1Particulièrement sensibles aux changements de températures et de précipitations, les fluctuations des langues glaciaires individuelles et des petites calottes glaciaires sont reconnues comme l’un des indicateurs les plus emblématiques des changements climatiques. Depuis le début de l’ère industrielle, l’observation du retrait important de ces marges glaciaires à travers le monde témoigne de l’ampleur de l’évolution actuelle du climat et impose de nombreux enjeux pour l’environnement et les sociétés. L’Arctique est particulièrement au cœur des préoccupations des scientifiques qui observent une sensibilité et un changement du milieu plus accru que dans le reste du monde avec une perte de masse des glaciers de presque 60 % depuis le début du XXe siècle. Pour mieux appréhender l’évolution future de ces glaciers face aux changements du climat dans cette partie de l’hémisphère Nord, il est intéressant de documenter les anciennes fluctuations des glaciers aux échelles locales et régionales depuis le début de l’Holocène (interglaciaire actuel commencé il y a ~11 700 ans). L’histoire de ces fluctuations glaciaires aide ensuite à reconstituer l’évolution régionale du climat pendant l’Holocène et à mieux identifier les différents forçages climatiques qui peuvent en être responsables.
2Cette thèse porte sur les fluctuations de glaciers déconnectés de l’inlandsis du Groenland au cours de l’Holocène afin de documenter l’évolution régionale du climat sur l’île et mieux identifier l’action des différents forçages responsables des variations climatiques dans l’hémisphère Nord. Pour ce faire, le travail se focalise sur un marqueur géomorphologique présent en marge des glaciers actuels : les moraines. Ces amas de débris rocheux sont formés par érosion lors des anciennes extensions glaciaires et disposés de manière successive dans le paysage (fig. 1). Les moraines représentent donc les expansions antérieures de la glace et peuvent être associées à des périodes de refroidissements climatiques précises.
3La datation de ces héritages glaciaires est une solution fiable pour documenter les avancées glaciaires passées. Pourtant, au début de ce projet de thèse, notre connaissance sur l’évolution des glaciers déconnectés de l’inlandsis du Groenland pendant l’Holocène est encore très lacunaire. Cela s’explique en partie à cause de la répartition très inégale des chronologies à l’échelle de l’île et du nombre limité de moraines datées à l’échelle des sites étudiés. Malgré cela, la majeure partie de ces études considèrent que les avancées glaciaires du Petit Âge Glaciaire (PAG : ~0,7 - 0,2 ka) représentent l’extension maximale des glaciers pendant l’Holocène au Groenland. C’est sur la base de ce constat que ce projet de thèse s’est construit. Cette recherche a donc eu pour objectif de participer à combler les lacunes sur les périodes d’expansions majeures des glaciers déconnectés de l’inlandsis pendant l’Holocène au Groenland en construisant des nouvelles chronologies glaciaires.
4Dans cette étude, la datation cosmogénique 10Be des moraines est utilisée pour documenter l’évolution de sept glaciers répartis sur trois secteurs clés au Groenland : l’île de Clavering (nord-est), la vallée de Tasilap (sud-est) et la vallée d’Isortup (sud). Associés aux quelques chronologies glaciaires antérieures à ce travail de thèse, ces travaux renforcent l’idée d’une extension maximale des glaciers antérieure au PAG, avec notamment une avancée glaciaire majeure pendant l’Holocène Ancien (11,7 - 8,2 ka) sur certains secteurs de l’île. Cependant, les résultats les plus inédits concernent l’identification de deux nouveaux stades morainiques témoignant d’expansions glaciaires pendant l’Holocène Récent (à partir de 4,2 ka). Il s’agit de moraines formées pendant le Néoglaciaire Moyen (~3 ka) sur les trois sites d’études de cette thèse et pendant le refroidissement du Dark Age Cold Period (~1,2 - 1,7 ka) dans six de nos sept chronologies glaciaires (fig. 2). Ces résultats de chronologies glaciaires ont permis d’aboutir à la publication de deux articles scientifiques dans la revue Boreas (Biette et al., 2020 ; Biette et al., 2021).
5En améliorant la couverture spatiale des chronologies glaciaires au Groenland, il a été possible de discuter de l’hétérogénéité spatiale du climat à l’échelle du Groenland et de la relation entre les différents forçages climatiques dans l’hémisphère nord. Les moraines pré-PAG mises en évidence sur les sites d’études de cette thèse montrent que l’insolation solaire ne peut pas être le seul forçage climatique responsable des variations du climat pendant l’Holocène mais que plusieurs autres forçages climatiques potentiels se sont superposés au Groenland. Les travaux de cette thèse permettent de suggérer que l’influence des courants marins du Groenland est notamment un facteur très important à prendre en compte dans l’évolution régionale des glaciers pendant la majeure partie de l’Holocène. Cette hypothèse peut être appuyée par les modélisations récentes évoquant une grande similitude entre les variations de la force de l'Atlantic meridional overturning circulation (AMOC) et l’évolution des glaciers dans les Andes tropicales et les régions de l'Atlantique Nord.
6Ces nouvelles chronologies glaciaires peuvent aussi contribuer aux connaissances sur les conditions paléoclimatiques dans l’hémisphère nord. En parallèle de la datation 10Be de moraines, une modélisation glaciologique (degré-jour) fondée sur une chronologie glaciaire préexistante sur l’île de Disko (centre-ouest) a été appliquée pour estimer des conditions de températures responsables d’une extension glaciaire au cours de l’Optimum Climatique Médiéval (~0,9 - 0,7 ka). Les résultats montrent un refroidissement compris entre ‑1,3°C et ‑1,6°C par rapport au XXe siècle à la fin de l’Optimum Climatique Médiéval. Ce modèle glaciologique n’a pas encore pu être appliqué aux autres sites de cette thèse. Cependant, cette étude préliminaire, publiée sous la forme d’un troisième article scientifique dans la revue « Géomorphologie : relief, processus et environnement » (Biette et al., 2018), montre que ce modèle glaciologique constitue une bonne opportunité pour la détermination de conditions de température passées.
Fig. 1 : Photographies de moraines de glaciers étudiés dans le nord-est et sud-est du Groenland.
(A) Moraines frontales d’un glacier du plateau de Theodolite sur l’île de Calvering (nord‑est Groenland). (B) Moraines latérales d’un glacier de la vallée de Tassilap (sud‑est Groenland).
Melody Biette 2017
Fig. 2 : Résumé des reconstitutions holocènes des glaciers déconnectés de l’inlandsis fondées sur la datation de moraines au Groenland.
Les chronologies glaciaires sont présentées du nord au sud (A) et les positions des glaciers représentés sur la carte (B). (A & B) 1/ Île de Clavering, 2/ Nakàgajoq, 3/ Péninsule de Nuussuaq, 4/ Glacier du Lyngmarksbræen (île de Disko), 5/ Uigordleq sarqâ, 6/ Stauning Alper, 7/ Bregne Ice cap, 8/ Milne Land, 9/ Vallées de Tasilap et Isortup, 10/ Prins Christian Sund. La localisation de ces études est présentée sur la carte avec la même numérotation. Les cercles violets représentent les âges des moraines et leurs incertitudes élaborées dans le cadre de cette thèse et les cercles verts représentent les âges déjà existants. Les carrés avec un point d’interrogation représentent les moraines datées où il n’a pas été possible d’estimer une moyenne d’âge mais un intervalle de temps plus ou moins précis. Acronymes - N.E : nord-est ; C.O : centre-ouest ; C.E : centre-est ; S.E : sud-est ; S : sud ; PAG : Petit Âge Glaciaire ; DACP : Dark Age Cold Period.
Melody Biette
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