1Le contexte lié à la pandémie a révélé combien la question de la vulnérabilité étudiante est devenue une question sociale majeure en France. Plusieurs travaux ont récemment pu insister sur l’augmentation de la précarité étudiante (Chevalier, 2023 ; Duvoux et Lelièvre, 2021 ; Cordazzo et Sembel, 2020). Le dernier ouvrage collectif de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) met d’ailleurs en lumière les effets de la crise sanitaire sur « les difficultés rencontrées par certains étudiants » (Belghith et al., 2023, p. 14) qu’elles soient matérielles, résidentielles ou encore psychologiques. Sur un plan politique, si la « réussite à l’université » (Annoot, 2012, p. 30) constituait – et reste toujours – une préoccupation importante dans les différentes réformes de l’enseignement supérieur (Plan Réussite en Licence [PRL], loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants [ORE], loi de programmation de la recherche [LPR], etc.), la question de la précarité étudiante s’impose comme un nouveau chantier pour le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR) (2022). Seulement, en même temps que ce problème social émerge dans le débat public et politique, il est rappelé que les indicateurs servant à mesurer la précarité pour l’ensemble de la population, tout comme le concept de pauvreté, s’appliquent mal aux étudiant-es (Galland, 2023). Dans son rapport annuel de 2022, la Cour des comptes – en plus de dénoncer la mise en place tardive de dispositifs d’aides en direction des étudiant-es pendant les confinements – déplore le manque de connaissances sur le sujet de la précarité étudiante.
2C’est dans un tel contexte qu’il apparaît pertinent de proposer une analyse originale de la question de la vulnérabilité étudiante. Celle-ci se veut originale puisque nous porterons un intérêt particulier au système de protection dont dispose la population étudiante pour faire face à différentes menaces. L’objectif principal de cette contribution est d’identifier dans quelle mesure l’évolution de la vulnérabilité est déterminée par la reconfiguration des supports (Gaillard, 2023 ; Chauvière, 2011 ; Castel et Haroche, 2001) permettant aux individus de se couvrir contre les principaux risques sociaux.
3Cet article est organisé en trois temps. Dans un premier, nous définissons ce que nous entendons par vulnérabilité étudiante avant de présenter un score issu des données d’une enquête menée à l’université d’Angers (Encadré 1). Dans un deuxième temps, et après avoir procédé à une description de trois types de protections (rapprochées, collectives et individuelles), nous interrogeons leurs effets sur la possibilité, pour les individus, de s’éloigner des zones de vulnérabilité. Enfin, dans un troisième, nous rendons compte des transformations des formes de protection depuis 15 ans afin de déterminer les raisons pour lesquelles les situations sociales des étudiant-es deviennent de plus en plus incertaines et inégales.
Encadré 1. Cadre méthodologique
Nous nous appuierons ici sur un cycle de trois enquêtes par questionnaire mené à l’université d’Angers. Cette démarche monographique est donc à resituer dans le contexte d’une université moyenne de l’Ouest de la France accueillant un peu plus de 26 000 étudiant-es en 2020-2021 (tous niveaux d’études confondus et hors MEEFa).
En 2008-2009 et en 2011-2012, deux questionnaires ont été administrés par une équipe pluridisciplinaire de chercheurs comprenant des géographes, des économistes, un sociologue et un psychologue. Ce travail a donné lieu à la publication d’un ouvrage dirigé par Richard Gaillard et Franck Rexand-Gallais (2017). Plus récemment, en 2022-2023, la démarche a été reconduite dans le cadre de notre thèse sous la direction de Richard Gaillard. La passation et l’exploitation de ce questionnaire nous ont été entièrement confiées. En tout, cette étude transversale répétéeb a permis de recueillir des données auprès de 3 584 individus (1 178 la première année, 1 222 la deuxième et 1 184 la troisième). Dans le cadre de cet article, nous proposons d’étudier la situation en 2022-2023, tout en mobilisant les résultats des deux premières enquêtes afin de gagner en profondeur.
Précisons enfin que si seul-es les étudiant-es de premier cycle ont été investigué-es, nous avons enquêté auprès de l’ensemble des composantes de l’établissement (Sciences, Santé, IUT, Droit et Économie-Gestion, etc.) ce qui représente, en 2022-2023, une population mère de 9 952 individus. Bien que 12 % de la population totale a été interrogée, il est à noter que les données n’ont pas fait l’objet d’un redressement. Aussi, parmi les conclusions que nous pouvons tirer de ce travail, il convient de rester attentif à plusieurs écueils. Il importe de garder en tête la légère surreprésentation d’étudiant-es de première année dans la dernière enquêtec. Il faut aussi rappeler la difficulté courante en sciences sociales à atteindre les classes populairesd.
a. Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation.
b. Si les thématiques traitées dans les questionnaires ont peu évolué (ressources, logement, études, santé, loisirs, etc.), il reste que certaines questions ou modalités de réponses ont dû être retravaillées au regard des transformations institutionnelles (ex : création de nouveaux échelons de bourses) et des intérêts scientifiques spécifiques à notre thèse.
c. Ce paramètre est à avoir à l’esprit, puisque les situations sociales entre première et troisième années peuvent largement varier (décohabitation, mise en couple, exercice d’une activité rémunérée, etc.).
d. Cela peut nous amener à faire l’hypothèse que les résultats que nous allons présenter sur la vulnérabilité étudiante sont quelque peu sous-estimés puisque nous savons que les étudiant-es d’origine populaire sont aussi celles et ceux qui sont les plus vulnérables. Nous pouvons cependant supposer que les modalités d’enquêtes en « présentiel » sur des temps dédiés et inscrits dans les emplois du temps des étudiant-es ont eu comme effet, même modeste, d’abaisser ce dernier biais.
4À la notion de « précarité », nous préférons ici celle de « vulnérabilité » en référence aux travaux de Robert Castel (1995 ; 1991). Aussi, dans cet article, il s’agit moins de décrire des situations individuelles que de repérer des formes de protection dans les existences collectives des étudiant-es qui permettent de faire face à diverses menaces.
- 1 Un-e étudiant-e est considéré-e ici comme vulnérabilisé-e dès lors qu’iel cumule au moins deux dime (...)
5Mais alors qu’entendons-nous plus exactement par vulnérabilité étudiante ? Comme balisé par Yaëlle Amsellem-Mainguy et Philippe Cordazzo dans un précédent numéro de la revue, la vulnérabilité « est a priori universelle (Soulet, 2014), dans la mesure où nous sommes tous vulnérables (même si individuellement nous ne sommes pas tous concernés de la même façon) » (Amsellem-Mainguy et Cordazzo, 2018, p. 2). Elle est aussi contextuelle, dans le sens où elle est relative à un contexte et à une période donnée, et réversible, puisqu’il est possible pour un individu de n’être vulnérable que temporairement. Il importe alors de considérer les conditions de possibilité pour pouvoir s’éloigner de ces zones de vulnérabilités (Castel, 1995). Ces dernières sont le plus souvent inégalement réparties entre les individus, entraînant une exposition aux risques somme toute inégale. De ce fait, la vulnérabilité est probabiliste (Chambers, 1989) « puisqu’elle est surtout le résultat du risque de manquer des protections nécessaires pour faire face à la menace (Schröder-Butterfill et Marianti, 2006, p. 11) ». Dans le développement à suivre, nous proposons donc de comprendre la vulnérabilité étudiante comme le risque d’être en situation d’insécurité sociale liée à un affaiblissement voire à une absence de supports dans une structure sociale susceptible de variations (Castel, 2003 ; 1995). Comparer les situations des étudiant-es entre 2008 et 2023 permet justement d’identifier dans quelle mesure la structure sociale les assure plus ou moins bien depuis 15 ans. Par ailleurs, penser en termes d’insécurité sociale nous paraît ici cohérent avec la définition que nous faisons de la vulnérabilité puisque l’insécurité renvoie au fait de ne pouvoir « ni maîtriser le présent ni anticiper positivement l’avenir » (Castel, 2003, p. 29). Elle correspond non seulement au risque d’être en manque de protections aujourd’hui, mais également à la menace d’en perdre demain. C’est pourquoi bien qu’universelle, la vulnérabilité (ou l’insécurité sociale) n’atteint pas les étudiant-es dans les mêmes proportions. Certain-es, à défaut d’être intégré-es dans des socialités primaires ou en raison de leur éloignement avec certains dispositifs d’aides sociales, seront maintenu-es dans des zones de vulnérabilité. Enfin, nous proposons de regarder les situations de vulnérabilité étudiante de manière multidimensionnelle. Est vulnérable celui qui fait l’expérience d’insécurité vis-à-vis de sa santé, de son bien-être, de ses conditions de logements, de ses relations sociales ou encore de sa situation financière et matérielle1.
- 2 Au regard des données et variables dont nous disposons, nous préférons nous référer à l’indicateur (...)
- 3 Sont retenu-es les étudiant-es qui, à la question : « Pendant la semaine où habitez-vous ? », ont r (...)
- 4 Contrairement à l’indice proposé par le Résosup, nous n’avons pas de variables, fautes de données d (...)
6C’est à partir de ces éléments de définition qu’il est possible de présenter un outil de mesure de la vulnérabilité étudiante – exercice audacieux tant les réalités socio-économiques des étudiant-es sont complexes. C’est pour cela que nous avons choisi d’exclure les informations sur le niveau de ressources monétaires, sachant qu’elles ne reflètent qu’une partie des ressources réelles des étudiant-es. Par exemple, les aides familiales indirectes et informelles (prêt d’un véhicule, paiement du loyer, nourriture, etc.), parfois conséquentes, sont particulièrement difficiles à mesurer. En 2016, le Réseau national des observatoires de l’enseignement supérieur (Résosup) s’est penché sur la question de la « construction d’un indicateur de la précarité étudiante » (Collet et Toullalan, 2016). Nous nous sommes aidé de ce travail pour retenir plusieurs variables parmi les données dont nous disposions pour chacune des trois enquêtes. Nous avons suivi leur approche incluant des indicateurs sur les conditions de vie (formules résidentielles, accès aux soins, etc.), sur les difficultés financières et sur l’isolement social. Nous avons également été vigilant à sélectionner des critères objectifs et subjectifs. En somme, de manière analogue avec l’indicateur PrécaEt2 expérimenté à Bordeaux et Grenoble (2011), nous avons construit un score de vulnérabilité à partir de sept motifs (Annexe 1, Tableau 1). Les deux premiers critères retenus ont à voir avec des dimensions économiques de la vie étudiante : (1) déclarer être en difficulté pour équilibrer son compte, (2) avoir déjà renoncé à des soins pour des raisons financières. Comme le soulignent plusieurs études, et en particulier le travail de Serge Paugam (2009), les liens sociaux ont tendance à se fragiliser. Aussi, il nous a semblé utile de nous y intéresser en retenant les deux variables suivantes : (3) se sentir isolé, (4) garder ses difficultés pour soi en cas de coup dur. La question du logement, et plus précisément des conditions de logement, est également centrale dans la littérature sur les conditions étudiantes (Bugeja-Bloch et Frouillou, 2023 ; Driant, 2019). Deux critères relatifs au logement ont alors pris place dans ce score : (5) être en situation de fragilité résidentielle3, (6) estimer la qualité de son logement d’« insalubre » ou de « mauvaise ». Pour terminer, et parce que la question de la santé mentale s’est imposée comme un enjeu majeur dans le débat public ces dernières années, nous avons décidé d’introduire au score l’indicateur suivant : (7) évaluer son bien-être en dessous ou égal à 5/10. À noter qu’une note de 2 a été attribuée pour deux critères : renoncement à des soins pour des raisons financières et être en situation de fragilité résidentielle. En effet, comparativement aux autres motifs, nous estimons que ces derniers sont plus conséquents, affectant des besoins primaires4.
- 5 Ce regroupement en quatre catégories a été décidé selon un niveau de saturation (pourcentage cumulé (...)
7In fine, chaque répondant-e au questionnaire s’est vu attribuer un score allant de 0 à 9. Plus le score s’approche de la valeur maximale et plus l’individu peut être considéré comme étant en situation de forte vulnérabilité. Sont distingués quatre niveaux de vulnérabilité5. Le premier correspond aux étudiant-es protégé-es dont le score est nul. Le deuxième est celui des étudiant-es fragilisé-es dont le score est de 1. Le troisième niveau est celui des étudiant-es vulnérabilisé-es pour qui le score est de 2 ou de 3. Enfin, le dernier niveau est celui des étudiant-es désaffilié-es pour qui le score est supérieur ou égal à 4.
- 6 Un support peut être entendu comme le fait de « disposer de réserves qui peuvent être de type relat (...)
8Au regard de notre approche de la vulnérabilité étudiante, il faut désormais nous intéresser aux sécurités dont disposent les étudiant-es. Pour ne pas nous arrêter à une analyse des difficultés rencontrées par les individus, nous proposons dans cette deuxième partie de penser la vulnérabilité étudiante comme la conséquence d’un manque ou d’une fragilisation des supports6 (Castel et Haroche, 2001).
9Depuis le travail de Cécile Van de Velde (2008), plusieurs études ont proposé des analyses comparées des politiques européennes en direction des jeunes et/ou des étudiant-es (Chevalier, 2018 ; Antonucci, 2014 ; Charles, 2014). Il en ressort que le système français occupe une position hybride, située entre des politiques libérales (système anglo-saxon) et des politiques plus universelles et inclusives (système nordique). En France, « l’État a pour rôle d’offrir des systèmes d’aide aux étudiants, mais selon une logique particulière : les parents sont responsables de l’éducation de leurs enfants et l’État n’intervient que si les parents ne sont pas en mesure de payer (Schwarz et Rehburg, 2004, p. 531) » (Antonucci, 2014, p. 62).
- 7 Il convient en effet de s’interroger sur la place qu’occupent les associations et les autres établi (...)
10C’est dans ce contexte national qu’il convient de saisir plus finement le système de protection dont disposent les étudiant-es. Nous distinguons ici trois types de sécurités. Claude Martin, en prenant appui sur les travaux de Castel, dissocie les protections rapprochées et les protections collectives. Les premières sont fournies par les « relations de proximités, familiales et communautaires » (Martin, 2019, p. 674), lorsque les secondes sont issues de la société salariale (revenus d’activité, ouverture à des droits sociaux). Or, nous savons que la place qu’occupe le salariat dans la vie étudiante reste tout à fait relative : en 2023, moins de 20 % des répondant-es à notre enquête déclarent avoir une activité avec un contrat de travail parallèlement à leurs études. Aussi, cette spécificité rend difficile l’application des mesures habituelles de précarité ou de pauvreté pour lesquelles l’activité rémunérée est considérée comme l’une des premières sécurités pour les individus (Belghith, 2021). C’est pourquoi derrière le terme de protections collectives nous proposons de mettre la focale sur le soutien apporté par l’État et par la société civile7.
11Les protections rapprochées renvoient donc aux solidarités familiales (transfert d’argent, prise en charge du loyer, contributions en nature, etc.) et à toutes autres formes d’aides provenant d’un tiers (ami-e, conjoint-e, camarade de promotion, etc.). Les protections collectives, quant à elles, comprennent les solidarités nationales et les solidarités civiles (Théry, 2007). Les premières ont comme caractéristique d’être appuyées par le droit et d’être organisées par l’État afin d’assurer une protection à chaque citoyen. Dans le cas de la population étudiante, nous pouvons mentionner le système de bourses sur critères sociaux (BCS), les allocations logement, etc. Les solidarités civiles correspondent à l’ensemble des initiatives collectives relevant de la générosité ou de l’entraide (Théry, 2007, p. 152). À titre d’illustration, nous pouvons évoquer les épiceries solidaires qui se sont largement déployées depuis le premier confinement. Enfin, et bien qu’il n’y ait que 20 % d’étudiant-es qui ont un travail salarié, nous ne pouvons ignorer d’une part que ce taux s’élève à 27 % si nous considérons les étudiant-es ayant une activité sans contrat de travail, et d’autre part que cela peut constituer une sécurité pour certains individus. Aussi, nous proposons de définir un autre pôle de protection, qualifié d’individuel. Celui-ci repose sur la capacité, pour un individu, de trouver par et pour lui-même un moyen de s’assurer face aux risques sociaux auxquels il est susceptible de faire face. Parmi les protections individuelles, nous retrouvons, en plus du recours à une activité rémunérée, les solidarités marchandes (Gaillard, 2023). Derrière cette expression, nous pensons spécifiquement à l’usage d’outils bancaires comme l’emprunt. Les données permettent de saisir chacune de ces protections, qu’il s’agit maintenant d’articuler avec les degrés de vulnérabilité étudiante.
- 8 Par ressources étudiantes nous comprenons l’ensemble des revenus monétaires perçus par les étudiant (...)
12La vulnérabilité – surtout lorsqu’il est question de la population étudiante – ne peut être regardée sous le seul prisme financier. Il est d’autant plus utile de le rappeler que les étudiant-es se démarquent du reste de la population par le fait même que parmi les individus en situation de vulnérabilité sont surreprésentés celles et ceux qui ont les ressources mensuelles les plus élevées8 (Tableau 1). Si les étudiant-es considéré-es comme « vulnérables » représentent 22 % de la population enquêtée, iels sont près de 29 % parmi les étudiant-es ayant un niveau de ressources supérieur à 900 €/mois (+7 pts). À l’inverse, les étudiant-es protégé-es sont 57 % à n’avoir aucune ressource alors qu’iels représentent 48 % des répondant-es (+10 pts). Pour expliquer cette observation a priori paradoxale, il convient de revenir plus en détail sur les différents pôles protecteurs. À la lecture du tableau ci-dessous, trois grandes observations peuvent être mises en avant.
- 9 Il faut rappeler que les composantes sélectionnées pour la construction du score de vulnérabilité a (...)
13(1) Selon toute vraisemblance, ce sont les protections rapprochées qui garantissent une meilleure sécurité aux étudiant-es enquêté-es. La fréquence de l’aide familiale et le nombre d’ami-es sur qui compter à proximité du lieu d’étude sont d’ailleurs les deux variables les plus corrélées avec le degré de vulnérabilité9. En effet, les étudiant-es considéré-es comme protégé-es sont celles et ceux qui déclarent avoir une aide familiale régulière et/ou qui estiment pouvoir compter sur plusieurs ami-es.
- 10 Les boursier-ières aux échelons 4 et plus sont 62 % à avoir une aide financière des parents contre (...)
14(2) Concernant les protections collectives, commençons par noter que les questionnaires administrés permettent davantage d’observer les aides publiques (bourses, aide personnalisée au logement [APL], prime d’activité, aides à la mobilité, etc.) que les aides apportées par la société civile. Si l’on s’intéresse aux bourses, la première observation que nous pouvons faire est celle d’une surreprésentation des boursier-ières aux échelons les plus élevés parmi les individus les plus insécurisés. Dans l’ensemble de la population, 24 % des répondant-es sont vulnérabilisé-es, alors qu’iels sont 32 % pour les boursier-ières aux échelons supérieur ou égal à 4 (+8 pts). L’attribution des bourses, calculée sur la base du revenu des parents, peut expliquer que les boursier-ières aux échelons les plus élevés soient aussi les plus fragilisé-es, puisqu’iels ont moins d’aides familiales10. Par ailleurs, l’attribution d’autres aides sociales, comme les allocations logement, ne semble pas avoir d’effets considérables sur le risque d’être en situation de vulnérabilité. Nous pouvons faire l’hypothèse qu’au regard de la réalité sociale des étudiant-es en France, les dispositifs d’aides de l’État restent palliatifs.
Tableau 1. Le degré de vulnérabilité selon le type de protections (%).
|
Profils de vulnérabilité |
Total |
Effectifs |
| Protégés |
Fragilisés |
Vulnérabilisés |
Désaffiliés |
|
Niveau de ressources de l’étudiant-e*
(cf. note 10)
|
Aucune ressource |
57,3 |
26,3 |
12,9 |
3,5 |
100 |
171 (14 %) |
|
| Moins de 300 € |
49,6 |
25,0 |
19,5 |
5,9 |
100 |
272 (23 %) |
|
| Entre 301 et 600 € |
45,8 |
22,9 |
22,5 |
8,8 |
100 |
284 (24 %) |
|
| Entre 601 et 900 € |
44,6 |
24,3 |
24,6 |
6,5 |
100 |
276 (23 %) |
|
| Plus de 900 € |
42,5 |
23,2 |
29,3 |
5,0 |
100 |
181 (15 %) |
|
| Ensemble |
47,6 |
24,2 |
22,0 |
6,2 |
100 |
1 184 (100 %) |
|
| |
| Fréquence des aides familiales** |
Toute l’année |
50,7 |
26,2 |
18,9 |
4,2 |
100 |
763 (70 %) |
|
| Pendant les cours |
33,0 |
21,4 |
38,4 |
7,1 |
100 |
112 (10 %) |
|
| Occasionnellement |
34,7 |
21,1 |
30,6 |
13,6 |
100 |
147 (14 %) |
|
| Aucune aide familiale |
37,1 |
25,8 |
24,2 |
12,9 |
100 |
62 (6 %) |
|
| Ensemble |
45,9 |
25,0 |
22,8 |
6,3 |
100 |
1 084 (100 %) |
|
| |
| Nb d’ami-es sur qui compter à proximité** |
Aucun |
17,2 |
18,8 |
42,2 |
21,9 |
100 |
64 (6 %) |
|
| 1-3 |
38,0 |
25,7 |
27,9 |
8,4 |
100 |
416 (41 %) |
|
| 4-6 |
52,6 |
24,6 |
18,6 |
4,3 |
100 |
350 (35 %) |
|
| Plus de 6 |
56,3 |
23,0 |
18,0 |
2,7 |
100 |
183 (18 %) |
|
| Ensemble |
45,0 |
24,4 |
23,8 |
6,8 |
100 |
1 013 (100 %) |
|
| |
| Statut de bourse* |
Non-boursier |
43,2 |
29,0 |
20,5 |
7,2 |
100 |
599 (55 %) |
|
| Échelon 0 bis |
34,6 |
30,4 |
24,1 |
11,0 |
100 |
191 (17 %) |
|
| Échelon 1 - 3 |
32,5 |
29,9 |
29,9 |
7,8 |
100 |
154 (14 %) |
|
| Échelon 4 - 7 |
29,6 |
25,0 |
32,2 |
13,2 |
100 |
152 (14 %) |
|
| Ensemble |
38,3 |
28,8 |
24,1 |
8,8 |
100 |
1 096 (100 %) |
|
| |
| Aides sociales régulières (hors BCS)* |
Oui (APL, prime d’activité, ARE, etc.) |
43,8 |
24,7 |
25,0 |
6,5 |
100 |
587 (52 %) |
|
| Non, aucune autre aide sociale |
48,9 |
24,5 |
20,0 |
6,5 |
100 |
550 (48 %) |
|
| Ensemble |
46,3 |
24,6 |
22,6 |
6,5 |
100 |
1 137 (100 %) |
|
| |
|
| Travail parallèle aux études* |
Non |
48,5 |
24,5 |
21,0 |
6,0 |
100 |
833 (72 %) |
|
| Oui, une activité |
42,9 |
24,7 |
25,9 |
6,5 |
100 |
247 (21 %) |
|
| Oui, plusieurs |
41,9 |
24,3 |
23,0 |
10,8 |
100 |
74 (6 %) |
|
| Ensemble |
46,9 |
24,5 |
22,2 |
6,4 |
100 |
1 154 (100 %) |
|
| |
|
| Emprunt bancaire* |
Non |
45,7 |
25,0 |
23,0 |
6,3 |
100 |
1 023 (94 %) |
|
| Oui |
30,8 |
33,8 |
26,2 |
9,2 |
100 |
65 (6 %) |
|
| Ensemble |
44,9 |
25,6 |
23,2 |
6,4 |
100 |
1 088 (100 %) |
|
Lecture : parmi les étudiant-es ayant plus de 900 € de ressources mensuelles, plus de 29 % sont en situation de vulnérabilité, alors qu’iels ne sont que 22 % parmi l’ensemble de la population, soit un écart de 9 pts.
Champ : pour chaque variable le champ change, puisque sont systématiquement exclu-es les enquêté-es n’ayant pas répondu aux questions afférentes.
Note : les cases surlignées en gris renvoient aux modalités qui tendent le plus à « s’attirer » (écart à la situation d’indépendance positif, contributions au Chi2 supérieures à la moyenne + 0,5 écart-type des contributions). Les cases dont la valeur est en italique et en gris renvoient aux modalités qui tendent le plus à « se repousser » (écart à la situation d’indépendance négatif, contributions au Chi2 supérieures à la moyenne + 0,5 écart-type des contributions). V de Cramer : *** V > 0,30 ; ** V ≥ 0,15 ; * V ≥ 0,05 ; V < 0,05.
Source : enquête « Vie étudiante (2022-2023) ».
15(3) Les protections individuelles, quant à elles, ne permettent pas de faire face aux menaces décrites plus tôt. Au contraire, il semble y avoir une relation entre le recours à une activité rémunérée et le fait d’être en situation de vulnérabilité. D’une part, il faut rappeler que le travail peut être source de stress, de fatigue et potentiellement de mal-être. Dans l’enquête 2022-2023, un tiers des répondant-es ayant une activité déclare que celle-ci interfère avec ses études en raison de la fatigue occasionnée. D’autre part, le recours au travail est une stratégie particulièrement prisée des étudiant-es contraint-es de participer en totalité ou partiellement aux coûts de leurs études (Béduwé et al., 2019). Parmi celles et ceux ayant une activité, un sur deux déclare l’exercer pour subvenir à ses besoins. D’autres études corroborent ces constats : en 2010, dans une typologie des usages du travail, Vanessa Pinto dégageait la figure des étudiant-es dont l’emploi s’éternise et constitue un besoin matériel. Pour ces dernier-ières, le travail, en plus d’avoir lieu faute d’autres ressources, impacte le quotidien et le suivi des études (Pinto, 2014). En définitive, le fait d’avoir une activité rémunérée a tendance à être davantage un indice de vulnérabilité que de protection. Si l’on s’intéresse, pour terminer, au recours à un prêt bancaire, nous pouvons constater une absence de corrélation avec le niveau de vulnérabilité. Le fait que seul-es 65 enquêté-es aient déclaré avoir un emprunt ne nous permet pas de proposer une analyse de ce dernier résultat.
16Finalement, le constat selon lequel les protections rapprochées correspondent aux sécurités les plus efficaces peut expliquer notre première observation pour laquelle les étudiant-es les moins pourvu-es financièrement ne sont pas les plus exposé-es à l’insécurité sociale. En effet, un certain nombre d’individus est suffisamment aidé par ses parents sans avoir besoin d’autres ressources pour être assuré face aux risques de vulnérabilité. Pour nombre d’étudiant-es n’ayant aucune ressource mensuelle, ce sont les parents qui payent le loyer s’iels décohabitent, prennent en charge l’achat du matériel utile aux études (frais d’inscription, fournitures, etc.) ou assument les coûts de la vie quotidienne (frais de transport, sorties, vêtements, etc.). Par exemple, parmi les enquêté-es sans aucune ressource financière, il y a une nette surreprésentation d’étudiant-es qui se voient régulièrement fournir de la nourriture par leur famille (+10 pts).
- 11 L’hypothèse selon laquelle la montée de l’insécurité sociale étudiante est corrélée à un système de (...)
17Nous savons que le degré d’insécurité sociale a eu tendance à augmenter ces quinze dernières années (Annexe 1, Tableau 2). En comparant les résultats des trois cycles d’enquêtes, nous pouvons observer une diminution de la part d’étudiant-es considéré-es comme protégé-es et à l’inverse une augmentation d’étudiant-es jugé-es vulnérables ou désaffilié-es. C’est pourquoi nous formulons l’hypothèse selon laquelle ce processus est lié à une reconfiguration, et plus précisément à une fragilisation, du système de protection des étudiant-es11. Reste à identifier la nature de ces transformations (Tableau 2) et leurs effets potentiels sur l’existence des étudiant-es actuellement inscrit-es à l’université.
Tableau 2. Évolution des protections dont disposent les étudiant-es depuis 2008 selon le statut de cohabitation (nous avons choisi de distinguer les cohabitant-es des décohabitant-es dans la mesure où la cohabitation peut être considérée comme une aide parentale).
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2008-2009 |
2011-2012 |
2022-2023 |
| Cohabitant |
Décohabitant |
Ensemble |
Cohabitant |
Décohabitant |
Ensemble |
Cohabitant |
Décohabitant |
Ensemble |
| Part d’étudiant-es disposant d’une aide financière directe des parents (%) |
45 % |
63 % |
58 % |
57 % |
66 % |
63 % |
81 % |
83 % |
83 % |
| Montant médian de l’aide familiale par mois (€) |
50 € |
200 € |
150 € |
100 € |
250 € |
200 € |
100 € |
350 € |
300 € |
| Part d’étudiant-es percevant la BCS (%) |
41 % |
48 % |
46 % |
44 % |
50 % |
48 % |
46 % |
48 % |
47 % |
| Montant médian de la BCS par mois (€) |
? |
250 € |
285 € |
265 € |
180 € |
174 € |
179 € |
| Part d’étudiant-es ayant une activité rémunérée parallèle aux études (%) |
? |
44 % |
39 % |
40 % |
33 % |
26 % |
28 % |
| Montant médian du revenu lié à l’activité par mois (€) |
200 € |
170 € |
180 € |
150 € |
200 € |
200 € |
203 € |
295 € |
250 € |
Lecture : en 2022, le montant médian des aides familiales déclaré par les répondant-es s’élève à 300 €, soit 100 € de plus qu’en 2011 et 150 € de plus qu’en 2008.
Note : en raison de changement dans les formulations et les modalités de réponses entre les questionnaires, il n’est pas possible de renseigner ni le montant médian des bourses ni la part d’étudiant-es ayant une activité parallèle aux études pour le premier cycle d’enquête (2008-2009).
Source : enquête « Vie étudiante (2008-2009) » ; enquête « Vie étudiante (2011-2012) » ; enquête « Vie étudiante (2022-2023) ».
- 12 Par « aide financière directe » nous entendons les transferts d’argent sous forme de virement banca (...)
18Si quelques informations nous manquent, nous pouvons malgré tout observer le déploiement des formes de protection du côté des solidarités familiales. En 15 ans, ce sont 30 % d’étudiant-es en plus qui disposent d’une aide financière des parents chaque mois12. Dernière aide qui occupe une place plus importante dans les budgets étudiants, puisque le montant médian de l’aide familiale a doublé, passant de 150 € en 2008 à 300 € en 2022 (Tableau 2). Notons d’ailleurs que cette augmentation s’est surtout opérée du côté des étudiant-es ayant quitté le domicile familial, sans doute en lien avec le fait que les deux principaux postes de dépenses (logement et alimentation) ont été impactés par le contexte inflationniste de ces dernières années.
- 13 Au niveau national, la part de boursier-ières est passée de 31 % à 38 % entre 2008 et 2022 selon le (...)
- 14 Si l’on regroupe les effectifs des échelons 5 et 6 pour l’ensemble des trois enquêtes. Nous pouvons (...)
- 15 Précisons qu’entre 2011 et 2022, le taux d’inflation en France (hors Mayotte) est passé de 2,1 % à (...)
19La tendance concernant le système de bourses est plutôt à l’ébranlement, dans le sens où la part de boursier-ières depuis 2008 n’a connu une augmentation que marginale13. Et s’il y a effectivement davantage d’étudiant-es boursier-ières, cette augmentation s’est opérée par le bas. Comme mentionné dans un article d’AEF info, au niveau national le nombre de boursier-ières a surtout augmenté au niveau des échelons 0, puis 0 bis, tandis que les effectifs concernés par les échelons intermédiaires ne connaissent pas de fortes variations (Deroudilhe, 2022). Si en 2013 est créé l’échelon 7, permettant à quelques étudiant-es de percevoir une bourse annuelle s’élevant à plus de 5 500 €, cela ne concerne que peu d’individus (dans notre échantillon seulement 5 % des boursier-ières sont à cet échelon), et surtout cela s’est traduit par une baisse significative des effectifs sur les échelons 5 et 614. En somme, le montant médian de la bourse déclaré par les répondant-es a plutôt eu tendance à diminuer ces dix dernières années, pour une baisse qui équivaut à 86 € par mois15.
- 16 Béduwé et al., 2019, p. 47 : « Depuis deux décennies, les enquêtes “Conditions de vie” de l’Observa (...)
- 17 En 2011, 7 % consacraient plus de 20 h par semaine au travail personnel, alors qu’en 2022, iels son (...)
20Enfin, et dans des tendances bien différentes de celles décrites précédemment, nous pouvons voir que le recours à une activité rémunérée est une pratique moins généralisée, mais plus indispensable quand elle a lieu. Aujourd’hui, 28 % des étudiant-es exercent une activité rémunérée contre 40 % en 2011. Mais parmi eux, un tiers avait un travail à côté de ses études pour subvenir à ses besoins en 2011, contre un-e répondant-e sur deux aujourd’hui. Cela se traduit par l’exercice d’activités, certes plus rémunératrices, mais aussi plus coûteuses en temps. En 2011, iels étaient deux tiers (68 %) à n’avoir qu’une activité occasionnelle, contre la moitié en 2022 (53 %). Ces constats, pourtant moins probants dans d’autres enquêtes16 sur le « salariat étudiant » peuvent s’expliquer ici par la concurrence accrue entre le temps dédié aux études et celui qu’il reste aux étudiant-es pour exercer une activité rémunérée. Dans notre enquête, nous avons pu observer une réelle augmentation des heures consacrées au travail personnel17 permettant plus difficilement d’avoir ne serait-ce qu’un « petit boulot » à côté de ses études.
- 18 Nous savons que le recours à l’emprunt est sensiblement le même depuis 15 ans : en 2008, 10 % des r (...)
21En bref, l’évolution des protections dont disposent les étudiant-es depuis 15 ans se caractérise par un soutien familial de plus en plus étendu et conséquent, en opposition à des aides sociales fragilisées et des stratégies marchandes (travail, emprunt18) circoncises à une part restreinte d’étudiant-es pour laquelle celles-ci sont indispensables pour vivre. Pour expliquer le phénomène d’insécurisation sociale de la population étudiante ces dernières années, nous pouvons nous accorder sur le fait que le système de protection, en raison de ses transformations, assure moins efficacement les individus face aux situations de vulnérabilité : (1) certains filets de sécurité se sont « effilochés » ces dernières années, à commencer par les formes de solidarités publiques qui ne suffisent plus pour répondre aux réalités sociales qui traversent la population étudiante ; (2) la solidarité familiale, bien qu’étendue, n’a a priori plus la même force pour venir compenser l’absence et/ou la fragilisation des autres pôles de protection. Rappelons qu’en plus de cette conjoncture, la structure sociale française ne laisse d’autres choix aux familles que d’assumer cette fonction de « protection » puisque le système social en direction des étudiant-es repose très largement sur le fait que les enfants sont à la charge de leurs parents, y compris lorsqu’iels sont inscrit-es à l’université. Ce système familialisé décrit par Tom Chevalier (2018) s’illustre parfaitement par le fait que les bourses sont encore aujourd’hui attribuées sur la base du revenu fiscal des parents.
- 19 Bien qu’à l’université encore peu d’étudiant-es ont recours à des emprunts, il convient de préciser (...)
22Les éléments développés dans cet article peuvent être mis en écho avec d’autres analyses sur les systèmes éducatifs en Europe qui tendent à faire la preuve d’un progressif recul de l’État social. Pour la sociologue britannique et spécialiste des politiques sociales européennes Lorenza Antonucci, il est clair que les systèmes d’aides aux étudiant-es deviennent de plus en plus résiduels et convergent vers un renforcement du rôle du marché (2014). Seulement en France, c’est davantage le rôle de la famille qui s’est vu consolidé. Par exemple le système de prêt étudiant n’est déployé que marginalement, du moins pour le moment19.
- 20 En 2011, 8 % des enquêté-es avaient demandé une aide exceptionnelle depuis le début de leurs études (...)
- 21 En 2011, seul 1 % des enquêté-es a bénéficié d’une aide alimentaire depuis le début de ses études, (...)
23Aussi, ce renforcement du rôle de la famille n’est pas sans aggraver les inégalités sociales, déjà existantes, entre les étudiant-es. Si une généralisation et une accélération de la vulnérabilité est à observer ces dernières années (Annexe 1), il faut également rendre compte du fossé qui se creuse entre d’un côté, des étudiant-es plus que jamais contraint-es de faire appel à des aides sociales d’urgence20 ou de solliciter une aide alimentaire21, et de l’autre côté, des étudiant-es, semblables aux « héritiers » décris il y a plusieurs décennies (Bourdieu et Passeron, 1964), qui ont la chance d’avoir des parents qui, eux-mêmes éloignés de la nécessité, ont les conditions pour les soutenir efficacement et durablement. À partir de là, nous pouvons avancer qu’aujourd’hui, plus qu’il y a 15 ans, l’existence sociale et les chances de poursuivre ses études dépendent très largement des ressources familiales, et par extension de l’origine sociale des étudiant-es (Peugny, 2022, p. 83).
- 22 Si au sein de la catégorie sociale des jeunes, il n’y a pas que des étudiant-es, et si parmi les ét (...)
24In fine, en raison de la place à laquelle les familles sont assignées et au regard des inégalités sociales que cela engendre, il est temps de réaffirmer le rôle de l’État social à qui il revient d’assumer la protection des étudiant-es et de leur assurer une certaine autonomie. Le sociologue Camille Peugny, dans un récent ouvrage invitant à dresser une véritable politique de la jeunesse en France, affirme qu’il est essentiel de « défamilialiser le temps de la jeunesse » (Peugny, 2022, p. 96). Dans le cas plus spécifique des étudiant-es22, plusieurs propositions vont dans le sens de la mise en place d’un revenu minimum pour les étudiant-es, non conditionné aux ressources financières des parents. Par exemple, l’attribution d’une « allocation universelle d’autonomie » permettrait à chaque étudiant-e d’assumer ses dépenses courantes indépendamment de sa famille (Flacher et al., 2018). Selon le chiffrage des auteurs, cette allocation pourrait s’élever à 600 € par mois pour les cohabitant-es et à 1 000 € pour les décohabitant-es. Ces dernières propositions permettraient de reconnaitre une certaine autonomie aux étudiant-es tout en leur garantissant les conditions minimums pour l’exercer. Comme avancé par Peugny, avant le coût d’une telle politique, le principal obstacle réside « dans la nécessité de vaincre des réticences d’ordre idéologique ou culturel » particulièrement prégnantes en France dès lors qu’il s’agit de soutenir et d’investir dans la « jeunesse » (Peugny, 2022, p. 102).
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