on peut relever une possible économie dans la mesure où le refus de certificat devenu permanent permet la conservation du trésor national considéré sur le territoire national, sans avoir à verser un prix d’acquisition, ni d’indemnité en fonction de cette servitude »38.

• 39 Étude d’impact, Page 117.
• 40 Étude d’impact, Page 118.
• 41 Étude d’impact, Page 119.

32Dans le cadre des protections sectorielles, on constate la même difficulté d’adopter une démarche bilantielle. Ainsi, la propriété des vestiges archéologiques mobiliers fait débat depuis plusieurs années. « À l’instar des principes fondamentaux adoptés par la communauté internationale pour le patrimoine culturel subaquatique dans le cadre de la Convention UNESCO du 2 novembre 2001 que la France a ratifié en décembre 2012, la loi française doit garantir que les éléments du patrimoine archéologique mis au jour sont conservés dans l’intérêt de l’humanité et ne doivent faire l’objet d’aucune exploitation commerciale », rappelle opportunément l’étude d’impact39. Ce que la loi entend proclamer, ce n’est pas un transfert de propriété au bénéfice de l’État, mais une appropriation ab initio intégrale et sans indemnisation de ces vestiges. L’étude d’impact rappelle les mécanismes juridiques qui conduisent à faire de ces biens « sans maître », la propriété de l’État. Il est précisé : « Le présent projet de loi a pour objectif d’étendre ce mécanisme de renversement de présomption de propriété au profit de l’État à l’ensemble des vestiges mobiliers qui seront mis au jour postérieurement à l’entrée en vigueur du présent projet de loi sur des terrains acquis après cette date »40. L’étude d’impact financier est des plus improbables : « Par ailleurs, cette mesure est susceptible de présenter un impact financier positif pour le budget de l’État dans la mesure où, pour les découvertes à venir, il ne sera plus nécessaire de procéder à des revendications dans l’intérêt des collections publiques »41. Cependant, la privation des droits de propriété privée qui découle d’un tel dispositif demeure incertaine au miroir de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Foulquier, 2012).

• 42 Étude d’impact, Page 181.
• 43 Étude d’impact, Page 182.

33L’introduction enfin de domaines nationaux définis comme « des ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation et dont l’État est, au moins, pour partie, propriétaire » a pour objet de sanctuariser certaines propriétés culturelles emblématiques exposées à des politiques de valorisation. Il convient de rappeler les linéaments de ce projet de loi. En effet, la proposition de loi relative au patrimoine monumental, présentée par Françoise Férat et Jacques Legendre et adoptée par le Sénat le 26 janvier 2011 a entrepris de préciser et de concrétiser un « principe de précaution culturelle ». La commission présidée par René Rémond avait déjà contribué, à forger cette idée de « précaution culturelle » lors des transferts de monuments historiques de l’État au profit des collectivités territoriales, à mettre en évidence la singularité et, par là même, le caractère non transférable, de certaines catégories de monuments historiques, et notamment ceux des monuments et sites qui font partie de la mémoire de la Nation, comme les champs de bataille, les cimetières militaires ainsi que les palais nationaux, tous « associés dans la mémoire à des évènements ou à des actes qui dessinent la trame de notre histoire nationale ». Dans le prolongement de ces textes, l’objectif principal d’une telle institution est de garantir la pérennité et l’intégrité des « domaines nationaux », en les dotant d’un statut particulier, inspiré des dispositions du décret du 27 avril 1995 portant statut du domaine national de Versailles. L’impact financier est ici « d’interdire toute vente des parties concernées des domaines nationaux. Il en résulte, pour l’État et les administrations concernées, l’impossibilité de percevoir le produit de ces ventes et donc la perte d’une ressource financière potentielle »42. L’impact social défini comme suit : « Si tous n’ont pas la même notoriété, les domaines nationaux participent du sentiment d’appartenance nationale. Leur importance symbolique est grande, dans l’opinion publique française, et pour la perception de la France à l’étranger »43 emporte néanmoins la conviction de sanctuariser ces « domaines nationaux ».

• 44 Ce droit avait pourtant été rejeté Cass. ass. plén., 7 mai 2004, n° 02-10.450, Sté Hôtel de Giranco (...)

34L’usage de ces syntagmes évocateurs d’une mémoire collective, à savoir, patrimoine mondial de l’Humanité, vestige archéologique, trésor national, et en dernier lieu domaine national est révélateur des figures d’articulation de la propriété publique ou privée et de destinations collectives, qui vont selon Judith Rochfeld (2014) « se traduire par une approche distributive des prérogatives liées aux bénéfices des utilités d’un bien ». En somme, les pouvoirs publics esquivent la présentation d’un bilan coûts‑avantages « quantifiable » pour au moins deux raisons. D’une part, l’ajout normatif s’impose à raison d’une mise en conformité des textes de droit interne par rapport aux normes internationales. D’autre part, la nature même de ces biens communs dont la dimension symbolique consiste à penser le présent comme un passé pour demain, présume un intérêt public supérieur justifiant les atteintes à la propriété privée. Il n’en demeure pas moins que les députés soucieux d’économies budgétaires ont fait renaître Phénix de ses cendres en instituant un « droit à l’image » des domaines nationaux selon une autorisation du gestionnaire de la partie concernée44.

• 45 Rapport Martine FAURE : Pour une politique équilibrée de l’archéologie préventive, rapport au minis (...)

39 À l’issue du livre blanc relatif à l’archéologie préventive, il est apparu que le dispositif relatif à la redevance d’archéologie préventive était inadapté aux aménagements réalisés en mer. En outre, dans la chaîne opérationnelle, les prescriptions d’archéologie préventive ne peuvent pas être mises en œuvre dans les mêmes conditions que pour les aménagements terrestres. En effet, les emprises d’aménagement ou d’exploitation en mer étant généralement très étendues, l’application du barème de la redevance d’archéologie préventive aujourd’hui commun aux espaces terrestres et maritimes aboutirait à des prélèvements disproportionnés, selon le rapport de Madame Martine Faure remis au ministère de la culture en 201545. Ne souhaitant pas analyser les différentes options possibles à cette réglementation et à cette redevance d’archéologie préventive dont le bilan est mitigé, le gouvernement a préféré régler ces problématiques dans le cadre d’un projet d’ordonnance.

• 46 Étude d’impact. Page 193.
• 47 Étude d’impact. Page 194.

41Les deux dispositifs fiscaux en vigueur lors de l’adoption du texte de loi, « la loi Malraux » et le « label de la fondation du patrimoine », sont complémentaires en ce qu’ils s’appliquent tous deux en espaces protégés. Après avoir rappelé la fiscalité qui leur est applicable, l’étude d’impact précise « La politique d’incitation « fiscale » instituée par le biais des dispositifs Malraux et du label de la fondation du patrimoine… permettent la réalisation de travaux de qualité et sont des leviers déterminants pour l’investissement locatif. La mesure d’unification au sein des cités historiques suppose un ajustement de la répartition des taux d’imputation des dépenses »46. Au titre de l’impact, l’étude se contente d’affirmer « La loi de finances pourrait maintenir un taux plus favorable pour les parties de la cité historique couvertes par un Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (taux actuel des secteurs sauvegardés) et un taux de base pour les autres parties… »47. Or, concernant le dispositif dit Malraux, un rapport de la Direction de l’architecture et du patrimoine du ministère de la culture et de la communication avait procédé à une évaluation des dispositions fiscales en 2007 dont il n’est pas fait état. Pour maîtriser les dérives financières inhérentes à cette « politique de défiscalisation », plusieurs réformes fiscales furent adoptées et notamment celle de la loi de finances pour 2009 qui plafonne les avantages fiscaux qui y sont liés. Les vicissitudes du dispositif Malraux depuis 40 ans étaient suffisamment connues pour en faire non seulement un bilan fiscal mais également un bilan économique au titre de l’impact de telles dépenses sur la valorisation du patrimoine culturel local. Pour chacun de ces deux dispositifs, les collectivités territoriales sont impliquées dans ces processus de décisions publiques sans pour autant que leurs impacts financiers aient été évalués. Il est regrettable de ne pas avoir pris en compte les collectivités territoriales au stade de l’étude d’impact dans la mesure où selon le département des études de la prospective et des statistiques du ministère de la culture, les dépenses culturelles de ces dernières représentent plus de 7 milliards d’euros de dépenses, c’est-à-dire un budget supérieur à celui de l’État.