Remerciements à F. Dupont, P. Foucault, N. Étheve, A. Perinot, F. Warnan, L. Zerrouki et C. Gagnaison de l’Institut polytechnique LaSalle Beauvais pour les analyses effectuées sur les sédiments de LRC IV, à H. Guillemot pour la préparation des figures 3 et suivantes, à F. Fellrath pour la traduction du résumé en anglais. Tous nos remerciements vont également aux deux relecteurs ainsi qu’à J. Jacob qui ont permis l’amélioration du manuscrit.
1Le site préhistorique de La Roche-Cotard (LRC) se trouve sur le versant de rive droite de la vallée de la Loire, juste en amont de la ville de Langeais, en Touraine (fig. 1). Il fut découvert en 1912, suite à l’extraction de matériaux qui en obstruaient l’entrée, pour la surélévation de la voie ferrée Tours-Angers en 1846. Il se compose de 4 locii, LRC I à IV, qui présentent tous un remplissage sédimentaire contenant de l’industrie lithique moustérienne et de la faune bien conservée. La grotte d’Achon, LRC I, constitue le locus initial et principal, qui a été presque complètement vidé dès sa découverte en 1912. La grotte possède sur ses parois des traces discrètes, appliquées, organisées, à caractère symbolique, d’origine humaine, découvertes en 1978 puis validées en 2008 par M. Lorblanchet, qui pouvaient alors être dues à l’Homme de Néandertal (Marquet et al., 2014).
2La disparition d’une grande partie des dépôts et de leur contenu archéologique dans LRC I a conduit à effectuer des fouilles dans des locii très proches (LRC II, LRC III et LRC IV) afin de compléter l’information existante avec trois objectifs principaux : (1) préciser l’extension et la géométrie de la zone occupée par les moustériens à l’extérieur de la grotte, (2) préciser le contexte paléoenvironnemental dans lequel les sociétés moustériennes ont évolué, (3) préciser à quel moment l’entrée de la grotte LRC I a été obstruée par les sédiments afin de savoir si les tracés digitaux sont imputables seulement à l’Homme de Néandertal ou si Homo sapiens aurait pu y accéder ultérieurement. À cet égard, le locus LRC IV présenté ici est le plus riche d’enseignement.
3Avec les sites de Roc-en-Pail à Chalonnes-sur-Loire (Gruet, 1969, 1976 ; Soriano, 2017), Les Champs-Penais à Abilly (Cordier & Berthouin, 1956) et l’abri des Roches à Abilly (Aubry et al., 2012, 2014), LRC fait partie des très rares sites du Paléolithique moyen, en grotte ou en abri, dans le sud-ouest du Bassin parisien. Pour d’autres éléments de comparaison, il faut se tourner vers le nord avec le site de Mont-Dol à Dol-de-Bretagne en Ille-et-Vilaine (Monnier et al., 1995), vers l’est avec les grottes du bison, de l’hyène et du renne à Arcy-sur-Cure dans l’Yonne (Leroy-Gourhan, 1961), vers le sud avec les sites poitevins de Fontmaure à Véllèches (Pradel, 1949) et les abris Rousseau et Sabourin à Angles‑sur‑l’Anglin (Pradel, 1965). Quant à des tracés digitaux qui seraient imputables à l’Homme de Néandertal, ils n’ont été mentionnés nulle part jusqu’à aujourd’hui et ont donc ici un caractère exceptionnel.
4L’intérêt principal du locus LRC IV est de présenter une série stratigraphique épaisse, non perturbée par les prélèvements anthropiques qui ont affecté le versant, bien qu’elle soit seulement à 17 m de la grotte d’Achon dont l’entrée a été atteinte par ces prélèvements. Cette série dispose maintenant de nombreuses datations absolues, 14C et OSL, qui permettent d’approcher la chronologie et les modalités de l’évolution du versant au Pléistocène supérieur, de dater la fermeture probable de la grotte d’Achon et ainsi de placer une limite d’âge pour la réalisation des tracés digitaux. De plus, cette série et les restes d’industrie ou de faune qu’elle renferme, bien que modestes, permettent de préciser l’évolution paléoenvironnementale au Pléistocène supérieur dans une région où les connaissances sur cette période sont très fragmentaires. En effet, la nature essentiellement siliceuse des archives sédimentaires fluviatiles et éoliennes du sud-ouest du Bassin parisien est peu favorable à la conservation de la faune et de la flore, et l’industrie lithique est souvent remaniée et dispersée dans les formations superficielles (Macaire, 1981, 1983 ; Marquet, 2011). La nouvelle coupe présentée ici apporte des données précises sur cette période, du SIM (stade isotopique marin) 6 au SIM 3, dans le val de Loire et contribue à la connaissance des sites du Paléolithique moyen du Bassin parisien (Koehler, 2011).
Fig. 1 : Localisation du site préhistorique de La Roche-Cotard.
5Le site préhistorique de LRC se trouve dans le sud-ouest du Bassin parisien à environ 25 km à l’ouest de Tours (fig. 1). Il s’ouvre dans le versant nord de la vallée de la Loire, à l’extrémité est du parc du château de LRC, au pied du viaduc de l’autoroute A85 et près du débouché de la vallée de la Roumer. Dans ce secteur, la vallée de la Loire est large de 3 km environ et son versant nord est façonné dans le tuffeau jaune de Touraine (fig. 2) du Turonien supérieur (C3c) et la Craie de Villedieu du Coniacien et du Santonien (C4-6V), coiffées par les formations argilo-siliceuses (« argiles à silex ») santoniennes à campaniennes (C4-6S) (Alcaydé & Rasplus, 1971, 1974). Les formations superficielles sont représentées par des alluvions récentes (tardiglaciaires et holocènes) largement représentées en fond de vallée, des placages résiduels de « limon des plateaux » (lœss plus ou moins remaniés) et des formations de versant complexes étudiées ci-après. Les niveaux d’alluvions fluviatiles anciennes sont rares dans ce tronçon de vallée : ils correspondent parfois à de petits placages remaniés et étagés sur le versant sud (Fx et Fy sur la figure 2). La grotte d’Achon, LRC I, s’ouvre dans le tuffeau jaune de Touraine et la craie de Villedieu, de bas en haut de l’affleurement. Ces roches calcaires sont par ailleurs armées de bancs de cherts discontinus. Elles n’affleurent pas naturellement mais sont recouvertes par diverses formations quaternaires qui ont fait l’objet de fouilles après la découverte de la grotte.
Fig. 2 : Contexte géologique du site préhistorique de LRC (d’après Alcaydé & Rasplus, 1971 et Rasplus & Alcaydé, 1974).
C3c : Tuffeau jaune de Touraine (Turonien supérieur) ; C4-6V : Craie de Villedieu (Coniacien-Turonien) ; C4-6B : Craie de Blois (Campanien) ; C4-6S : formations argilo-siliceuses (Coniacien à Campanien) ; eP : conglomérats siliceux (Éocène) ; Fx : alluvions quaternaires de « moyen niveau » (13-20 m) ; Fy : alluvions quaternaires de « bas niveau » (8 – 10 m) ; Fz : alluvions quaternaires de fond de vallée ; LP : « limons des plateaux » quaternaires.
6Le site se compose de quatre locii distants au maximum de 20 m le long du versant, fouillés depuis 1912 : LRC I, LRC II, LRC III et LRC IV (figs. 3 & 4). Le locus principal, la grotte d’Achon, n’a été pénétré qu’en 1912 et fouillé rapidement, presque entièrement. Une industrie moustérienne de tradition acheuléenne a été découverte sous un dépôt d’alluvions de la Loire dans lequel les hyènes des cavernes ont abandonné de nombreux restes de grands mammifères.
7Deux autres locii jouxtant la grotte ont été découverts et fouillés en 1975 et 1978. LRC II, en contre-bas de l’entrée de la grotte, présente une succession de strates en pied d’escarpement, sur deux mètres de hauteur. À la base, une couche contient, avec des éléments fauniques, une industrie lithique taillée (Moustérien typique à débitage Levallois) sur diverses matières premières régionales (Aubry, 1992) et un objet considéré comme possédant un caractère symbolique : le « masque » de La Roche-Cotard. LRC III, petit abri très bas situé immédiatement à l’est des deux précédents locii, contient quelques silex taillés moustériens et une très riche faune de vertébrés concentrés là par les hyènes. Ces trois locii ont été occupés par l’homme de Néandertal qui y a abandonné des éléments d’industrie moustérienne, des vestiges osseux et d’autres indices de ses activités (Marquet et al., 1997, 2014, 2016 ; Marquet 1979, 1990, 1997, 2011).
8Des fouilles ont été reprises en 2008 sur le locus LRC IV, à l’est immédiat de LRC III (fig. 3), dans une zone où le prélèvement de matériaux paraissait moins important d’après la morphologie du versant. Elles ont été menées en creusant une tranchée large d’1 m et longue de 6 m, perpendiculaire au versant dont la pente est proche de 45 degrés, recoupant les formations superficielles couvrant le substrat crétacé (fig. 4) entre les points de coordonnées (x = 506050, y = 6696141) au nord et (x = 506054, y = 6696127) au sud (coordonnées Lambert 93). La cavité mise au jour a été fouillée en partie, jusqu’à la base de la couche 16 (44 m NGF) ; c’est ensuite un sondage d’1 m de large et 1,50 m de longueur (fig. 4) qui a permis d’atteindre le substrat turonien, formé de chert sous la couche 22. La cavité est fermée de toutes parts, les formations superficielles recouvrant le coteau en masquant l’ouverture vers la vallée. Des fissures emplies d’argile ont cependant été observées, dans le sondage, sur certaines de ses parois. Au-dessus de cette cavité, l’escarpement calcaire formant surplomb, lui aussi masqué par les formations superficielles, n’a été vu lors des fouilles que sur 4 m de hauteur. Pour des raisons d’accessibilité, la stratigraphie a été levée selon deux coupes stratigraphiques orientées perpendiculairement l’une par rapport à l’autre mais ne présentant pas de hiatus entre elles (fig. 4) :
9- la coupe 1 dans la partie inférieure du comblement sédimentaire est orientée ouest-est perpendiculairement à la plus grande pente du versant (les coordonnées de ses deux extrémités sont : x = 506052,96, y = 6696133,42 pour l’extrémité est et x = 506053,82, y = 6696133,7 pour l’extrémité ouest) : elle correspond essentiellement aux sédiments comblant la cavité formée dans le substrat turonien ; elle a été levée depuis l’intérieur de la cavité en regardant vers le sud.
10- la coupe 2 de la partie supérieure du comblement sédimentaire est orientée nord-sud, dans le sens de la pente du versant (les coordonnées de ses deux extrémités sont, pour l’extrémité nord : x = 506052,36, y = 6696135,24 et x = 506053,81, y = 6696131,10 pour l’extrémité sud) : elle a été levée dans les sédiments couvrant le versant, visibles dans les parois de la tranchée.
11Les deux coupes montrent une série stratigraphique épaisse au maximum de 11 m, entre les cotes 42 m et 53 m NGF. Nous n’avons pas d’information sur la stratigraphie au-dessus de la cote 75 m NGF où la pente du versant est encore forte jusqu’à la cote 85 m, avant de décroître sur le plateau à 95 m NGF. Le versant semble néanmoins couvert de formations superficielles d’épaisseur inconnue.
12La comparaison entre la coupe du versant actuel au droit de LRC I et LRC II et celle du versant au droit de LRC IV montre que dans ce dernier locus, une partie des formations de versant n’a pas été touchée par l’exploitation de matériaux.
Fig. 3 : Situation des quatre locii du site de LRC.
Les surfaces fouillées sont quadrillées et en gris.
Fig. 4 : Schéma géologique de trois des quatre locii du site de LRC sur deux coupes géologiques générales.
L’échelle n’est pas la même sur les deux axes. Les parties en gros pointillés correspondent aux matériaux qui ont été enlevés en 1846. Le schéma en 3D donne un aperçu de l’organisation géométrique de la fouille de LRC IV.
13La tranchée de LRC IV et la fouille du remplissage de la cavité ont été réalisées manuellement. A l’extrémité de la tranchée de fouille « à ciel ouvert » qui mesure 6 m de longueur et dont la profondeur atteint 7 m au contact de l’escarpement, le substrat présente une petite cavité de 5 m de long, 2,5 m de large et 3,5 m de haut, dont le plancher se trouve à 42,2 m NGF alors que la base de la tranchée est à 45 m NGF (fig. 4). Les couches recoupées ont donné lieu à une étude pluridisciplinaire associant la sédimentologie, la micromorphologie des sols, les datations absolues, l’analyse de l’industrie lithique et de la faune de petits et grands vertébrés. Les analyses palynologiques ayant donné peu de résultats, elles ne sont pas présentées ici.
14La stratigraphie a été relevée, les sédiments de chaque couche ont été observés et décrits macroscopiquement et les objets lithiques et fauniques de plus de 3 cm de longueur ont été systématiquement repérés en trois dimensions pour être traités dans un Système d’Information Géographique, avec le logiciel Qgis (version 3.4.1). Des échantillons (volumes géoréférencés de 50 x 50 x 5 cm) des sédiments situés dans la cavité ont été systématiquement tamisés à l’eau (mailles de 1 mm) pour collecter les restes fauniques de petites dimensions mais également les esquilles de silex issues des ravivages des outils. Les formations de versant à éléments grossiers, du silex principalement, n’ont fait l’objet que de tamisages limités du fait de leur masse importante et de leur extrême pauvreté en vestiges.
15Des analyses sédimentologiques ont été réalisées (Ajas, 2011) :
16- granulométrie (sur la plupart des couches 1 à 19) : un tamisage à l’eau sur un tamis de 2 mm a été effectué pour séparer les graviers du reste du sédiment. 50 g de la fraction inférieure à 2 mm, récupérée au lavage, a été traitée à l’eau oxygénée puis séchée. Ce sédiment sec a été tamisé sur une colonne de 3 tamis (1 mm, 0,5 mm et 0,16 mm). La fraction la plus fine, inférieure à 0,16 mm, a été analysée avec un granulomètre Malvern (Laboratoire PACEA Transfert, Université de Bordeaux). Les fractions de sable grossier (SG : 2 mm - 0,5 mm), de sable moyen (SM : 0,5 mm - 0,16 mm), de sable fin (SF : 0,16 mm - 0,063 mm), de limon (L : 0,063 mm – 0,002 mm) et d’argile (A : < 0,002 mm) ont ainsi été déterminées ;
17- minéralogie des argiles des couches 8 à 22 : elle a été déterminée sur la fraction inférieure à 40 µm des sédiments, broyée et orientée sur lame, par diffraction aux rayons X (diffractomètre PANalytical X’pert MDP, cathode Cu ; Institut polytechnique LaSalle de Beauvais). Les diagrammes de diffraction ont été traités à l’aide du logiciel XRD-EVA. Des minéraux argileux et d’autres minéraux, comme le quartz présent dans la fraction limoneuse, ont ainsi pu être identifiés ;
18- observation des grains de la fraction sableuse des sédiments (couches 8 à 19) à la loupe binoculaire. L’indice d’arrondi des grains de sable moyen a été évalué sur plusieurs échantillons à partir d’une charte : valeur 0 = grain anguleux ; valeur 1 = grain sphérique ;
19- micromorphologie des couches 17 et 18 sur des lames préparées par le laboratoire PACEA de l’Université de Bordeaux.
20Des datations ont également été réalisées, au nombre de 24. Six l’ont été par radiocarbone (AMS) sur du matériel osseux, au Centre de Datation par le Radiocarbone de l’Université Claude Bernard Lyon I et 18 ont fait l’objet d’une datation par la méthode OSL. Les résultats et les précisions méthodologiques (objets datés, un seul grain ou non, laboratoires) sont rassemblés dans le tableau 1. Sur les 18 datations OSL, trois ont été prises en charge par l’Institut de Géophysique de Budapest (MFGI Magyar Földtani és Geofizikai Intézet), les 15 autres par The Nordic Laboratory for Luminescence Dating (Aarhus University) et Denmark Technical University (DTU, Denmark). Les échantillons de sédiments datés par la méthode OSL ont été prélevés dans la coupe 1 située à l’aplomb de l’entrée de la cavité et dans la coupe 2 en avant de l’escarpement. Ces deux coupes initialement enfouies ont été ouvertes à l’occasion des fouilles, leurs sédiments ont donc été blanchis avant ou au moment de leur mise en place. La datation a porté soit sur un seul grain (SG à Aarhus), soit sur un ensemble de grains (MG à Budapest et DTU Aarhus). Le prélèvement des échantillons a été effectué sans que ceux-ci soient soumis à la lumière, selon les étapes suivantes : (1) ravivage de la surface verticale où est effectué le prélèvement, (2) enfoncement d’un tube métallique dans la paroi, l’extrémité externe du tube étant fermée à l’aide d’un bouchon en plastique noir, (3) le tube enfoncé est retiré et son extrémité également fermée immédiatement à l’aide d’un bouchon en plastique noir. La méthode de datation utilisée par ces deux laboratoires est la même, elle a été réalisée à partir de grains de quartz provenant de la fraction comprise entre 180 et 250 µm de diamètre. Les échantillons ont été préparés dans des conditions d’éclairage restreint, avec une lumière orange-rouge. La matière organique a été éliminée par un traitement à l’H2O2 (20 %) et les carbonates dissous par un traitement à l’HCl (10 %). La surface des grains a été nettoyée en utilisant de l’HF (10 %) pendant 40 minutes. Ensuite, les quartz et feldspaths ont été séparés au moyen d’une liqueur dense (fastfloat®, densité : 2.58 g.cm-3). La fraction enrichie en quartz a été traitée avec de l’HF à 40 % afin d’éliminer l’enveloppe externe des grains (~10 µm) irradiée par les rayonnements alpha, puis rincée avec de l’HCl (10 %). Enfin, les grains ont été disposés à l’aide de silicone sous la forme de mono-couches de 8 mm de diamètre sur des disques en acier inoxydable.
21Les mesures OSL ont été effectuées à l’aide de lecteurs Risø TL/OSL DA-OSL-20, en utilisant une stimulation par de la lumière bleue (λ=470 nm, ~80 mW.cm-2) et une détection à travers un filtre de verre Schott U-340 (7.5 mm). Les irradiations beta ont été réalisées à l’aide d’une source 90Sr/90Y intégrée au lecteur. Un protocole SAR (pour Single Aliquot Regenerative) a permis d’estimer les doses équivalentes, en utilisant des stimulations optiques pendant 40 secondes à 125°C, ainsi qu’une stimulation pendant 40 secondes à 280°C à la fin de chaque cycle (Wintle & Murray, 2006). Les extraits de quartz ont fourni d’intenses signaux lumineux caractérisés par une décroissance rapide. L’analyse des données a été effectuée avec le logiciel Analyst, version 4.31.9 (Duller, 2016) ; le bruit de fond a été déterminé à partir du signal émis directement à la suite de la composante rapide utilisée pour dater (‘early background substraction’). Les courbes de croissance de l’intensité OSL en fonction de la dose ont été ajustées par de simples exponentielles saturantes. Les tests de stimulation en infra-rouge nous ont permis de vérifier que le quartz n’était pas contaminé par des feldspaths. À partir des résultats de tests de plateau et de transfert thermique (données non montrées ici), une préchauffe à 260°C pendant 10 secondes a été choisie avant la lecture des signaux naturels et régénérés ; une préchauffe à 220°C, stoppée immédiatement, a été choisie avant la lecture des signaux de dose test. Le transfert thermique s’est avéré négligeable (<1 % de la dose naturelle). Le rapport moyen obtenu lors de tests dits de ‘recovery’ est de 0.982 ± 0.005 (n=9), indiquant ainsi que le protocole SAR choisi est adapté aux échantillons mesurés. Les concentrations en K, U et Th du sédiment ont été déterminées par des mesures de spectrométrie gamma à haute résolution. Les débits de dose ont été calculés en suivant les approches de Murray et al. (1987, 2018) et Adamiec & Aitken (1996). Le taux d’humidité des sédiments durant l’enfouissement a été estimé à partir des valeurs mesurées directement après le prélèvement. Le calcul des débits de doses cosmiques est basé sur Prescott & Stephan (1982) et Prescott & Hutton (1994).
22Les études fauniques ont été effectuées par G. Bayle pour les grands et moyens mammifères, par J.-C. Marquet pour les rongeurs, par J.-B. Peyrouse pour les oiseaux, les amphibiens et les reptiles et par É. Guillaud pour les poissons. L’industrie lithique a été étudiée par T. Aubry.
Tab. 1 : Datations radiocarbone et OSL.
23La coupe 1 (fig. 5a,b) correspond au remplissage de la cavité (couche 22 à 7d). La série repose sur le substrat rocheux constitué par une masse de chert un peu carbonaté comprise dans le tuffeau jaune. Les couches inférieures (22 à 17) comblent une partie étroite de la cavité. Les couches supérieures (16 à 7d) sont plus étalées dans la cavité élargie. La série comprend, de bas en haut :
24- couche 22 (80 cm d’épaisseur) : limono-argileuse, enrichie en sable fin vers la base. Elle est de couleur brun foncé (7,5 YR 4/6) et comprise entre deux parois de tuffeau ;
25- couche 21 (70 à 80 cm) : elle est séparée de la couche sous-jacente par un vide dû à un soutirage entre les deux parois rapprochées de tuffeau. Elle est compacte, également à dominante limono-argileuse, brun sombre jaunâtre (10 YR 3/6). Elle se débite en partie en petits agrégats centimétriques. Sa partie supérieure, oblique, est soulignée par un lit plus rougeâtre ;
26- couche 20 (quelques mm) : très fine, elle est constituée de limon argileux plastique brun olive clair (2,5 YR 5/4) à passées plus sableuses, rougeâtres et rares fragments de tuffeau altéré. Elle rebrousse fortement vers l’ouest et légèrement vers l’est en s’appuyant sur le substrat calcaire ;
27- couche 19 (20 à 30 cm) : adossée au substrat à l’ouest, elle est limono-sableuse avec une alternance de lits brun jaunâtre (10 YR 5/4) et de lits gris olive (5 Y 5/2). Un lit, plus sableux, contient quelques petits cailloux ;
28- couche 18 (0 à 10 cm) : elle est hétérométrique et présente une matrice de sable faiblement limoneux, de teinte brun sombre (10 YR 3/3), emballant des grains grossiers à très grossiers de calcaire silicifié anguleux à sub-anguleux, observés en micromorphologie. Elle contient également des graviers et galets calcaires (1 à 10 cm) et de petits polyèdres du matériau issu de la couche sus-jacente, en partie supérieure ;
29- couche 17 (1 à 10 cm) : elle est mince, brun grisâtre très sombre (10 YR 3/2). Son épaisseur varie de moins d’un centimètre à une dizaine. L’analyse micromorphologique permet d’observer l’accumulation de très fines lamines de sables fins à très fins (fig. 7). Sa granularité est très proche de celle de la couche 18 (sables faiblement limoneux) ;
30- couche 16 (20 cm) : elle est brun-jaunâtre (10 YR 5/4) et se compose d’une matrice très limoneuse à grains calcaires et quartzeux grossiers. Elle renferme des graviers et galets de calcaire aplatis qui soulignent la stratification en lits de faible épaisseur ;
31- couche 15 (20 cm) : brun jaunâtre foncé (10 YR 4/4), elle est plus sableuse que la précédente. Cette couche et la 16 contiennent des éclats de silex taillé, des restes fauniques portant des traces de chauffe ou de découpe et de très nombreux restes de petits vertébrés ;
32- couche 14 (15 cm en moyenne mais très variable) : jaune brunâtre (10 YR 6/6), constituée d’un sable calcaire grossier chargé de débris de coquilles marines, elle est très homogène et provient d’une décomposition mécanique du tuffeau. Relativement aux couches 13 et 15, elle est tantôt entre elles, tantôt injectée en elles ;
33- couche 13 (15 cm) : brun jaunâtre sombre (10 YR 4/6), ses différentes sous-couches (a, b et c) sont composées de lits limono-sableux bien triés, pauvres en graviers et dépourvus de galets. Les sables moyens dominent les sables fins et grossiers. Elle est la plus riche en indices anthropiques.
34- couche 12 : elle est formée par l’alternance de lits de sables fins ou plus grossiers horizontaux ou subhorizontaux, elle a été subdivisée en sous-couches 12e à 12a. La sous-couche 12e (20 cm) est brun jaunâtre (10 YR 5/6), très limoneuse, nettement litée, et la plus chargée en éléments grossiers dans la couche 12 : graviers centimétriques et latéralement (plus au nord), cailloux et petits blocs. La sous-couche 12d est sablo-limoneuse, brun jaunâtre sombre (10 YR 4/4) légèrement litée à éléments grossiers. La sous-couche 12c est brun jaunâtre (10 YR 5/4) à lamines plus sombres très riches en mica. La 12b est constituée de sable fin limoneux très homogène, jaune brunâtre (10 YR 6/6). La sous-couche 12a, sommitale, est formée de sable très fin et de limon brun jaunâtre sombre (10 YR 4/6) ;
35- couche 11 (20 cm d’épaisseur) : elle comprend des lits alternants clairs sablo-limoneux et brun jaune foncé (10 YR 4/6) un peu plus limoneux. Elle contient de nombreuses plaquettes siliceuses vertes, émoussées, issues du Coniacien et dont le diamètre peut dépasser dix centimètres. Cette couche, comme les plaquettes, apparemment subhorizontale sur la fig. 5a, est légèrement inclinée (10 à 15°) vers le sud-sud-ouest ;
36- couche 10 (10 cm) : elle est très peu argileuse, formée surtout de sable assez hétérométrique et de limon ; elle est litée selon une alternance de lits de sédiments plus fins et plus grossiers, bruns (7,5 YR 4/4) à brun jaune foncé (10 YR 4/6) et légèrement inclinée vers le sud ;
37- couche 9 (20 cm) : son aspect et sa composition sont très proches de ceux de la couche 10. Elle comprend plusieurs lits inclinés également vers le sud-sud-ouest. Le lit supérieur est jaune brunâtre (10 YR 6/6) et contient de très nombreuses plaquettes brun jaunâtre (10 YR 6/8) issues de la gélifraction de la craie coniacienne. Le lit moyen est plus sableux et dépourvu de plaquettes de gel. Le lit inférieur est sableux, brun jaune (10 YR 5/6), également dépourvu de plaquettes de gel, mais contient des fragments centimétriques de craie concentrés dans les niveaux bruns ;
38- couche 8 (35 cm) : elle comprend plusieurs lits inclinés comme la couche 9, plus ou moins riches en plaquettes de couleur olive pâle (5 YR 6/4). La partie inférieure brune (10 YR 5/6) est équilibrée en sables (surtout fins et moyens) et limons, à petits éléments de craie, tandis que la partie supérieure est encore composée d’une alternance de lits sableux et de lits un peu plus limoneux moins riches en plaquettes de gel que la base de la couche ;
39- couche 7 : elle est caractérisée par plusieurs sous-couches à éléments hétérométriques fortement inclinés vers le sud. La matrice est essentiellement formée de limons et d’un peu d’argile. La sous-couche 7d a la même composition que la sous-couche 7c qui la prolonge et qui constitue la partie inférieure de la coupe 2.
Fig. 5 : Coupe 1, sous l’abri.
(A) Les carrés situent les échantillons ayant fait l’objet d’analyses sédimentologiques, les étoiles situent les échantillons de sédiments datés par la méthode OSL et le rectangle rouge situe la lame de micromorphologie. (B) Photographie de la coupe 1. Photographie : J.-C. Marquet.
Fig. 6 : Coupe 2, devant l’escarpement.
Les carrés situent les échantillons ayant fait l’objet d’analyses sédimentologiques, les étoiles les échantillons de sédiments datés par la méthode OSL.
Fig. 7 : Microphotographie des couches 18 et 17.
Les grains grossiers en bas à gauche appartiennent à la couche 18. La couche 17 se trouve au-dessus. Photographie : M. Liard.
40La coupe 2 (fig. 6) montre les formations qui couvrent le versant au-dessus de la cavité.
41- couche 7 suite : La sous-couche 7c (60 cm) comprend des lits limoneux dont la composition est proche de celle de la couche terminale de la coupe 1. Elle est brun jaune (10 YR 5/6) contenant des plaquettes jaune olive (5 YR 6/6), des fragments de silex gélifractés, des graviers de quartz roulés et un lit intermédiaire induré. La sous-couche 7b (10 cm) est un cailloutis. La sous-couche 7a (80 cm) a des limites diffuses et n’a pas de structure organisée. Elle comprend une fraction grossière importante composée de silex anguleux, moins abondants vers le haut. Ces éléments sont pris dans une matrice limoneuse brun-jaunâtre clair (2,5 YR 6/4) mais un peu plus riche en argile que le reste de la couche 7 ;
42- couche 6 (30 cm) : c’est un niveau de blocs calcaires plus ou moins gros présentant la même inclinaison que la pente topographique ;
43- couches 5 (100 cm) et 4 (30 cm d’épaisseur, très variable) et 3 (80 cm) : elles sont très hétérométriques et constituées d’une matrice sablo-limoneuse riche en sable fin et grossier brun jaunâtre (10 YR 5/4) à fraction grossière importante (éléments de taille centimétrique le plus souvent). La couche 4 comprend des blocs calcaires et la couche 3 des fragments de tuffeau, de silex et de divers cailloux émoussés ;
44- couche 2 (150 cm) : elle est constituée d’une matrice très sableuse brun jaunâtre (10 YR 5/6), riche en éléments grossiers (fragments de calcaire et silex émoussés) ;
45- couche 1 (20 cm) : elle est composée d’un sédiment sableux brun grisâtre très sombre (2,5 YR 3/2), riche en matière organique, formant le sol brun actuel.
46Les résultats des analyses granulométriques sont représentés dans deux diagrammes ternaires : l’un concernant les teneurs relatives en argile (A : < 0,002 mm), limon (L : 0,063 mm – 0,002 mm) et sable (S : 2 mm - 0,063 mm) (fig. 8) et l’autre en sable fin (SF : 0,16 mm - 0,063 mm), sable moyen (SM : 0,5 mm - 0,16 mm) et sable grossier (SG : 2 mm - 0,5 mm) (fig. 9). Les numéros d’échantillons sont ceux des couches correspondantes. Les indices d’arrondi sont indiqués entre parenthèses sur la figure 9.
47Le diagramme A-L-S (fig. 8) montre que la fraction inférieure à 2 µm de tous les sédiments a une teneur en argile faible, inférieure à 10 % excepté dans les échantillons 7d et surtout 7a. Les compositions se répartissent le long de la droite L - S. Les échantillons les plus sableux (domaine A) se trouvent plutôt dans les couches de la moitié supérieure de la série (11, 10, 9, 5, 3, 2 et 1) excepté pour les couches 17 et 18. Le limon domine dans les échantillons des autres couches surtout situées dans la partie inférieure de la série (domaine B). Le diagramme SG - SM - SF (fig. 9) montre que les fractions sableuses des sédiments de la partie supérieure de la série (couches 11 à 1) sont principalement constituées d’un mélange de SM et SF, avec parfois dominance de SF (échantillons 7d et 7a, domaine C). Les sédiments de la partie inférieure (19 et 18) ont le même caractère mais sont moins dispersés (il n’y a cependant que deux échantillons). En revanche, les sables de la partie moyenne de la coupe, dans les couches 17 à 12, présentent une plus forte hétérogénéité, avec notamment une teneur en sable grossier parfois conséquente (domaine D). Dans les couches 13 à 7, l’observation des grains de SM à la loupe binoculaire a montré un fort indice d’arrondi : 0,7 à 0,9 (fig. 8).
48Presque tous les spectres de minéraux argileux des échantillons 19 à 8 prélevés dans la coupe 1 (fig. 10) sont dominés par les smectites. Seuls les échantillons 12a et 10a font exception. Puis viennent généralement par ordre d’abondance relative, la kaolinite, la vermiculite et l’illite. La glauconite est également souvent présente. La tendance évolutive des abondances est discrète au sein de la séquence. Il semble que la glauconite et la kaolinite (parfois la vermiculite) soient mieux représentées en partie supérieure de la coupe 1, qu’en partie inférieure.
Fig. 8 : Diagramme granulométrique triangulaire Argile-Limon-Sable.
Les numéros des échantillons sont ceux des couches correspondantes. Les figurés renvoient aux phases discutées dans le paragraphe interprétation.
Fig. 9 : Diagramme granulométrique ternaire Sable Grossier-Sable Moyen-Sable Fin.
Légende, voir fig. 8. Les nombres entre parenthèses donnent l’indice d’arrondi. Les numéros des échantillons sont ceux des couches correspondantes. Les figurés renvoient aux phases discutées dans le paragraphe interprétation.
Fig. 10 : Spectre des minéraux argileux.
49Les échantillons datés sont localisés sur les coupes des figures 5a et 6c et les résultats sont rassemblés dans le tableau 1. Les datations 14C ont donné un âge supérieur à 40 - 45 ka cal BP à l’exception de celle obtenue sur un os de la couche 5, très en avant de l’escarpement rocheux, dans la colonne Q10 (fig. 6c) : 32,6 à 31,1 ka cal BP (Lyon 9087 SacA 28354). Les 18 dates OSL s’échelonnent entre 169 ± 11 ka (couche 22) et 66 ± 6 ka (couche 7d) pour la coupe 1 dans la cavité, puis entre 66 ± 6 ka (couche 7d) et 25 ± 2 ka (couche 2) pour la coupe 2 dans les formations couvrant le substratum dans l’escarpement.
50Les fouilles réalisées dans le locus LRC IV depuis 2008 ont permis de collecter 348 restes osseux de grands mammifères provenant de différentes couches. La plus grande partie a été néanmoins exhumée des couches 13, 15 et 16 (tab. 2). Dans l’ensemble, ce matériel est très fragmenté et il est également altéré par des phénomènes de percolation (surface imprégnée de manganèse, quelques cas de concrétions et de dissolution). Certains ossements présentent des bords émoussés par l’action de l’eau, notamment dans la couche 15. Les traces de radicelles sont très réduites (un seul cas observé dans la couche 16), tout comme celles des carnivores (un reste indéterminé dans la couche 16), malgré la fréquentation du site par plusieurs individus. La présence d’indices de percussion sur des os longs (retouchoirs), de stries de découpe et de quelques restes brûlés indique une intervention anthropique sur une partie de ce matériel. Cette importante fragmentation et ces altérations ont limité la détermination taxonomique des restes (11 % des restes).
51Les couches 17 et 18 ont livré peu de restes. Parmi ces restes, une jugale inférieure provient d’un boviné jeune ou jeune adulte (couche 18) et un reste indéterminé est altéré par une combustion (reste partiellement noirci en couche 17b).
52Les couches 15 et 16 ont livré plusieurs restes osseux. Ces restes proviennent d’au moins deux équidés, Equus sp., un très jeune et un adulte (deux dents dans la couche 15), deux bovinés, Bos/Bison, un jeune et un jeune adulte (quatre dents de la couche 15 et deux dents de la couche 16), un petit bovidé (une dent supérieure dans la couche 15), un cerf élaphe, Cervus elaphus, jeune adulte (une dent provenant de la couche 15, une partie distale d’une phalange intermédiaire et un fragment de diaphyse d’un os métatarsien de la couche 16), un renne, Rangifer tarandus, adulte (une partie proximale d’un fémur de la couche 16), une jeune hyène des cavernes, Crocuta crocuta spelaea (une diaphyse presque complète provenant de la couche 15), un loup adulte (deux incisives supérieures des couches 15 et 16a), un renard, Vulpes/Alopex, adulte (deux restes d’une probable même ulna gauche et deux phalanges dans la couche 15) et un putois adulte, Mustela putorius (trois restes dentaires provenant de la couche 16). Les indéterminés se composent principalement de restes d’os long et de dents. Plusieurs restes portent des stigmates d’actions anthropiques : huit restes brûlés (colorations noire, grise à gris/blanc) dont sept en couche 15 et un en couche 16 (fig. 11) ; six restes présentent des stries de découpe, notamment sur le fémur de renne (couche 16) et sur une phalange intermédiaire de cerf élaphe dans la couche 16 (fig. 12). Dans cette même couche 16, un fragment de métatarse de cerf élaphe présente, en outre, une double, voire triple, zone piquetée caractéristique des retouchoirs moustériens (fig. 13).
53Une grande partie des restes osseux de grands mammifères provient également de la couche 13 (regroupant 13a à 13e). Quelques taxons ont pu être déterminés dans ces contextes : deux équidés, un très jeune individu et un adulte (respectivement une incisive lactéale et un fragment de diaphyse de tibia dans les sous-couches 13a et 13b) ; un cerf élaphe jeune adulte (une incisive inférieure dans la sous-couche 13d) ; un loup adulte (une incisive supérieure dans la sous-couche 13d) et du renard (un os pisiforme et une phalange intermédiaire dans la sous-couche 13d). Parmi les restes indéterminés, 17 restes proviennent de grands herbivores (principalement des fragments de dents et des diaphyses d’os longs), trois restes de mammifères de taille moyenne, trois fragments de diaphyse de petit mammifère et 63 sont restés indéterminés. Dans cette couche 13, quatre restes portent des traces de découpe : une diaphyse de tibia d’équidé, une diaphyse de grand herbivore (couche 13), une côte (13c) et deux restes indéterminés en 13d dont un carbonisé.
54Dans l’ensemble des couches 9 à 11, c’est une partie distale d’un métacarpe non épiphysé d’un cervidé (Cervidae) qui a été collectée. Les couches 7 à 11 ont livré très peu de restes de grands mammifères : une vertèbre lombaire presque complète d’un renard commun adulte, Vulpes vulpes, a été exhumée de la couche 7. Sa patine et son état de conservation se distinguent nettement des autres restes, suggérant un élément plus récent remanié.
55Les trois couches les plus riches en restes fauniques (couches 13, 15 et 16) livrent des indices, très comparables, d’une ou de plusieurs fréquentation(s) de groupe(s) humain(s) dans la cavité ou ses abords, mais aussi de carnivores (hyène, loup, renard commun et putois). Il se peut que ces indices d’activités anthropiques, dispersés stratigraphiquement, témoignent d’une seule et même fréquentation, dont la principale concentration est conservée dans la couche 15. Cette éventuelle dispersion stratigraphique a pu se produire soit par des glissements d’une couche d’occupation démantelée, en dehors de la cavité soit par des perturbations du niveau d’occupation, après ou plutôt pendant la formation de la séquence (terriers anciens possibles). Ainsi, en regroupant les données des couches 13 à 16, un équidé adulte, un cerf élaphe jeune adulte et un renne adulte ont été au moins exploités. Il est possible que les autres animaux représentés dans ces couches (un très jeune équidé, deux bovinés et un petit bovidé) aient aussi été exploités mais aucun indice ne permet de l’attester.
56En excluant les dents isolées, la plus grande partie des restes est constituée de fragments. Seulement quatre éléments de renard sont intacts (trois phalanges et un os pisiforme). Cette fragmentation est intense car 87 % d’entre eux ont moins de 4 cm de longueur et plus de la moitié ont moins de 2 cm (tab. 3 & fig. 14). D’autre part, 96 % de ces restes n’ont pas leur circonférence complète. Sur les 40 fragments d’os longs observés, 35 correspondent à des parties de diaphyse dont la circonférence n’est pas complète, souvent un quart seulement est représenté. Cette fragmentation des restes post-crâniens concerne principalement ceux des grands herbivores. Les quelques restes de carnivores, composés pour une grande partie de dents isolées, d’os des extrémités des membres et de quelques os longs, sont moins affectés. Aucun de ces restes de carnivore ne présente de trace de découpe. Leur présence dans cette cavité peut avoir une origine naturelle, correspondant à une fréquentation ponctuelle ou à des fréquentations plus importantes à proximité du site (dislocation et dispersion de squelettes de quelques individus).
Tab. 2 : Répartition des restes osseux de grands mammifères.
NRT = Nombre de restes total; Rem=Remanié.
Tab. 3 : Grands mammifères. Répartition des restes par taille.
NR = Nombre de restes. Rem=Remanié.
Fig. 14 : Grands mammifères. Répartition des restes par taille.
57LRC IV est le locus du site qui a donné le plus grand nombre de restes provenant d’au moins 851 individus (NMI), la couche 15 en ayant livré près de la moitié. Le campagnol des champs (Microtus arvalis) est l’espèce la mieux représentée. C’est donc à partir de cortèges d’importance extrêmement variable que nous proposerons des hypothèses de reconstructions paléoclimatiques et paléoenvironnementales (tab. 4 & fig. 15).
58Les couches 18 et 17 ont donné très peu de restes, seize au total. Si le campagnol terrestre (Arvicola terrestris) est connu lors d’épisodes de climat froid, il est aussi présent dans ceux de climat tempéré et cela semble bien être le cas ici car le campagnol des champs qui l’accompagne domine dans ces deux couches. Ils indiquent un épisode tempéré mais assez sec.
59Les cortèges des couches 16 et 15 sont identiques, il y a seulement des variations dans les proportions des espèces. La dominance du campagnol des champs et du campagnol terrestre (avec un total de 80 % du NMI), comme dans les deux couches précédentes permet de considérer sauf lacune de sédimentation non perceptible sur le terrain, une continuité de l’épisode tempéré cité plus haut. Cependant, le campagnol des hauteurs (M. gregalis) pourrait montrer une plus grande aridité et fraîcheur, tandis que le campagnol nordique (M. œconomus), tout en confirmant une certaine fraîcheur, montre plutôt une certaine humidité confirmée par le campagnol agreste (M. agrestis). Ces deux derniers taxons laissent augurer d’une hygrométrie importante et la proximité de zones plus humides, sans doute dans le fond de la vallée, alors que le campagnol des hauteurs resterait cantonné sur les plateaux plus froids. La présence du castor (Castor fiber) que l’on va retrouver dans les strates suivantes reste cependant anecdotique, comme celle du campagnol des neiges (M. nivalis) qui a pu profiter de quelque pierrier à un moment où l’escarpement de tuffeau n’était pas occulté par les formations de versant.
60Les sous-couches (a, b, c et d) de la couche 13 ont donné sensiblement le même spectre de fréquence que celui des couches 15 et 16 : prédominance du campagnol des champs, présence du campagnol nordique, du campagnol agreste et du mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus, à la base de la couche seulement), qui donnent une note d’humidité (proximité de zones humides riches en herbes et arbustes de tailles diverses), avec le castor encore présent.
61La base de la couche 12 n’a donné les restes que de quatre individus attribués au campagnol des champs et au campagnol terrestre sans signification écologique précise.
62La couche 9 est la dernière de la séquence qui a donné des restes de petits vertébrés. Le cortège est très limité avec les restes de trois individus : lemming à collier (Dicrostonyx torquatus) et un reste de campagnol des hauteurs. Bien que réduit, ce cortège est évidemment d’un intérêt primordial pour le site car ces deux espèces sont pratiquement absentes des couches sous-jacentes, notamment le lemming. Ces deux espèces semblent signer l’arrivée d’un froid glaciaire.
Tab. 4 : Répartition des restes de rongeurs.
NMI = Nombre minimum d’individus.
Fig. 15 : Spectre des restes de rongeurs
63Les couches archéologiques 13 à 16 de LRC IV ont livré 70 vestiges osseux d’oiseaux, généralement très fragmentés, parfois érodés, les os les mieux conservés étant souvent de petits éléments anatomiques peu caractéristiques (vertèbres, phalanges, os carpiens…). Finalement, seule une quinzaine de restes est attribuable à une espèce ou un genre précis. Aucune trace anthropique n’est décelable sur les restes aviaires dont l’accumulation peut résulter d’un apport par d’autres prédateurs que l’homme (rapaces ou carnivores) voire de phénomènes accidentels (tab. 5).
64La perdrix grise (Perdix perdix) est l’oiseau le mieux représenté (huit restes attribués appartenant à au moins trois individus). Ce petit phasianidé vit principalement dans des environnements ouverts (steppes, landes herbeuses, prairies…) et est absent des forêts denses et des zones humides. Il occupe des milieux tempérés au climat doux et frais. Des os de cet oiseau ont aussi été retrouvés dans la couche XIII de LRC III.
65Les rapaces sont représentés par les restes d’une probable buse (cf. Buteo sp.), d’un accipitridé indéterminé plus petit (de la taille d’un épervier) et du faucon crécerelle (Falco tinnunculus). Le faucon crécerelle est un petit rapace diurne de milieux ouverts assez peu boisés avec de vastes espaces de végétation rase ou peu élevée lui permettant de chasser. Il n’a pas d’exigence climatique particulière. Cet oiseau niche souvent sur des parois rocheuses ou à l’entrée de cavités naturelles, mais pas à l’intérieur. Le vanneau huppé (Vanellus vanellus) est le seul limicole identifié avec certitude à LRC IV, bien que des fragments osseux indiquent la présence d’au moins deux autres espèces de charadriiformes. Le vanneau huppé est un oiseau de prairies humides à végétation rase et de berges vaseuses de marais, lacs et étangs. Il vit principalement en milieu tempéré. Il est présent dans les régions boréales, mais il migre en hiver pour des régions à climat plus doux. Un canard de petite taille (anatidé indéterminé) et un héron (ardéidé indéterminé) enrichissent ce modeste cortège d’oiseaux de bord d’eau. Les restes de passériformes sont nombreux, mais trop peu caractéristiques pour permettre une attribution spécifique certaine. On peut noter la présence d’un étourneau (Sturnus sp.), d’au moins deux turdidés dont une probable grive musicienne ou mauvis (cf. Turdus philomelos / iliacus), d’un fringillidé ou d’un passéridé.
66Les amphibiens et les reptiles sont représentés dans les couches 13 à 17 par un minimum de 47 individus de six taxons différents : le pélobate brun (Pelobates fuscus), le pélodyte ponctué (Pelodytes punctatus), le crapaud calamite (Epidalea calamita), la grenouille rousse (Rana temporaria), un lézard de petite taille (lacertidé indéterminé) et une vipère (Vipera sp.). L’association de tous ces taxons ne se trouve que dans la couche 15, le pélodyte ponctué étant notamment absent de toutes les autres couches. Les quatre amphibiens sont essentiellement terrestres : ils ne retournent dans des plans d’eau que lors de la saison de reproduction. Le pélobate brun fréquente les terrains meubles et sableux dans des milieux plats et ouverts. C’est le seul amphibien du site dont l’aire globale de répartition actuelle est éloignée de la Touraine : à l’exception d’une petite population circonscrite au Bas-Berry, on ne le trouve plus, en France, qu’à l’extrême nord-est. Le pélodyte ponctué vit dans les plaines, les bois clairs et les buissons. Il est présent aujourd’hui seulement en France, en Espagne et au nord-ouest de l’Italie, alors que l’aire de répartition des autres amphibiens de LRC s’étend jusqu’au nord-est de l’Europe. Le crapaud calamite fréquente les milieux ouverts et sablonneux, de la péninsule ibérique aux pays baltes. La proximité des varennes de la Loire explique sans doute sa présence relativement importante à LRC. La grenouille rousse peut vivre dans un grand nombre d’habitats ménageant ombre et humidité. Très résistante au froid, elle est, au cours du Pléistocène supérieur, l’amphibien le mieux représenté en France (Bailon, 1991).
67Les couches 13 à 17 de LRC IV n’ont livré que des oiseaux, des amphibiens et des reptiles de climat globalement tempéré. Aucune espèce n’est révélatrice d’un changement climatique conséquent entre ces couches.
Tab. 5 : Répartition des restes d’oiseaux, d’amphibiens et de reptiles.
68Le matériel ichtyofaunique est constitué de 1731 restes osseux et 814 restes d’écailles, appartenant à six familles (Anguillidae, Clupeidae, Esocidae, Pleuronectidae, Salmonidae, Cyprinidae) (tab. 6). Ces résultats montrent une faible diversité. Les estimations de poids d’après la taille des restes, notamment des vertèbres, indiquent que les poissons consommés avaient un poids frais compris entre quelques dizaines de grammes et plus de 800 g. La gamme de poids la plus importante est comprise entre 50 et 100 g. Les analyses de saisonnalités effectuées sur les écailles, montrent des captures ayant eu lieu plutôt durant la saison estivale. Par ailleurs, la présence de Salmonidae indique la proximité d’eaux courantes.
69En se référant aux traces taphonomiques laissées sur les ossements, il est possible de distinguer des traces bio-chimiques (inclusions de dioxyde de manganèse, digestion) et mécaniques (manducations) (fig. 16). Associées à la petite taille des ossements étudiés, ces informations nous incitent à privilégier une contribution non anthropique de l’ensemble. Compte tenu de l’emplacement du site et de la présence de nombreuses altérations sur ces restes, il est très probable que l’accumulateur ait été un petit carnivore, probablement un mustélidé. Cependant, la présence de plus gros spécimens, comme l’ombre commun ou la truite, nous permettent aussi d’envisager l’intervention ponctuelle d’un plus gros prédateur, peut-être anthropique.
70Bien qu’aucune étude écologique détaillée ne soit entreprise ici, une description générale peut être établie. Les preferendum thermiques de chaque espèce identifiée sur le site indiqueraient des températures de cours d’eau supérieures à 12°C. Dans l’ensemble, ces espèces vivent principalement dans des eaux courantes et fraîches, mais selon l’oxygénation, on peut en rencontrer dans des eaux plus calmes.
71Aucun changement écologique ne peut être observé au cours des différentes périodes étudiées : le faible nombre de restes par couche empêche l’observation de changements au cours du temps, mais le spectre ichtyofaunique semble quasiment le même partout, parties rapides, radiers et mouilles permettant aussi l’acclimatation du brochet et de l’anguille qui peuvent aussi être retrouvés dans cette zone.
Tab. 6 : Répartition des restes de poissons.
NRT = Nombre total de restes.
Fig. 16 : Traces taphonomiques sur les restes de poissons.
Photographie : É. Guillaud.
72Les vestiges lithiques de ce locus proviennent des couches 12 (c, d, e), 13 (a, b, c, d, e), 15 et 16 (a et c). Ils comprennent une grande majorité d’esquilles en silex du Turonien inférieur non roulées, à la surface et aux bords très peu altérés (Aubry, 1992). Ces vestiges, malgré leur dimension réduite, présentent des stigmates qui indiquent qu’ils sont des déchets obtenus lors d’un débitage d’éclats qui aurait été effectué sur place. Les cortex présents révèlent l’utilisation de galets de silex provenant des terrasses de la Loire. Une autre variété de silex de teinte crème, opaque, riche en opale et restes de spongiaires originaire du Coniacien ou du Santonien local, est présente dans toutes les couches, sous la forme de quelques esquilles et d’éclats de taille aux stigmates incontestablement anthropiques (tab. 7).
73Parmi cet ensemble, il existe peu d’éclats qui puissent nous informer sur les objectifs du débitage. Cependant, un exemplaire possédant un talon lisse s’intègre dans la variabilité des produits obtenus selon un système de débitage Levallois de type récurrent centripète (fig. 17a). Un petit nodule allongé de section quadrangulaire en silex du Turonien inférieur (90 x 45 x 30 mm) au cortex roulé et aux négatifs de gel postérieurement roulés, indique qu’il a été prélevé en position secondaire dans une terrasse alluviale. Il porte le négatif non lustré d’un petit éclat que l’on peut interpréter comme un test de la qualité et de l’homogénéité du bloc, probablement réalisé préalablement à son apport sur le site. La morphologie de ce bloc de matière première indique qu’il était probablement destiné à être aussi débité selon une des variantes du système de débitage Discoïde.
74Les autres vestiges nous informent sur les techniques et méthodes de débitage employées sur le site. Ils confirment, par leur morphologie et les négatifs antérieurs, plutôt l’emploi d’un schéma Levallois de type récurrent centripète dans ce locus.
75Les rares restes de la couche 12c comprennent un fragment d’éclat laminaire présentant une plage de cortex alluvial, en silex crème opaque à grain fin, riche en opale (fig. 17b). Elle s’intègre dans un schéma de débitage de type prismatique. Les négatifs d’enlèvement dénotent une exploitation unipolaire. L’esquillement du bulbe ne permet pas de déterminer avec certitude la technique d’enlèvement qui a été employée mais il s’agit probablement de la percussion directe au percuteur de pierre. On peut se demander, en fonction de sa provenance stratigraphique s’il correspond à un autre schéma de production de support que ceux provenant des unités stratigraphiques sous-jacentes ou s’il s’agit d’un indice d’une possible occupation plus récente dans ce locus.
Tab. 7 : Industrie lithique.
Fig. 17 : Industrie lithique.
a et c : éclats levallois ; b : lame levallois. Dessins : T. Aubry.
76Les recherches effectuées au sein du locus LRC IV ont permis de compléter l’information disponible sur les autres locii du site de LRC, dont certains avaient été perturbés par l’exploitation de matériaux, notamment le devant de LRC I (d’Achon, 1913 ; fig. 3). Bien que le versant au droit de LRC IV ait été affecté par des prélèvements de matériaux en surface (fig. 4), il est clair que le substrat rocheux de tuffeau turonien et de craie coniacienne à santonienne est encore recouvert d’une partie de formations superficielles en place, non perturbées, dont l’épaisseur peut être estimée, perpendiculairement au versant, à 3 m au niveau de la partie la plus avancée de l’escarpement et à 5 m au niveau de l’ouverture de l’abri (fig. 6). Sous ces formations, le substrat turonien présente, en partie inférieure de la zone fouillée (fig. 5a, coupe 1), une cavité qui confirme la karstification des calcaires crétacés fréquente en Touraine (Couderc, 1968) et bien développée dans la grotte d’Achon (Marquet et al., 1997). Cette cavité et l’escarpement subvertical qui la surmonte ont nécessairement été façonnés par l’érosion alors qu’ils étaient dégagés de tout recouvrement. Tuffeaux et craies sont des roches tendres, seulement armées à certains niveaux par des couches de cherts, ils ne donnent lieu que rarement à des versants raides : les escarpements calcaires sub-verticaux actuels en Touraine sont presque tous d’origine anthropique. Ce façonnement naturel du substrat implique le sapement du versant par la Loire. Comme nous le verrons, certaines couches de la coupe 1 attestent de la proximité immédiate du chenal de la Loire déjà observée à LRC II (Macaire in Marquet et al., 1997). L’origine de la cavité basale interroge : grotte ou abri ? Elle est de dimension réduite (5 m x 2,5 m x 3,5 m), fermée de toutes parts excepté au sud, avec seulement quelques conduits comblés d’argile recoupés dans ses parois, indiquant des circulations d’eau. Sa petite dimension n’en fait cependant pas une grotte au sens strict, d’autant qu’elle ne comprend pas de spéléothèmes. Il est possible de lui préférer le nom d’abri, mais dans ce cas, ce n’est pas un abri de formation classique, résultat de l’action du gel sur une couche calcaro-marneuse créant un surplomb allongé plus ou moins régulier le long du versant et associé à des dépôts de versant caractéristiques (Bertran, 2004). L’hypothèse d’un creusement peut être avancée, dû au phénomène de condensation/corrosion de l’eau dans la cavité lui donnant la forme d’un abri étroit et profond (Baudouin, 2000 ; Gilli 2011).
77La série lithostratigraphique relevée à LRC IV (coupes 1 et 2) est la plus épaisse et la plus complète observée sur le site de LRC (figs. 5a,b et 7). Elle comprend une partie de remplissage d’abri (coupe 1) et une partie de formations de versant (coupe 2). Il est connu que ces contextes sédimentaires ne sont pas favorables à un enregistrement continu du temps (Campy, 1989 ; Campy & Chaline, 1994) : les lacunes sont donc certainement nombreuses, mais les dates 14C ou OSL, cohérentes dans leur succession permettent de caler certains épisodes sédimentaires dans le temps. Les faciès et la composition des sédiments permettent de distinguer quatre phases distinctes de genèse des sédiments. Les phases auxquelles sont rapportés les échantillons analysés sont précisées sur les diagrammes des figures 8 et 9.
78Ces couches remplissent une cavité étroite et profonde d’environ 3,5 m (jusqu’à la cote 42 m NGF) au fond de l’abri (fig. 5a). Les couches 19 et 18 (respectivement domaines B et A, fig. 8) sont sablo-limoneuses, le sable étant fin à moyen (domaine C, fig. 9). Elles sont particulièrement riches en smectites et généralement sans glauconite, minéral sensible à l’altération. Ces caractères permettent de les attribuer à l’altération du tuffeau par décarbonatation. Le tuffeau jaune du Turonien supérieur dans la région est en effet un sable consolidé (grains de quartz, de glauconite et bioclastes carbonatés ; Alcaydé & Rasplus, 1971) et très pauvre en argile. Les couches profondes, brunes (22 et 21) peuvent résulter d’une altération en place. Leurs âges OSL (159 ± 13 ka et 174 ± 15 ka respectivement) (fig. 18) indiquent que la Loire, niveau de base hydrologique, était déjà en dessous de la cote 42 m pendant le SIM 6 marqué par un net refroidissement climatique (Lisiecki & Raymo 2005). L’absence de dépôt fluviatile pourrait indiquer que le chenal (ou les chenaux ?) était nettement plus bas à cette époque, ne permettant pas aux éventuelles crues d’atteindre le site.
79Le litage grossier des couches vert olive 20 à 18, qui épouse la forme des parois de la cavité, indique une certaine allochtonie des matériaux avec circulation spasmodique dans des conduits karstiques. La couche 18 en particulier, à fragments siliceux et calcaires remaniés, indique des apports plus énergiques à une période indéterminée, en tout cas antérieure à 83 ± 6 ka (âge de la couche 15), soit pendant le SIM 6 froid, soit pendant la première partie du SIM 5 tempéré (tab. 1).
80Cette phase I ne présente pas d’indices d’apports extérieurs à l’abri. Elle est marquée par des périodes, certainement très discontinues, d’accumulation de matériaux autochtones ou faiblement allochtones issus de l’altération du substrat calcaire et par la karstification. Couvrant au moins le SIM 6 froid, elle peut aussi couvrir le stade antérieur (SIM 7) et la première partie du stade ultérieur (SIM 5) tempérés.
Fig. 18 : Âges 14C et OSL portés en regard de la courbe chronoclimatique du δ18O (Foucault & Raoult 1992 ; Imbrie et al. 1984 ; Lisiecki & Raymo 2005).
Toutes les dates du tableau 1 ont été reportées sur cette figure. Les précisions concernant ces dates sont dans le tableau 1.
81Cette phase est principalement marquée par l’accumulation de sédiments sur l’ensemble du plancher de l’abri (fig. 5a). Les sédiments sont limono-sableux, avec généralement une dominance du limon (domaine B, fig. 8), mais la granularité de la fraction sableuse varie fortement d’une couche à l’autre (domaine D, fig. 9), avec souvent des éléments plus grossiers (graviers et galets calcaires) que dans les sédiments de la phase I.
82Cependant, la couche 17, gris sombre, rattachée à cette phase, se distingue des autres par sa grande richesse en sable plutôt fin (domaine A, fig. 8 et domaine C, fig. 9). Cette couche présente un litage subhorizontal légèrement ondulé. Marquant le début de la phase II, les fines lamines granoclassées subhorizontales de la couche 17 vues en micromorphologie (fig. 7), pourraient avoir été déposées par débordement et décantations successives d’eau extérieure à l’abri, probablement de la Loire, en milieu de faible énergie. Les couches sus-jacentes, de granularités différentes, ont probablement aussi une origine fluviatile. En revanche, la couche 14 très sableuse, perturbée, contenant des bioclastes de calcaires crétacés et un peu de glauconite paraît issue de la chute de grains de tuffeau pulvérisé depuis les parois de l’abri. Elle pourrait marquer une période où les crues étaient absentes de façon durable. Cette phase II se termine par un apport puissant (45 cm d’épaisseur) et net d’alluvions du fleuve dans l’abri (couche 12). D’abord de moyenne énergie (sous-couche 12e sablo-graveleuse), les dépôts deviennent ensuite de basse énergie (couches uniquement sablo-limoneuses, litées, 12d à 12a) avec abondance de mica noir et de mica blanc dans 12c traçant indubitablement des apports ligériens. La variabilité des apports sédimentaires, inhérente à la dynamique fluviatile (Reading, 1986) est assez bien marquée dans la minéralogie de la fraction argileuse (fig. 10). La kaolinite surtout, et l’illite, sont parfois plus abondantes que dans les sédiments de la phase I, et la glauconite montre la reprise en pied de versant de sables issus du tuffeau jaune qui en contient (Alcaydé & Rasplus, 1971). La couche 14 est bien distincte avec son spectre simplifié où dominent les smectites. Les couches déposées lors de cette phase sont donc essentiellement d’origine fluviatile.
83Des indices d’occupations animales sont attestés dans les couches des phases II et plus rarement III à LRC IV comme dans les autres locii de LRC (I, II et III) (Marquet et al., 1997 ; Bayle, 2008). Concernant les grands mammifères, des restes d’équidés, de cerf élaphe et de bovinés parmi les principaux herbivores, de l’hyène des cavernes, du loup et du renard parmi les principaux carnivores, ont été rencontrés surtout dans les couches 16 à 13 de la phase II fluviatile attribuées à la fin du SIM 5 à climat tempéré frais ou au début SIM 4 froid. Ces taxons sont des marqueurs de phases climatiques tempérées : le paysage dans lequel ils vivaient était probablement mixte avec des espaces ouverts accueillant les équidés tandis que les cervidés fréquentaient plutôt les espaces boisés. Ils placeraient donc plutôt cette phase entre 90 ka et 70 ka, dans la seconde moitié du SIM 5.
84La présence des restes de carnivores est plus importante dans les deux autres cavités voisines (couche moyenne dans LRC I et couche XIII dans LRC III). Il est cependant encore difficile de comparer les assemblages osseux de ces deux cavités avec ceux de LRC IV car ils font l’objet de réexamens. On pourra cependant signaler que les restes et les traces d’intervention de carnivores, et notamment de l’hyène des cavernes sont plus fréquents dans LRC I et III (Gillier 2017 ; Bayle 2008). Par ailleurs, la comparaison de l’état du matériel de LRC IV avec ceux du repaire d’hyène identifié à Conives, dans l’Indre, est limitée par des effectifs disproportionnés et une dispersion stratigraphique importante à LRC IV. Si la forte fragmentation des restes observée à Conives peut être comparable à celle de LRC IV, les proportions de restes de carnivores et ceux portant des traces de leurs interventions y sont largement supérieures (Fourvel & Fosse 2017). Cette forte fragmentation des restes osseux à Conives contraste avec le profil caractéristique des assemblages produits par les hyènes, à savoir des os longs peu fragmentés et une abondance des cylindres diaphysaires. Cette différence a été interprétée comme le résultat d’un stress alimentaire lié à un accès réduit aux proies ou aux charognes (surexploitation des ressources disponibles). La part des carnivores à la formation des assemblages dans LRC IV reste, dans ces conditions, difficile à évaluer mais les faibles indices de leur intervention plaident pour une action mineure.
85Les données archéozoologiques obtenues ici constituent pour la région Centre-Val de Loire un référentiel pour la première moitié du dernier cycle glaciaire. Dans un secteur géographique proche, deux autres sites ont livré des restes fauniques associés à des éléments d’industrie lithique attribués, au sens large, au Paléolithique moyen : une cavité appelée la « Brèche osseuse » à Vallières-Les-Grandes, en Loir-et-Cher (Cordier & Berthouin, 1956) et l’abri-sous-roche des Champs-Penais (également appelé Abri Reignoux) sur la commune d’Abilly, en Indre-et-Loire (Berthouin & Cordier, 1954).
86Les rongeurs ont aussi été surtout rencontrés dans les couches de la phase fluviatile II. Ils confirment un épisode tempéré mais d’abord assez sec (couches 18 et 17), puis plus frais (couches 16 et 15) avec un contraste probablement plus marqué entre les zones humides des fonds de vallée et les plateaux nettement plus froids et secs. Les taxons de la base de la couche 13 traduisent bien la présence de zones humides riche en herbacées diverses. Les spectres de ces différentes couches confirment le caractère plutôt tempéré du climat.
87Les oiseaux, les amphibiens et les reptiles des couches 17 à 13 (phase fluviatile II de LRC IV) caractérisent tous un climat globalement tempéré plus en accord avec le SIM 5. Les quatre espèces d’amphibiens et une vipère (Vipera cf. berus) sont aussi associés dans la couche XIII de LRC III (Peyrouse & Marquet, 2010). La grenouille rousse y est nettement majoritaire comme dans les couches de LRC IV, mais la proportion du crapaud calamite et du pélobate brun est différente : le premier domine nettement le second à LRC III (17 fois plus nombreux), alors que le pélobate brun est deux fois plus nombreux que le crapaud calamite à LRC IV Aucune espèce n’est révélatrice d’un changement climatique conséquent entre ces couches.
88Les très abondants restes de poissons ont aussi été trouvés essentiellement dans les couches 12 à 16 de la phase II fluviatile, confirmant la proximité entre eau pérenne (chenal de la Loire) et LRC IV. Il s’agit certainement de restes de capture par des animaux (ou par l’homme), sans qu’il soit possible de préciser quel prédateur est responsable. Les preferendum thermiques de chaque espèce identifiée (températures des eaux supérieures à 12°C) confirment une phase à climat tempéré (SIM 5 probable). Ces espèces vivent principalement dans des eaux courantes et fraîches, mais selon l’oxygénation, aussi dans des eaux plus calmes. Comme pour les autres faunes de la phase II (excepté les rongeurs), le spectre ichtyofaunique ne montre pas de changement écologique ou climatique au cours de cette phase. Si l’on se réfère à la zonation de Huet (Huet, 1949), le biotope aquatique correspondant s’inscrit entre la zone à ombre et la zone à barbeau : tronçons de rivière de pré-montagne aux eaux fraîches. Cette zone est caractérisée par une faune mixte, avec à la fois des salmonicoles et des cyprinicoles. La dominance des salmonidés indique une capture en rivière et non dans les ruisseaux tributaires, bien qu’ils puissent y être capturés aisément lorsqu’ils remontent ces ruisseaux pour y frayer. Tout ceci suppose un habitat en rivière avec des faciès diversifiés (parties rapides, radiers, mouilles, chenaux secondaires) bien en accord avec ce que l’on sait de la dynamique passée (Castanet, 2008) ou actuelle (Rodrigues et al., 2007) de la Loire, permettant aussi l’acclimatation du brochet et de l’anguille retrouvés dans cette zone. Concernant les aloses principalement rencontrées dans la couche 15, elles indiqueraient une forte élévation de la température (Le Gall, 2000) vers la fin du SIM 5 (5a probable) à 83 ± 6 ka. Cela en ferait donc un des rares sites français contemporains de ce sous-stade interglaciaire.
89Les pièces lithiques découvertes à LRC IV sont peu nombreuses mais significatives. La surface fouillée a été très faible et il est possible que l’occupation s’étende vers l’est où des vestiges ont été découverts mais surtout dans l’espace situé en avant de l’abri. Ces pièces lithiques sont situées, comme les faunes, dans les couches 16 à 12 rapportées à la phase fluviatile II. L’effectif réduit ne permet pas d’aller au-delà d’une présomption de débitage Levallois et de conclure à une occupation du locus lors d’une période tempérée, alors que le chenal de la Loire était tout proche.
90Des indices d’occupations humaines moustériennes sont attestés dans les autres locii de LRC : dans la couche inférieure de LRC I, sous la couche alluviale (fouille d’Achon en 1912 et fouille Marquet à partir de 2008), dans la couche 7, alluviale de LRC II (Marquet, 2011 ; Marquet et al., 2016). Des industries lithiques de différents faciès moustériens ont été trouvés, ainsi que des restes fauniques portant quelquefois des traces d’activités humaines (os brûlés, traces de découpe sur les os, retouchoirs). Ces niveaux semblent tous associés à des couches d’origine fluviatile servant de repère. Ils sont indiqués sur la figure 4.
91Les dates obtenues sur ces couches s’échelonnent entre 83 ± 6 ka (couche 15) et 63 ± 4 ka (couche 12d). Elles correspondent à la fin du SIM 5 (Lisiecki & Raymo, 2005), première partie du dernier cycle glaciaire weichsélien à climat tempéré frais ou au début du SIM 4 froid (Antoine et al., 2016). Il est donc clair qu’à cette époque la plaine alluviale de la Loire se trouvait à une cote voisine de 44-45 m (cote des couches 17 à 12), soit 4 à 5 m plus haut que la plaine alluviale actuelle. Les dépôts fluviatiles de la phase II (couches 17, 16, 15, 13 et 12), clairement datés ici du Weichsélien ancien et associés au Moustérien à LRC II (Marquet, 1990, 2011), sont peu représentés ailleurs dans la vallée de la Loire moyenne en Touraine. Ils correspondent aux dépôts alluviaux de l’unité Fx1 observés sous les dépôts Fy de la très basse terrasse à Avoine près de la confluence Loire-Vienne et attribués au « Würm ancien » (Macaire, 1980, 1981).
92Les couches 11 à 7d sont caractérisées par une alternance de lits bien distincts (fig. 5a), de granularité limono-sableuse ou sablo-limoneuse assez homogène, dépourvus de fraction SG (échantillons proches dans les domaines A et B, fig. 8, et domaine C, fig. 9). Ces lits sont assez régulièrement inclinés (10 - 15°) vers le sud-sud-ouest. Les grains de quartz présentent un fort indice de sphéricité et d’arrondi (fig. 9), ils sont mats et les sédiments sont plus ou moins fortement chargés en plaquettes de gel issues de la craie de Villedieu qui forme la partie haute de l’escarpement. Présents dès la couche 11, les gélifracts culminent dans la couche 9 avant de décroître au-dessus. La minéralogie des argiles varie d’une couche à l’autre, comme dans les sédiments fluviatiles de la phase II (fig. 10). Ces caractères indiquent que ces limons sableux ont été soufflés par le vent jusqu’au pied de l’escarpement, certainement depuis la plaine alluviale située au sud, pénétrant ainsi dans l’abri où ils ont été bloqués sous forme d’un petit talus, d’où leur léger pendage. Ces sables associés aux gélifracts issus de la paroi coniacienne à santonienne sont des indices forts d’épisodes froids, secs et ventés. La présence du lemming à collier dans la couche 9 confirme parfaitement le froid glaciaire du SIM 4 dont témoignent les dépôts éoliens et permet une corrélation avec les données obtenues dans la couche supérieure de LRC I (Marquet et al., 1997). Il faut noter ici l’absence de vestiges osseux d’avifaune ou d’herpétofaune dans la couche 9. En effet, la couche supérieure de LRC I, peut-être contemporaine de cette couche 9, contient des restes d’espèces aviaires de climat froid : lagopède (Lagopus sp.), macreuse noire (Melanitta nigra) et pluvier guignard (Charadrius morinellus) (Peyrouse & Marquet, 2010).
93La date absolue obtenue dans la couche 11 (73 ± 5 ka), encadrée par celles des sous-couches 12e (72 ± 6 ka) et 7d (66 ± 6 ka), permet de rapporter cette phase au début du SIM 4 très froid, dans le pléniglaciaire weichsélien.
94Régionalement, les dépôts éoliens weichséliens forment une couverture sableuse à loessique peu épaisse sur les plateaux et les versants en Loire moyenne. Les observations faites ici sont en accord avec ce qui est connu en Touraine : une alimentation principalement depuis les formations alluviales (Loire notamment) et un transfert par des vents d’ouest - sud-ouest dominants (Macaire, 1981, 1986). L’âge de la phase d’éolisation identifiée ici est aussi en accord avec la date OSL obtenue récemment (75 ± 5 ka à 67 ± 4 ka) sur un loess à Lussault (couche V ; Macaire, 1975), à 35 km en amont de LRC, où un autre épisode de dépôt éolien plus récent a été daté de 18 ± 1,4 à 16,7 ± 1,4 ka (Macaire & Bréhéret, 2018).
95Cette phase est marquée par l’accumulation de dépôts de versant extérieurs à l’abri après le comblement total de ce dernier jusqu’à son toit. Les sédiments des couches 7d à 1 ont en commun d’être très hétérométriques, à fragments grossiers de silex ou de calcaire emballés dans une matrice sablo-limoneuse dont la granularité est très proche de celle des sédiments éoliens de la phase III (essentiellement domaine A, fig. 8, et domaine C, fig. 9). Ils présentent un pendage vers le sud, comme la pente topographique, ce qui caractérise une dynamique gravitaire de versant (Bertran, 2004 ; Campy et al., 2013). La dynamique de leur mise en place a probablement varié d’une couche à l’autre ; elle n’a pas pu être déterminée avec précision compte tenu de l’étroitesse des coupes. Il est probable que certaines couches résultent de la solifluxion en contexte froid (couches 7a, 5, 3, 2), ou de petits éboulements (couches 6 et 4 à fragments calcaires). La pauvreté (couche 7b) ou l’abondance (couche 1) de matrice fine de certaines d’entre elles montre un lavage et une reprise par ruissellement (« colluvions »). Ces sédiments ont principalement été alimentés par les résidus d’altération de la craie de Villedieu (silex des formations argilo-siliceuses C4-6S) repris en haut des versants, mais aussi très probablement par des apports éoliens soit directs d’abord, soit remaniés ensuite, à partir de la couverture lœssique du plateau dont il reste peu de traces (fig. 2).
96Le caractère très froid, sec et venté du climat identifié lors de la phase III (couches 11 à 7d) semble s’atténuer dans les couches ultérieures solifluées ou ruisselées, mais où des apports éoliens directs sont toujours possibles. Ces processus pourraient traduire un climat encore froid mais plus humide, avec dégel saisonnier du versant exposé au sud - sud-est. Les dates obtenues sur les couches 7c à 2 s’échelonnent entre 61 ± 4 ka et 25 ± 2 ka. Elles placent ces processus sédimentogènes vers la fin du SIM 4 très froid, et surtout dans le SIM 3, donc dans le Pléniglaciaire weichsélien avant le dernier maximum glaciaire. La couche 1 quant à elle pourrait provenir du colluvionnement récent par ruissellement lié au défrichement et à la mise en culture des terres depuis le Néolithique. Il est aussi possible que ce sol se soit développé sur un dépôt de versant amputé de sa partie supérieure à la suite du glissement des sédiments vers le bas sur la pente après le prélèvement de 1846 (Marquet & Lorblanchet, 2014). La préservation de ces formations depuis 61 ka indique que la Loire, dont le chenal a probablement migré vers le sud, en s’enfonçant (phase d’incision séparant les unités fluviatiles Fx et Fy : Macaire, 1980), n’avait plus de pouvoir érosif en bas du versant. Il est clair que ces formations de versant ont complètement occulté l’abri vers la fin du SIM 4, depuis environ 60 ka.
97La séquence sédimentaire de LRC IV a donc conservé des informations paléo-environnementales sur des périodes situées entre la fin du Pléistocène moyen et le milieu du Pléistocène supérieur (SIM 6 à 3). C’est la plus complète sur le site de LRC. Les caractéristiques des sédiments et les processus de leur genèse cadrent assez bien avec ce que l’on sait des traits climatiques des stades SIM 6 à 3 (Lisiecki & Raymo, 2005).
98La cavité de LRC IV, interprétée comme un abri particulier, a été principalement élaborée dans le tuffeau jaune jusqu’à la cote basale actuelle de 42,5 m avant le SIM 6, pendant la période chaude et humide qui termine le SIM 7 (180 ka). La partie inférieure de l’abri a été colmatée par des produits d’altération issus de l’évolution karstique du tuffeau, pendant la phase I rapportée au SIM 6 froid (160 ka), et peut-être au début du SIM 5 tempéré. Cette évolution karstique s’est-elle opérée alors que le substrat crétacé affleurait, ou non ? L’absence de restes fauniques, et anthropiques, laisse penser qu’il a pu y avoir pendant cette longue période, un certain recouvrement par des formations de versants.
99La phase II suivante est principalement marquée par l’ouverture certaine de la cavité sur l’extérieur, probablement due au sapement de la partie inférieure du versant par le chenal de la Loire. Ceci est confirmé par les apports fluviatiles du fleuve jusque dans l’abri au cours d’épisodes du Weichsélien situés dans la seconde moitié du SIM 5 tempéré (83 ka) plutôt que pendant le début du SIM 4 froid. C’est en effet la période de plus grande fréquentation du site par les animaux et l’Homme qui ont pu perturber les structures sédimentaires (couche 14) : tous les indices fauniques confirment un environnement tempéré, qui a pu évoluer du tempéré sec à plus frais et humide (montré par les rongeurs) avec des indices d’une phase relativement plus chaude à la fin du SIM 5 (SIM 5a, présence de l’Alose). La faune témoigne de la proximité du chenal de la Loire à cette époque. Son abondance, et la présence discrète de l’Homme, s’expliquent par le climat favorable, la proximité de l’eau et le caractère encore accueillant de l’abri (1,5 à 1 m de hauteur) non comblé totalement par les sédiments. Il faut remarquer que parmi les nombreuses lacunes qui émaillent inévitablement la stratigraphie, figure celle du SIM 5e qui correspond à l’interglaciaire Eémien, semble-t-il peu sédimentogène. Il n’est pas possible de préciser si le site a été occupé une ou plusieurs fois par les humains : le temps qui sépare les couches 16, 15 et 13 contenant des artefacts dépend du temps de retour des crues (annuelles, centennales... ou plus exceptionnelles). L’absence d’artéfacts au-dessus du milieu de la couche 12 pourrait signifier le non-retour des humains (alors que les animaux le fréquentaient encore) en raison de la faible hauteur de l’abri (moins de 50 cm de hauteur disponible, fig. 5).
100La phase III marque nettement le coup de froid qui caractérise le SIM 4 (66 ka) avec éolisation, gélifraction et faune de toundra et de steppe (notamment le Lemming à collier). Il n’y a plus trace d’occupation humaine, et la faune est très rare. Le vide sous abri est presque complètement comblé par une série de minces couches de sables éolisés. C’est probablement cette même phase froide qui est attestée à Roc-en-Pail par l’abondance des restes de renne et de lemming à collier dans la couche 7 du remplissage de l’abri, celle qui contient le Moustérien Quina (Gruet, 1964, 1976 ; Voeltzel, 2015).
101La phase IV est marquée par l’obturation totale de l’abri de LRC IV et le recouvrement du substrat calcaire crétacé du versant par des formations superficielles dont la dynamique de mise en place est dominée par la solifluxion avec peut-être encore des apports éoliens au début, entrecoupée d’éboulements discrets. Cette évolution morphologique résulte probablement en partie de la migration vers le sud du chenal du fleuve qui n’a plus érodé la base du versant, mais les conditions climatiques ont aussi pu être plus favorables à la solifluxion. Cette phase qui a pu commencer vers la fin du SIM 4 (couche 7c : 61 ± 4 ka) couvre surtout le SIM 3 moins froid comme le montre l’échelonnement cohérent des dates obtenues dans les formations supérieures (couche 7a : 55 ± 4 ka ; couche 3 : 45 ± 3 ka) (fig. 18) et s’est poursuivie jusqu’à la période actuelle en contexte d’environnement fortement anthropisé. Le principal enseignement de cette phase est qu’il y a eu recouvrement continu, progressif et épais (environ 15 m d’épaisseur évaluée perpendiculairement au versant au droit de l’abri, relativement à la surface du versant avant 1846) depuis environ 60 ka, sans autre indice fort dans les sédiments de fréquentation animale (un seul os long de cervidé) ou humaine.
102Les dates obtenues ont été placées relativement à la courbe de variation climatique déduite des stades isotopiques marins (Imbrie et al., 1984, Lisiecki et al, 2005). La séquence s’étage depuis le tout début du SIM 6 jusqu’au-delà du milieu du SIM 3, fourchette de temps qui n’avait jamais été couverte jusqu’à maintenant dans les versants de la Loire moyenne et basse.
103Sur le site préhistorique de LRC, le locus LRC IV a été choisi pour établir une stratigraphie dans une zone moins perturbée par les prélèvements de matériaux au xixe s. Les données et interprétations développées ci-dessus montrent que le versant de la vallée de la Loire, dans ce secteur, est recouvert naturellement de formations superficielles accumulées depuis environ 60 ka. Ceci amène à conclure qu’il en a été de même pour le locus I (Grotte d’Achon) situé 17 m plus à l’ouest dans le versant avec cependant une épaisseur de colluvions un peu moins importante du fait de la différence d’altitude entre les deux ouvertures; la base et le sommet des entrées sont respectivement de 44 m et 46 m pour LRC IV et 48 m et 50 m pour LRC I. La grotte où des tracés digitaux ont été décrits (Marquet & Lorblanchet, 2014) aurait donc été fermée de façon définitive depuis environs 60 ka voire plus, avant que son ouverture ne soit dégagée par les prélèvements de matériaux. Les tracés digitaux du locus I seraient donc très probablement attribuables à l’Homme de Néandertal, et associés à l’industrie moustérienne qui y a été trouvée.
104L’autre site important du Paléolithique moyen dans la vallée de la Loire, ayant fourni de l’industrie moustérienne, est celui de Roc-en-Pail en Anjou (Gruet 1964, 1969 ; Soriano, 2017 ; Lebreton et al., 2018). La numérotation des couches proposée par Soriano (2017) à partir du relevé de Gruet (1964, 1969) permet de proposer les parallèles suivant : couche 15 de REP = couche 17 de LRC IV (dépôt limoneux pendant un épisode doux et humide) ; couches 12 à 7 de REP = couches 11 à 9 de LRC IV (épisode climatique très froid et très sec avec dominance du renne) ; couches 6 à 4 de REP = couches 7 à 2 de LRC IV (épisode climatique froid et humide avec régression du renne à REP) ; période d’occupation humaine de LRC IV (couches 16 à 12) apparemment absente à Roc-en-Pail d’après les données de Gruet (1964, 1969).
105Les occupations moustériennes dans le sud-ouest du Bassin parisien ne sont pas très nombreuses. En région Centre-Val de Loire, les sites de comparaison sont rares. Aux Roches à Abilly (Bordes & Fitte, 1950 ; Aubry et al., 2012, 2014), l’occupation de la phase II de LRC IV devrait se situer entre les couches C et D1 mais aucun dépôt n’est présent dans le site. La Jouannière à Bonneval en Eure-et-Loir a donné une importante séquence stratigraphique qui va du SIM 11 au SIM 4 avec une occupation au Paléolithique moyen ; différents amas de silex taillés peuvent être comparés à ceux des autres rares sites de la région (Despriée et al., 2018 ; Voinchet et al., 2007). A Angé, en Loir-et-Cher, le site du Petit-Jardin (Locht et al., 2009) a donné les vestiges d’une très importante occupation du Paléolithique moyen marquée, par exemple, comme dans d’autres sites plus au nord dans le Bassin parisien, par la production de lames. Cette production rappelle certaines pièces de l’industrie découverte dans LRC II (Marquet et al., 1997) qui est elle-même proche de celle de LRC IV (Moustérien à débitage Levallois).
106A ce stade, l’étude pluridisciplinaire de la série stratigraphique de LRC IV apporte des jalons importants pour la connaissance du Pléistocène moyen et supérieur dans le sud-ouest du Bassin parisien. Cette série est la plus complète sur le site de LRC. L’étude stratigraphique et sédimentologique montre une succession d’apports karstiques, alluviaux, éoliens dans un petit abri, puis d’apports gravitaires sur le versant qui ont fermé l’entrée de l’abri. Les datations OSL (de 180 ka à 25 ka) situent les dépôts pendant les SIM 6 à 3. La présence de restes fauniques dans certains niveaux de l’abri permet de préciser les paléoenvironnements, et des artefacts, bien que peu nombreux, confirment la présence des humains au Paléolithique moyen.
107Cette succession est inédite dans la région. Elle apporte de nouvelles informations en complément à celles connues pour l’Europe du nord-ouest (Koehler, 2011), notamment pour la période qui va de la seconde moitié du SIM 5 (phase tempérée) aux SIM 4 (phase très froide) et 3 (phase froide). Elle permet de situer l’occupation humaine probablement vers la fin du SIM 5. C’est une des rares séquences, avec celle du site des Roches d’Abilly (Aubry et al., 2012, 2014), où des vestiges du Paléolithique moyen ont été datés précisément en Touraine.
108L’étude de cette coupe apporte surtout de précieuses informations pour la compréhension de l’évolution de la grotte de LRC (LRC I) qui jouxte LRC IV, où la stratigraphie initiale n’a pu être approchée que grâce à des lambeaux de couches (Marquet et al., 1997) négligés au moment de la fouille effectuée par F. d’Achon en 1912 (d’Achon, 1913). Il apparaît en effet fort probable que la grotte LRC I a évolué de façon similaire à l’abri de LRC IV : outre la karstification importante à l’origine de la grotte et l’industrie du Paléolithique moyen qui y a été trouvée, elle présente des dépôts successivement fluviatiles et éoliens devant son porche et à l’intérieur (locus LRC II, Marquet 1979), et son ouverture a très probablement été obstruée de façon permanente par les dépôts de versant depuis 60 ka environ, avant d’être découverte au xixe s. La conséquence est d’importance : les tracés digitaux que renferme la grotte (Marquet & Lorblanchet 2014) semblent ne pouvoir être attribués qu’à l’Homme de Néandertal, en accord avec la seule industrie moustérienne qui y a été trouvée. Homo sapiens n’aurait pas pu pénétrer dans la grotte. D’ultimes datations OSL concernant LRC I sont en cours, qui doivent permettre de lever toute incertitude. Dans ce contexte, la coupe de LRC IV ainsi que la grotte (LRC I) ont été inscrites au titre des Monuments Historiques de la région Centre-Val de Loire en date du 5 février 2018 (Inscription au JORF n°0110 du 12 mai 2019). Le classement MH a été souhaité par la commission régionale, la procédure est en cours.
109Enfin, la géométrie et la nature des dépôts montrent combien le rôle de la Loire a été important. Le fleuve a pu « déblayer » la base du versant de ses dépôts gravitaires à certaines périodes, permettant (1) l’accès aux cavités karstiques jusque vers 70 ka, lorsque le chenal (ou un des chenaux) était à son pied, (2) un lieu de vie favorable (proximité de l’eau) pour les animaux et les humains dans un coteau bien exposé au sud, (3) l’accumulation d’archives sédimentaires par dépôt direct d’alluvions fluviatiles lors des crues ou par la fourniture de matière première aux dépôts éoliens. En migrant vers le sud et s’éloignant du versant vers la fin du SIM 5 (vers 75 à 70 ka), le chenal a favorisé l’accumulation de dépôts éoliens puis gravitaires sur le versant et la fermeture des cavités.