1Ce travail de thèse a pour objet de présenter le cadre physique des sites archéologiques ornés par l’approche de la géomorphologie associée aux outils de topographie et d’imagerie 3D, afin de reconstituer les formes et l’évolution de l’environnement physique des sites ornés. De nombreux sites archéologiques majeurs semblent en effet inscrits dans des paysages marquants, à la facture topographique particulière. Cette proximité entre site archéologique et facture paysagère remarquable a été par exemple constatée sur des sites paléolithiques européens – cavités ornées des gorges de l’Ardèche – ainsi que pour les sites aborigènes en Australie. Ces constats ont amené les géomorphologues et les archéologues à questionner les notions d’espace, de paysage et de territoire pour les populations passées. Les traces des fréquentations humaines passées s’inscrivent en effet souvent dans un espace spécifique, tant par ses caractéristiques morphologiques que par ses capacités de préservation de témoins archéologiques (facture topographique remarquable, abri-sous-roche, couche enfouie, cavité). Cependant ces archives sont rarement conservées dans l’état morphologique de l’environnement physique initial, au moment des fréquentations humaines. Ces travaux de thèse avaient donc pour objectif d’étudier l’évolution des environnements physiques directs des sites ornés avant, pendant et après les fréquentations humaines passées.
2Trois sites d’études ont été choisis en support de cette approche : le site Magdalénien du Roc-aux-Sorciers (Vienne, France), les monolithes ornés du site Borologa (Kimberley, Australie), et l’environnement paysager de la grotte Chauvet : le complexe du cirque d’Estre et de l’arche du Pont d’Arc (Ardèche, France). C’est notamment dans le cadre très riche des gorges de l’Ardèche et du Pont d’Arc qu’une méthodologie spécifique a été développée, qui se fonde sur l’infographie 3D comme outil de croisement des données issues de différents champs disciplinaires. Une approche multiméthodes a été construite sur ce site dans l’objectif de reconstituer son histoire, en confrontant le temps des formes du paysage avec celui des communautés humaines passées.
3La méthodologie mise en place sur les sites d’étude se fonde sur la topographie haute-résolution et son caractère non invasif. L’application de cette dernière est déclinée sur l’ensemble des chapitres de thèse à des échelles différentes, du site archéologique jusqu’à une vallée entière (fig. 1).
Fig. 1 : L’approche géomorphologique 3D intégrée : cœur du programme de thèse. Fig. 1: The 3D integrated geomorphological approach is the core concept of the thesis program.
(A) Modèle 3D intégré karst-rivière de l’entrée des gorges de l’Ardèche. (B) Cartographie géomorphologique 3D des terrasses alluviales de l’Ardèche. (C) Modèle morphostratigraphique et géophysique 3D de la Combe d’Arc. (A) Integrated karst-river 3D model of the Ardèche gorges entrance. (B) 3D geomorphological map of the Ardèche river fluvial deposits. (C) 3D morphostratigraphic and geophysical model of the Combe d'Arc cutoff meander.
Kim Génuite
4Le travail de thèse est décliné en trois parties, elles-mêmes respectivement constituées de deux, trois, et trois chapitres. La première partie (chapitres 1 et 2) se veut méthodologique et développe les étapes de construction d’une cartographie 3D en contexte archéologique. Le premier chapitre se focalise sur le site du Roc-aux-sorciers (Vienne, France). Le site se présente sous la forme de deux abri-sous-roche dans une concavité de méandre. Des bas-reliefs sculptés attribués au Magdalénien Moyen (environ 18 000 a cal. BP) ont été découverts en 1927. Une partie de l’abri-sous-roche s’est effondré, emportant avec lui des blocs sculptés. L’étude géomorphologique au moyen de relevés topographiques par scanner laser 3D a permis de reconstruire les différentes phases d’évolution et de remplissage du site du Roc-aux-sorciers, au temps des fréquentations magdaléniennes.
5Le second chapitre nous emmène dans le Kimberley Nord-Australien, à la sortie des gorges de la rivière Drysdale. L’évolution paysagère des sites Borologa, de grands monolithes de quartzite ornés à leur base, a été conduite directement en trois dimensions. Les correspondances morpho-stratigraphiques entre les blocs et les escarpements rocheux ont permis de reconstruire, par un travail de rétro-modélisation en 3D, l’évolution du paysage avant les fréquentations humaines connues (sur ce site, environ 4000 a cal. BP).
6La suite de ce travail (parties 2 et 3) porte sur la reconstitution des paléogéographies de l’environnement de la grotte Chauvet : le complexe du Cirque d’Estre - Pont d’Arc (gorges de l’Ardèche, France). La topographie 3D permet alors de mettre en relation des objets et des observations ponctuelles (fig.1). Six chapitres (3 à 8) illustrent différents questionnements et approche méthodologiques sur le même site d’étude. La partie 2 (chapitres 3, 4 et 5), vise à construire une chronologie relative de l’évolution du méandre de la Combe d’Arc par l’intermédiaire de la cartographie géomorphologique 3D. Le chapitre 3 s’attache à cartographier le système de terrasses alluviales à l’entrée des gorges de l’Ardèche, une logique de terrasses étagée et de recoupement de méandre est mise en évidence pour les quatre niveaux inférieurs. Le chapitre 4 poursuit l’étude géomorphologique en milieu souterrain et investit la principale cavité de basse altitude du méandre : la grotte des Châtaigniers. Ces observations permettent de mettre en évidence le rôle de la karstification de basse altitude dans le recoupement de ce dernier et l’apparition de l’arche du Pont d’Arc dans le relief. Enfin, le chapitre 5 se focalise sur les campagnes de prospection géophysique haute-densité (Tomographie de la Résistivité Electrique / ERT) menées dans le méandre de la Combe d’Arc. Ces résultats clôturent la partie deux en fournissant une image 3D des structures sédimentaires du sous-sol du méandre abandonné. La fusion de ces approches au sein du même référentiel topographique permet alors d’établir un modèle d’emboitement relatif des formes autour du Pont d’Arc.
7Dans la troisième et dernière partie, les observations morpho-stratigraphiques précédentes sont recalées dans le temps à la suite de deux campagnes de datation qui permettent finalement de replacer le recoupement de méandre et la genèse de l’arche du Pont d’Arc dans une chronologie absolue (fig.2). Le chapitre 6 se focalise autour de l’étude des concrétions de la grotte des Châtaigniers, prélevées à différentes altitudes et datées au moyen de la méthode Uranium-Thorium. Les résultats permettent de discuter des phases de concrétionnement dans les gorges de l’Ardèche sur les derniers 400 000 ans. Le chapitre 7 correspond au point d’orgue de ce travail de thèse. Il traite des résultats obtenus sur les basses terrasses alluviales de l’Ardèche par datation ESR sur quartz et livre la clé de lecture finale sur l’évolution de méandre avec la datation de l’apparition de l’arche du Pont d’Arc à environ 124 000 plus ou moins 8000 ans, bien avant les fréquentations humaines connues de la grotte Chauvet (fig.2). Enfin, le dernier chapitre (8) constitue une ouverture sur l’application à l’échelle d’un bassin versant des reconstitutions 3D une fois contraintes dans une chronologie absolue. Ces dernières sont comparées entre elles et mises en regard avec les évolutions climatiques régionales.
Fig. 2 : La modélisation chronologique intégrée, entre le temps des sociétés passées et celui des paysages. Fig. 2: Integrated chronological model of the Time of landscapes and the Time of past societies.
Modèle de fréquentation de la grotte Chauvet : Quilès et al., 2016 ; modèle de fermeture de la cavité : Sadier et al., 2012.
Kim Génuite
Chauvet cave frequentation model : Quilès et al., 2016 ; Chauvet cave enclosure model: Sadier et al., 2012.
8Ce travail de thèse met en avant la dimension fédératrice et interdisciplinaire de la géomorphologie 3D appliquée en contexte archéologique. En investissant une échelle de travail encore peu mise en valeur sur site archéologique, celle de l’environnement physique direct des sites ornés, l’approche géomorphologique proposée permet d’inscrire le site dans un espace vécu : celui des communautés humaines passées, et ainsi discuter de la notion de « Sense of Place » – que l’on peut traduire par sentiment d’appartenance – des sociétés du Paléolithique récent dans un paysage.