Nous remercions le Conservatoire de la Péninsule de Crozon pour nous avoir permis de faire les prélèvements pour datation sur le site en 2017. Nous remercions également Olivier Moine pour sa relecture attentive et ses remarques très constructives, ainsi que les deux relecteurs anonymes pour leur travail analytique et Roxane Rocca pour ses précieuses indications sur les industries d’Europe de l’Est.

1 ‑ Introduction

1En Bretagne et plus largement sur la façade atlantique de l’Europe, les gisements paléolithiques sont très souvent découverts en position côtière, en relation avec des formations sédimentaires littorales mal préservées. Leur attribution stratigraphique est souvent complexe et s’inscrit dans un contexte souvent local, même si le progrès des méthodes de datation permet une approche de plus en plus précise.

2Les plateformes littorales, ainsi que les paléofalaises majeures de Bretagne, Normandie, Devon et Cornouailles ont été réoccupées à de multiples reprises au cours des hauts niveaux tempérés du Pléistocène (Hallégouët, 1971 ; Morzadec‑Kerfourn, 1974 ; Lautridou et al., 1986 ; van Vliet‑Lanoë, 1987 ; Jones & Keen, 1993 ; Scourse, 1996 ; Van Vliet‑Lanoë et al., 2000 ; Van Vliet‑Lanoë et al., 2000, 2002) mais également lors des périodes plus froides à dynamique côtière déjà périglaciaire (Van Vliet‑Lanoë, 1987 ; Hallégouët & Van Vliet‑Lanoë, 1989). Longtemps ignorée, la dynamique glacielle est en effet un agent de façonnement du littoral important (Van Vliet‑Lanoë et al., 2002). L’impact à long terme du climat sur l'évolution littorale via son influence sur le volume des glaces et sur les niveaux marins est reflété par les diverses courbes de variations des isotopes stables de l’oxygène dans les carottes marines qui fournissent un bon référentiel régional (carotte MD03‑269, Toucanne et al., 2009) ou global (Lisiecki & Raymo, 2005 ; Cramer et al., 2009).

3Sur la base d’enregistrements sédimentaires et pédo‑sédimentaires et, de datations radiométriques et physiques, les formations littorales pléistocènes de la côte occidentale de l’Europe ont été découpées en trois membres (Van Vliet‑Lanoë et al., 2000, 2019a), dont les unités stratigraphiques ont été corrélées aux stades isotopiques marins (MIS) définis par Railsback et al. (2015), occupant la plateforme jusqu’à environ +5 m NGF au moins huit fois depuis le MIS 15 :

4Un Membre inférieur (MI) incluant sur la même plateforme des dépôts littoraux contemporains au moins des MIS 15, 13, 11, 9c (337‑300 ka), culminant localement à des altitudes observées de 0 à + 15 m NGF.

5Un Membre moyen (MM) constitué par les dépôts littoraux d’un Membre moyen inférieur (MMI), incluant uniquement le MIS 9a (ca. 280 ka), et ceux d’un Membre moyen supérieur incluant le MIS 7c (220‑200 ka), et le MIS 7a (200‑190 ka) observées localement de 0 à + 12 m NGF.

6Un Membre supérieur (MS) représenté par des dépôts du MIS 5e et des autres hauts niveaux marins du MIS 5, dont l’altitude culminant vers +6 m NGF en position abritée semble relativement homogène à l’échelle inter‑régionale (Pédoja et al., 2011), mais dont les cordons de tempête sont susceptibles d’atteindre +15 m NGF en fonction de l’exposition à la houle atlantique.

7Le membre inférieur est affecté par une activité sismique majeure vers 380 ka et un peu avant 290 ka avant d’être recouvert par le membre moyen correspondant, à sa base, au MIS 9a en Cornouailles et dans le Pas‑de‑Calais (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019a). Dans la littérature, très peu de hauts niveaux marins sont attribués au MIS 9a, excepté en Europe de l’Ouest, par exemple à Pra Sand en Cornouailles et à Sangatte (Van Vliet‑Lanoë et al., 2000, 2002 ; Coutard et al., 2019). Toutefois, leur présence est néanmoins sous‑tendue dans d’autres régions du monde par des datations et/ou la morphologie des dépôts. Enfin, aucun dépôt n’a pour l’instant pu être attribué au MIS 7e (240 ka) dans la région.

8Du point de vue archéologique, à l’échelle régionale, le remarquable inventaire mis à jour régulièrement de l’ensemble des découvertes paléolithiques réalisées en Bretagne (dont Hinguant, 1998) traduit à la fois le nombre important de découvertes réalisées et de facto la richesse en occupations anciennes sur ce territoire, le potentiel de connaissance pour cette période mais aussi l’incroyable fossé entre ce potentiel et son exploitation. Les sites ayant livré des vestiges lithiques taillés qui pourraient se rapporter au Paléolithique inférieur maillent le territoire, et plus particulièrement le littoral breton. Pour ne citer que certains, notons le potentiel de gisements où une stratigraphie est encore préservée et ayant livré des pièces (surtout bifaces et galets aménagés) probablement attribuables au Paléolithique inférieur : Le Conquet‑Prat Melou, Treguennec‑Prat ar Hastel, Ploudalmezeau‑Théven Camporou, Landeda‑Cameleut, Plestin‑les‑Grèves, Damgan, Planguenoual‑La Villemein ou encore Treisseny. Mais, il faut se rendre rapidement à l’évidence et constater que seul Menez‑Dregan, et dans une moindre mesure Saint‑Colomban, sont à ce jour les seuls sites bretons capables de nous éclairer sur les plus anciennes industries armoricaines et de nous livrer des éléments fiables et en position stratigraphique assurée. De ce bref état de la connaissance du Paléolithique inférieur breton, nous pouvons aisément affirmer que tout nouveau gisement en position primaire et préservé au sein d’une séquence bien datée apporte des éléments clé pour mieux appréhender les premières occupations de la région, encore largement méconnues.

9Dans cet article, nous nous focalisons principalement sur l’apport stratigraphique de trois sites complémentaires et voisins, exceptionnels de par la préservation d’une série de formations pléistocènes qui ont pu être datées par résonnance électronique de spin (ESR, tab. 1) la luminescence stimulée par infra‑rouge (IRSL, tab. 2), et le radiocarbone (¹⁴C). Il s’agit des sites de Pen Hat et Trez Rouz sur la presqu’île de Crozon et, de Trégana sur la côte sud du Léon dans la partie occidentale de la Bretagne. Ces sites permettent de suivre sur une même plateforme littorale et dans une même orientation à la houle l’enregistrement stratigraphique des hauts niveaux marins du Pléistocène et de les différencier. L’enregistrement stratigraphique détaillé, sa signification paléoclimatique et la paléodynamique des différents dépôts sera analysé et notamment ceux des MIS 11, MIS 9 et MIS 7 sur ces trois sites bretons de Pen Hat, Trez Rouz et Tregana et de leur signification en termes eustatique et tectonique. Nous traiterons de la nature de l’industrie lithique observée à la base du stratotype de Pen Hat en Crozon et de ce que le gisement apporte à la connaissance des premiers peuplements bretons et plus largement du Paléolithique inférieur d’Europe occidentale. La reprise des datations de 2018 (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019a) a permis de lever certaines ambiguïtés stratigraphiques (tab. 2).

2 ‑ Les données

2.1 ‑ Site de Pen Hat

2.1.1 ‑ Contexte géologique

10La coupe de Pen Hat (48°16’40,4’’N, 4°37’09,4’’W), située sur la commune de Camaret‑sur‑Mer (Finistère), est localisée en façade atlantique de la péninsule de Crozon, à l’extrême ouest de la Bretagne, entre les pointes du Toulinguet et de Pen Hir (fig. 1). Ces deux crêtes sont armées par des grès armoricains ordoviciens, localement altérés, plissés selon un anticlinal orienté NE‑SO à cœur de quartzophyllades briovériennes. La coupe de Pen Hat est située le long d'une falaise fossile incisée au contact de ces grès dans le quartzophyllade très altéré (fig. 1B). Le saprolite argileux gris foncé dérivé des quartzophyllades est à l’origine des faciès argileux de la coupe. Les altérites du grès quartzitique armoricain, sont, elles, à l’origine des sables de la coupe. Morphologiquement, le cœur de l’anticlinal forme une dépression. Cette dépression ne correspond à aucun paléotalweg et a été totalement indépendante du système fluvial de la baie de Brest pendant les bas niveaux marins quaternaires (Hallégouët et al., 1994).

2.1.2 ‑ Stratigraphie

2.1.2.1 ‑ Contexte

11Le site de Pen Hat présente le complexe littoral quaternaire (fig. 2B) le plus puissant du secteur et pour l’essentiel les Membres moyen et supérieur des formations littorales du système Manche (Van Vliet‑Lanoë et al., 2000). Le Membre inférieur est, quant à lui, surtout préservé dans la coupe voisine et plus abritée de Trez Rouz. Une dune carbonatée holocène et un cordon résiduel de galets probablement polygénétique occupent la partie méridionale de la baie de Pen Hat (fig. 2B). Cette dune a peu reculé depuis, étant protégée à son pied par un gros cordon de galets décimétriques à métriques. Cette coupe, décarbonatée pour l’essentiel, a fait l’objet d’un levé détaillé en 1985.

12Depuis, un site archéologique attribué au Paléolithique inférieur a été mis au jour (Hallégouët et al., 1997). D’abord attribué à l’Eemien (MIS 5e, Hallégouët & Van Vliet‑Lanoë, 1986), le niveau archéologique, situé dans l’unité PH 4a, est désormais encadré par deux datations radiométriques qui permettent de proposer une nouvelle attribution chrono‑stratigraphique plus cohérente et étayée. Une datation ESR à 403 ± 70 ka a été obtenue dans l’unité PH3 immédiatement sous‑jacente au niveau archéologique (Van Vliet‑Lanoë et al., 1997a, 2000 ; tab. 1). De nouvelles datations, cette fois par luminescence stimulée par infrarouge (IRSL sur feldspaths potassiques ; tab. 2) ont été réalisées sur la coupe (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019a), permettant de dater plusieurs unités supérieures, et notamment l’unité PH7 du MIS 6. Ces nouveaux éléments de datation radiométrique impliquent de facto un encadrement de l’âge du niveau archéologique entre un âge maximal de 473 à 333 ka (MIS 11 à 9) et un âge minimal de 180‑154 ka (MIS 6). L’analyse séquentielle développée ci‑après permet de resserrer cette large fourchette et de proposer une attribution chronologique plus fine pour le niveau archéologique compris dans l’unité PH4a et b.

2.1.2.2 ‑ Description des unités

13La section la plus complète est visible dans la partie nord‑est de la baie de Pen Hat, sous les heads, au pied de la pointe du Toulinguet. Par contre, sur le versant nord de la crête de Pen Hir au Grand Gouin, seules les unités les plus récentes (PH 12 à PH 18) sont présentes (fig. 2A).

14Les unités décrites ci‑dessous reposent sur une plate‑forme incisée dans les quartzophyllades d’altitude d’environ +5 m NGF avec des écueils au centre et au sud de la baie (fig. 2A). Hormis les dunes holocènes (PH 19), la séquence est entièrement décarbonatée, ce qui explique l’absence de vestiges fauniques.

• PH1 : conglomérat de petits galets et graviers marins inclus dans une matrice sablo‑limoneuse portante, blanc‑grise (limon kaolinitique hérité des altérites du grès armoricain) ;

• PH2 : deux séries de conglomérat à support clastique composé de galets marins moyens de nature lithologique très variée et de gélifracts en mélange peu organisé, dans une matrice limoneuse blanc‑gris, portante et kaolinitique ;

• PH3 : sable fin propre ocre (10 YR 4/3), à grains luisants dominants, incorporant de rares graviers. La base de ce sable a été datée par ESR à 403 ± 70 ka (fig. 3, Van Vliet‑Lanoë et al., 2000) ;

• PH4a : paléosol sablo‑argileux hydromorphe «pseudo‑podzolique» développé dans la partie supérieure de PH3, de couleur brun‑noir (10 YR 3/1), déformé en poches décimétriques plus argilo‑humiques, assez régulièrement espacées ou parfois en gouttes individualisées de type load casts (fig. 4B‑C). Cette unité a livré la grande majorité de l’industrie lithique issue de la séquence. Elle constitue le niveau archéologique principal en position primaire qui fait l’objet de l’analyse technologique ci‑après.

• PH4b : sables gris, sablo‑argileux déferrifiés, voire localement blanchis, massifs, d’environ 30 cm d’épaisseur, discordants sur le paléosol, incorporant quelques gélifracts de grès et de schistes. Des artéfacts désignés comme frustres lors de leur mise au jour, surtout en silex et très rarement en quartz, se retrouvent alignés en position secondaire à l’interface entre PH4a et PH4b et dispersés dans la masse argileuse de PH4b jusqu’à une vingtaine de mètres du pied de la paléofalaise (fig. 2B).

• PH5 : niveau de sable brunâtre, enrichi en hydroxydes de fer, mal stratifié et consolidé, plus argileux en base de falaise, déformé, voir soulevé par les grandes poches et injections tubulaires en sables blancs, micacés et stratifiés localement enrichi en minéraux lourds et plus rarement par des injections de sables ocres (PH3). Une fracturation annulaire de pression, observée grâce à des sections verticales et horizontales, est marquée à la base des tubulures de circulation de sables liquéfiés (water‑escape ; fig. 4A). Des artefacts archéologiques remaniés sont également présent dans la masse de PH5. L’ensemble PH4‑PH5 est surconsolidé et apparaît en relief en base de coupe ;

• PH6 : strates sablo‑argileuses d’environ 1,50 m de puissance totale, interstratifiées de lits argileux gris foncé et subparallèles, partiellement déferrifiés ou enrichis en hydroxydes de fer (figures de battement de nappe), partiellement consolidées, incorporant des apports latéraux de gélifracts, vers le nord près du pied de falaise ;

• PH7a : puissant corps sableux culminant vers 8 m NGF. Il est stratifié subhorizontalement en lits de 3 à 5 cm d’épaisseur, jaune brunâtre, intercalés avec des lamines d’argile limoneuse grise, et est enrichi vers le haut en petits gélifracts, Au sud, cette unité passe latéralement vers le sommet en un cordon de gros galets redressés dans une matrice sableuse, au contact de la plate‑forme de 7 m (partie sud de la coupe) et culminant vers 9 m NGF.

• Les datations ESR ont abouti à des âges infinis et les datations IRSL ont livrés des âges de 147 ± 9 et 149 ± 11 ka, respectivement pour la base et le sommet de l’unité (tabs. 1 & 2). Ces âges seront discutés dans la discussion.

• PH7b : sable meuble légèrement stratifié incorporant dans les horizons supérieurs des gélifracts de schistes et des grès en provenance de la falaise en surplomb. Une nouvelle date IRSL a livré un âge de 132 ± 9 ka.

• PH8a : sable éolien légèrement humifère et stratifié, présentant quelques fentes de gel syngénétiques d’1‑1,5 m de haut sur le versant, de 0,7 m en bas de pente dans la partie sud de la coupe principale. La nouvelle datation IRSL donne un âge de 167 ± 13 ka.

• PH8b : luvisol cryptopodzolique complexe à forte charge humique, développé dans un sable éolien remaniant quelques gélifracts. A noter que ce contenu humifère (ranker) bien visible en 1995 s’est estompé depuis par oxydation de la coupe ;

• PH9a : sable éolien, y compris quelques gélifracts en provenance de la falaise. Illuvié par des argiles brunes rougeâtres (7,5YR 5/6). La nouvelle datation IRSL donne un âge de 144 ± 11 ka.

• PH9b : second cordon de galets à matrice sableuse, déformé par cryoturbation, au centre de la baie, en superposition avec le cordon PH7a.

• PH10 : horizon Bt d’un sol brun lessivé infiltrant les sables PH9a et le cordon PH9b.

• PH11 : sable massif, meuble sans gélifract, souligné à la base par quelques fentes de gel de 2 m de profondeur. Un âge IRSL de 109 ± 7 ka a été obtenu pour cette unité.

• PH12 : head de quartzophyllades à matrice limoneuse portante, incorporant des lits de limons pauvres en gélifracts (base des limons récents) ;

• PH13 : head de quartzophyllades à matrice sableuse portante ;

• PH14 : limon pauvre en gélifract, légèrement pédogénéisé (brunifié) ;

• PH15 : head de quartzophyllades à matrice limoneuse à gélifracts de petite taille ;

• PH16 : head de quartzophyllades à gros blocs portants et matrice limoneuse ;

• PH17 : limon massif, discontinu, brunifié associé avec de rares fentes de gel ;

• PH18 : head à blocs de grès, incorporant des niveaux limoneux ;

• PH19 : sable dunaire calcaire incluant à sa base des coquilles de gastéropode datées au ¹⁴C de 4960 ‑ 5490 ans cal. BP (Meurisse, 2008, recalibré avec la courbe de calibration IntCal20 de Reimer et al., 2020) ; il est localement lithifié par la présence d’un ciment carbonaté de type vadose organisé selon la stratification du sable.

2.1.3 ‑ Interprétation paléo‑environnementale

• L’unité PH1 correspond à un cordon littoral désorganisé à matrice argileuse interstratifié avec des dépôts de versant, suggérant un contexte froid.

• L’unité PH2 présente les caractéristiques d’un cordon littoral désorganisé à matrice argileuse incluant des galets à pétrographie erratique (côte nord de la rade, silex), probablement associés à l’effondrement de la falaise d’altérites (dégel et gélifraction C) combiné avec le développement d’une banquise côtière (Van Vliet‑Lanoë, 1987 ; Hallégouët & Van Vliet‑Lanoë, 1989).

• L’unité PH3 est un sable marin littoral tidal ou de jet de tempête accumulé sur un estran ou dans une paléo‑lagune ouverte.

• L’unité PH4 est un sable d’origine tidale lagunaire, probablement de jet de tempête. La lagune dans laquelle il s’est déposé est ensuite exondée : l’unité PH4a peut être interprétée comme un gley organique sableux, ré‑oxydé, localisé dans une dépression de marais tidal (schorre) confinée entre deux crêtes de plage. Il est recouvert à son sommet par un faciès sablo‑vaseux de schorre supérieur (PH4b) alimenté par des colluvions argileuses de la falaise.

• L’unité PH5 correspond à un arrivage colluvial progressif, dérivé des altérites de quartzophyllades, et continu en provenance du versant et envahissant le marais littoral. Le sable marin fin pédogénéisé (PH3‑PH4 ; figs. 2 & 4) est remanié lors de la seconde crise séismique observée régionalement vers 280 ka (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019a).

• L’unité PH6 correspond à un sable d’origine probablement tidale ou de jet de tempête, mais fortement interstratifié avec des apports colluviaux de versant.

• L’unité PH7a constitue un complexe de washover fans (éventails) construit par des tempêtes, envahissant un bas marais. En arrière de ce cordon, dans une dépression lagunaire comme le localisent les figures de battement de nappe, un faciès vaseux est présent avec des lamines argileuses, issues du versant du Toulinguet, mais probablement aussi en partie d’origine tidale, et enrichies en gélifracts vers le haut (versant) où elles sont tronquées par une surface d’érosion.

• L’unité PH7b est un sable dunaire remaniant l’unité inférieure, également enrichi en gélifracts, fort probablement dans un contexte nival (gélifraction de la falaise).

• L’unité PH8a correspond à un sable éolien de contexte froid (gélifracts), probablement nival, enrichi syngénétiquement en débris organiques (croûtes cryptogamiques, feuilles).

• L’unité PH 8b est constitué initialement par un sol brun lessivé développé dans le sable éolien, évoluant vers une forme cryptopodzolique avec la superposition finale d’un sol organique de type ranker de contexte boréal à subarctique. Ce type de succession pédogenétique se rencontre sur sable initialement carbonaté, lessivé précocement puis ayant évolué vers un environnement acide et neigeux de landes boréales (Van Vliet‑Lanoë, 1987).

• L’unité PH10 correspond à la pédogénèse eemienne développée dans un sable éolien du MIS 6a (PH9) et relayée en fond de baie par un cordon littoral de haut niveau (vers 120‑115 ka, MIS 5e).

• L’unité PH11, sable pédogénéisé daté à 109 ± 7 ka, correspond à une dune régressive du MIS 5d pédogénéisée au MIS 5c ou au MIS 5a.

• Les unités PH12 et 13 correspondent à des dépôts de pente périglaciaires riches en sable du Pléniglaciaire inférieur.

• L’unité PH14 correspond vraisemblablement au limon récent supérieur (MIS 2).

• Les unités PH15 à 18 correspondent à des dépôts de pente périglaciaires chargés en limon, correspondant à la fin du Pléniglaciaire supérieur/Tardiglaciaire (Van Vliet‑Lanoë, 1987).

• L’unité PH19 est un sable dunaire holocène qui comprend à sa base des dépôts dunaires anciens (Subboréal).

2.1.4 ‑ L’industrie lithique en position primaire de l'unité PH4a

2.1.4.1 ‑ Contexte des découvertes archéologiques

15L’industrie lithique de Pen Hat a été recueillie en plusieurs étapes. La majeure partie de l’industrie a été récoltée lors d’une campagne de sondage menée par B. Hallégouët en avril et mai 1984. Un décapage sur plusieurs mètres carrés a été effectué dans la partie nord de la coupe à proximité du pied de la paléofalaise (environ 100 m), en PH4a‑b et PH5. Cette opération a permis de mettre au jour la majorité des pièces en position primaire dans un sol (noté à l’époque sol I, correspondant au sommet de l’unité PH4a), le paléosol hydromorphe pseudo‑podzolique, acide et oxydé altérant la plage ancienne datée – PH3. Quelques pièces ont également été mises au jour en position secondaire dans les colluvions de bas de versant, dans l’horizon gris déferrifié (PH4b) ainsi que dans les poches de sables injectés.

16La collection a ensuite été alimentée par des pièces trouvées lors d’inspections de la coupe tout au long des années 1990 et 2000. Cette collection ainsi constituée a fait l’objet d’une courte étude par N. Molinès, publiée dans le guide de l’excursion dédiée au Quaternaire breton de 1997 (Van Vliet‑Lanoë et al., 1997a). La collection fit ensuite l’objet d’une étude en 2011 (Mielnik, 2011). C’est lors de ce master que des pièces de la collection semblent avoir subi un mélange avec du matériel en provenance de la Pointe du Toulinguet (ramassage de surface par Bernard Hallégouët), entraînant un doute sur la provenance de certaines pièces.

17Afin de limiter les erreurs interprétatives, les pièces sans localisation certaine ou issues de niveaux remaniés ont été exclues de l’analyse technologique de l’industrie présentée ci‑dessous. Elles ont néanmoins été regardées et prises en compte lors de l’interprétation de la collection afin de voir si elles présentent des éléments divergents ou complémentaires à la série « sélective » étudiée en détail. Ainsi, le corpus étudié ici compte 169 pièces taillées (tab. 3A) contre 253 pièces dans l’étude de N. Molinès (539 pièces en tout, pièces d’origine non anthropique incluses, Molinès in Van Vliet‑Lanoë et al., 1997a).

2.1.4.2 ‑ Analyse technologique

18Les 169 pièces présentent un bon état de préservation, seule une patine blanche uniforme trahit une altération chimique superficielle des silex. La bonne préservation de l’état de surface des pièces, et les fils des bords et les arrêtes préservées dans leur intégrité font partie des indices permettant d’affirmer que les vestiges lithiques n’ont pas subi un transport ou une remobilisation importante et plaide en faveur d’une industrie en position primaire. La présence des éléments de très petites et petites dimensions va également dans le sens d’un niveau archéologique en place et dans le sens d’une série faiblement triée. La présence d’esquilles, de dimensions inférieures à 15 mm, alors que la fouille a été réalisée sans tamisage laisse présumer que si le sédiment avait été tamisé, le ratio de petits éléments présents serait proche d’une préservation intégrale de la production de petits éléments observés dans le cadre d’expérimentation du type de débitage utilisé dans ce niveau archéologique. Ce point devra être validé par une fouille fine avec tamisage pour pouvoir définitivement attester de l’absence de tri dans la série, y compris dans sa fraction la plus fine.

19La grande majorité de la série est réalisée sur des rognons de silex plus ou moins ovoïdes de petites dimensions (4‑8 cm), à cortex "crayeux" très fin, matrice homogène et présentant une bonne aptitude à la taille. Ces petits blocs ont probablement été recueillis sur un proche cordon de galets littoral. Quelques pièces en grès, grès lustré et quartzite complètent la série dans une moindre proportion (8 % de la série).

20La quasi‑intégralité (plus de 98 %) des éléments recueillis peuvent être rattachés à du débitage. Seuls un galet aménagé, un galet testé en quartzite, et une pièce ayant pu servir comme galet aménagé en grès sont les maigres témoins d’activité de façonnage de potentiels outils sur galet. La représentation des grandes catégories et sous‑catégories d’éclats (tab. 3), avec la présence de débris, d’esquilles, de blocs testés, des nucléus, d’éclats corticaux et de percuteur indique qu’une grande partie du débitage a été effectuée in situ.

21Concernant les chaînes opératoires de débitage, elles présentent toutes un degré de prédétermination peu élevé. Elles partagent de nombreux éléments techniques communs : une percussion directe rentrante au percuteur dur, un ou des plans de frappe systématiquement laissés lisses ou corticaux, une hiérarchisation des surfaces (plan[s] de frappe et surface[s] de débitage ne sont jamais intervertis), un angle plan de frappe – surface de débitage proche de 70°, un nombre réduit d’enlèvements appartenant très souvent à une unique séquence productive. Les chaînes se distinguent essentiellement par l’organisation des enlèvements sur la surface de débitage et la répartition des plans de frappe associés qui varie logiquement d’une modalité à l’autre.

22La modalité unipolaire parallèle est la plus fréquente au niveau des nucléus (N=24 sur 35, soit 69 % des nucléus). La séquence courte de débitage se résume souvent à l’ouverture d’un plan de frappe, puis l’enlèvement à partir de ce dernier d’en moyenne 3 éclats sur la surface de débitage, mené dans le même sens et direction (fig. 5, nucléus n^o 1, 3 & 4). Trois variantes minoritaires se distinguent sur quelques nucléus dans cette modalité. Une première variante (N=2) vise à exploiter deux surfaces reproduisant deux fois le schéma unipolaire parallèle précédemment décrit sur deux sous‑volumes différents du bloc. Une seconde variante (N=4) vise à exploiter une unique surface en reproduisant deux fois le schéma unipolaire parallèle précédemment décrit à partir de deux plans de frappe opposés (fig. 5, nucléus n^o 5). Même si une seule surface semble exploitée de manière bipolaire opposée au final, l’absence d’interaction entre les deux volumes du bloc exploité invite plutôt à voir deux séquences autonomes menées selon un schéma unipolaire parallèle.

23Une troisième variante (N=2) vise en l’obtention d’un éclat le plus envahissant possible sur la surface de débitage et pour ce faire deux ou trois enlèvements sont détachés au préalable pour contrôler la convexité latéro‑distale de la surface (fig. 5, nucléus n^o 2).

24La modalité orthogonale est représentée par 6 nucléus (soit 17 % des nucléus). La séquence courte de débitage se décompose en deux temps. Dans un premier temps, un premier plan de frappe est ouvert et s’ensuit l’enlèvement d’un premier éclat cortical à partir de ce dernier (fig. 6, nucléus n^o 1 & 2). Dans un second temps, un second plan de frappe est ouvert, à partir duquel un ou deux enlèvements sont produits en recoupant le négatif précédent de manière orthogonale. Ce schéma pourrait permettre de mieux prédéterminer les propriétés de l’éclat produit lors de la deuxième étape comparativement à la modalité unipolaire parallèle, notamment en ce qui concerne la morphologie du tranchant.

25La modalité centripète est représentée par 4 nucléus (soit 11 % des nucléus). Elle consiste à produire en moyenne 5 éclats sur une surface de débitage en direction du centre de cette dernière à partir de plans de frappe périphériques (fig. 6, nucléus n^o 3).

26Ces derniers sont aménagés au préalable par des enlèvements ou directement à partir de la surface corticale quand la configuration angulaire originelle le permet.

27Quelle que soit la modalité de débitage, les dimensions réduites des blocs de silex sélectionnés impliquent des petites dimensions pour les produits comme pour les nucléus. En moyenne, les éclats [15 mm‑30 mm] (c.‑à‑d. esquilles exclues) mesurent 29 x 26 x 8 mm, les éclats [> 30 mm] mesurent 37 x 32 x 11 mm et les nucléus mesurent 36 x 38 x 22 mm. Les éclats recueillis sont à l’image du faible investissement concernant la prédétermination visible sur les nucléus. Ils arborent dans presque tous les cas une plage corticale, souvent importante pour les éclats [> 30 mm], tandis que les éclats plus petits [15‑30 mm] présentent une proportion plus élevée d’éclats non corticaux (35 % des éclats, contre 11 % pour les éclats > 30 mm ; tab. 3B et fig. 6).

28La majorité des éclats sont épais (épaisseur moyenne/longueur moyenne = 0,29 et épaisseur moyenne/largeur moyenne = 0,32) et de forme quadrangulaire avec un faible allongement (longueur moyenne/largeur moyenne = 1,1). Une part non négligeable des éclats, très corticaux, peuvent être classés comme déchets de taille, sans fonction autre évidente.

29Les autres éclats présentent souvent un unique bord tranchant – dont les caractéristiques angulaires et de délinéation varient d’un éclat à l’autre – opposé à un dos cortical. Les éclats portent fréquemment un seul négatif d’enlèvement en face supérieur et dans l’axe du détachement de l’éclat, en accord avec la chaîne opératoire dominante reconstruite à partir des nucléus opérant sur une séquence d’exploitation courte selon une modalité unipolaire parallèle. Quelques pièces, de dimensions plus petites, moins épaisses, peu corticales, arborent plusieurs négatifs d’enlèvements (également dans l’axe du détachement de l’éclat ou à tendance centripète) et peuvent présenter jusqu’à deux bords tranchants (fig. 6, pièces 9 & 11).

30Quelques négatifs sur des éclats et des nucléus semblent indiquer que certains galets de silex ont été fracturés en deux (fracture de type split) avant d’être débités. Une étape supplémentaire serait donc à inclure à la phase d’initialisation concernant quelques blocs, mais cette pratique reste marginale à l’échelle de l’ensemble de la série.

31À côté de ce débitage très dominant, subsistent trois pièces en grès et quartzite qui pourraient relever d’activités de façonnage réalisées sur des galets de dimensions légèrement supérieures aux rognons de silex. Un galet est simplement testé et n’apporte que peu d’information. Un galet en quartzite de 71 x 60 x 24 mm a été aménagé par un enlèvement dans l’épaisseur, formant une grande encoche dont une partie – sur 31 mm de long – offre un potentiel fonctionnel avec une valeur angulaire de 60°. Enfin, un ultime galet en grès mesurant 53 x 33 x 19 mm présente deux enlèvements se recoupant orthogonalement (fig. 7). Cette pièce peut s’interpréter comme un nucléus ayant produit deux éclats ou/et un galet aménagé présentant en partie distale un tranchant transversal de 60° sur 15 mm de long aménagé par deux enlèvements successifs orthogonaux. Il est possible que ce galet ait pu jouer les deux rôles servant à la fois de matrice et de support d’outil. Sans autres pièces de ce type dans la série et en l’absence d’études tracéologiques complémentaires, il est impossible de statuer en l’état.

2.2.1 ‑ Contexte géologique

32Ce site est localisé au centre de la péninsule de Roscanvel en Crozon (48°17’19’’N, 4°33’96’’W), dans le prolongement de la faille ou cisaillement de l’Elorn (fig. 1B). La coupe de Trez Rouz, localisée dans un étroit graben a été décrite par Morzadec (1974) et Hallégouët (1989). Le matériel est issu du saprolite schisteux local et de sédiments tidaux. Au‑dessus de TRZ6, le matériel rocheux provient du saprolite du grès de Landévennec. La description des dépôts a été complétée en 1995 (Van Vliet‑Lanoë et al., 1997a) et suivie d’une réanalyse par Field et al. (2010). Une dernière description a été effectuée en 2017 pour les dépôts TRZ1 à TRZ3 suite à un important recul de la falaise.

2.2.2 ‑ Description des unités

2.2.2.1 ‑ Base de la séquence

• TRZ1 : Vase argileuse grise, d’origine probablement tidale, stratifiée et fissurée. Visible uniquement dans les injections majeures les plus méridionales (fig. 8D).

• TRZ2 : Complexe de tourbe inférieure. Il se compose de deux niveaux de tourbe noire séparés par une couche de gyttja, et comprend de gros fragments de bois.

• TRZ3 : Limon argileux beige, incluant des blocs angulaires de quartz et de schiste. Cette unité est dérivée du saprolite local. Elle est fissurée par des fractures N60‑70°E espacées d’environ 70 cm, avec dans la structure B des injections verticales riches en blocs de quartz et de schistes fig. 8B).

2.2.2.2 ‑ TRZ4‑TRZ6 Complexe tourbeux principal

33Il s’agit de la séquence étudiée par Morzadec (1974) et réanalysée par Field et al. (2010).

• TRZ4a : Argile déferrifiée, légèrement stratifiée, reliée latéralement à une accumulation organique de type gyttja, tronquée par un cailloutis mince. Elle est fissurée par des fractures N 60‑70° E espacées d’environ 70 cm.

• TRZ4b : Argile organique gris foncé.

• TRZ5a : Tourbe homogène, brun foncé, évoluant en une accumulation de bois et de fragments d’écorce (conifères, aulnes, bouleaux, arbustes, fougères), souvent en position verticale (injection).

• TRZ5b : Sable humifère de schorre évoluant latéralement en remplissage de chenal de marée. Il a été daté par ESR à 470 ± 53 ka.

• TRZ6a : Limon tourbeux, riche en fragments de bois et en graines (Potamogeton), plus riche en intraclastes sédimentaires vers le haut; en partie fragmenté en clastes sédimentaires vers le haut.

• TRZ6b : Alternance stratifiée de sable limoneux et de graviers, soutenue par une matrice de limon, correspondant à un chenal de marée au sud de la structure principale B (fig. 8B). Il recouvre partiellement la structure B et est étiré par solifluxion.

• TRZ6c : limon humifère déferrifié remaniant du sable et du gravier de quartz, recouvrant TRZ6a et TRZ6b. Au sud, un complexe de tourbe épaisse est conservé à sa base.

2.2.2.3 ‑ TRZ7‑TRZ8 Complexe des heads inférieurs, à pendage nord

• TRZ7 : Série de strates, dont plusieurs paléosols hydromorphes faiblement développés, se terminant par une coulée de blocs très grossiers de schistes et de quartz.

• Au sommet de la structure B, la couche supérieure présente des graviers accumulés avec des restes organiques fragmentés par le gonflement‑glissement de la structure B. Ce phénomène s’observe sur le côté sud de la déformation principale, entre les deux plus importants.

• TRZ8 se compose d’un limon humifère interstratifié de lits sablonneux étirés et déformés par des phénomènes de solifluxion impliquant des blocs laboureurs ; un peu de sable grossier propre s’observe à sa base : il correspond à un gyttja étiré. Un complexe épais de heads gleyifiés recouvre cette couche.

2.2.2.4 ‑ TRZ9‑10 : Seconde séquence de heads

• TRZ9 est un complexe de heads qui remanie en partie à la base du sable dunaire et du matériel humifère, puis évolue en heads déferrifiés, incluant de gros blocs.

• TRZ10 est un head limono‑argileux rubéfié ; il correspond à un paléosol de type pseudogley développé dans du saprolite remanié.

2.2.2.5 ‑ TRZ11‑13 : Séquence supérieure des heads jaunâtres, généralement limoneux (charge de loess)

34Elle comprend un paléosol brun acide à sa base (TRZ 11) qui est relayé et tronqué au sud du ruisseau par un niveau de plage de galets (TRZ12 ; +7 m NGF), mais passe plus au nord à un sol figuré périglaciaire. Cette génération de heads (TRZ11‑12) tronque toute la séquence de Trez Rouz, avec une pente vers le sud. Des loess récents reposent sur le niveau de plage fossile, recouvert de tourbes et de sable dunaires holocènes (TRZ13).

2.2.3 ‑ Interprétation paléoenvironnementale

35Plusieurs interglaciaires où le niveau de la mer était légèrement plus élevé qu’aujourd’hui (MIS 15, MIS 13, MIS 11, MIS 9 ; Rohling et al., 2014) présentent des caractéristiques palynologiques semblables (Scourse et al., 2009).

36Les unités tourbeuses, TRZ1 et TRZ2 apparues en 2017, représentent la fermeture d’un chenal de marée par deux épisodes de formation de tourbe saumâtre (TRZ2) séparés par un gyttja et devraient correspondre à des chenaux interglaciaires plus anciens qui ont été déformés en deux étapes co‑séismiques (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019a). TRZ3 est un complexe de dépôts de pente périglaciaires. Les observations de 2017 ont mis en évidence deux nouveaux niveaux de tourbes TRZ2 plus anciens que TRZ3 ainsi qu’une succession de quatre injections vers le haut ou plis, plus ou moins tourbeuses et dissymétriques vers le sud. Ces structures, dont celles déjà connues, ont été interprétées comme d’origine co‑séismiques (fig. 8A & D), du nord au sud (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019a). D’après l’âge à 470 ± 53 ka obtenu par ESR dans la couche sablonneuse TRZ5b intercalée dans le complexe de tourbe corrélé au MIS 13 (Van Vliet‑Lanoë et al., 2000), le complexe de tourbes inférieures TRZ1‑TRZ2, sous TRZ3, daterait au moins du MIS 15 (Interglaciaire Cromerien III).

37La tourbe TRZ4‑5a correspond à une zone marécageuse en partie submergée sous un plan d’eau peu saumâtre et peu profond avec des habitats boisés présents sur les pentes environnantes (Field et al., 2000). Ensuite, le sable argileux daté TRZ5b s’est déposé dans le marais, probablement associé à un léger refroidissement et à une tempête. Cela peut être lié à l’ouverture d’un cordon littoral ou plus probablement, vu le contexte topographique, au remplissage colluvial du chenal par du sable de dune mélangé avec des colluvions argileuses, isolant la dépression. La tourbe de TRZ6a correspond à la reformation d’une lagune saumâtre peu profonde dans un chenal, entourée par un relief boisé. La présence de Vitis et de Buxus dans cette unité suggère des conditions thermiques tempérées, initialement plus chaudes que le TRZ4‑5, suivies de l’apparition d’un refroidissement climatique limité (Field et al., 2000).

38Les analyses palynologiques du complexe tourbeux principal (TRZ4 à TRZ6) ont révélé la présence de plantes aquatiques thermophiles sans pollens hérités du Tertiaire indiquant un âge du Pléistocène moyen (Morzadec‑Kerfourn, 1974 ; Field et al., 2010) mais anté‑eemien (présence d’Azolla filiculoides, Morzadec‑Kerfourn, 1974). La couche sablonneuse TRZ5b intercalée dans le complexe de tourbe a été datée à 470 ± 53 ka par ESR attribuant ce dernier au MIS 13 (Van Vliet‑Lanoë et al., 2000), vieillissant ainsi l’âge de la tourbe TRZ5a initialement attribuée à l’Holsteinien sensu MIS 11 (Morzadec‑Kerfourn, 1974 ; Van Vliet‑Lanoë et al., 1997a ; Morzadec‑Kerfourn, 1999). Ce nouvel âge est compatible avec les reconstitutions paléoenvironnementales associées qui peuvent être corrélées avec l’interglaciaire cromerien IV ou MIS 13 des Pays‑Bas (Zagwijn, 1996). Comme la datation ESR donne un âge maximum potentiel de 523 ka en TRZ5, l’ensemble du complexe principal pourrait correspondre au maximum eustatique du MIS 13 (Railsback et al., 2015) en conformité avec l’attribution palynologique potentielle (Field et al., 2010). Par conséquent, l’unité TRZ6b, un chenal de marée peu profond correspondant à un niveau marin relativement haut (interglaciaire), et l’unité TRZ6c, associée à un marais salant, pourraient correspondre en toute logique et au moins pro parte à l’Holsteinien classique (MIS 11, Koutsodendris et al., 2010).

39Enfin, en l’absence d’âges radiométriques pour la partie supérieure, nous avons tenté d’identifier les différents dépôts d’interglaciaires présents en partant du plus récent.

40La présence d’une mince couche de loess au sommet des heads (TRZ13), recouvrant un sol structuré périglaciaire (TRZ12), suggère, par analogie avec les dernier heads de Pen Hat (< 105 ka) ou du Rozel en Normandie (Van Vliet‑Lanoë et al., 2006), que toute la séquence sous‑jacente est plus ancienne que l’Eemien (MIS 5e). En effet, la couche organique la plus récente, TRZ10, est constituée de sédiments organiques lacustres déposés près du rivage. TRZ10, exagéré sur la figure 8, était considéré par Morzadec‑Kerfourn (1974) comme représentant un stage interglaciaire plus récent que l’Holsteinien et caractérisé par une végétation « tempérée froide » dans la partie inférieure et une période « tempérée tardive » dans la partie supérieure. L’unité TRZ12 est clairement tronquée au sud par une plage surélevée en position de MIS 5e et associée à un fort hydromorphisme. Ceci correspond très bien à ce que Clet (1983) a décrit d’un point de vue palynologique à la base d’Ecalgrain en Normandie, récemment datée de la transition MIS7‑MIS6 (Cliquet et al., 2009). L’unité TRZ10 sous‑jacente pourrait donc en fait correspondre à la partie finale du MIS 7. Le sol organique à la base du TRZ8, devrait, par déduction, correspondre à un paléosol MIS 9 étiré par solifluction.

41Enfin, malgré les convergences de faciès existant avec d’autres séquences régionales, la datation radiométrique in situ de l’unité TRZ6b et de la partie supérieure de la séquence de Trez Rouz reste nécessaire pour assurer les attributions chronostratigraphiques proposées.

2.2.4 ‑ Potentiel archéologique

42En Bretagne, et plus particulièrement dans le Finistère, l’industrie paléolithique est le plus souvent retrouvée sur l’estran au pied des coupes, sans attribution stratigraphique possible (Hinguant, 1998). C’est le cas à Trez Rouz où un chopper (fig. 9 ; Monnier et al., 1994), peut être un biface en 2015 (Ravon, 2017) et quelques artefacts ont été aussi ramassés en pied de coupe. Le dit « chopper » a été mis au jour en 1983 par deux d’entre nous (Bernard Hallégouët et Charles Tanguy ‑ Leroux), extrait de l’empierrement du sentier littoral descendant vers le ruisseau de Trez Rouz (fig. 8.1 flèche noire). En 1983, ce sentier avait été recreusé dans le head supérieur induisant un mélange de gélifracts de grès‑quartzite provenant de TRZ9‑10 et des galets récupérés dans le cordon actuel au débouché du ruisseau. La plupart des galets cassés semblaient récents, mais C. T. Leroux avait conservé l’un d’eux qui montrait une patine ancienne, et l’avait fait dessiner à son retour à Rennes par Y. Onnée (fig. 9). Cet objet était donc d’origine douteuse et aucun autre de ce type n’avait été découvert à l’époque dans le head de la tranchée au nord du ruisseau, ni dans le head supérieur (TRZ11‑13) de la falaise riche en éclats de quartzite plus ou moins patinés et rougis par endroits.

43Pour les autres pièces, un point d’observation en 1983 montrait la présence d’éclats de silex en petit nombre. Vu l’état de la coupe à cette époque, ils pourraient provenir de la couche TRZ6b ou TRZ6a ou plus vraisemblablement de plus haut, en reprise dans les heads.

44Enfin, la découverte d’un biface a été récemment rapporté par Ravon (2017) dans la conclusion de sa thèse, sans qu’aucun élément quant à sa provenance ou de sa nature ne soit précisé.

2.3 ‑ Site de Trégana

2.3.1 ‑ Contexte géologique

45Une nouvelle coupe, exposée plein sud, a été dégagée par les tempêtes de l’hiver 2013‑2014 sur le site de Trégana, située de l’autre côté de la rade sur la côte nord‑est de la baie de Berthaume (48°21’10,3’’N, 04°39’58,1’’ W ; figs. 1B & 10). La lithologie du substratum est un gneiss altéré grenu interrompu de lambeaux de quartzophyllades verts et de pegmatites (fig. 1B). Il s’agit de l’orthogneiss de Brest appartenant au domaine du Léon, déformé au cours de l’orogénèse hercynienne (Le Gall et al., 2014). La coupe présente un épais corps sableux culminant à la même altitude qu’à Pen Hat (8 m NGF), dérivé cette fois‑ci de granite correspondant au granite de Trégana, mise en place au sein du gneiss à la fin de l’orogénèse. Les altérites sont ici sableuses avec une charge modérée en argiles (kaolinite).

2.3.2 ‑ Description des unités

46La séquence repose sur un platier localisé vers + 5 m NGF visible au nord de la crique et s’appuie sur une paléofalaise. La séquence préservée est constituée de 5 unités principales.

• TR1a : Dépôts de plage à très gros blocs de composition lithologique variée incluant des éléments lithiques en provenance de la rade de Brest et de Crozon, avec une matrice argileuse interstitielle blanchâtre (kaolin), passant à un sable grossier massif et épais de 30 cm. Des effondrements de panneaux d’altérites sont incorporés dans la plage.

• TR1b : Sable grossier à moyen, ocre, stratifié, directement dérivé d’altérites de granite, en stratifications subhorizontales avec chenaux. Il est compact, fortement ferruginisé (hydromorphie) présente une re‑illuviation brun jaune organisée en bandes.

• TR2 : Sable moyen remaniant des granules gneissiques, à stratifications subhorizontales fines parallèles et relativement régulières, assez compacté. La granulométrie s’affine légèrement vers le sud (dérive de sable moyen). La stratification est quasiment horizontale au contact de la paléofalaise à l’est. Vers le haut, les lits sont enrichis en granules. Les lamines centimétriques sont subhorizontales passant latéralement à des lamines obliques progradantes, parfois érodées ou déformées, organisées en unités d’épaisseur décimétrique. La base de certaines stratifications est érosive. Le dépôt est microfaillé, avec rejeu accentué vers le haut. Ce sable visible tout le long de la crique, s’appuie directement sur une paléofalaise en phylades vertes au sud. Le sommet de cette unité atteint environ 8 m NGF et sa puissance peut atteindre 3 m d’épaisseur. Deux datations IRSL ont été obtenues sur feldspath potassique (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019a) et de nouvelles valeurs ont été fournies en 2020 (1) 290 ± 22 et (2) 264 ± 18 ka (fig. 11 & 12 ; tab. 1).

• TR3 : Sable assez fin, stratifié, mieux classé et moins riche en granules, qui s’adapte à la morphologie de la paléofalaise sur laquelle il s’appuie. Il culmine à 12 m NGF. Il est infiltré par une argile brun chaud et diffuse, vraisemblablement illuviale.

• TR4a : Complexe de heads sableux, avec un contenu modéré en blocs décimétriques et graviers, sauf à sa base, ravinant localement jusqu’à 9 m NGF la formation sableuse.

• TR4b : Head loessique, puissant d’environ 2 m, localement chargé en arènes granitiques et blocs de quartzophylades verts. Il est altéré à son sommet par un paléosol humifère.

• TR5 : Complexe de sables dunaires non consolidés perché, incluant trois sous‑unités séparées par des paléosols humifères. La coupe voisine de Porz Milin (fig. 10), a également permis de dater les différentes phases de construction de la dune depuis la période romaine (TR5a) et surtout depuis le xii^e siècle (TR5c) (Fernane et al., 2014 ; Van Vliet‑Lanoë et al., 2016).

2.3.3 ‑ Interprétation

47La plage à gros blocs et matrice argileuse TR1a correspond à un faciès tidal de milieu froid couplé à des effondrements de falaise en bordure d’une crique. La lithologie incorporant des éléments allochtones de la rade suggère un transport intermittent de blocs par radeaux de glace. L’ensemble de ces critères suggère une ambiance boréale glacielle pour la base de cette coupe.

48L’unité TR1b correspond à un faciès de bourrelet de tempête (ravinement) barrant une crique transformée en lagune comme semble en attester la ferruginisation importante du dépôt, compatible avec le contexte climatique de TR1a.

49Le faciès TR2 correspond à une construction de type washover fan dans une petite lagune, finement stratifié, avec surfaces d’érosion interne, légère incision ou petites figures de charges. Le contexte suggère une ambiance froide, tempétueuse (compaction) avec formation synsédimentaire de glace (pied de glace ?) comme en atteste la présence d’une microfaille extensive de tassement en proximité de la falaise, incompatible avec une compaction par le swash (fig. 12C). La non‑perturbation de la stratification par les irrégularités de la paléofalaise suggère un ou des dépôts de tempêtes successifs (run up). Les sables marins stratifiés de TR2 de la coupe de Trégana ont fourni à des âges IRSL sur feldspath, ici révisés, de 290 ± 22 ka à la base, en phase avec la transition MIS 9/8, et de 264 ± 18 ka, au sommet. Bien que centrée sur le MIS 8 (tab. 2), elle peut encore appartenir à l’extrême fin du MIS 9a (< 282 ka) étant donné la continuité stratigraphique unitaire avec la première datation (fig. 12). La lithologie variée des dépôts provenant pro parte de l’autre côté de la rade et la matrice argileuse infiltrée alimentée par le sapement de la falaise d’altérites attestent d’une dynamique glacielle de pied de falaise (fig. 13A & B). Ce dépôt s’est mis en place lors de très fortes tempêtes dans un contexte encore boréal mais très instable (voir discussion § 4.1), semble en effet à une altitude peu compatible avec une régression de début glaciaire (fig. 14).

50Le faciès TR3 correspond à une reprise éolienne des unités précédentes, avec un peu de ruissellement. Elle est infiltrée par une illuviation assez rubéfiée qui pourrait correspondre au MIS 5 : les sols du MIS 7 en baie de St Brieuc ne sont pas rubéfiés, à la différence du MIS 5a au Rozel (Cotentin, Van Vliet‑Lanoë et al., 2006). En l’absence d’un contrôle chronologique radiométrique qui s’avèrerait ici aussi nécessaire pour trancher, l’unité TR3 pourrait donc s’être mise en place au MIS 6, voire à la transition MIS 9/8, avec comme à Pen Hat, l’absence d’une unité contemporaine du MIS 7. Les heads sableux TR4a remanient le complexe littoral précédent avec une base nettement érosive voire chenalisée. En admettant une attribution au MIS 5 de la phase d’illuviation de l’unité TR3, l’unité TR4b, relativement limoneuse, correspondrait vers le nord à tout ou partie du Dernier glaciaire condensé.

2.3.4 ‑ Potentiel archéologique

51Quelques éclats taillés sur quartzite, quartz et silex ont été trouvés en place par P. Racheboeuf et B. Hallégouët dans la « dune » de Trégana (Hinguant, 1998), probablement au pied de TR2‑3 (figs. 11A & B). Nous ne pouvons en dire plus sur ce petit assemblage car nous n’avons pas pu étudier le matériel dans le cadre de cette publication. Si leur origine anthropique se révèle valide, ces quelques pièces témoigneraient du potentiel archéologique du site de Trégana à livrer une ou des occupations inédites du Pléistocène moyen.

3 ‑ Corrélations stratigraphiques intersites

52L’interprétation stratigraphique de Pen Hat et les corrélations avec les unités de Trez Rouz (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019a) et de Trégana sont données en figure 14. Les formations les plus anciennes sont essentiellement représentées à Trez Rouz, représentant des chenaux tidaux et donc la présence du niveau marin sur la plateforme, dans le voisinage du niveau actuel.

53L’unité PH3 a donné un âge ESR de 403 ± 70 ka (Van Vliet‑Lanoë et al., 2000) pour le sable au sommet duquel apparait l’industrie paléolithique, également situé au voisinage du niveau marin actuel.

54Le complexe littoral PH7 n’a abouti à aucune datation valable (tabs. 1 & 2). Les deux datations ESR et les trois datations IRSL de PH7a et PH7b (Van Vliet‑Lanoë et al., 2000, 2019a) ont respectivement donné des âges infinis inexploitables et des âges compris entre 132 et 143 ka plus jeunes que celui de l’unité PH8 sus‑jacente (167 ± 13 ka). Il est fort probable que l’hydromorphie présente et persistante (figures de battement de nappe, saturation en eau), facilitée par la surconsolidation des couches sous‑jacentes (PH6 à PH4) ait induit un fading engendrant un rajeunissement important des âges sur feldspaths potassiques, surtout pour les niveaux inférieurs, l'uranium ayant tendance à se lier aux hydroxydes de fer (Cuney et al., 1992).

55Cependant, le dépôt de tempête PH7 est en position comparable vis‑à‑vis de la houle et de l’altitude de dépôt, aux sables marins stratifiés de TR2 de la coupe de Trégana caractéristiques d’un contexte au moins de rang interstadiaire. Si le sommet de TR2 a livré un âge IRSL de 264 ± 18 ka contemporain du MIS 8, sa base a quant à elle été datée avec la même méthode à 290 ± 22 ka soit de la transition MIS 9/8. Si la discussion de ces âges n’est pas close, ce dernier n’exclut donc pas la mise en place de l’unité PH7 lors du MIS 9a, bien exprimé sur la marge de Gascogne (Toucanne et al., 1999 ; Eynaud et al., 2009).

56Ce dépôt semble donc s’être mis en place rapidement, lors de très fortes tempêtes, sous la forme de washover fans envahissant la dépression entre la pointe isolée du Toulinguet et Crozon en arrière de cordons‑barrières de tempête, ou, de dépôts de tempête s’adossant à la paléofalaise de Trégana, dans un contexte encore boréal (lithologie variée et matrice argileuse attestant d’une dynamique glacielle, glace intraformationelle), ce qui pourrait très bien correspondre à l’important interstade du MIS 9a. D’après la datation IRSL de PH7b ayant donné un âge de 161 ± 13 ka, cette unité et la suivante (PH8a) se seraient mises en place au Saalien supérieur, et plus précisément durant le stadiaire MIS 6c. La présence de fentes de gel à la base du paléosol sus‑jacent pourrait correspondre au maximum de froid de ce stadiaire connu vers 157 ka (discussion voir § 4.1). Le paléosol cryptopodzolique PH8b serait donc contemporain de l’interstadiaire MIS 6b (152‑142 ka).

57Le sable dunaire avec gélifracts (PH9a) qui enfouit ce paléosol a donné un âge de 138 ± 10 ka, mais n’a rien d’une fin d’interglaciaire. Il s’agit donc d’un dépôt éolien périglaciaire de la fin du MIS 6a, antérieur à l’interglaciaire éémien (PH10) qui l’altère.

58Il est important de noter qu’un faciès dunaire régressif vrai monte assez haut sur le versant après l’interglaciaire MIS 5e, alors qu’il n’est plus ou pas enregistré à Trégana. PH11 a donné un âge IRSL de 109 ± 7 ka et correspond donc à une dune d’environnement déjà froid (gélifracts), attestant d’un âge Weichselien ancien, probablement MIS 5d pour la base des heads récents. Le site du Rozel en Cotentin orienté à l’identique et dans un contexte morphologique analogue et ayant livré un âge similaire, supporte cette attribution chronologique (Van Vliet‑Lanoë et al., 2006 ; Mercier et al., 2019).

59PH12 à PH19 correspondent aux heads du Pléistocène supérieur postérieur (MIS 4‑2), également présents à Trez Rouz en moins dilaté.

4 ‑ Discussion

60La stratigraphie des trois sites analysés révèle l’enregistrement du Pléistocène moyen dans le secteur Baie de Brest‑Crozon. Les datations IRSL et ESR à Pen Hat et Trégana permettent de donner une attribution, ou une orientation, chronostratigraphique à la plupart des unités observées régionalement en tenant compte de leur localisation et de leur exposition à la houle.

61La partie haute de la coupe de Pen Hat correspond à ce qui est observé classiquement en position littorale de l’Europe de l’Ouest pour le Pléistocène supérieur, ou le Membre supérieur des séquences littorales (Clet et al., 1986 ; Monnier & Van Vliet‑Lanoë, 1986 ; Van Vliet‑Lanoë, 1986 ; Keen et al., 1995). Le Membre moyen est nettement plus complexe, avec un faciès sableux dunaire en position littorale ne correspondant pas nécessairement à un interglaciaire.

4.1 ‑ Le MIS 6 et ses sables éoliens pléniglaciaires

62À Pen Hat, en contexte littoral protégé, deux épisodes éoliens sableux, PH7b daté à 167 ± 13 ka et PH9a daté à 144 ± 11 ka, sont enregistrés de part et d’autre du paléosol complexe PH8b.

63En façade ouverte sur l’océan, de vraies dunes ont pu se mettre en place comme à Menez‑Dregan en Baie d’Audierne avec la couche sableuse MD3 ou encore comme à Ouessant (Hallégouët, obs. pers.). La couche MD3 a livré de la base au sommet des âges ESR de 176 ± 29, 167 ± 44 ka, 141 ± 16 ka (Ravon et Laforge, 2019) (figs. 14 & 15). Dans tous ces sites, l’illuviation de ces dunes résiduelles est localisées sous les derniers heads par le pédocomplexe du MIS 5 (micromorphologie, Van Vliet‑Lanoë 1986 ; Van Vliet‑Lanoë & Laurent, 1996), suggérant pour ces dépôts éoliens un âge minima du MIS 6.

64Plus à l'est dans la Manche, en Baie de Saint Brieuc, des apports le plus souvent de sables loessiques, dérivés de vasières en contexte de plateforme, comme dans la coupe de Nantois, ont été initialement évaluées à environ 160 et 140 ka (IRSL, M. Frechen in Van Vliet‑Lanoë et al., 1997a). Les loess sableux de Nantois et ceux des Vallées ont été respectivement datés par ESR /U‑Th à 166 ± 8 ka et à 161 ± 43 ka (moyenne avec erreur propagée des trois âges obtenus : 138 ± 22 ka, 163 ± 23 ka, 182 ± 29 ka) (Bahain et al., 2012 ; fig. 13). À la pointe nord‑ouest du Cotentin, à Ecalgrain, un âge IRSL de 140 ±14 ka a été obtenu dans un dépôt de même nature sous‑jacent le paléosol MIS5e (Cliquet et al., 2009). Enfin, encore plus au nord‑est, toujours sur la côte, à Sangatte (Pas‑de‑Calais), des loess stratifiés datés du MIS 6 par TL relative (Saalien supérieur, Balescu et al., 1988), puis, par IRSL à 175 ± 15 et 165 ± 14 ka (Pawley inédit in Coutard et al., 2019), s’avèrent contemporains de ceux de la baie de St Brieuc.

65Enfin, à l’intérieur des terres, des dépôts loessiques du Saalien supérieur ont été datés à Saint‑Pierre‑lès‑Elbeuf (Seine‑Maritime) par IRSL de 174 ± 14 et 164 ± 13 ka (Cliquet et al., 2009), et à Villiers‑Adam (Val d’Oise) où les loess stratifiés ont livré des âges TL et IRSL respectifs de 173,7 ± 9,9 et 176 ± 18,2 ka et les loess homogènes sus‑jacents de 117,1 ± 6,0 et 119,5 ± 14,2 ka (Locht et al., 2003), clairement trop jeunes. Les âges radiométriques disponibles pour le nord‑ouest de la France comme dans d’autres sites, suggèrent également deux générations de loess, l’une vers 170‑160 ka et une plus récente.

66Cette activité éolienne importante au Saalien supérieur est conforme à la migration vers le sud de la trajectoire suivie par les dépressions cycloniques arrivant de l’Atlantique nord sous l’influence des deux avancées des calottes britanniques et scandinaves sur l’Europe, plus méridionales au MIS 6 qu’au MIS 2 (Weichselien supérieur, Ehlers & Gibbard, 2004). Sur la marge de Gascogne, des phases de retrait brutal d’inlandsis en réponse à un réchauffement océanique sont en effet enregistrées par un apport sédimentaire en pied de talus continental de la Manche dans le golfe de Gascogne (Toucanne et al., 2009 ; Eynaud et al., 2009) rapidement repris par les vents du sud‑ouest pour être déposés sur les premiers reliefs, comme en Arctique lors des tempêtes estivales actuelles (Van Vliet‑Lanoë, 2005a). Les deux phases de dépôts éoliens observées à Pen Hat et régionalement pourraient correspondre aux avancées glaciaires Drenthe et Warthe de la calotte scandinave au Saalien supérieur mais l’imprécision de leur chronologie absolue ne permet toutefois pas de l’affirmer. On note enfin l’existence de deux pics principaux d’activité éolienne enregistrés à l’échelle distale par la concentration en poussière dans le sondage Vostok en Antarctique (Petit et al., 1999) et par la taille des grains de quartz de la séquence synthétique des séries lœssiques du Plateau de Loess en Chine (Sun et An, 2005).

67Dans les loess du nord‑ouest de la France, la seconde phase éolienne reflète un contexte plus sec que la première (Coutard et al., 2019). Dans cette région, les séquences où des dépôts de ces deux phases éoliennes sont présentes, aucun paléosol intercalaire n’a été observé. Toutefois, étant donné l’épaisseur de ces dépôts – tout au plus quelques mètres – vis‑à‑vis de la durée du MIS 6 – près de 60000 ans –, ces séquences sont très certainement lacunaires. Le paléosol organique (PH8b) de Pen Hat pourrait donc être contemporain de ceux observés à Nantois (Seidenkrantz et al., 1996) associé au sous‑stage MIS6b défini par Railsback et al. (2015).

68Les fentes de gel présentes à la base du paléosol humifère (PH8b) sur le sable éolien plus ou moins enrichi en gélifracts (gel simultané) reflètent un contexte boréal à subarctique peu végétalisé en raison de la fréquence des tempêtes et la présence de glace dans le sable, comme ce qui s’observe actuellement en bordure de lac en Suède méridionale (Van Vliet‑Lanoë, 2005a & b).

69Leur ouverture pourrait correspondre à l’apparition sporadique de refroidissements brefs accompagnant la transition abrupte MIS 6d/c, le dépôt sableux servant de support à la pédogénèse caractérisant PH8b s’étant mis en place durant le MIS 6c. Les fentes présentes au sommet de PH8b (fig. 14) accompagneraient de même la transition MIS 6b/a. Jamais les preuves d’un pergélisol n’ont été observées en position littorale sur le massif armoricain au MIS 6, à la différence de Sangatte (Van Vliet‑Lanoë & Hallégouët, 2001).

70Enfin, dans l’Est de la France, un important complexe thermokarstique (fonte du pergélisol en au moins quatre évènements) a été documenté entre deux épandages éoliens associés à un pergélisol continu (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019b). Le plus ancien s’est déposé en contexte neigeux avec apport de loess lités vers 160 ka (hydrolaccolithes en système ouvert) et le plus récent, vers 140 ka avec dépôt de loess, dans un contexte nettement plus aride et avec de la contraction thermique (pseudomorphose de coins de glace) par rapport à la courbe LR04 (Lisiecki & Raymo, 2005).

71Cette succession rappelle celle observée à Pen Hat avec aussi deux épandages éoliens différenciés (PH8a et PH9a), le pédocomplexe intermédiaire (PH 8b) pouvant quant à lui être contemporain de tout ou partie du complexe thermokarstique intermédiaire.

4.2 ‑ Les MIS 7 et 9 littoraux et le massif sableux intermédiaire

72En partant du principe qu’ils soient contemporains, les massifs sableux intermédiaires enregistrés à Pen Hat (PH6 et PH7a) et Trégana (TR1‑TR2) sont manifestement littoraux, associés à un haut niveau marin voisin du niveau actuel, ce qui exclut d’office le glaciaire MIS 8, et donc de rang interglaciaire ou interstadiaire. Sur la base des nouvelles datations obtenues dans l’unité TR2 de Trégana (290 ± 22 et 264 ± 18 ka; figs 13 & 15), la formation littorale représentée en Baie de Brest atteste plutôt du MIS 9a (~285 ka) que du MIS 7e (~240 ka), contrairement à notre interprétation initiale (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019a). Ces datations ont été obtenues sur des feldspaths potassiques de la fraction sableuse. En augmentant la première température de stimulation classique de 50°C (Thiel et al., 2011), à 200°C, il est plausible de considérer que le signal est exempt d’une perte de signal anormale (fading) qui aurait amené un rajeunissement de l’âge (Ito et al., 2017). Néanmoins, le matériel étant pro parte remanié en conditions hydromorphes des dépôts antérieurs de la rade de Brest, un fading n’est pas à exclure.

73Si, comme les datations le laissent supposer, les unités PH6 et PH7 de Pen Hat et la séquence (TR1‑TR2) de Trégana sont contemporaines du sous‑stage MIS 9a, alors leur position est anormalement haute (+8 m NGF) par rapports aux différentes estimations du niveau marin de cette époque, estimations basées sur des données isotopiques et qui le place entre ‑5 et ‑40 m, i.e. à la même altitude que pendant les sous‑stades MIS 5c et MIS 5a (de Gelder et al., 2020). Seuls un échantillon de corail de l’île Henderson au milieu du Pacifique daté à 290 ka qui indique un niveau marin brut d’environ 18 m a.s.l. (0 m a.s.l. avec la correction de surrection ; Stirling et al., 2001) et les modélisations de Rohling et al. (2014) qui reconstruisent un niveau marin proche de 0 m à Gibraltar malgré les données utilisées, un site au sud de la Mer Rouge), indiquent un niveau à ‑25 m (Rohling et al., 2014). Toutefois, les séquences PH6‑7 de Pen Hat et TR1‑2 de Trégana sont associées à des traces de tempêtes dans un contexte relativement froid en hiver et à une discontinuité majeure, la base du Membre Moyen littoral soulignée par une activité glacielle et co‑sismique (Van Vliet‑Lanoë et al., 1997b, 2019a). D’une part, en contexte exposé comme sur la façade atlantique irlandaise, les tempêtes induisent un refaçonnement des formations littorales jusqu’à 10 m par rapport à la normale (surcote et runup, Donnelly et al., 2006). D’autre part, même si le lien est plus ténu, le MIS9a est caractérisé par deux importantes phases de développement de la glace de mer et d’ice shelves autour de l’Antarctique reflétée par deux pics en sodium marin élevés à 280 et 295 ka dans la carotte EPICA à Dome C (Wolf et al., 2006), donc potentiellement présents également dans l’hémisphère nord. Par ailleurs, mentionnons également que ces deux séquences sédimentaires sont associées en Bretagne à des évidences régionales d’activités paléosismiques (Van Vliet‑Lanoë et al., 2019a) et peut‑être associées à des déformations du bâti géologique ayant pu contribuer à leur surélévation anormale. Cependant, rien de concluant n’a été observé. Il faut noter que la couche 6 de Menez‑Dregan, bien que non datée, pourrait correspondre au même haut niveau marin en débordement (runup) préservé dans la grotte, d’après les datations obtenues par Mercier et al. (2004) attribuant la couche MD 5 sus‑jacente au MIS 7a‑c (voir. Enfin, si le haut de la séquence est érodé à Pen Hat, celle de Trégana se termine par la mise en place tardive (TR3) d’une dune qui signe également un interstade tempéré frais et tempétueux plutôt qu’un interglaciaire.

74Les séquences sédimentaires littorales datées du MIS 7 sont très bien enregistrées par les faciès des formations sableuses de la côte sud de l’Angleterre (Torbay, Hope Nose, Baie de Barnstaple, Van Vliet‑Lanoë et al., 2000) et à Sangatte (Pas de Calais, Van Vliet‑Lanoë et al., 2004 ; Coutard et al., 2019), en position relativement protégée des houles du sud‑ouest. Les MIS 7a et 7c sont préservés dans des loci protégés en Baie de St Brieuc (Bahain et al., 2012), dans une grotte en Baie d’Audierne (Menez Dregan 5 : Mercier et al., 2004) et le long du Cotentin (Cliquet et al., 2003 ; Cliquet et al., 2009). Ces niveaux ne semblent pas être préservés face à la mer d’Iroise (Pen Hat et Trégana) où les côtes sont exposées de face à la puissante houle atlantique, a fortiori lors de tempêtes du sud‑ouest, souvent associées pour l’Holocène à un jet stream instable et donc à des périodes de transition climatique (Van Vliet‑Lanoë et al., 2014).

75D’un point de vue géomorphologique, le MIS 7 serait représenté par une succession de trois hauts niveaux marins d’altitudes décroissantes d’après l’amplitude relative des interstades associés du δ¹⁸O de la carotte marine MD99‑2227 de l’Eirik Ridge au sud du Groenland (Hatfield et al., 2016). Les données fournies par les coraux indiquent des valeurs moyennes de niveaux marins minimales pour le MIS 7e, maximales pour le MIS 7a et très variables en fonction des régions pour le MIS 7b, mais qui tendent à être plus élevées qu’au MIS 7e dans l’Atlantiques nord, avec des différences allant jusqu’à la dizaine de mètres (Medina‑Elizade, 2013 ; Spratt & Lisiecki, 2016 ; de Gelder et al., 2020). De telles variations pourraient justifier que le MIS 7e ne semble pas du tout enregistré en Europe occidentale littorale d’après les datations publiées.

76Traditionnellement, l’altitude du niveau marin du MIS 7e est modélisée sur la base des enregistrements isotopiques. Les données altitudinales réelles moyennes des coraux intertropicaux (Medina‑Elizade, 2013 ; de Gelder et al., 2020) indiquent une altitude moyenne brute assez voisines de ‑8 m a.s.l. pour le MIS 7e, 0 m pour le MIS 7c et de +5 m pour MIS 7a. Actuellement, les estimations les plus récentes proposent ‑6 m pour MIS 7e (244‑232 ka), +4 m pour le MIS 7c (220‑208 ka) et le MIS 7a (202‑186 ka ; Spratt & Lisiecki, 2016).

4.3 ‑ L’île de Toulinguet et son évolution du MIS 11 au MIS 9A

77Les unités PH3 et PH4a (paléosol) de la séquence de Pen Hat sont en continuité et appartiennent à un même interglaciaire, le MIS 11 (395–415 ka). Des datations complémentaires seraient nécessaires pour affiner l’âge du gisement (e.g. TL sur silex). Son maximum eustatique est situé vers +15 m (Rohling et al., 2014) ou + 9 m dans le sud‑ouest anglais (Bates et al., 2014). À cette époque, l’île du Toulinguet devait être séparée du continent par un bras de mer colonisé par des bancs de sables et de galets (fig. 16). La datation de PH3 et sa granulométrie (sable fin) suggèrent un dépôt de bas d’estran lors du maximum eustatique. Les cordons devaient donc constituer des reliefs émergeant de la lagune en période de bas niveau marin. La couche PH4a est pédogénéisée et située vers + 5 m NGF, ce qui témoigne d’une phase tardive du MIS 11. Le site archéologique est donc localisé en bordure d’une lagune barrée par deux flèches en galets (actuellement inaccessible sous le cordon actuel et les dépôts de pente), et autres barres probablement en relief dans la lagune et donc exploitables par l’homme en fin d’interglaciaire. Cette dépression permettait de surcroît un accès à l’île du Toulinguet, un site d’observation et éventuellement de refuge (fig. 17) étant donné la présence de nombreuses grottes profondes et anciennes (face sud du Toulinguet) également présentes tout le long de la péninsule de Crozon (Paris, 2019). Le plancher de ces grottes est à peu près à la même altitude que le gisement et souvent contient des accumulations anciennes de galets.

4.4 ‑ L’occupation paléolithique inférieur de Pen Hat à l’échelle locale

78A la fin du MIS 11, les hommes se sont implantés au sud‑est du relief de la pointe du Toulinguet, dans un secteur abrité des vents d’ouest et de nord dominants (fig. 14). Cette implantation était située en bordure d’une lagune, barrée par deux flèches en galets. Les paléocordons littoraux (Lefort et al., 2011) formaient une source d’approvisionnement abondante et à proximité immédiate du gisement fouillé en 1984.

79La série lithique est le fruit d’activités de débitage menées sur place, visant à produire des éclats faiblement prédéterminés, de petites dimensions et avec majoritairement un unique tranchant laissé brut et très probablement utilisé ainsi. Des petits galets de silex ont été probablement recueillis et sélectionnés sur les cordons littoraux de la zone de lagune pour leur bonne aptitude à la taille et ont formé ainsi l’essentiel de la matière première minérale utilisée (85 % des artefacts en silex local). Les mêmes modalités de débitage, majoritairement unipolaire parallèle, avec séquence courte de débitage, faible prédétermination, sans préparation des plans de frappe, en percussion dure rentrant menée au percuteur dur, se retrouve également utilisé pour débiter quelques galets de quartzite et de grès. Ces galets légèrement plus grands que ceux de silex sont aussi aménagés en outils, mais représentent qu’une part infime de l’assemblage. Aucun élément particulier non décrit précédemment n’est à notifier, hormis peut‑être la présence de quelques éclats en grès et grès lustrés aux dimensions un peu supérieures que celles observées dans la série analysée. Le corpus analysé précédemment est donc bien représentatif du niveau archéologique de Pen Hat mis au jour dans l’unité PH4a.

80Après la mise en évidence des caractéristiques de la série ne posant aucun problème d’attribution stratigraphique, un retour sur les pièces laissées de côté, en provenance du Toulinguet (retrouvées en position remaniée dans la séquence ou en ramassage de surface par B.H. ou désormais sans provenance connue) a permis de constater que ces pièces partageaient les mêmes caractéristiques. Ceci permet de supposer que d’autres occupations ont pu prendre place plus haut sur la pointe du Toulinguet, potentiellement utilisé comme observatoire ou/et de refuge au cours du Paléolithique inférieur. Cependant, vu la dynamique sédimentaire locale, il est fort probable qu’aucune de ces dernières n’a résisté aux épisodes d’érosion du Pléistocène moyen et supérieur.

81Le gisement paléolithique de Pen Hat demeure à ce jour le seul ayant été fouillé, ou plus précisément sondé, à l’échelle de la presqu’île de Crozon et de la rade de Brest. Le potentiel local concernant le Paléolithique inférieur existe pourtant, comme nous le rappellent les séquences du Pléistocène moyen et les découvertes associées faites à Trez Rouz et Trégana. Cependant, ce potentiel est resté jusqu’à présent sous‑exploité et sous‑investi, constat qui peut être étendu à l’échelle régionale.

4.5 ‑ L’occupation paléolithique inferieur de Pen Hat à l’échelle régionale

82À l’échelle régionale, comme nous l’avons écrit en introduction, il faut se rendre à l’évidence que Menez‑Dregan et dans une certaine mesure Saint‑Colomban, sont les seul sites archéologiques bretons capables de nous éclairer sur les plus anciennes industries armoricaines et de nous livrer des éléments de comparaison fiables et en position stratigraphique assurée (fig. 12). La comparaison avec Menez‑Dregan, bien qu’indispensable et essentielle, reste difficile pour plusieurs raisons. Les niveaux pénécontemporains de Pen Hat à Menez‑Dregan (couches 9 à 7) sont ceux qui ont été fouillés le plus récemment, et sont donc les moins documentés et publiés. Pen Hat se caractérise uniquement par son débitage puisqu’aucun biface n’est présent et un seul galet pourrait arborer le statut de galet aménagé. Or, à Menez‑Dregan, l’essentiel des études lithiques pour les niveaux de base de la séquence s’est focalisé sur les galets aménagés (dans le but de définir le faciès Colombanien, Hallégouët et al., 1992), puis plus récemment sur les pièces bifaciales (dans le but de redéfinir le statut du site, le faisant entrer pleinement dans la sphère des sites acheuléens, Ravon, 2019). Les études technologiques sur le débitage de Menez‑Dregan sont pour certaines couches encore en cours, et les données publiées demeurent très liminaires (Monnier et al., 1996 ; Ravon et al., 2016, 2019 ; Ravon, 2017, 2019). Elles nous permettent cependant d’entrevoir que la série de Pen Hat se rapprocherait plus des séries du bas de la séquence de Menez‑Dregan (couches 9 à 7), comme l’attribution chronologique le suggère. Dans la description la plus récente, le débitage est décrit de la manière suivante « In most of the cases, short knapping sequences are applied, producing flakes with wide striking platforms seldom facetted, prominent bulbs, and open angled ventral faces. Sometimes flakes are produced by percussion on an anvil, or on previous flakes, and the Levallois method is never used. The small tool kit mainly includes denticulates and notches with a few scrapers » (Ravon, 2019). Pen Hat se distingue des séries de Menez‑Dregan i) par l’absence d’éclats retouchés et surtout des denticulés très représentés à Menez‑Dregan, ii) la moins grande diversité de matière première exploitée, iii) l’absence de galets aménagés massifs ou de bifaces en roches grenues et iv) l’absence à ce jour de foyer. Une étude plus technologiquement détaillée des méthodes de débitage de Menez‑Dregan permettrait peut‑être de rapprocher les deux gisements bretons, car en l’état des comparaisons, force est de constater que mise à part une proximité géographique, les deux séries partagent peu d’éléments communs.

83A proximité immédiate de Menez‑Dregan, se trouve le site voisin de Gwendrez où des datations IRSL ont été récemment effectuées par M. Frechen (tab. 1). En 1995, nous (B.H. & B.V.V.) avons trouvé un chopper dans la plage moyenne (unité GD‑C1a). La datation récente de cette unité par IRSL (2018) à >383 ± 21 ka (à saturation) permet de lui attribuer un âge du même ordre que celui de Pen Hat, donc plus récent que la couche MD9 (fig. 14). La couche sableuse de la base de Gwendrez (unité GD ‑B1 dans Van Vliet‑Lanoë et al., 1997a) a par contre délivré notamment cinq choppers et quelques nucléus en plus d’éclats (Monnier & Hallégouët, 1997) pour une datation IRSL (2019a, tab. 2) de >417 ± 24 ka (à saturation) en conformité avec la datation ESR de MD9 (465 ± 65 ka).

84La comparaison avec Saint‑Colomban (Monnier, 1989 ; Monnier & Molinès, 1993) est également délicate car le cadre chrononologique de la séquence et des occupations humaines n’est pas pleinement assuré. Si une attribution à la fin du MIS 11 s’appuyant sur la transgression marine du cordon littoral a été proposée en 1989 (Monnier, 1989), cette dernière mériterait amplement une révision critique à l’aune des données les plus récentes et des datations radiométriques mériteraient d’être menées, malgré les limites connues dans ce contexte difficile du massif armoricain. Au‑delà de ces limites chronologiques à la comparaison, à l’instar de Menez‑Dregan, la présence du dit macro‑outillage constitué d’« outils sur galets » a focalisé l’attention des études. Ces outils sur galets ont servi de pierre angulaire à la construction d’un faciès dénommé Colombanien, en sous‑estimant totalement la place des produits issus du débitage, mis à part les éclats retouchés (majoritairement encoches et denticulés). Ainsi, l’industrie sur éclats est décrite comme « fondée sur un débitage assez frustre et de petit module (éclats de formes irrégulières, angles d’éclatements très ouverts, cône de percussion très marqués). Les nucléus sont nombreux, essentiellement informes, et souvent de très petites dimensions » (Monnier, 1989). Retenons tout de même de Saint‑Colomban que les descriptions du débitage, malgré leur certaine ancienneté et du coup imprécision eu égard au niveau de lecture technologique actuel, permettent d’envisager que le débitage de Saint‑Colomban partage des points communs avec Pen Hat : des dimensions réduites des produits comme des nucléus, des séquences courtes d’exploitation, des schémas dit « frustres » (à Saint‑Colomban, Monnier, 1989) ; et se distingue de Pen Hat par la présence d’outils sur galets et des angles d’éclatement très forts – restant à quantifier –, deux caractères très peu présents, pour ne pas dire absents de la série de Pen Hat.

85D’un point de vue cycle climatique, l’occupation de Pen Hat s’inscrit pleinement dans les occupations archéologiques du massif armoricain, surtout observées en fin de période chaude pour raison de préservation des corps sédimentaires de haut niveau marin et début de régression. En contexte armoricain interglaciaire, la forêt dense arrive généralement en bordure du littoral sauf sur la côte exposée et le contexte rocheux y est peu favorable à la chasse. Les sites localisés actuellement en zone littorale ont semble‑t‑il été fréquentés plutôt en fin d’interglaciaire ou d’interstade, offrant des grands espaces sableux, voire dunaires libérés par la régression marine, tout comme des cordons de galets, source principale de silex dans la région. Plusieurs occupations littorales du Paléolithique inférieur ont accompagné la fin des périodes tempérées des MIS 13, MIS 11 et potentiellement du MIS 9e‑c, comme Menez‑Dregan l’illustre. Ces périodes sont entrecoupées par l’apparition des très grandes glaciations (MIS 12 et MIS 10). Le contrecoup de ces glaciations étendues est marqué par une évolution des flores et des faunes (Auguste, 2009 ; Schreve, 2019) qui a fort vraisemblablement entrainé une modification dans les techniques de prédation des groupes d’hominidés présents en Bretagne durant le Paléolithique inférieur.

4.6 ‑ L’occupation paléolithique inférieur de Pen Hat à l’échelle européenne

86Si à l’échelle locale et régionale, les comparaisons se heurtent aux limites des connaissances actuelles des gisements du Paléolithique inférieur breton, comment s’insère Pen Hat dans le paysage archéologique européen des MIS 13 à 9 ?

87Des éléments de comparaison proches du point de vue des caractéristiques technologiques se retrouvent outre‑Rhin, dans les plaines d’Europe moyenne, centrale et de l’Est (fig. 18, points rouges). Bien que connue par de rares sites, cette grande région se caractérise par une absence de bifaces, et « par des chaînes opératoires de débitage, permettant l’obtention d’éclats aux caractères morpho‑techniques variés, généralement bruts de retouche (Rocca, 2016a, 2016b) » (Rocca et Serangeli, 2019). Ces produits de débitage obtenus par des séquences courtes souvent unipolaires sont rattachables à la famille des débitages de type C de Boëda (2013), et dans certains cas leur prédétermination plus poussée inviterait à les classer dans des débitages de type D, comme à Korolevo pour le niveau VI et à Kärlich‑Seeufer (Rocca, 2016b). À ce corpus d’éclats s’ajoutent des supports de petits dimensions « sélectionnés » et non produits (souvent des éclats de gel) retouchés créant toute une panoplie d’outils de petites dimensions tout à fait caractéristiques de cette aire géographique, mais dont on retrouve certaines composantes dans les assemblages plus occidentaux de l’Europe (Rocca, 2016b ; Rocca et al., 2016 ; Rocca & Serangeli, 2019).

88Ce type de production se retrouve également dans les assemblages de l’Europe du Sud, en Italie, en Espagne et dans une moindre mesure en France avec le cas du niveau D de la Caune de l’Arago (fin MIS 12, Barsky et al., 2019 ; fig. 18, points verts). Cependant, dans ces ensembles méridionaux, les éclats de petites dimensions sont le fruit d’un débitage partagent quasi systématiquement le tableau avec des outils de plus grandes dimensions, se présentant le plus souvent sous la forme de galets aménagés ou de bifaces. Si ces produits de petites dimensions rappellent ceux observés à Pen Hat, il faut aussi souligner que ces productions sont encore largement méconnues, dans leur nature propre, faute d’études poussées dédiées jusqu’à présent.

89Ces éclats de dimensions réduites issus de débitage de type C ne sont jusqu’à ce jour pas documentés dans les régions plus septentrionales de l’Europe (fig. 18, points bleus). Les plaines nord‑européennes recèlent d’assemblages trop longtemps qualifiés d’Acheuléen et caractérisés par la présence de biface. Cette malheureuse obsession typologique a eu pour conséquence des débats sur la nature des assemblages sans biface comme en Angleterre avec le Clactonien et en France autour du Colombanien. Elle oblitéra la caractérisation de ce qui représente l’essentiel de la plupart des assemblages lithiques, à savoir les produits de débitage. Il demeure encore complexe de donner un aperçu juste des assemblages du MIS 13 à 11 de cette région du Nord‑Ouest de l’Europe qui encadre la Bretagne. La tendance observée est celle d’assemblages constitués minoritairement de bifaces (souvent moins de 1 % des séries, Nicoud, 2013) et majoritairement d’éclats le plus souvent corticaux, épais, à un tranchant brut et produits selon des schémas unipolaires faiblement prédéterminés. Les modes de débitage d’éclats appartiennent ici aussi à la famille des débitages de type C utilisée à Pen Hat. Cependant, la recherche de produits de petites dimensions n’est pas documentée dans ces régions septentrionales.

90Ce bref aperçu montre que Pen Hat s’inscrit pleinement dans la variabilité des industries connues du Paléolithique inférieur en Europe. Si la présence exclusive (ou presque) d’éclats bruts de petites dimensions dans la série la rapproche des contrées orientales, voire méditerranéennes, les modes de débitage mis en œuvre empruntent des schémas qui se retrouvent dans presque tous les assemblages du Paléolithique inférieur européen du MIS 13 au MIS 9.

5 ‑ Conclusion

91La séquence stratigraphique Pléistocène et Holocène de Pen Hat est une des plus complètes de Bretagne. Si son intérêt géologique est indéniable, son intérêt archéologique a été sous‑estimé au moment de sa découverte, à cause d’une industrie de petites dimensions et au débitage jugé simple, pour ne pas dire simpliste. Ce gisement mérite amplement à présent d’être réhabilité comme un point d’observation de référence à l’échelle régionale. En effet, il s’agit désormais d’un des rares niveaux paléolithiques bretons préservé en place à avoir été fouillé en stratigraphie et daté. Il rejoint la très courte liste avec Menez‑Dregan des gisements attribuables au Paléolithique inférieur, avec son niveau archéologique dans l’unité PH4a corrélé au MIS 11. Il vient compléter le tableau encore trop parcellaire des connaissances des premiers peuplements en Bretagne et révèle une facette inconnue du Paléolithique inférieur armoricain.

92Cependant, si cette étude laisse entrevoir le potentiel du gisement, il paraît indispensable de le documenter plus complètement si l’on souhaite en tirer le plein parti et ne pas voir s’effacer tout espoir de documentation avec l’érosion marine des prochaines décennies.

93Pen Hat, comme trop longtemps Menez‑Dregan ou Saint‑Colomban seuls, ne doivent pas rester les uniques phares bretons éclairant les connaissances du Paléolithique inférieur. Ils doivent être perçus comme des escales permettant d’avancer dans cette longue quête qu’est celle des premiers peuplements de la façade atlantique et du nord de l’Europe. Les sites de Trégana comme de Trez Rouz sont appelés à rejoindre la liste, tout comme les nombreux autres sites à fort potentiel paléolithiques, avec un défi supplémentaire de taille pour l’avenir, quitter les escarpements rocheux littoraux et documenter les rares sites préservés à l’intérieur des terres.