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Un regard sur l’évolution de l’administration fédérale
Interviews des responsables syndicaux

Interview du SLFP

Pierre-Jean Delvoye
p. 127-136

Notes de la rédaction

L’interview de Stefaan Slaghmuylder, Président du SLFP-Finances, représentant du SLFP au sein du Comité B, a été effectué par Pierre-Jean Delvoye, nouveau Directeur scientifique du CERAP et Rédacteur en chef de la revue Pyramides, sur la base d’un questionnaire établi par Eric Nachtergaele, co-directeur de la revue Pyramides.

Texte intégral

1En préambule, Monsieur Slaghmuylder nous fait part de son impression générale quant aux dernières évolutions en date des négociations avec le cabinet de la Ministre de la Fonction publique. Pour lui, « c’est un drame ». L’autorité soumet les projets, écoute mais n’en fait rien.

La situation des managers/mandataires est exemplative à cet égard.

Le gouvernement Vivaldi soumet à la négociation des projets d’arrêtés royaux (dernièrement, la cinquième modification de l’AR « managers ») modifiant des dispositions alors que les précédentes ne sont pas encore entrées en vigueur ou même publiées. L’autorité ne tient compte des remarques syndicales que lorsque celles-ci vont dans le même sens que celles du Conseil d’État…

Par exemple, les nouvelles dispositions relatives aux fins de mandat posent question en matière d’égalité d’accès à l’emploi public, pourtant garanti par la Constitution : les mandataires qui n’ont pas connu d’évaluation négative sont promus d’une classe, maximum deux fois mais, en pratique, ils participent quand même aux procédures de promotion, donc cela a un effet limité et pas d’effet du tout sur les mandataires issus du privé.

De manière générale, il faut mettre en évidence deux paramètres dans le contexte de la coalition Vivaldi : d’une part, l’absence de budget pour mettre en œuvre l’accord sectoriel et, d’autre part, les personnalités qui la composent qui, certes, aux yeux des organisations syndicales, ont un bon CV, mais manquent de sensibilité du service public/de la fonction publique, en particulier chez certains collaborateurs de cabinet.

Pierre-Jean Delvoye : la réforme Copernic a été mise en place au début des années 2000. 20 ans après, quel bilan pouvez-vous tirer de la mise en place des fonctions de management et d’encadrement ? Estimez-vous que le système des mandats est parvenu à maturité ou qu’il doit encore évoluer ?

Stefaan Slaghmuylder : la réforme Copernic ne visait pas que l’instauration d’un système de mandats, mais également, et de manière plus sensible pour l’ensemble des membres du personnel de la fonction publique administrative fédérale, une révision des barèmes.

Nous avions marqué notre accord à l’époque car le projet nous semblait équilibré et balancé.

Si nous devons analyser plus spécifiquement le système des mandats et la situation des mandataires, notre réponse est nuancée.

Nous noterons des points positifs tels que l’informatisation, qui représente certainement un gain de temps et la digitalisation, notamment pour les citoyens (par exemple, Tax-on-Web).

Néanmoins, ce processus a transféré une partie de la charge de travail vers les citoyens, les notaires, les mandataires, etc.

Précédemment, comptait exclusivement l’ancienneté mais quid des compétences en management ?

L’effet pervers de cette nouvelle approche par compétences managériales a entraîné que la génération intermédiaire a été sacrifiée même si sa situation, notamment pécuniaire, a été revalorisée.

Toutefois, ce nouveau système a créé des opportunités pour des jeunes, surtout au niveau du middle management.

Nonobstant, nous noterons l’évolution du statut social non seulement du fonctionnaire en général mais du middle manager en particulier, devenu le « punching-ball » tant de sa hiérarchie que de ses collaborateurs.

Votre organisation syndicale a conclu un protocole d’accord sur cette réforme, elle a accepté entre autres le système des mandats. Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment ce système de mandat a-t-il évolué ? Vers une réelle ouverture vers le privé ou vers une nouvelle forme de politisation ?

L’ouverture vers le privé a été, somme toute, assez limitée et ne représente que quelques cas isolés.

Il faut reconnaître que les mandataires issus du privé étaient de « vrais » managers, compétents en termes gestionnaires, mais ils manquaient de sensibilité avec le service public, l’activité du département ainsi que de connaissances techniques.

Les mandataires issus d’autres administrations ou d’autres départements peuvent également être de bons managers mais auront quand même plus de sensibilité vis-à-vis de l’activité et de la technique, en raison notamment de leur bagage de service public.

Aussi, on a pu observer des changements de comportement quand certains membres du personnel deviennent managers.

En ce qui concerne la politisation, nous constatons en effet qu’un nombre important de mandataires provient des cabinets ministériels.

Donc, oui, la politisation a augmenté, mais ces mandataires issus de cabinets sont généralement compétents. Nous dirions donc qu’il n’y a pas que la politique qui joue dans leur désignation.

On peut retourner la question : devient-on chef de cabinet si l’on n’est pas compétent ?

Il est aussi difficile de dire si la situation aurait été différente dans l’ancien système.

De manière générale, Copernic a introduit des changements qui ont augmenté l’influence politique et diminué l’indépendance de l’administration. Et cela continue.

Cette offensive du politique contre l’indépendance de l’administration est particulièrement marquée par les attaques contre le statut, même si certaines évolutions étaient nécessaires pour affronter l’évolution du monde.

Les plans stratégiques sont désormais conclus une fois par législature entre le département et le(s) ministre(s) de tutelle. N’est-ce pas une forme de politisation indirecte ?

En effet, il s’agit certainement d’une politisation indirecte, dont l’ampleur dépend toutefois des acteurs.

Ce risque de politisation indirecte est très clair dans les contrats de gestion. Néanmoins, le ministre fera cela de manière intelligente et discrète…

De manière générale, il n’est pas étonnant non plus que l’administration mette en œuvre les volontés politiques. C’est normal en démocratie. L’enjeu réside surtout dans les risques liés à la particratie.

Les plans stratégiques révèlent des côtés positifs, comme le fait qu’ils suivent les mandats et le rythme électoral, mais comportent également des aspects négatifs en ce qu’ils ne proposent pas de vision à long terme, étant fixés sur l’horizon de la prochaine échéance électorale.

En effet, les politiciens ont peur d’investir et de dépenser aujourd’hui pour récolter les bénéfices lors d’une autre législature, surtout dans les cadres budgétaires très serrés actuels.

Cela entraîne notamment des restrictions de moyens qui ne permettent pas aux managers de jouer pleinement leur rôle.

Cela se marque surtout en matière de personnel.

La norme de restriction budgétaire de 2 % annuels se sent donc très fort, notamment dans les départements qui assurent les recettes de l’Etat, qui ramènent l’argent dans les caisses publiques.

Le coût de ces restrictions se révèle plus élevé́ que les économies réalisées, comme par exemple en matière de rentrées fiscales qui sont de la sorte moins importantes que les prévisions budgétaires car il y a moins de possibilités de contrôle en raison du manque de personnel criant dans les services extérieurs, cela étant couplé à un mauvais usage du datamining qui dénote et entraîne une mauvaise connaissance du terrain – cet outil aurait pu être plus performant et crée des frustrations chez les contribuables contrôlés.

Le politique reconnait la situation mais n’agit pas en conséquence car, outre le fait que ce ne serait pas très populaire, le coût est direct et les résultats et bénéfices sont lointains.

Partant, tout cela n’est pas lié à Copernic exclusivement mais plutôt lié au système politique centré sur les agendas partisans et électoraux.

En matière de GRH et d’une gestion moderne du personnel, avez-vous constaté une évolution positive (en matière de traitement, de carrière, d’évaluation) pour le personnel des services publics fédéraux ?

La gestion du personnel est le cœur de la discussion du dernier accord sectoriel.

La dernière augmentation barémique date de Copernic, donc il y a vingt ans.

En 2009, l’accord sectoriel prévoyait une allocation de fin d’année à 100 % mais cette mesure n’a jamais été exécutée.

Le préaccord sectoriel de juin 2022 comprend les mesures financières suivantes afin d’augmenter le pouvoir d’achat, étalées sur trois années :

  • une faible révision des barèmes de 2 %, pour la première fois depuis la réforme Copernic il y a 20 ans ;

  • une allocation de fin d’année de 100 % pour les niveaux C et D et une augmentation de l’allocation de fin d’année pour les niveaux A et B ;

  • l’octroi, à partir de novembre 2022, de chèques-repas d’une valeur de 6 euros, dont 1,09 € sera à charge du membre du personnel et 4,91 € sera payé par l’employeur.

Aujourd’hui, la situation est la suivante : uniquement les chèques-repas d’une valeur de 6 euros par jour effectivement travaillé seront accordés à partir du 1er avril 2024 et non à partir de novembre 2022, comme le prévoyait le préaccord sectoriel.

Toutefois, il n’est pas certain qu’il y ait les marges budgétaires pour mettre les autres éléments du préaccord en œuvre.

En ce qui concerne cette introduction de chèques-repas, cela n’est pas la principale priorité des syndicats.

Ce ralentissement dans la carrière pécuniaire s’est-il donc imposé à l’ensemble du personnel fédéral ? Ces deux carrières coexistent-elles sans problème ?

Les carrières « Bogaert » (en vigueur depuis le 1er janvier 2014) ne sont pas une nouvelle carrière dans la mesure où les barèmes de départ et de fin de carrière sont les mêmes qu’auparavant. Il n’y a pas d’augmentation.

L’évolution est-elle ralentie ou retardée ? Oui et non, en fonction des catégories de personnel.

Par exemple, un niveau A1, dans l’ancienne carrière, progressait vers la deuxième échelle en quatre ans (progression de + 2 000 €).

Aujourd’hui, en seulement trois ans avec une progression de 3 000 € (donc + 1 000 € en plus) bruts annuels. Oui, c’est un mieux.

Mais, en général, la carrière est plus étalée, on avance moins vite.

D’autres grands gagnants sont parfois des agents qui sont toujours rémunérés dans l’ancienne carrière et qui passent à la nouvelle, suite à une promotion.

Dès lors, deux carrières coexistent, ce qui est très compliqué.

Partant, il devient important de choisir le bon moment pour candidater à une promotion, en fonction du barème et de l’échelle.

Plus spécifiquement, au SPF Finances, suite au « basculement » dans la nouvelle carrière, les agents revêtus anciennement de la classe A2 qui ont « basculé » ou ont été automatiquement promus dans la classe A3 n’obtiennent une véritable augmentation que lors d’une promotion en classe A4 (dans certains cas, cela atteint même jusqu'à 7 000 € bruts annuels).

En ce qui concerne les plans de personnel, le passage du cadre aux enveloppes de personnel, avec lesquelles les managers « font tourner leur boîte », a entrainé́ des difficultés de priorisation par rapport aux missions des départements, notamment en raison des la diminution des enveloppes depuis 2014.

Peut-on parler d’un rapprochement des conditions de travail du secteur public avec celles du secteur privé ? Quelles grandes différences peut-on encore percevoir ?

La société aussi a évolué : les avantages tels que voiture de société, assurances, etc., font désormais partie de la rémunération. Mais en termes stricts de « pure » rémunération, la fonction publique égale pour ainsi dire le secteur privé (voir notamment à cet égard l’étude « Rémunération des fonctionnaires fédéraux – Comparaison avec le secteur public et le secteur privé » publiée par le SPF P&O en 2013). C’est en termes de rémunération globale que le secteur privé est plus avantageux. En revanche, en matière de pensions, c’est la fonction publique qui offre les meilleures opportunités – élément auquel les jeunes ne pensent généralement pas. Dans le privé, cette différence est souvent compensée par une assurance-groupe.

Tous ces éléments mis bout à bout, combinés à une image de la fonction publique qui n’a guère évolué et encore plus dévalorisée par certains politiciens – alors que la fonction publique elle-même a bien évolué, ne rendent pas la fonction publique attractive.

Heureusement, la fonction publique fonctionne, et de manière efficace.

C’est aujourd’hui probablement dans certaines sphères du secteur privé que l’on rencontre plutôt les stéréotypes historiques de la fonction publique.

Au niveau fédéral, cela devient très difficile à l’heure de la NVA, qui vient encore récemment, en janvier 2023, d’afficher ses velléités de torpillage de l’État fédéral.

Or, à l’ère de la coalition « Vivaldi », et dans le chef de la Ministre De Sutter en particulier, des avancées symboliques ont été consenties dans le dernier préaccord sectoriel, notamment en termes d’attractivité de la carrière. Malheureusement, ces mesures ont été jetées à la poubelle.

Dans le privé, existe la norme salariale.

Dans le public, en l’espèce au fédéral, c’est de facto du 0 % car il n’y a pas eu, à part l’indexation automatique, d’augmentation réelle depuis vingt ans (les barèmes Copernic). Si on devait appliquer la norme salariale du privé, les barèmes fédéraux bénéficieraient d’une augmentation approchant les 20 %.

Le lien entre l’évaluation et la carrière a été rompu, mais quels autres changements avez-vous constaté en matière d’évaluation ?

Le système préexistant à Copernic, le signalement, avait un caractère « bidon ».

Ensuite, dans les faits, il n’y a plus rien eu (cercles de développements inopérants ou jamais vraiment exécutés).

Et puis, en 2014, l’évaluation a été liée à la carrière, tant administrative que pécuniaire. Dans les faits, un pourcentage très limité n’obtenait pas la mention « répond aux attentes », méritée dans certaines situations.

Les mentions les plus défavorables concernaient des licenciements voulus ou mérités.

Les mentions « exceptionnel » étaient-elles mues par le favoritisme ? Parfois, oui. Étaient-elles attribuées de manière objective ? Pas toujours. Étaient-elles méritées ? Souvent.

Mais certains qui obtenaient une mention « répond aux attentes » méritaient en fait un « exceptionnel ».

En outre, la charge administrative de ces évaluations « Bogaert » était trop lourde. Partant, le système devait être revu.

Depuis le 1er janvier 2022, le lien entre évaluation et carrière a été rompu. C’est un retour à la possibilité d’une carrière plane sauf si l’agent est promu, évidemment.

Cette réforme est dramatique et ne fonctionne pas. Les textes de base sont truffés d’erreurs et d’incohérences.

On a voulu instaurer une culture du feedback permanent sans changement de culture.

Certes, les mentions autres que « insuffisant » ont disparu, il n’y a plus d’obligation de procéder aux entretiens – les cycles continuent de toute façon, et il y a dorénavant possibilité de remédiation, mais les rapports sont utilisés à mauvais escient par certains chefs pour régler des difficultés interpersonnelles.

Même le Codex proposé par la NVA pourrait être meilleur que le système actuel.

Au final, la vision d’une gestion plus orientée « secteur privé » a-t-elle eu un impact sur le recrutement statutaire ? Ou avez-vous constaté un glissement de l’emploi statutaire vers une augmentation des engagements contractuels ?

Vouloir contractualiser la fonction publique est une tendance assez lourde dans le monde politique, même chez une ministre GROEN !

Ces attaques contre le statut apparaissent surtout dans des secteurs où il y a une forme de pénurie, une difficulté à embaucher (par exemple, les agents pénitentiaires).

Le problème n’est pas le statut en tant que tel, c’est le manque d’attrait de certaines fonctions, tant sur le plan du contenu que financièrement.

La solution n’est pas de faire disparaître le statut.

Au contraire, la sélection statutaire est globalement plus objective et engendre un classement. Tandis que la sélection contractuelle est perçue comme plus rapide mais se révèle moins objective, plus opaque et in fine coûte plus cher à l’Eat, en particulier les intérimaires.

On parle de plus en plus d’équilibre vie privée - vie professionnelle ? Qu’en est-il pour les membres de la fonction publique fédérale administrative ?

Le grand changement en la matière est la crise Covid, qui a permis une augmentation du télétravail.

Dans la fonction publique, cela concerne les fonctions qui le permettent. Il y a eu des pas de géants organisationnels et dans les mentalités.

Le télétravail est-il bon ? Oui, dans la mesure où il permet une flexibilité d’organisation ; non, car il rend la limite entre vies professionnelle et privée ténue voire inexistante.

Le télétravail augmente aussi le temps de travail réel et induit un report des coûts vers l’agent, en termes de consommation d’énergie ou d’internet à la maison. Certes une indemnité de 50 € (20 € d’indemnité de télétravail + 30 € d’indemnité de bureau) a été accordée, mais cela est encore loin des plus de 160 € (20 € + 148,73 €) dans le secteur privé. Ces 50 € sont insuffisants. L’employeur public est donc en défaut à cet égard.

Nombre d’agents ont du mal à gérer ce déséquilibre potentiel entre vies professionnelle et privée qui provoque des burn-out, surtout chez les middle managers, qui ont vu leur charge de travail et leurs responsabilités augmenter, avec ou sans Copernic d’ailleurs.

Ces phénomènes sont couplés à la diminution du nombre de bâtiments – toujours en cours et principalement due à la nécessité de réduire les coûts et à la diminution du nombre d’agents – et du nombre de mètres carrés de bureaux, aux NOW (« New Way of Working »), au « desk-sharing », au « dynamic office », qui modifient considérablement les conditions de travail et les relations entre collègues.

Tout récemment, un nouveau cadre déontologique a été publié. Y avez-vous étés associés ?

Ce nouveau cadre est trop contraignant et manque de clarté. Nous n’avons pas marqué notre accord sur le projet.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre-Jean Delvoye, « Interview du SLFP »Pyramides, 37-38 | 2023, 127-136.

Référence électronique

Pierre-Jean Delvoye, « Interview du SLFP »Pyramides [En ligne], 37-38 | 2023, mis en ligne le 02 août 2023, consulté le 19 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/pyramides/2085

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Auteur

Pierre-Jean Delvoye

Directeur scientifique du CERAP et Rédacteur en chef de la revue Pyramides

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