1Le mémoire de Master peut être considéré comme la pierre angulaire de l’initiation à la recherche à l’Université. Le mémoire marque l’aboutissement d’une ou plusieurs années de formation, « il est en effet un exercice de pensée, un apprentissage de l’autonomie intellectuelle » (Mœglin, 2014). Or, en fonction des parcours de formation, les attendus de ce travail peuvent être assez différents. À cet égard, l’analyse des grilles d’évaluation des mémoires articulée à l’analyse d’entretiens menés avec des responsables de parcours peut permettre de mettre au jour les manières dont ces cursus configurent ce travail, et, de fait, la place qu’elles accordent à la formation à la recherche et à la formation par la recherche.
- 2 Le projet Recap interroge la place de la recherche dans les formations de niveau bac +5 par voie d (...)
- 3 Ces entretiens, anonymisés, ont été menés auprès des responsables de formation en apprentissage du (...)
2Cette étude a été menée à partir de la constitution et de l’analyse d’un corpus de grilles d’évaluation des mémoires de Master 2 présentes sur le site MySup du CFA Formasup Haut-de-France. La sélection de ces 21 grilles d’évaluation s’est faite à partir des formations retenues pour l’enquête du projet Recap2, formations qui ont été choisies pour représenter à la fois la pluralité des domaines de formation couverts par le CFA Nord-Pas-de-Calais et pour représenter également la diversité des territoires d’implantation. De plus, l’analyse de ces grilles est alimentée par les explications du fonctionnement de la plateforme par Sébastien Carta, chef de projet ingénierie de formation chez Formasup Haut-de-France. Par ailleurs, cette étude de corpus est mise en perspective avec quinze entretiens semi-directifs3 menés au sein du projet Recap avec des responsables de ces formations. Cet article s’inscrit dans le cadre de ce projet qui visait à analyser ce que « la recherche fait à l’apprentissage » et, réciproquement, ce que « l’apprentissage fait à la recherche ». Même si certaines des questions et des constats de recherche pourraient être certainement étendus à d’autres formations universitaires, il convient de pointer que ces formations en apprentissage ont la spécificité de revendiquer un lien particulièrement étroit avec le monde professionnel. Comme le soulignent des membres du projet qui ont travaillé spécifiquement sur les formations en apprentissage en communication :
La question de recherche est d’inspiration professionnelle ; sa problématisation est universitaire. Or, cette dialectique est aussi l’objet d’une confusion fréquente entre les attendus de la recherche et ceux de l’action ; confusion d’autant plus probable que la recherche-action (ou recherche-accompagnement) s’est progressivement imposée comme un modèle de compromis entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Mais plus encore, les écrits de recherche produits en complément, substitut ou prolongement de « rapports d’apprentissage » ou encore de « mémoires professionnels », dont il conviendra d’analyser la nature, contribuent-ils à éprouver une posture singulière de professionnel ? Plus largement, se peut-il que la recherche, en tant que mission cardinale des universités, constitue encore une valeur ajoutée de la professionnalisation ? (de la Broise et al., 2020)
3Or, c’est justement sur la nature, et plus spécifiquement sur les modes d’évaluation de cet écrit qu’est le mémoire de fin d’études en apprentissage que cette contribution porte.
4Après avoir expliqué le fonctionnement de la plateforme MySup et questionné la mise en œuvre d’une forme d’industrialisation de la formation, nous analyserons trois axes de rapprochements ou de distinctions dans les manières dont ces formations évaluent les mémoires de fin d’étude. Alors que les aspects formels et rédactionnels sont assez convergents, on remarque des distinctions fortes dans les relations entre approches méthodologiques, problématisation, et théorisation, distinctions qui nous permettront, dans un dernier temps, de questionner différentes visées du mémoire et relations entre recherche et professionnalisation qu’elles impliquent.
5Dans La Fabrique des valeurs, J. Dewey (2011) souligne que, dans « évaluation », il y a valuation, c’est-à-dire un jugement de valeur. Les valeurs sont centrales dans l’approche de J. Dewey, car elles sont, dans les collectifs, « ce à quoi ils tiennent » mais aussi « ce par quoi ils tiennent » (Bidet, Quéré & Truc, 2011, p. 12). Le philosophe nous invite à passer de la valeur comme fait à la valuation comme activité. L’évaluation concerne alors la formation de jugements à partir de ces valuations et, pour J. Dewey, celles-ci sont considérées comme des faits, comme des comportements qui peuvent être constitués en observables. L’évaluation du mémoire de Master peut dès lors être envisagée comme un processus d’attribution de valeurs liées aux objectifs de la formation universitaire suivie et la grille peut, dans ce cadre, être considérée comme l’un des observables possibles pour étudier ce processus.
6Dans leur introduction à l’ouvrage Faire et dire l’évaluation, Christine Barats, Julie Bouchard et Arielle Bianquis Haakenstad (2018) distinguent cinq dimensions interreliées.. Comme nous allons le voir, le développement de formulaires en ligne (avec une possibilité de calcul automatique des notes) sur MySup témoigne à la fois d’une procéduralisation de l’évaluation, d’une formalisation, d’une normalisation, d’une standardisation et d’une publicisation (relative). Ceci est notamment lié à l’utilisation d’un dispositif informatisé, un formalisme d’écriture qui anticipe « les conditions de lecture favorisées par le calcul et la transversalité propres aux dispositifs informatiques » (Cotte, 2000, p. 180).
7La plateforme d’échanges de l’Apprentissage de l’Enseignement Supérieur MySup est un dispositif qui a été mise en place par le CFA en 2014. Elle est obligatoire pour toutes les formations (a minima pour toute la gestion administrative). Cette plateforme n’est pas consacrée à l’évaluation des mémoires, elle couvre un ensemble beaucoup plus large et diversifié d’actions de mise en relation entre les responsables d’apprentissage (tuteurs académiques), les maîtres d’apprentissage et les apprentis. L’objectif de la plateforme est de mettre en relation l’apprenti, son maître d’apprentissage et son tuteur académique. Chaque type d’acteur a un accès spécifique qui lui permet des actions de lecture/écriture différenciées. Les différentes actions à réaliser sont identifiées dans des tableaux de bord et l’organisation des différents formulaires à remplir se fait sous forme de ligne de temps.
8Le livret électronique d’apprentissage de mysup.fr est personnalisable par les responsables de formation. Ainsi, en fonction de leurs attentes et ambitions pédagogiques, les responsables de formation peuvent-ils construire autant de formulaires qu’ils le souhaitent. Les différents formulaires sont classés dans des catégories qui sont librement définies par le responsable de formation. Ceci conduit dès lors, pour l’établissement du corpus qui nous occupe, à une recherche fine, formation par formation, puisque toutes ne nomment pas de la même manière la grille d’évaluation du mémoire et ne la classent pas dans les mêmes rubriques.
9Concernant la forme de cette grille, un formulaire type a été proposé par le CFA et les responsables de formation ont eu ensuite la possibilité de l’adapter. La mise en place de ce type de formulaire répond à plusieurs objectifs que nous pouvons interpréter comme des objectifs de rationalisation, d’homogénéisation et de normalisation des modes d’évaluation du mémoire. La technologisation à l’œuvre n’a pas qu’une portée logistique, elle porte des conceptions de la « juste » évaluation du mémoire. En effet, ce type de formulaire a notamment pour objectif de réduire les écarts dans les modes d’évaluation entre les professionnels et les universitaires qui sont amenés à juger, au sein d’un même jury, de la même production. Il vise à homogénéiser les manières de noter entre les différents jurys de mémoire, de donner à lire à l’étudiant de manière plus explicite les manières dont il a été évalué et enfin (si cette modalité est choisie) de produire automatiquement une note chiffrée à partir d’une liste de critères. Par exemple, en introduction de plusieurs grilles d’évaluation des masters de l’IAE de Lille, les responsables universitaires de la formation ont indiqué :
Afin d’éviter les inégalités de traitement, s’agissant d’un master, il convient de justifier la notation à partir de l’échelle des notes ci-dessous. Les exigences du mémoire sont élevées et il convient de les prendre en compte dans la note.
10Dans les entretiens menés avec les responsables de parcours qui mobilisent ce formulaire, la justification de l’emploi de ce support commun se porte surtout sur le besoin de convergence entre les critères d’évaluation des universitaires et des professionnels.
11La grille d’évaluation proposée sur la plateforme Mysup peut être envisagée comme l’opérateur d’une certaine industrialisation qui vise à lisser les écarts consubstantiels à la double identité (professionnelle et académique). Afin d’analyser les processus polymorphes d’industrialisation, les membres du séminaire industrialisation de la formation (SIF) proposent, dans leur dernier ouvrage (Mœglin, 2016), de distinguer trois marqueurs interdépendants de l’industrialisation : la technologisation, la rationalisation et l’idéologisation.
- 4 « Nous nommons architextes (de arkhè [ἀρχή], origine et commandement), les outils qui permettent l (...)
12MySup est en premier lieu un dispositif informatisé, fondé sur une technologie qui prescrit toute une gamme d’usages. La mise en place des formulaires sur MySup vise une mise en cohérence des pratiques qui ne va pas de soi. Questionner les processus d’idéologisation amène à appréhender le sens que les acteurs donnent à leurs actions, les justifications qu’ils y apportent. On retrouve ici l’idée que l’évaluation est un processus de valuation, c’est-à-dire d’attribution de valeurs et en l’occurrence, de la valeur du mémoire dans une formation universitaire. L’architexte4, en tant qu’outil d’écriture de l’écriture, formalise la manière d’écrire l’évaluation et donc de la penser. En cela, il participe d’une objectivation des critères mais aussi d’une forme de rationalisation du fonctionnement des formations universitaires puisque la grille proposée par la plateforme est censée pouvoir être utilisée pour tout type de mémoire et dans tout type de formation en apprentissage. Comme le souligne Pierre Mœglin :
Il faut l’organisation technologique du système éducatif pour qu’une rationalisation industrielle s’y déploie, et ne faut pas moins un accompagnement idéologique ad hoc pour que des acteurs consentent à cette rationalisation et qu’au passage, ils expriment les raisons de leurs raisons. (Souchier, Jeanneret & Le Marec, 2003, p. 62).
13Les situations entre les formations sont assez différentes les unes des autres. Un formulaire type est adressé au responsable de formation, puis il lui est proposé de le retravailler en collaboration avec le CFA. Mais tous les responsables de formation n’utilisent pas cette fonctionnalité. Par ailleurs, il n’est pas possible d’évaluer combien de formations l’utilisent car toutes les formations ne nomment pas le formulaire de la même manière. Sur MySup, on compte 425 catégories différentes de noms de documents, 160 formations dans 40 antennes. Le processus de rationalisation, d’homogénéisation est donc limité. La technologisation est également à géométrie variable. En effet, le responsable de formation peut choisir, ou non, le calcul automatique de la note. Formasup se présente dès lors comme un soutien et non un prescripteur de pédagogie.
14Dans la première partie de son ouvrage Les enjeux de l’évaluation, M. Lecointe (1997) explique que celle-ci qui est une pratique d’attribution et de création de valeur est sans cesse ramenée à une opération technique, rationnelle, ce qui donne l’impression qu’elle ne fait que positionner des items sur une échelle de valeur qui lui préexisterait. L’objectivation des critères d’évaluation peut porter à polémique au sein d’un jury de mémoire de fin d’études et l’usage de la grille est censé avoir déjà réalisé ce processus. Pourtant, l’analyse des différentiels entre les documents du corpus montre bien que les conceptions du mémoire, et donc des relations entre recherche et professionnalisation, peuvent beaucoup différer d’une formation à l’autre.
15Avant d’entrer dans le détail de l’analyse des fiches d’évaluation du corpus, il convient de souligner que le corpus qui comprend 21 documents extraits de la plateforme est constitué de trois types de grilles d’évaluation :
- des grilles qui se concentrent sur le texte rédigé (3/21) ;
- des fiches qui portent à la fois sur l’écrit et la soutenance orale (16/21) ;
- et des grilles spécifiques à la soutenance orale (2/21).
16L’appellation du travail demandé varie également et ceci est un aspect non négligeable. On trouve les dénominations suivantes : « mémoire » (8/21), « mémoire professionnel » (4/21), « mémoire technique » (2/21), « mémoire d’ingénieur » (2/21), « rapport de fin d’étude » (2/21), « rapport d’apprentissage » (3/21). Ceci nous convie à avancer que, même s’ils sont tous qualifiés d’écrits longs de fin d’études et qu’une même grille d’évaluation (modifiable par les responsables de formation) est proposée, il ne s’agit pas à proprement parler des mêmes objets.
17Un premier constat concerne le fait que les formations en sciences humaines et sociales et en gestion emploient majoritairement le vocable « mémoire » ou « mémoire professionnel » alors que les formations en ingénierie ou en santé requièrent majoritairement le vocable « rapport ». Nous verrons par la suite que ces différences d’appellation ne sont pas sans lien avec les attendus de l’exercice et notamment avec la place des démarches scientifiques au sein de celles-ci. Autre point que nous pouvons d’ores et déjà relever est le fait d’associer au nom « mémoire » un qualificatif « professionnel », « technique », « d’ingénieur » : ceci permet de mettre l’accent sur l’objectif de professionnalisation de ce travail et probablement également de le distinguer d’une vision plus « académique » du mémoire de recherche. Contrairement à un mémoire de recherche qui est exclusivement évalué par des académiques, il s’agit d’un travail qui doit à la fois correspondre à des attendus professionnels et académiques. Or, c’est justement cette articulation qui est intéressante à questionner.
18Avant de nous pencher sur l’analyse comparative des critères d’évaluation choisis, l’analyse des architextes des grilles d’évaluation nous renseigne déjà sur certains choix opérés par les responsables de formation.
19Les grilles qui composent le corpus présentent une certaine homogénéité formelle. Ceci est lié notamment au fait qu’elles sont des déclinaisons, plus ou moins adaptées, du formulaire-type proposé par MySup.
Figure 1. Formulaire-type. Source : Extrait de mysup.fr.
20Le formulaire type pour l’évaluation des mémoires se divise en deux grandes parties. Une partie dédiée à l’évaluation du mémoire écrit et une seconde partie dédiée à l’oral. La grille est segmentée en 4 niveaux allant de « très insuffisant » à « très satisfaisant », sachant qu’à la fois le nombre de niveaux et la formulation de ceux-ci peuvent être personnalisés par les responsables de formation. La pondération mise en œuvre se fait sur 4 points (de 0 à 3 points). Dans certains cas, les responsables de formation ont personnalisé la grille en accentuant les niveaux supérieurs ou inférieurs par une pondération permettant de marquer un réel écart. Le calcul de note se fait automatiquement en bas de page. Si la note calculée automatiquement ne convient pas, le jury a la possibilité de décocher la case et ainsi, saisir la note qu’il souhaite.
21L’homogénéisation des pratiques d’évaluation via cette grille est néanmoins relative, en témoignent, en autres, les différentes formes d’évaluation choisies par les responsables de formation. Le tableau 1 montre les formes d’évaluation présentes dans le corpus étudié :
Tableau 1. Formes d’évaluation des grilles d’évaluation du corpus étudié.
22Le tableau 1 nous permet de dresser plusieurs constats. Tout d’abord, on note une granularité importante entre les échelles puisque celles-ci vont de 4 à 9 distinctions. Dès lors, ceci implique des modalités de différenciation entre les travaux plus ou moins fines. De plus, même si, à la fin, il y a toujours une note chiffrée, l’appréhension d’un item n’est pas la même lorsqu’il s’agit d’affecter une lettre, un nombre de points, une appréciation plus ou moins détaillée ou encore une combinaison de ces différents modes d’évaluation. Pour H. Volken (2007, p. 59), l’idée principale de la théorie représentationnelle
Réside dans la distinction entre système relationnel empirique – la réalité – et système relationnel numérique, et plus particulièrement encore dans le lien qui relie les deux structures. Ce lien est exprimé par la notion d’homomorphisme.
23En d’autres termes, l’attribution d’une évaluation dépend de la relation que l’évaluateur opère entre son observation de l’empirie (en l’occurrence le mémoire de l’étudiant) et la correspondance qu’il va faire, au sein de chaque item préétablis, entre l’appréciation de la valeur du mémoire sur ce critère et un « système idéal ».
24Dès lors, on voit bien que le fait de cocher, au sein de ces formulaires, telle ou telle case, dépend de la représentation que se fait l’évaluateur d’un « mémoire idéal », idéal qui se situe, en fonction des échelles, à un niveau « exceptionnel », « excellent » ou encore « très bon ». La question de la transposition de la valeur (de l’item évalué puis du travail dans sa globalité) dépend alors des échelles de valeurs proposées dans ces grilles d’évaluation. Or celles-ci présentent à la fois des caractéristiques formelles (entre attribuer une lettre ou cocher une appréciation longue déjà rédigée par exemple) et des granularités d’échelles différentes.
25Ainsi, avant d’entrer dans le détail des items qui composent ces grilles, il était important de souligner qu’en amont, ces formalismes d’écriture sont également des formalismes de pensée qui sont régis par des choix structurants qui configurent des relations très différentes entre le réel (l’appréciation d’un travail d’un étudiant par un individu spécifique et dans une situation donnée) et sa représentation sur une échelle de valeur idéelle (numérique ou non). En effet, les écarts dans les évaluations des membres du jury marquent des différences, qui peuvent être assez importantes, de l’image qu’ils se font d’un « très bon » mémoire professionnel.
26« Savoir faire un mémoire », c’est d’abord savoir produire un écrit long, structuré et respectant les règles de grammaire, d’orthographe et de syntaxe ; ceci est le premier constat qui se dégage de l’observation de ces grilles d’évaluation. En effet, s’il est un critère récurrent que l’on peut dégager, celui-ci concerne bien les « qualités formelles » de la production écrite.
27Le niveau de détail de l’évaluation, dans ses aspects formels, varie néanmoins beaucoup d’une grille à l’autre. Si dans certaines, les « qualités rédactionnelles » font l’objet d’un seul item, dans d’autres cet aspect fait l’objet du développement de multiples critères. En écho aux entretiens, dans lesquels nos interlocuteurs insistent sur le fait que le mémoire, bien que faisant l’objet de cadrages différents entre les formations est toujours « un écrit long », on peut ici émettre l’hypothèse que les formations vont particulièrement mettre en avant ces critères formels. Par ailleurs, ces critères « formels » et de structuration sont souvent présentés dans les entretiens comme une compétence que les étudiants pourront valoriser pour leur insertion professionnelle : « savoir rédiger », « structurer, argumenter son propos » sont des compétences réputées « transversales » et importantes dans les nombreux secteurs professionnels.
28Notons que si les responsables de formation ont beaucoup adapté le canevas de grille d’évaluation proposé par MySup, les critères relevant de « la forme » et ceux relevant de la structuration et de l’argumentation sont les plus repris du formalisme de départ et, dès lors, les plus homogènes dans le corpus étudié.
Tableau 2. Synthèse des critères d’évaluation « formels » des grilles du corpus.
Qualités formelles et rédactionnelles |
Qualité rédactionnelle : 5/21 |
Assistance au lecteur et qualité rédactionnelle et graphique : 4/21 |
Orthographe : 3/21 |
Mise en forme de la bibliographie : 2/21 |
Forme (plan, synthèse, clarté) : 2/21 |
Mise en page, illustration : 2/21 |
Titres : 2/21 |
Présentation des annexes : 2/21 |
Présentation générale : 2/21 |
29On peut considérer le fait qu’un mémoire présentant ou non des fautes d’orthographe ou de syntaxe soit un critère peu divergent entre les membres d’un jury – même si ceci est à nuancer car les lecteurs n’ont pas tous les mêmes critères pour évaluer la qualité rédactionnelle d’un écrit. D’autre part, le mémoire s’inscrit dans un « ordre de discours » régi par des normes plus ou moins strictes : les normes bibliographiques en sont un exemple probant. Le travail de l’étudiante est dès lors évalué par rapport à sa plus ou moins grande conformité à des normes académiques. Cette attention portée à la forme montre bien que la séparation faite entre « le fond » et « la forme » – bien qu’induite par le format lui-même de la grille d’évaluation – est artificielle puisque le « fond » n’existe que parce qu’il est mis en « forme ». En effet, la forme est porteuse des idéaux d'équilibre, de clarté et de structuration, éléments qui ne peuvent être dissociés des savoirs produits par le travail de recherche.
30La soutenance, quant à elle, fait tantôt l’objet d’une rubrique de la grille générale, tantôt l’objet d’une grille d’évaluation spécifique mobilisant également des critères récurrents dans le corpus étudié.
Tableau 3. Synthèse des critères d’évaluation de la soutenance présents dans les grilles d’évaluation du corpus.
Expression orale/posture |
Supports |
Maîtrise du temps : 2 |
Qualité des supports utilisés |
Clarté, syntaxe |
Outils de communication |
Maîtrise du contenu (pas de papier) |
Qualité et utilisation des supports |
Expression orale : clarté, précision |
|
Qualité de l’animation, aisance |
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Dynamisme, motivation |
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Curiosité |
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Capacité à gérer le stress |
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Dynamisme (bon, passif, surexcité) |
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Présentation et gestuelle |
|
Présentation générale : courtoisie, tenue |
|
- 5 Ce qui rejoint d’ailleurs les analyses que nous avons menées des formations courtes à la prise de (...)
31Deux types de critères peuvent être considérés relativement aux « qualités formelles » de l’oral : ceux concernant l’expression orale et la posture de l’étudiant et ceux concernant la « qualité » des supports de présentation orale utilisés ; la clarté et le respect de la syntaxe de ces derniers redoublant ici les qualités formelles requises dans l’écriture du mémoire. S’il est aisé de dire si un étudiant a, ou non, respecté son temps de parole, il est en revanche plus subjectif d’évaluer le dynamisme ou encore la motivation d’un étudiant, tant ces aspects relèvent de l’interprétation par l’évaluateur d’un « langage silencieux » (Hall, 1984 [1959]). Par ailleurs, il est intéressant de souligner que les critères d’évaluation de l’oral ne prennent pas en compte le contenu de ce qui est présenté par l’étudiant mais se focalisent exclusivement sur l’expression orale comme technique5.
32Dès lors, le mémoire est un exercice qui doit permettre à l’étudiant, en fin de cursus universitaire (quelle que soit la discipline), de faire montre d’une maîtrise des « techniques rédactionnelles » et de la « prise de parole en public ». Il est d’ailleurs intéressant de noter que ces deux aspects font l’objet de formations dédiées très présentes dans la formation professionnelle et sont, dans les catalogues d’organismes de formation (comme la Cegos ou Demos, par exemple) classées dans les formations inscrites dans les gammes « Efficacité professionnelle » ou « Développement personnel » et sont réputées permettre au stagiaire d’acquérir ou de renforcer ses « compétences transversales ».
33L’argumentation et la structuration du propos sont également des critères très présents dans les grilles d’évaluation du corpus étudié.
Tableau 4. Synthèse des critères relatifs à la structuration et à l’argumentation dans les grilles d’évaluation du corpus.
Structuration et argumentation |
Structuration et argumentation : 4/21 |
Plan : 3/21 |
Démarche d’analyse structurée : 2/21 |
Structuration de l’argumentation : 2/21 |
Organisation générale du mémoire 2/21 |
Élaboration du plan : 1/21 |
Contenu scientifique logique : raisonnement, précision 1/21 |
34Néanmoins, les formes d’argumentation, de raisonnement peuvent être très diverses et un lecteur peut, par exemple, être plus sensible à un raisonnement déductif ou à un raisonnement inductif. Dans cette échelle de valeur : si les pôles opposés doivent probablement susciter la plupart du temps l’unanimité, toutes les gradations internes sont par contre beaucoup plus subtiles. D’autre part, l’évaluation du plan du mémoire est intrinsèque à la démarche qui a été développée. Dès lors, même si la structuration et l’argumentation sont des critères qu’on retrouve dans la grande majorité des grilles d’évaluation, on comprend qu’en fonction de la démarche (scientifique ou non) prescrite pour ce travail de mémoire de fin d’étude, la teneur de ces formes d’argumentation et de structuration est extrêmement variable. Il est par ailleurs intéressant de souligner que six des responsables de formations qui ont été interrogés ont mentionné qu’ils donnaient aux étudiants un « plan type » pour la rédaction du mémoire. Comment dès lors évaluer la structuration de l’argumentation si celle-ci a été imposée en amont ?
35Le fait de mobiliser des ressources académiques pour élaborer un mémoire universitaire peut, en première lecture, sembler évident (du moins pour un enseignant-chercheur en sciences humaines et sociales). Pourtant même si la grande majorité (14/19) des grilles d’évaluation prend cet aspect en compte, il convient tout d’abord de souligner que la grande variété des manières de formuler ce critère témoigne de conceptions très différentes.
Tableau 5. Synthèse des critères relatifs à la mobilisation des concepts et dans les grilles d’évaluation du corpus.
Concepts et théories |
Qualité de la problématique 4/21a |
Conceptualisation/ théorisation : 3/21 |
Bonne appréhension de la problématique : 1/21 |
Bibliographie et références : 1/21 |
Niveau de cohérence scientifique : 1/21 |
Aptitude à utiliser les acquis universitaires : 1/21 |
Revue de littérature : 1/21 |
Utilisation des recherches : 1/21 |
Théorisation : 1/21 |
Bibliographie pertinente : 1/21 |
Présentation de la problématique 1/21 |
Présentation d’une problématique traitée parmi les missions 1/21 |
a. Ce sont exclusivement des formations en sciences humaines et sociales. |
36On peut, à la lumière du tableau ci-dessus, établir à grands traits, trois regroupements : les items qui mettent en avant la conceptualisation et la théorisation, ceux qui mettent en avant la bibliographie et enfin ceux qui mettent en avant la problématisation. Le fait de mobiliser une bibliographie pertinente n’implique pas forcément de théoriser ou de conceptualiser dans son mémoire. En effet, des éléments de bibliographie peuvent, par exemple, relever d’études empiriques portant sur l’objet concret de la recherche ou encore de manuels méthodologiques. Dès lors, même s’il y a des liens forts entre les deux, les items « bibliographie » et « théorisation » ne peuvent pas être considérés comme équivalents. Par ailleurs, il convient de souligner que ce sont exclusivement les formations en sciences humaines et sociales qui emploient, dans leurs grilles d’évaluation, les termes de « théorisation » et de « conceptualisation ».
37Certains responsables de parcours certains avancent que même si la théorisation est un critère, il n’est pas possible d’en demander trop aux apprentis. En témoigne, par exemple, la remarque de ce responsable de formation :
Ce travail se base sur une recherche, avec quand même une bibliographie et des lectures d’articles. Ils y apportent des témoignages et des choses vécues par eux-mêmes au sein de la rédaction.
38Le terme de « problématique » est très polysémique (Seurrat, 2014, p. 24). Si la grande majorité des responsables de bien que celle-ci peut recouvrir des démarches très différentes. En sciences humaines et sociales, la problématisation est souvent appréhendée comme une démarche de déconstruction puis de reformulation d’une question qui conduit à la formulation d’une problématique. Or, cette démarche de déconstruction qui implique une analyse distanciée appuyée par des concepts et méthodes n’est pas la seule manière d’appréhender ce qu’est une problématique dans le cadre d’un mémoire de fin d’études. En effet, plusieurs responsables de formation insistent sur le fait qu’elle est souvent qualifiée de « problématique professionnelle » doit permettre de dégager « des solutions concrètes », une « résolution opérationnelle ». On voit, dès lors, à quel point la place de la recherche académique dans les mémoires de fin d’étude dépend grandement des conceptions de la démarche de problématisation, conceptions qui sont liées aux objectifs qu’on assigne à ce travail mais aussi aux ancrages disciplinaires. Le professionnel est-il le terrain d’un travail de recherche ou l’étudiant doit-il produire un écrit qui, en mobilisant des travaux académiques, doit correspondre aux attendus des professionnels du métier ?
39Un autre aspect semble – du moins pour un enseignant-chercheur en sciences humaines et sociales – consubstantiel au travail de mémoire : la méthodologie de recherche. En effet, celle-ci peut être appréhendée comme un moyen de faire des ponts entre la théorie et l’empirie, de produire des connaissances nouvelles et de distinguer le mémoire d’une synthèse de travaux existants. C’est pourquoi, nous constatons avec étonnement qu’il y a fort peu d’occurrences concernant la méthodologie dans les grilles d’évaluation du corpus. Ceci est peut-être lié au fait que les professionnels qui évaluent les mémoires ne sont pas toujours formés au méthodologies de la recherche.
Tableau 6. Synthèse des critères relatifs à la méthodologie dans les grilles d’évaluation du corpus.
Méthodologie |
Méthodologie : 3/21 |
Méthodologie : qualité, rigueur, exploitation des données : 1/21 |
Utilisation du terrain : 1/21 |
Démarches et méthodes utilisées : 1/21 |
40On peut noter, à la lumière du tableau ci-dessus, que la « méthodologie » est associée à la rigueur. Elle est aussi cette médiation entre la recherche et « le terrain », ce qui fait que le mémoire n’est pas « hors sol », qu’il a un lien fort avec l’empirie. Même si l’item « méthodologie » est peu présent dans les grilles d’évaluation, les responsables de parcours soulignent, par contre, pour la plupart, le fait de mettre en place une « analyse » et distinguent souvent le mémoire de l’exposé, du rapport de stage ou encore de la synthèse de lectures. En témoignent, par exemple, les propos de cette responsable de parcours :
Moi je ne souhaite pas que le mémoire soit « hors sol », mais qu’il soit enraciné, ancré, dans une réalité territoriale située pour pouvoir mesurer leur appréciation d’analyse contextuelle […] ce n’est pas un rapport de stage, on dit cela très clairement, c’est vraiment un mémoire ; c’est pas un mémoire de recherche au sens d’un master recherche comme on les a, parce que c’est quand même un master professionnel, mais on est entre les deux, quoi, et donc la part respective des deux…
41Dès lors, la méthodologie mise en œuvre semble un des aspects constitutifs d’un mémoire, même si l’item apparaît peu dans les grilles. Or, à travers ces entretiens, on peut dégager à grands traits deux grandes conceptions différentes de la méthodologie et, ce faisant, de la recherche.
42Les deux pôles pourraient regrouper, d’un côté, les mémoires en sciences humaines et sociales et, de l’autre, les mémoires en ingénierie (souvent appelés « rapports » ou « mémoires professionnels »), en sciences de gestion et, de manière moins marquée, en santé. Dans son introduction à l’ouvrage Épistémologie des sciences sociales, J.-M. Berthelot (2001) dresse certaines oppositions, ou du moins certaines tensions qui traversent nombre de sciences sociales ou plutôt ce qu’il nomme « les sciences du social ». Il pointe notamment celle qui existe entre raison expérimentale et raison interprétative, entre explication et compréhension. Il nous semble que lorsqu’elles se situent du côté de la compréhension des phénomènes, les sciences « anthroposociales », comme les nomme J.-M. Berthelot, sont particulièrement attachées à la distance critique. L’historicisation des phénomènes, l’appréhension des stratégies d’acteurs, l’analyse des situations sociales et l’analyse des enjeux socio-économiques permettent de remettre en cause des préjugés et des opinions « toutes faites » sur les phénomènes étudiés, d’en montrer la complexité et surtout de les dénaturaliser. Cette distinction entre raison expérimentale et raison interprétative, entre explication et compréhension, est très heuristique pour penser la distinction forte qui se dégage des entretiens au sujet des visées des mémoires et notamment autour de la question de son « utilité ». Ceci nous permet de dégager une rupture entre deux types d’attendus de l’exercice : d’un côté les travaux qui visent une compréhension, une analyse critique des phénomènes étudiés et, de l’autre, des travaux plus instrumentaux qui visent à produire des solutions à des « problèmes » professionnels qui ne sont pas pensés dans une démarche de problématisation scientifique. Une troisième voie, consiste à avancer que les deux objectifs sont compatibles : produire une analyse critique des phénomènes pour ensuite proposer des recommandations opérationnelles qui peuvent être mises en œuvre dans le terrain professionnel concerné. Ceci invite alors à questionner les prétentions et visées d’un tel travail.
43La question de la démarche de recherche nous conduit à la question du pourquoi. Pourquoi faire de la recherche ? Et surtout pourquoi former des étudiants qui, pour la plupart, ne se destinent pas à des carrières de recherche, aux démarches de recherche ? Deux grandes réponses semblent émerger des grilles d’évaluation et des entretiens avec les responsables de parcours : l’utilité de la recherche pour la structure d’accueil (les mémoires étant toujours liés à la structure dans laquelle s’effectue l’apprentissage) et l’analyse critique des phénomènes observés. Si, comme nous le verrons par la suite, ces deux visées peuvent s’articuler, il semble bien que certains cadrages (et évaluations) mettent plus l’accent sur l’une ou l’autre de ces visées.
Tableau 7. Synthèse des occurrences relatives à « l’utilité » du travail dans les grilles d’évaluation du corpus.
Utilité/ opérativité |
Utilité du rapport pour l’administration d’accueil : 3/21 |
Pertinence des préconisations : 3/21 |
Solutions/ résultats : 2/21 |
Mise en évidence de la valeur ajoutée pour l’entreprise : 1/21 |
Utilité pour la structure : 1/21 |
Réalisation des actions : 1/21 |
Résultats : qualité et bilan : 1/21 |
Potentiel d’utilisation future : 1/21 |
Perspectives opérationnelles : 1/21 |
44Le terme « d’utilité » peut recouvrir des aspects bien différents. Utile pour qui ? Utile en quoi ? Pour tous les mémoires, il y a un lien fort qui est évoqué par les responsables de parcours entre l’expérience de l’apprentissage et la réalisation de cet « écrit long ». Mais ce lien peut être de natures très diverses. Dans la majorité des Masters, le mémoire doit permettre un « bilan de compétences » et être lié aux missions exercées par l’apprenti, mais, dans d’autres cas, le mémoire peut être disjoint de ces fonctions et certains responsables de parcours encouragent à ce que ce soit le cas :
L’apprenti construit son objet de recherche et le problématise relativement au cadre organisationnel qu’il a investi, je ne veux pas quant à moi qu’il y ait une confusion entre des missions et la recherche […] quand il y a une telle assimilation, le grand risque c’est la schizophrénie, pas parce qu’on a deux objets différents mais parce que pour un même objet, on vous demande d’avoir deux postures distinctes.
45Si le lien entre l’expérience d’apprentissage et le mémoire est à géométrie variable, celui entre la démarche de recherche et la mise en œuvre d’actions concrètes l’est aussi. Dans certains cas, il s’agit de répondre à un « problème professionnel » et proposer des préconisations, des solutions à mettre à œuvre opérationnellement. Chercher implique ici de trouver, de résoudre, d’apporter des solutions concrètes. Dans le mémoire d’ingénieur, le mémoire est associé à une réalisation concrète, à un projet, le mémoire doit dès lors expliciter comment et pourquoi le projet a été mis en œuvre. En cela, la recherche se rapproche de la recherche et développement. Dès lors, si le mémoire doit avoir en premier lieu un intérêt pour l’étudiant et pour sa formation, nombre de responsables de parcours insistent sur le fait qu’il doit être « utile » à la structure d’accueil, comme en témoignent les propos de cette responsable de parcours :
Ce que nous demandons, c’est que cela ne soit pas général. Ce sera une démarche soit comparative, soit qualitative dans le but de fournir un travail à une entreprise ou une structure qui est intéressée.
46Pour certains mémoires, un plan type est proposé et ce plan type correspond souvent à trois temps : la revue de littérature, le recueil et l’analyse des « données » puis les préconisations. La place de la préconisation dans un travail de recherche est intéressante à questionner. Comment distinguer la recherche de l’expertise (Delmas, 2011) ? Certains responsables de parcours parlent d’ailleurs du mémoire comme une démarche « d’étude-conseil ». Si la démarche de recherche s’inscrit dans un registre démonstratif, les préconisations s’inscrivent quant à elles dans le registre du prescriptif. Or, il s’opère dès lors un changement de posture : celui qui analyse ce qui se fait doit devenir celui qui dit ce qu’il faut faire. S’il était possible, au premier regard, d’opérer une distinction entre les sciences sociales et les sciences dites « exactes », il s’avère que cette distinction n’est pas si nette car la plupart des responsables de formations en sciences sociales interrogés (comme par exemple les formations en management) insistent beaucoup sur la dimension « utile » du mémoire et sur l’importance de savoir formuler des conseils et préconisations. Dès lors, la distinction n’est pas tant entre des recherches qui seraient « utiles » et d’autres qui ne le seraient pas mais dans la définition de la posture de recherche et de la place constitutive ou non qu’y prend la distance critique.
- 7 « La critique est toujours critique d’une pratique instituée, d’un discours, d’une épistémè, d’une (...)
47Si la distance critique7 est peu mobilisée comme un critère explicite dans les grilles d’évaluation, elle souvent mentionnée par les responsables de parcours en sciences humaines et sociales. Le processus même de conceptualisation est là pour opérer une requalification des objets observés.
Tableau 8. Synthèse des occurrences relatives à la distance critique et à la réflexivité dans les grilles d’évaluation du corpus.
Distance critique et réflexivité |
Bilan de compétences : 4/21 |
Prise de recul sur la mission : 2/21 |
Prise de recul sur l’expérience : 2 /21 |
Aptitude de l’apprenti à cerner ses points forts et ses points faibles : 1/21 |
Prise de recul : 3/21 |
Bilan personnel : 1/21 |
Mise en valeur des compétences acquises 1/21 |
48La réflexivité est, quant à elle, principalement mise en avant dans l’évaluation des soutenances. Elle est souvent synonyme de prise de recul par rapport aux missions de l’apprentissage ou encore vis-à-vis des résultats du au mémoire lui-même. Elle est également parfois associée à l’idée de « bilan de compétences ».
49Dès lors, le mémoire est vraiment conçu comme le bilan d’un parcours qui permet de faire un retour sur soi afin de mûrir son projet professionnel. En cela, il est possible de distinguer un travail de recherche et un écrit réflexif. Si l’écrit de recherche peut tout à fait se nourrir d’une posture réflexive, il vise la compréhension de phénomènes, quant à l’écrit réflexif, il vise la construction du sujet professionnel.
Avec le mémoire, ils développent leurs capacités réflexives. Le travail de recherche se construit sur toute l’année.
50Pour Michel Parlier et Anne-Lise Ulmann (2013, p. 6), coordinateurs d’un numéro de la revue Éducation Permanente intitulé « Réflexivité et pratiques professionnelles » :
La réflexivité, comme démarche d’élucidation de sa propre action, vient alors questionner de manière renouvelée les routines, les récurrences de raisonnements, voire les « invariants opératoires », qui fondent les pratiques individuelles mais aussi collectives des professionnels.
51C’est pourquoi, pour ces auteurs, « l’acte de réflexivité et la mise en récit de l’expérience sont déterminants dans un processus de professionnalisation. » (ibid)
52Ainsi, la distance critique s’applique à l’objet de connaissance, alors que la réflexivité inclut la place de l’individu dans son rapport à l’objet. Dans les deux cas, il y a un déplacement du regard qui éclaire, sous un nouveau jour, notre rapport aux savoirs. On peut voir que la question de « l’utilité du mémoire », éclairée par cette posture de « réflexivité critique » (Seurrat, 2018) peut prendre une toute autre dimension qui peut distinguer fortement le travail de recherche lié au mémoire à un écrit professionnel de préconisations. Dans cette optique, il ne s’agit pas tant de répondre à des problèmes concrets, de prescrire des actions que de poser de nouvelles questions, d’apporter à la structure un regard différent. Comme le souligne un responsable de parcours :
Ce qui pose problème dans l’entreprise, n’est pas forcément la problématique du chercheur mais on voit bien qu’il y a un intérêt à questionner des choses, surtout si c’est une forme de recherche action qui bouscule un collectif même sur une question qu’on n’a pas forcément le temps habituellement de se poser.
53Dès lors, comme le souligne ce même responsable de parcours, la distinction entre recherche fondamentale et recherche appliquée n’est pas si nette que cela :
Je dis souvent à mes étudiants, qu’il n’y a rien de plus opératoire qu’un bon concept… si je leur dis cela, c’est bien que je crois à l’opérationnalité possible ou en tout cas aux effets professionnels possibles de l’usage des concepts et des notions.
54Écrit long, le mémoire et sa visée de bilan s’élaborent aussi dans un temps relativement long. Malheureusement, certains responsables de parcours déplorent que la temporalité très dense des parcours en apprentissage ne permette pas toujours de mettre en place l’accompagnement et les cours de méthodologie de recherche qui seraient nécessaires pour préparer les étudiants au travail du mémoire.
55Le mémoire est un objet polymorphe qui témoigne de différentes visées. Pour autant cette analyse aura également montré que le mémoire universitaire est un travail de bilan intellectuel et professionnel qui prend une place très conséquente dans ces parcours de formation. Ceci conduit à pointer l’importance des réflexions sur les relations entre recherche et professionnalisation (de la Broise, 2008). Dès lors, la professionnalisation ne s’entend pas – ou du moins ne peut pas s’entendre uniquement – comme l’adéquation avec un référentiel de compétences métier. Elle témoigne d’une démarche d’analyse – sur soi et sur l’environnement et le secteur professionnel visé – qui permet de se forger un esprit analytique, une capacité critique et une capacité d’adaptation dans un environnement professionnel de plus en plus complexe et mouvant.
56Pour G. de Tressac (1996, p. 224) : « La notion de compétence est une notion intermédiaire qui permet de penser les relations entre le travail et les savoirs détenus par l’individu ». Si on se place dans une conception non-instrumentale de la compétence, on peut dès lors établir des liens entre initiation à la recherche et insertion professionnelle (de la Broise, 2008). Ainsi l’élaboration d’un mémoire, malgré toutes les différences de natures et d’objectifs que nous avons pu mettre au jour à travers cette analyse, dote l’étudiant de connaissances et de capacités d’analyse approfondies du secteur professionnel dans lequel il souhaite s’insérer. Or, c’est bien cette temporalité longue nécessaire à l’élaboration d’un « écrit long » qui est un élément central au développement de compétences analytiques. Celles-ci ne seront peut-être pas mobilisées, d’un seul « bloc » tout de suite mobilisable dans la vie professionnelle mais elles pourront, dans un temps long, accompagner l’individu dans son rapport à son activité professionnelle et dans sa capacité à analyser les situations de travail et l’évolution des contextes et enjeux professionnels afférents.