1L’agriculture en milieu aride est en équilibre permanent entre variations environnementales et adaptations technologiques et économiques. Depuis les premières études archéologiques menées dans le sud-est arabique, il est couramment admis que c’est le modèle oasien traditionnel qui y est employé depuis près de 5000 ans. Pourtant, dans un milieu aussi sensible, il est difficile de croire à une trajectoire si stable et, dans le contexte actuel d’abandon de ces espaces, il apparait important de comprendre leur dynamique sur le long terme. Cette première restitution de l’histoire des oasis s’est principalement fondée sur l’étude des structures hydrauliques et des restes archéobotaniques, et très peu sur les espaces agricoles en eux-mêmes. Cette lacune s’explique en partie par la difficulté, en milieu aride à semi-aride, à reconnaitre et interpréter les archives pédo-sédimentaires idoines. En effet, les milieux arides sont des environnements érosifs, où les processus sédimentaires sont discontinus et où la pédogénèse est peu marquée. Pourtant, les sols agricoles oasiens résultent de l'action combinée de processus naturels et anthropiques et semblent donc pouvoir constituer des archives précieuses pour la compréhension des trajectoires homme-milieu. Pour promouvoir les séquences pédo-sédimentaires oasiennes comme objets d’étude à part entière, nous avons développé une approche géoarchéologique qui vise à exploiter leur potentiel d’archivage, tant environnemental qu’anthropique. Elle a été mise en œuvre dans l’oasis de Masafi (émirat de Fujairah), située dans les montagnes al-Hajar et dans trois zones oasiennes des piedmonts, à Dhayah et dans les plaines de Sir et de Jiri (émirat de Ras al-Khaimah ; fig. 1).

2Tout d’abord, des référentiels ont été créés sur l’actuel. En premier lieu, des référentiels sédimentaires, passant par l’échantillonnage et l’analyse des sédiments fins présents dans les territoires entourant les oasis, nous ont permis de discuter de l’origine et des sources potentielles des sols agricoles oasiens. Cette ressource, presque aussi cruciale que l’eau dans un contexte où la pédogénèse naturelle est quasi nulle, est un enjeu important pour la qualité agronomique et la pérennité des cultures. Des faciès caractéristiques (minéralogie, granulométrie et/ou géochimie en ICP-OES) ont pu être identifiés selon différentes sources potentielles (côtes, dunes, alluvions les plus fines en provenance de différents bassins versants). En second lieu, nous avons créé un référentiel agricole qui explore et caractérise des profils de sols cultivés de l’oasis de Masafi, dans des parcelles soumises à différentes pratiques. Des faciès caractéristiques (granulométrie, physico-chimie, susceptibilité magnétique et géochimie en ICP-OES) à certaines pratiques ou modes agricoles ont ainsi pu être identifiés (irrigation, fumier, brûlis, abandon, ajout de sables côtiers). Certains évènements naturels (apports détritiques, remontée de nappe) ont aussi pu être documentés. Enfin, la taphonomie de ces signatures dans les sols a été discutée.

3Ces premiers résultats, appliqués à l’étude de 37 séquences profondes dans une démarche exploratoire des oasis qui se veut systémique, multiscalaire et diachronique, nous ont permis de retracer la série d’événements anthropiques et/ou naturels qui a mené à leur édification (fig. 2). La reconnaissance des faciès identifiés dans les différents référentiels autorise des interprétations géoarchéologiques sur la nature d’un dépôt (naturel, anthropisé ou anthropique), son origine (éolienne, alluviale, irragrique, remblai), sur les pratiques qui l’affecte (irrigation, ajout de fumier, cendres, feux, chaulage, abandon), mais aussi sur le degré d’impact des communautés sur le milieu (niveau d’investissement, qualité agricole, dégradations des sols, etc.). Comparées entre elles à différentes échelles d’observation (inter-sites, micro-régionales, puis régionales) et confrontées aux enregistrements archéologiques et paléoclimatiques classiques, ces séquences sont autant de données inédites sur l’exploitation des sols. Elles viennent alimenter les discussions sur les facteurs qui influencent leur trajectoire, sur les périodes de rupture ou de continuité et sur la capacité de résilience des oasis du sud-est arabique.

4Les bases des séquences oasiennes ont enregistré les fluctuations climatiques qui caractérisent la fin du Pléistocène et le début de l’Holocène. Des phases de réactivation éolienne ont été identifiées durant les MIS4 (~65 ka BP) et MIS2 (~21 ka BP) et des reprises alluviales ont été observées au début du MIS3 (~54 ka BP), au Tardiglaciaire (~15 ka BP) et au début de l’Holocène (~8-6 ka BP) dans les piedmonts et les montagnes al-Hajar. Des incisions ont aussi été mises en évidence dans la plaine de Sir, une première entre 9 et 8 ka BP et une seconde entre 5 et 4,2 ka BP. Si au cours de la 2nde moitié de l’Holocène, les dynamiques sédimentaires sont en partie artificialisées par les installations oasiennes, des réactivations alluviales ont pu être identifiées entre ~4/3 ka BP, et autour de ~1,3/1 ka BP. Une forte déstabilisation hydro-climatique est observée entre 3 et 2 ka BP, aboutissant à une aridification autour de 2 ka BP.

5Parallèlement, plusieurs cycles d’emprise agricole régionale ont pu être mis en évidence : l’Age du Fer I/II (~3,2 - 2,6 ka BP), puis la période Islamique ancienne (~1,3 - 1 ka BP) et enfin la transition entre les périodes Islamique moyenne et récente (~0,5 ka BP). En opposition, des déprises régionales ont été documentées à l’Age du Fer III (~2,6 - 2,3 ka BP) et à la période Pré-Islamique récente (~2.3 - 1,7 ka BP). Il apparait donc que si certaines communautés n’ont pu s’affranchir des conditions environnementales fluctuantes, d’autres ont su s’y adapter. La part des forçages naturels vs anthropiques est donc variable au cours du temps.

6Outre les restitutions paléogéographiques de la fin du Pléistocène et du début de l’Holocène et la reconstruction des trajectoires des oasis, qui permet de réalimenter la question de l’émergence, de l’évolution de l’agriculture et des modalités d’occupation du territoire, cette nouvelle approche géoarchéologique propose un outil d’analyse des sols agricoles anciens en milieu semi-aride à aride, applicable à d’autres contextes.

Fig. 1 : Zone d'étude et localisation des oasis étudiées (MNT SRTM et image satellite ESRI basemap).

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Sophie Costa

Fig. 2 : Exemple de la plaine de Sir : étude du transect établi à partir des sondages creusés le long de la zone oasienne.

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Une classification des dépôts grâce à leur analyse granulométrique, magnétique, physico-chimique (pH, conductivité électrique) et géochimique (ICP-OES) permet de proposer des interprétations en termes d’origine, de processus de dépôt, de mise en exploitation ou non, et de pratiques agricoles. Un phasage restituant une série d’événements sédimentaires naturels et/ou agricoles est ainsi proposé.

Sophie Costa