Les auteurs remercient l’ensemble des personnes qui ont permis et faciliter l’accès au terrain et aider à la fouille : les bénévoles (Nelson Ahmed-Delacroix, Elie Dabkowski, Philippe Hérisson, Antoine Kostek, Samuel Lacroix, Frédéric Lallemand, Sophie Lefebvre, Yann Petite, Chloé Pfister, Sylvie Rorive, Pierre-Gil Salvador, Angélique Sergent, Noémie Sévèque, Frédéric Simon, Pernelle Deschodt), les maires de Waziers (MM. Michon et Desmons), leurs adjoints (Mmes Morantin, Caron et M. Dogimont), les membres des services municipaux, le personnel de la DRAC et du service régional de l’archéologie (MM. Révillon et Collart, Mmes Audoly, Bollard-Raineau et Pagli), les propriétaires et exploitants agricoles, en particulier MM. Caron et Cliquet, la société Aventim et Mme Lacherie, ainsi que les intervenants de l’INRAP (MM. Sauvage, Rougier, Talon et Prilaux), le service archéologique de l’agglomération du Douaisis (MM. Bernard, Louis, Severin, Leroy-Langelin, Pronier et Mmes Lehnbach, Lefebvre, Carpentier, Lebrun et Bonnaire). Les auteurs remercient également les laboratoires et leurs affiliations respectives qui ont permis de mener leurs études. Loïc Lebreton a reçu un financement du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne dans le cadre de la convention de subvention Marie Skłodowska-Curie n° 101034349 et de l’Agence nationale de la recherche du ministère espagnol des Sciences et de l’Innovation par le biais de l’unité d’excellence du programme Maria de Maeztu (CEX2019- 000945-M). L’Institut Català de Paleoecologia Humana i Evolució Social (IPHES-CERCA) a reçu le soutien financier du Ministère Espagnol des Sciences et de l’Innovation par le biais du programme “María de Maeztu” pour les unités d’excellence (CEX2019- 000945-M). Les auteurs remercient Stéphane Cordier et un relecteur anonyme pour les améliorations qu’ils ont pu apporter à notre manuscrit.
1Le lieu-dit « Bas-Terroir» (50°23’33,5ˮN,3°06’48,2ˮE), sur la commune de Waziers dans le département du Nord, se situe à la jonction d’un versant en pente douce de la région de l’Ostrevant avec la plaine de la Scarpe (fig. 1). Le lieu-dit est à environ 300 m à l’est du cours holocène de la Scarpe, aujourd’hui canalisé. L’aménagement de la zone, depuis 2011, a permis la mise en évidence d’une tourbe fossilisée sous une épaisse couverture limoneuse homogène (3 m en moyenne). L’approche stratigraphique des dépôts est délicate en raison de l’enfouissement et de la discontinuité des interventions menées par différents opérateurs (Hérisson et al., 2022). Une synthèse de la lithostratigraphie, réalisée principalement à partir des observations réalisées en fouilles (fig. 2, secteur A) et d’un sondage carotté (fig. 2, secteur B), a permis de définir la Formation de Waziers et de l’attribuer à la fin du Saalien et à l’Eemien (fig. 3 ; Deschodt et al., 2022). Deux campagnes de mesures électromagnétiques par EM31 et deux panneaux de résistivité ont été réalisées sur la zone (Hulin & Virmoux, 2022). Avec le maillage d’observations, la géophysique permet de spatialiser les données et montre que la Formation de Waziers est limitée à une paléo-vallée scellée par des dépôts weichseliens (figs. 2 & 3). La conservation des alluvions anciennes a donc été permise par une défluviation ancienne du cours de la Scarpe-Scarbus, au cours du Weichselien. La Scarpe actuelle a, en outre, bénéficié d’une capture anthropique médiévale qui a largement étendu son bassin versant amont (Louis, 1990 ; Louis & Collette, 2009). La rivière qui drainait le secteur étudié avant cette reconfiguration du réseau était modeste, avec un bassin versant d’environ 80 km² en amont du « Bas-Terroir » (fig. 1). Nous la dénommons ici Scarpe-Scarbus pour éviter toute ambiguïté avec l’hydronyme Scarpe contemporain qui draine un bassin plus vaste (Deschodt, 2014).
2La lithostratigraphie des observations 2011-2015 (figs. 3 & 4) a été décrite en détail dans l’article de Deschodt et al. (2022), avec la définition de 3 membres. En dessous, le bedrock est composé de craie crétacée passant vers ce bas de versant à des argiles et sables patéogènes
Fig. 1 : Localisation du site de Waziers « Le Bas-Terroir » et de son bassin versant.
(A) Localisation du bassin versant Scarpe-Scarbus et des sites de Waziers et Caours dans le nord de la France sur un fond de plan SRTM 2014 (NASA) modifié par mundialis.de; ombrage (azimuth 45°, altitude 45°) d’après données ASTER GDEM (METI/NASA). (B) Localisation du site de Waziers et du sous-bassin de la Scarpe-Scarbus en amont de Waziers « Le Bas-Terroir ». MNT en fond de plan d’après RGE1 (IGN) et Lidar Scarpe (DREAL 59). 1/ Tracé actuel de la Scarpe (capture anthropique médiévale), 2/ Section de la Scarpe-Scarbus investiguée à Waziers, tracé amont et aval inconnu.
Fig. 2 : Extension de la Formation de Waziers et localisation d’un transect schématique entre les secteurs d’observations A et B.
1/ Extension avérée ou probable de la Formation de Waziers, 2/ Paléo-écoulements, 3/ Fouilles (emprise au sol et emprise au niveau de la Formation), 4/ Autres observations.
Fig. 3 : Transect schématique entre les secteurs A (fouilles 2014-2015) et B (sondage carotté SC et observations dite « du puisard »).
3Échelles non respectées. Localisation sur la fig. 2. La Formation de Waziers est définie comme le regroupement du Membre 1 (nappe alluviale grossière et limons) avec US3/ Dépôts grossiers fluviatiles (craie, sable glauconieux, grès glauconieux) et US4/ Dépôts fluviatiles fins à dominante clastique et du Membre stratigraphique 2 avec US5a/ Alluvions tufacées calcaires et US5b-e/ Tourbes avec intercalations de limon alluvionnaire clastique. Elle constitue la base du remplissage d’un chenal pléistocène. Elles recouverte par le Membre 3 dont la base érosive est suivie de US6/ Dépôts fluviatiles, graviers d’argile et figures thermokarstiques, US7a-b/ Dépôts fluviatiles à graviers de craie, passant à des dépôts fluvio-éoliens puis loessiques.
4La base de la Formation de Waziers est composée d’alluvions périglaciaires (US3) passant à des alluvions limoneuses clastiques calcaires (US4) où sont localement distinguées plusieurs sous-unités (US4a, limon gris avec lits de sable ; US4b, limon gris légèrement organique ; US4c, id. US4b ; US4d, limon brunâtre ; US4e, limon brun foncé ou lie de vin).
5La formation de Waziers est ensuite composée d’un limon calcaire (US5a) déposé dans un plan d’eau calme et peu profond. L’unité est légèrement tourbeuse en secteur A et passe à une accumulation carbonatée très claire en secteur B (sédiment composé en majorité d’une accumulation d’oogones et de tiges de characées; fig. 2). Au-dessus se développe une tourbe. Lithologiquement indifférenciée en secteur B (fig. 2), elle est subdivisée en US5b et US5e en secteur A, avec deux intercalations d’alluvions limoneuses clastiques grises : US5c et US5d.
6La limite supérieure de la Formation de Waziers est une limite érosive nette avec présence de ravines. Ces dernières sont comblées par l’US6, alluvion hétérogène qui remanie les unités sous-jacentes jusqu’à la partie supérieure du Membre 1 incluse. Les sédiments remaniés contribuent à l’US6, avec adjonction de graviers de craie et d’argile qui proviennent d’une zone amont non observée. Cette alluvion est suivie d’un dépôt de graviers de craie (US7a) étendu bien au-delà des limites reconnues des Membres 1 et 2, puis d’un dépôt fluvio-éolien (US7b, alternance de lits de limon et de sable) et enfin d’un dépôt de loess (US7c).
7Le présent article vise à faire une synthèse de l’ensemble des résultats obtenus lors de l’étude de cette formation en intégrant et confrontant les différentes données dans le cadre stratigraphique précédemment présenté. Les données géochronologiques et paléontologiques ont fait l’objet d’articles dédiés listés ci-dessous. Nous y associons également les reconstitutions de paléotempératures (Maréchal et al., 2022) et l’analyse des éléments archéologiques trouvés en fouilles et sondages (Hérisson et al., 2023).
8Une datation par U-Th sur oogone de characée a été réalisée en utilisant un spectromètre de masse à ionisation thermique (TIMS) selon le protocole proposé par Hillaire- Marcel et al. (1996) (Bahain et al., 2022a). Quatre dents d’herbivore ont par ailleurs été analysées par ESR/U-Th selon le protocole expérimental décrit dans Bahain et al. (2022a,b). Enfin, deux datations ont été réalisées par OSL sur quartz extrait de sédiment par protocole SAR (single-aliquot regenerative-dose ; Duller, 1994 ; Murray & Wintle, 2000 ; Bahain et al., 2002).
Fig. 4 : Lithostratigraphie des observations 2011-2015 et stratigraphie des variables étudiées dans la Formation de Waziers.
1/ Données acquises en limite des US4 et US5, 2/ Industrie lithique in situ et indication du niveau, 3/ Industrie lithique remaniée (position secondaire), 4/ Datation U-Th sur gyrogonite, 5/ Datation ESR/U-Th sur dent, 6/ Datation OSL, 7/ Datation radiocarbone, 8/ Présence de Belgrandia marginata, 9/ Reconstitution de paléotempératures
9Une étude palynologique a été menée sur 53 échantillons répartis entre les secteurs A et B (fig. 2) (Gauthier, 2022). L’extraction des palynomorphes a été réalisée à partir de 1 à 6 g de sédiment en suivant le protocole palynologique standard incluant un tamisage à 200 µm et un traitement chimique. Les comptages ont été menés jusqu’à l’obtention d’une somme pollinique (spores et MNP exclus) d’au moins 300 grains (dont 150 en dehors du taxon dominant) et de 18 taxons polliniques.
10L’étude malacologique a été effectuée sur des échantillons des fouilles 2014-2015 en secteur A (fig. 2) prélevés en colonne continue selon un pas moyen de 10 cm, ou moins, pour s’adapter à la lithologie (Limondin- Lozouet, 2022). Chaque échantillon, d’un volume moyen de 8 l, a été tamisé à l’eau sur une maille de 500 µm. Au final 50 échantillons ont été analysés et 44 d’entre eux ont pu faire l’objet d’une interprétation environnementale.
11Une première approche archéobotanique des restes ligneux et des macro-restes végétaux a été effectuée par Audiard et al. (com. pers.). Loin d’être exhaustif, ce travail met en lumière la richesse du gisement avec 1456 fragments de bois provenant du secteur A (fouilles 2014- 2015). Une détermination a pu être menée sur quelques exemplaires de bois.
12La microfaune étudiée provient des fouilles programmées faites entre 2014 et 2015 en secteur A (fig. 2) (Lebreton et al., 2023). Les éléments de grande taille ont été extraits et coordonnés directement durant la fouille. Le reste provient de tamisage. L’intégralité des sédiments tourbeux (US5) de la fouille manuelle de 11 m² de 2015 a été tamisée à 2 mm (1600 l). Les résidus de tamisage à 500 µm des colonnes palynologiques de 2015 ont également été étudiés.
13L’étude de la méso- et macrofaune a été effectuée sur les restes fauniques provenant du secteur A (fouilles 2014- 2015) (Auguste et al., 2022). Tous les vestiges osseux et dentaires ont été relevés. Il n’y a donc aucun biais lié à une récupération sélective du matériel faunique. L’état de conservation est excellent, surtout dans les niveaux tourbeux, facilitant la détermination et l’analyse de la surface des os. Ainsi, 130 pièces sur 151 ont pu être attribuées anatomiquement et spécifiquement, soit un taux de détermination très élevé de 86 %. Certains éléments ont en outre bénéficié d’une analyse protéomique (Bray et al., 2023).
14Les différentes études menées à Waziers depuis 2013 permettent de reconstituer l’évolution et le contexte environnemental du site du Bas-Terroir selon 14 étapes présentées ci-dessous.
15L’US3 est constituée d’alluvions de graviers de craie, de graviers de grès glauconieux et de sables glauconieux, ces derniers issus du substrat thanétien. Le dépôt, grossier, a pu se développer dans un contexte de tressage.
16La palynozone WAZ-1 est définie au sommet de l’US3 dans un dépôt à dominante sableuse et se poursuit à la base de l’US4. Il est à noter que, dans l’article de Gauthier (2022), l’US3 n’a pas été distinguée à la base du log 6 où a été prélevée la colonne palynologique. L’unité 3, plus sableuse, y est toutefois bien présente et permet d’affiner les corrélations palynozones-US. WAZ-1 donne l’image d’un environnement de toundra arctique discontinue. La forte proportion d’éléments remaniés ante-quaternaires (dinoflagellés et pollens cénozoïques) indique une érosion intense des versants par des processus de ruissellement.
17La malacozone WZM1a a été définie en parallèle à la palynozone WAZ-1. Malgré la granulométrie sableuse de l’US3 et la structure nettement litée, elle indique un environnement de berge herbeuse colonisée par une malacocénose terrestre froide. La malacozone WZM1a et la palynozone WAZ-1 se poursuivent dans la partie inférieure de l’US4.
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Attribution chronologique
18Le caractère grossier des dépôts (impliquant des écoulements dynamiques) et la position sous-jacente à l’US4 qui a bénéficié de datations OSL (Bahain et al., 2022a) ainsi que de la détermination de faunes d’environnement froid permettent d’attribuer un âge Saalien à l’US 3.
19Lors de l’étape 1 (fig. 5), le Bas-Terroir de Waziers est un fond de vallée actif avec des écoulements compétents saisonniers, dans un contexte de végétation arctique froide et sèche favorisant l’érosion des versants.
Fig. 5 : Évolution du Bas-terroir, étapes 0 à 3.
20Avec l’US4, les dépôts deviennent plus fins, limoneux, bien que toujours lités. Le contexte est toujours celui de dépôts alluvionnaires saisonniers de fond de vallée, mais avec probablement une stabilité plus forte du ou des chenaux (méandrage ?).
21Localement plusieurs sous-unités sont distinguées (US4a à 4e, avec US4b et 4d plus sombres, interprétées comme de légers horizons pédologiques).
22Une datation OSL sur quartz donne une probabilité d’âge d’environ 132,0 ± 5,5 ka pour la base de l’US4a tandis qu’une datation OSL sur quartz donne à la base de l’US4c une probabilité d’âge d’environ 117,5 ± 5,3 ka. Plusieurs dents de cheval appartenant à une même mâchoire ont été datées par ESR/U-Th: 125 ± 8 ka, 138 ± 8 ka et 123 ± 7 ka, permettant de calculer un âge moyen quadratique pondéré de 129 ± 11 ka (Bahain et al., 2022a).
23Dans la partie inférieure de l’US4 (US4a), la palynozone WAZ-2 succède à WAZ-1 tandis que la malacozone WZM1a (berge herbeuse en contexte froid) perdure jusqu’au sommet de US4b. WAZ-2 indique une tendance à la stabilisation des versants (diminution des dinoflagellés et des pollens cénozoïques) et une augmentation des concentrations sporo-polliniques dans un contexte de toundra-steppe à Cyperaeae, Poaceae et Artemisia (armoise). Un petit pic de concentration pollinique coïncide avec l’unité US4b. Il s’agit probablement de l’enregistrement d’un interstade, en cohérence avec l’interprétation d’un petit sol cumulique en fond de vallée. Nous aurions donc ici un enregistrement continental des fluctuations climatiques perçus à la fin du Saalien dans les enregistrements marins (Martrat et al., 2014).
24Au-dessus de l’US4b, dans l’US4c, l’étude malacologique indique un épisode marécageux (WZM1b).
25La partie supérieure de l’US4 sur le log 6 appartient encore à la palynozone WAZ-2 (Gauthier, 2022). La malacofaune reste associée à un contexte de marais (WZM1b) dans un premier temps (US4b) avant de revenir à un contexte de berge sèche (WZM1c) pour l’US4d. Ce dernier se poursuit dans l’US4e. Les US4d et 4e (au sommet du Membre 1) sont affectées de traits pédogénétiques croissants, en cohérence avec l’interprétation paléoenvironnementale. Les US4d et 4e, définies latéralement hors du log 6 (Deschodt et al. 2022 ; Limondin-Lozouet, 2022) ne bénéficient pas d’étude palynologiques.
26Dans la partie supérieure de l’US4 (US4c-d, non différentiées) a été trouvée une mâchoire supérieure de cheval Equus achenheimensis. Ce cheval, ainsi que les rares restes de microvertébrés récoltés au sein de l’US4 (Lasiopodomys gregalis, campagnol des hauteurs, et Lagurus lagurus, lemming des steppes) indiquent un milieu ouvert et froid.
27Une reconstitution de la paléotempérature basée sur l’analyse 18O de cinq dents de cheval dans la partie supérieure de l’US4 (US4c-d) donne une moyenne annuelle de 4,7 ± 0,6°C (pour rappel, la température annuelle moyenne est actuellement de 11,0°C sur la période 1999-2019).
28En secteur B, un éclat Levallois préférentiel en silex isolé a été recueilli lors du sondage dit du puisard dans l’US4 (niveau N0, position précise non connue au sein de l’unité).
29L’étape 2 (fig. 5) intervient à la fin du Saalien (SIM6) aux environs de 130 ka dans une tendance à l’amélioration climatique. Les versants se stabilisent et une toundra-steppe se développe. L’ancien cours de la Scarpe-Scarbus est encore actif (méandrage probable) et dépose saisonnièrement des alluvions limoneuses dans un fond de vallée végétalisé. L’ensemble indique une baisse de la dynamique fluviale. Le climat reste cependant rigoureux. Le paysage est parcouru par de petits et grands mammifères (cheval), mais aussi par l’Homme de Néandertal.
30En secteur A, en limite des US4 et US5, une dent isolée de Megaloceros giganteus (mégacéros) a été datée de 132 ± 8 ka par ESR/U-Th et a donné une estimation de la paléotempérature annuelle de 6,9 ± 0,5°C (Maréchal et al., 2022) (11,0°C actuellement pour la période 1999- 2019). En conformité avec les données biologiques, celle-ci confirme une tendance désormais marquée à vers amélioration climatique en étape 3 (fig. 5).
31L’US5a se dépose dans le fond de vallée. Dans le secteur B, il s’agit d’un dépôt calcaire composé presque exclusivement d’oogones de characées formant une craie lacustre. Le sédiment implique le développement d’un plan d’eau pérenne et calme. Dans le secteur A, l’US5a, moins épaisse et un peu plus sombre, intègre une composante organique.
32La palynozone WAZ-3 (prairie-steppe à arbres pionniers) est enregistrée dans l’US5a. Elle se caractérise par l’achèvement de la stabilisation des versants (disparition des dinoflagellés et pollens cénozoïques) et par l’apparition d’arbres pionniers : Betula (le bouleau), Pinus (le pin) et Juniperus (le genévrier). Le plan d’eau est confirmé par le développement d’herbacées aquatiques ainsi que par la malacozone WZM2 dont la limite inférieure coïncide avec celle de l’US5a. Les cortèges malacologiques enregistrent d’abord une eau claire (WZM2a) qui est ensuite envahie par une végétation aquatique (WZM2b), le tout dans un contexte de transition climatique. L’unité livre également la première occurrence du castor (Castor fiber) dans la séquence.
33Une datation U-Th sur oogones de characées a donné un âge minimum de 103+3,5/-3,4 ka.
34L’amélioration climatique déjà largement amorcée précédemment se confirme, avec un changement majeur d’environnement. La nappe phréatique est plus haute et le fond de la petite vallée est désormais envahi par un plan d’eau (fig. 6). Cet ennoiement des points bas et des anciens chenaux lors de l’amélioration climatique de la fin d’une période glaciaire est observé régionalement pour le Tardiglaciaire weichselien (Deschodt et al., 2005, Deschodt & Salvador, 2009). Les apports alluviaux clastiques diminuent drastiquement, indiquant une stabilisation des versants et peut-être une diminution des écoulements dans le petit bassin de la Scarpe-Scarbus. L’âge U-Th aux environs de 103 ka bien que minimum reste cohérent avec les datations précédentes (environ 130 ka) et une attribution à l’Interglaciaire eemien du dépôt biogénique.
35En secteur A, la tourbification débute précocement avec l’US5b.
36La tourbification débute en secteur A avant la fin de la palynozone WAZ-3 (contexte de prairie-steppe à arbres pionniers) et dans la continuité de la malacozone WZM2b (eau calme à plantes aquatiques). Les autres variables paléontologiques sont développées en étape 6 (avec le reste du commentaire sur l’unité US5b).
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Commentaires sur l’étape 5
37Considérée dans sa valeur d’isochrone, la limite des palynozones WAZ-3 et WAZ-4 montre la diachronie de la base de la tourbière, avec un développement plus précoce en secteur A tandis que le plan d’eau (et le dépôt de US5a) perdure en secteur B (fig. 6).
Fig. 6 : Évolution du Bas-terroir, étapes 4 à 7.
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Sédimentologie et corrélations stratigraphiques entre les secteurs A et B
38La tourbière se généralise. Elle s’étend en secteur B au cours de la palynozone WAZ-4. En secteur B, le dépôt de tourbe homogène a un mètre d’épaisseur. C’est dans cette tourbe qu’ont été définies les palynozones WAZ-4 à WAZ-10. Elle est corrélée aux unités US5b à US5e du secteur A. Toutefois, des tests palynologiques en secteur A permettent d’attribuer l’US5b (base de la tourbe) à une large biozone s’étendant de la base de la palynozone WAZ-4 au sommet de WAZ-8. La tourbe US5b présente en secteur A s’est donc développée durant une grande partie de l’Eemien bien qu’elle soit relativement peu épaisse. Ici, à proximité du bord de la zone humide, elle a subi une ou plusieurs phases de dessiccation qui se marquent par une structuration en agrégats. Ils sont soulignés par la pénétration de limon dans les vides inter- agrégats. Nous observons aussi leur déplacement et leur intégration dans les alluvions clastiques présentes au sommet de l’US5b (voir la coupe 8 et les unités de détail 9 à 12 dans Deschodt et al., 2022).
39L’étape 6 (tourbe US5b) correspond au développement de la forêt avec les palynozones WAZ-5 à 9. Les herbacées aquatiques et les algues liées au plan d’eau ouvert disparaissent à la faveur de sphaignes (Sphagnum) tandis que le boisement forestier se développe et se diversifie avec l’orme (Ulmus), le chêne caducifolié (Quercus) et le noisetier (Corylus), qui succèdent au pin (Pinus) et au bouleau (Betula). La dynamique forestière se met en place par phases successives. L’orme (Ulmus) atteint un pic en WAZ-7 (près de 60 %), tandis que les herbacées aquatiques disparaissent et les sphaignes sont très réduites. En WAZ-8, le chêne caducifolié devient dominant (près de 60 %) tandis que les taux de pollens d’orme et de bouleau diminuent et que sont présents le lierre (Hedera), le noisetier (Corylus), le frêne commun (Fraxinus excelsior) et plus épisodiquement l’if (Taxus) et l’aulne (Alnus). En WAZ-9 le noisetier se développe fortement (près de 60 %) au détriment du chêne qui reste toutefois abondant à côté de l’orme. On note de plus la présence de l’if (Taxus), de l’érable (Acer), de la viorne (Viburnum) et du chêne vert (Quercus ilex). Cette dernière phase correspond à l’optimum climatique. Parallèlement, l’aulne (Alnus) commence également à se développer localement, illustrant le retour de conditions plus humides.
40Dans tout l’US5b, la multiplication des macro-restes végétaux (Audiard et al., com. pers.) témoignent du boisement généralisé de l’environnement immédiat de la vallée.
41Au sein de la tourbe US5b, un abondant cortège faunique a été récolté : de nombreux oiseaux dont plusieurs canards et un cygne (Anatidae), du castor (Castor fiber), du rhinocéros de prairie (Stephanorhinus hemitoechus), de la loutre (Aonyx antiqua), de la tortue d’eau douce (Emys orbicularis), des amphibiens (Salamandra sp. et Rana sp.). Une dent de chevreuil (Capreolus capreolus) a été récoltée dans un limon clastique stratigraphiquement associé à la tourbe (pièce no WBT147 sur la fig. 9 de Deschodt et al., 2022).
42Une estimation de la paléotempérature a été effectuée sur la dent de chevreuil de l’unité US5b et donne une moyenne annuelle de 8,6 ± 0,6°C (11,0°C actuellement pour la période 1999-2019).
43Un éclat semi-cortical a été récolté dans le limon au sommet de l’unité (niveau N1) ainsi qu’un fragment de tibia de castor portant des stries de découpe. Un fragment de branche horizontale de mandibule d’aurochs fracturée par l’Homme et un fragment de diaphyse d’os long d’aurochs portent la marque d’un passage au feu.
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Commentaires sur l’étape 6
44Au cours de l’étape 6 (fig. 6), le fond de vallée est occupé par un plan d’eau fréquenté par de nombreux animaux : divers oiseaux, castor, loutre, rhinocéros, etc. et l’Homme de Néandertal. La zone initialement en eau tend à se fermer progressivement et devient une tourbière boisée selon un processus fréquemment observé pour l’Holocène (du Préboréal à l’Atlantique) dans les vallées du Nord (Antoine, 1997 ; Ducrocq, 2001 ; Praud et al., 2015). L’environnement est boisé, tempéré et relativement chaud, avec notamment des occurrences de chêne vert (Waz-9). La reconstitution de paléotempérature à partir de l’analyse isotopique de la dent de chevreuil de l’US5b (8,6 ± 0,6°C) confirme que le climat continue à se réchauffer progressivement (11,0°C actuellement pour la période 1999-2019).
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Sédimentologie et corrélations stratigraphiques entre les secteurs A et B
45Le secteur A est le siège de deux épisodes d’alluvionnement limoneux clastiques. L’US5c se dépose en nappe sur la tourbe US5b. Elle est régulièrement litée et présente localement des rides de courant. L’US5d se dépose par la suite. La texture de cette dernière est proche de la précédente, mais le dépôt s’exprime dans de petits chenaux (quelques décimètres de largeur et profondeur) qui érodent les unités précédentes (voir par exemple la figure 10 de Deschodt et al., 2022).
46Des tests palynologiques effectués au sommet de la tourbe US5b et à la base de la tourbe US5e permettent d’attribuer l’alluvionnement US5c et US5d à la palynozone WAZ-9 (optimum climatique avec noisetier dominant, chêne et orme et présence de l’if, de l’érable et du chêne vert ; Gauthier, 2022). Les restes de faune sont moins nombreux que dans les tourbes. On retrouve toutefois dans l’US5d du castor, de l’aurochs, du chevreuil et de l’ours brun.
47Trois artefacts de silex (une pointe pseudo-Levallois et deux petits éclats non corticaux) ont été retrouvés au sein des unités US5c et US5d. Ils constituent le niveau N2. Un fragment de diaphyse d’humérus d’aurochs a été fracturé anthropiquement lorsqu’il était frais, témoignage d’extraction de moelle osseuse.
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Commentaires sur l’étape 7
48En étape 7 (fig. 6), l’épisode d’alluvionnement en secteur A témoigne de l’activité d’un petit lit mineur de la Scarpe-Scarbus où transite une charge limoneuse.
49Le dépôt peut éventuellement être assez rapide, comme permet de l’envisager l’absence de faune ou de macro‑restes végétaux dans le cas de l’US5c. Cette dernière contient toutefois des éléments archéologiques, indice d’une fréquentation de la zone (des rives proches ?) par l’Homme.
50Dans le secteur A, la partie supérieure de la tourbe est riche en bois et définit l’unité US5e (Deschodt et al., 2022).
51La position stratigraphique et les résultats des tests palynologiques (Gauthier, 2022) impliquent qu’au moins la partie inférieure de l’unité US5e, si ce n’est toute l’unité, appartient à la palynozone WAZ-9 (optimum climatique). Les macro-restes végétaux sont abondants (Audiard et al., com. pers.), ainsi que les ossements de mammifères : castor, aurochs, rhinocéros, chevreuil, etc. À noter que le castor est particulièrement présent, à travers ses ossements mais aussi par ses productions ligneuses. En effet, de nombreuses pièces de bois appointées par les castors ont été mises au jour dans l’unité US5e et notamment au sein d’une accumulation correspondant probablement à une hutte ou un barrage de castors.
52Localement, dans le secteur A, l’ensemble tourbeux remonte en topographie et s’amincit, formant un contexte de berge (Deschodt et al., 2022). Cette limite paléogéographique est attestée par des sondages proches (Locht et al., 2014, 2020). C’est dans ce contexte de berge, dans l’unité US5e, que le niveau archéologique le plus riche (N3) a été fouillé totalisant 20 artefacts lithiques côtés. Les remontages ont individualisé deux ensembles qui formaient deux petits amas de débitage sur le terrain. Dans l’US5e ont été trouvés également trois os fracturés frais par l’Homme : un fragment de tibia d’aurochs, un fragment de tibia d’un grand herbivore, probablement l’aurochs, et un fragment de diaphyse d’os long d’une espèce indéterminée.
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Commentaires sur l’étape 8
53Lors de l’étape 8 (fig. 7), dans la tourbière est toujours présente commence à se développer une aulnaie marécageuse. Elle est au moins localement boisée. L’Homme la fréquente comme en témoignent la présence d’amas de débitage et les os fracturés de grands herbivores.
Fig. 7 : Évolution du Bas-terroir, étapes 8 à 11.
54La carotte étudiée en secteur B a permis de mettre en évidence, au sommet de la tourbe en place, la palynozone WAZ-10. Celle-ci se caractérise par le développement du charme et de l’aulne et des occurrences du sapin et de l’épicéa.
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Commentaires sur l’étape 9
55Bien que toujours dans un environnement forestier (fig. 7), le sommet de la tourbe a enregistré des conditions plus humides et plus fraîches en étape 9. Cet épisode correspond probablement à l’amorce d’une dégradation climatique dans une étape tardive de l’Interglaciaire eemien.
Fig. 7 : Évolution du Bas-terroir, étapes 8 à 11.
56L’US6 est composée d’alluvions hétérométriques et hétérogènes (graviers de craie, sables et limon, cailloutis d’argile, blocs de tourbe…) déposées dans de nombreuses petites ravines aux bordures irrégulières. Ces dernières affectent les unités sous-jacentes et suivent des zones de fractures nettes. Elles sont interprétées comme le résultat d’écoulements concentrés et violents résultant de processus thermokarstiques sur versant dans un milieu à pergélisol riche en glace. L’abondance des « cailloutis d’argile » témoigne d’une érosion intense des affleurements thanétiens («Argile de Louvil ») en contexte de sol gelé. Les restes paléontologiques sont abondants mais tous remaniés depuis l’US5. L’origine thermokarstique des fractures et des ravines qui perturbent parfois assez profondément les niveaux antérieurs implique que ces processus aient pris place au cours d’une étape déjà avancée du Weichselien, après 65 ka environ (Antoine et al., 2016).
57L’US7a est une nappe d’alluvions grossières qui s’étend latéralement bien au-delà des limites du paléochenal. En secteur A, elle est composée de graviers de craie déposés dans des chenaux larges, peu profonds, mobiles et discordants. Plus en amont, en secteur B, l’US7a est majoritairement sableuse. Il peut s’agir d’un éventuel effet de piedmont au débouché de la Scarpe-Scarbus dans la plaine. En secteur B, l’observation de la séquence dite « du puisard » a permis d’identifier l’amorce d’un chenal peu profond à remplissage sableux.
58L’étape 11 (fig. 7) témoigne d’une forte activité fluviale qui nappe de graviers de craie et de sable un fond de vallée plus large qu’au cours de l’Eemien.
59L’unité 7b est constituée de lits réguliers de limons et de sables affectés de fentes de dessiccation. La base contient des lits de graviers. Il s’agit d’un dépôt fluvio-éolien étendu à la majeure partie de la plaine de la Scarpe et généralement daté de la fin du Pléniglaciaire weichselien (Deschodt, 2019).
60L’étape 12 (fig. 8) correspond à un fond de vallée inondé saisonnièrement mais où les écoulements sont réduits et qui tend à s’exhausser par des apports éoliens loessiques. L’amorce de petit chenal, perçue en secteur A et encore actif en étape 11, finit de se combler par les mêmes dépôts réguliers étendus à tout le fond de la vallée. C’est probablement au cours de l’étape 12, dans ce contexte de bilan sédimentaire positif et d’écoulements restreints que la défluviation de la Scarpe-Scarbus se produit, trouvant son cours un peu plus à l’ouest.
Fig. 8 : Évolution du Bas-terroir, étapes 12 à 14.
61L’unité 7c est un dépôt de quelques décimètres de loess. Il est attribué au Pléniglaciaire weichselien. Tout écoulement cesse (fig. 8) et la zone se situe désormais dans un contexte de pied de versant, en bordure de la plaine de la Scarpe.
62La partie supérieure du Membre 3 est affectée sur quelques décimètres par une décarbonatation et la pédogenèse tardiglaciaire-holocène. La zone est mise en culture, puis aménagée. La formation de Waziers est conservée à environ 3 m de profondeur sous le réseau routier, les parkings et les bâtiments commerciaux.
63La formation de Waziers est le troisième témoin régional avéré de dépôts continentaux attribuables à l’Interglaciaire eemien en contexte alluvial avec Erquinghem-sur-la-Lys (Nord, maintenant dénommé « Erquinghem-Lys ») et Caours (Somme) (fig. 1).
64Les dépôts d’Erquinghem-sur-la-Lys ont été étudiés à partir d’un carottage effectué dans le cadre du levé de la carte géologique d’Hazebrouck (Sommé et al., 1996). Le site est à 13 m NGF d’altitude, à proximité de la rivière Lys. Sous environ 5 m de dépôts alluviaux attribués à l’Holocène, puis sous 8 m de dépôts alluviaux limono-sableux attribués au Pléniglaciaire weichselien (attribution confortée par deux dates radiocarbone), le carottage a révélé un complexe alluvial argileux organique, sableux à la base, lité et avec des petits débris de bois flottés, compris entre les cotes 0 et -5 m d’altitude environ (bedrock d’argile yprésienne).
65La séquence sédimentaire a bénéficié d’analyses granulométriques, palynologiques et malacologiques (Sommé et al., 1996). L’attribution à l’optimum eemien repose principalement sur les données de la palynologie avec une prépondérance de Corylus accompagné par Quercus, Alnus et Pinus et, de façon plus discrète, par Ulmus, Fraxinus et Hedera. Le contexte de zone humide est souligné par la présence de plantes aquatiques, le développement d’Alnus et des malacofaunes aquatiques. Ces caractéristiques obtenues à la base de la séquence d’Erquinghem-sur-la-Lys (unité stratigraphique 5) permettent de la corréler avec la palynozone WAZ-9. Cependant l’absence de Taxus dans l’enregistrement pollinique d’Erquinghem-sur-la-Lys est à noter. Des mollusques forestiers et semi-forestiers sont présents. La malacocénose comporte, comme à Waziers, Belgrandia marginata. La fin de l’Eemien n’est pas enregistrée, érodée par la partie inférieure des dépôts fluviatiles ultérieurs (pléniglaciaires) qui remanient quelques pollens thermophiles.
66Le site de Caours se trouve dans la vallée du Scardon, affluent de rive droite de la Somme, à environ 90 km à l’o.-s.o. de Waziers (fig. 1). Il s’agit d’une formation de niveaux fluviatiles et de tufs calcaires présents sur plusieurs milliers de mètres carrés sur une épaisseur moyenne de 3 à 4 m. La nappe alluviale sous-jacente, de type périglaciaire, correspondant à l’avant-dernier stade de colmatage grossier de la vallée rapporté à la très basse terrasse et au Saalien final (SIM 6). Les résultats des différents indicateurs biologiques et géochimiques (mollusques, grande faune, microfaune, ostracodes, empreintes foliaires, isotopes de la calcite) permettent de mettre en évidence les phases d’extension du couvert forestier en contexte tempéré interglaciaire dans la partie inférieure de la séquence, au niveau des petits horizons organiques qui contiennent des niveaux archéologiques (Antoine et al., 2006, 2007b ; Dabkowski, et al. 2010, 2011, 2015). L’attribution chronostratigraphique de la séquence, initialement basée sur les données stratigraphiques et bioclimatiques, a été largement confirmée par une série de datations U-Th, TIMS et OSL qui permet de la situer au cours de l’Interglaciaire eemien (SIM 5e) autour de 123 ± 3 ka (Bahain et al., 2022a,b). La synthèse de l’ensemble des données a permis de reconstituer les différentes étapes de la mise en place de la formation tufacée et de la dynamique paléoenvironnementale de l’Eemien (Antoine et al., 2007a). Le site de Caours permet aussi d’observer, le long d’un transect continu la juxtaposition unique de tufs fluviatiles mis en place dans un contexte de fond de vallée et de tufs alimentés par l’activité des sources de bas de versant. Les données malacologiques et géochimiques sont très cohérentes et s’accordent sur la rapidité du développement du couvert forestier et de la remontée des températures au début de l’interglaciaire, après une troncature érosive des dépôts de la fin du glaciaire. L’optimum climatique se caractérise par la diversité et les effectifs maximaux des mollusques forestiers dans un contexte aussi tempéré que durant l’optimum Holocène mais nettement plus humide (Dabkowski & Limondin- Lozouet, 2022). Compte tenu de l’âge des dépôts qui les renferment, les artefacts découverts à Caours sont attribuables à une phase récente du Paléolithique moyen contemporaine de l’Interglaciaire eemien, encore inconnue au moment de leur mise au jour en 2003 dans la Somme et la France septentrionale. La découverte de quatre niveaux paléolithiques distincts, en association avec des restes de grands mammifères montrant une fracturation d’origine anthropique, permet de mettre en évidence un site majeur pour la connaissance du Paléolithique moyen récent de la France septentrionale et plus largement de l’Europe de l’Ouest.
67L’ensemble des résultats des études menées sur la séquence de Waziers (lithologie, paléontologie, géochronologie, reconstitution des paléotempératures) est cohérent. Le site de Waziers se trouve sur le fond d’une petite vallée affluente de la plaine de la Scarpe. Il s’y dépose dans un premier temps, au Saalien, des alluvions grossières (US3) dans un contexte froid et rigoureux, en contexte de toundra arctique (étape 1 sur la fig. 5).Aux environs de 135-130 ka, ce sont des alluvions limoneuses saisonnières (US4) qui se déposent dans un contexte de légère amélioration climatique (Tardiglaciaire saalien), de toundra-steppe et de stabilisation des versants (étape 2 sur la fig. 5). Les restes d’un cheval (Equus achenheimensis) ont été retrouvés dans la partie supérieure des alluvions. Ses dents ont permis une estimation de températures annuelles moyennes de 4,7 ± 06°C (contre 11,0°C actuellement sur la période 1999-2019). Le climat s’est donc déjà amélioré par rapport au Pléniglaciaire du SIM6.2 pendant lequel le pergélisol devait s’étendre dans le nord de la France de la même façon qu’au SIM 2 (indiquant donc des températures moyennes annuelles inférieures à 0°C ; Marchand, 2017) (Bertran et al., 2017).À la limite des Membres 1 et 2 (limite des unités US4-US5), les premiers arbres pionniers (bouleau, pin, genévrier) font leur apparition. Une dent de mégacéros autorise une estimation de la paléotempérature moyenne annuelle de 6,9 ± 0,5°C (soit environ 4°C sous les températures moyennes actuelles mais 2°C au-dessus de l’estimation faite sur la dent du Membre 1).
68Cet adoucissement s’accompagne de conditions plus humides et de l’inondation du fond de vallée. Un plan d’eau pérenne permet la sédimentation d’une craie lacustre (US5a, étape 4 de la fig. 6). Il se développe dans un contexte de steppe et d’amorce de reconquête forestière (WAZ-4). La diachronie de la limite supérieure de la craie lacustre US5a avec US5b (la base de cette dernière unité est soit dans la palynozone WAZ-3 soit dans WAZ-4 en fonction du lieu) plaide pour une sédimentation rapide et continue au cours de cette transition climatique glaciaire- interglaciaire.
69Une tourbière se développe ensuite rapidement en bordure du plan d’eau (étape 5 de la fig. 6) puis se généralise à tout le fond de vallée exploré (étape 6). Les quelques décimètres de tourbe enregistrent l’évolution de la végétation vers l’optimum climatique : boisements à pin-bouleau, puis développement d’une chênaie diversifiée. La dent de chevreuil associée à l’unité 5b permet une reconstitution de la paléotempérature moyenne annuelle de 8,6 ± 0,5°C. Il s’agit d’une température moyenne encore relativement fraîche (plus de 2°C sous la moyenne actuelle) bien que clairement dans l’interglaciaire.
70Puis nous passons dans des conditions nettement interglaciaires avec des essences arborées thermophiles (palynozone WAZ-9 : noisetier, if, chêne vert ; étape 7 de la fig. 7, puis 8 de la fig. 8). Ces essences sont typiques de l’optimum climatique et sont présentes dès le sommet de l’unité US5b dans le secteur A. La tourbe (étapes 6 à 8) est particulièrement riche en restes de faune, par le nombre d’individus et leur diversité : amphibiens, tortue, oiseaux, castors, loutre, rhinocéros de prairie, ours, aurochs, chevreuil…
71Dans le secteur B, le sommet de la tourbe enregistre par la suite la présence d’arbres qui se développent dans des conditions plus humides et fraîches (palynozone WAZ-10 : charme et occurrences du sapin et de l’épicéa ; étape 9 de la fig. 6). Il s’agit d’indices d’une amorce de dégradation climatique de fin d’interglaciaire.
72La Formation de Waziers enregistre les traces d’une présence humaine qui vient renforcer les observations récemment mises en évidence pour la France septentrionale dans les séquences de tufs calcaires de l’Eemien de Caours (Locht et al., 2016 ; Antoine et al., 2022) et de Resson (Hérisson & Dabkowski, 2022). Dès la fin des conditions les plus rigoureuses du Saalien la zone est fréquentée par l’Homme (éclat Levallois isolé, niveau N0, unités US4c-d). C’est probablement dans une position climatique similaire que se situe le niveau N3 du site fluviatile d’Ailly-sur-Noye (Somme, Locht et al., 2013).
73La présence de l’Homme se prolonge durant l’Eemien comme en témoignent les niveaux N1 (US5b) et N2 (US5c et US5d). Aux quelques silex taillés de ces deux niveaux sont associés des vestiges fauniques présentant des traces d’intervention anthropique.
74C’est au cours de l’optimum eemien que se situe l’occupation indiscutablement la plus riche en termes de nombre de restes lithiques et fauniques au sein de l’US5e (niveau N3). Sur une berge temporairement asséchée, les Hommes de Néandertal sont venus produire quelques outils à partir de petits blocs de silex et ont pratiqué des activités de boucherie majoritairement sur deux espèces, l’aurochs et le castor. Ces activités se sont déroulées à quelques mètres d’une hutte ou d’un barrage de castors.
75Les alluvions interglaciaires eemiennes de la Formation de Waziers se sont déposées à une altitude proche de celle des alluvions interglaciaires holocènes. La Formation de Waziers a été conservée à la faveur d’une défluviation de la petite rivière Scarpe-Scarbus, puis de son scellement par des dépôts fluvio-éoliens au cours du dernier cycle climatique. La surrection (tectonique) de la zone est donc neutre ou proche de la neutralité sur un cycle climatique. Les conditions de conservation de la Formation de Waziers diffèrent de celles des nappes fluviales glaciaires- interglaciaires rencontrées sur les versants des vallées encaissées du Bassin parisien (Antoine et al., 2007b). Ceci n’exclut pas une éventuelle activité tectonique ou en tout cas un héritage tectonique en bordure de la plaine de la Scarpe (juxtaposition des différents étages sous les dépôts quaternaires).
76La Formation de Waziers occupe une bande étroite de quelques dizaines de mètres de large en bordure de la plaine de la Scarpe. Enfouie, elle n’est associée en surface à aucune morphologie remarquable : nul modelé de terrasse, nulle rupture de pente ni même versant de vallée qui pourraient guider sa détection. Sa découverte offre de nouvelles perspectives sur le potentiel des vastes plaines du nord de la France (plaine de la Lys, plaine de la Scarpe, plaine de confluence Escaut-Haine…) quant à la conservation de dépôts interglaciaires ou interstadiaires en chenaux. En l’absence d’indice morphologique, leur détection reste toutefois un défi (Deschodt, 2021).
771/ La Formation de Waziers correspond à une séquence subcontinue d’alluvions sablo-graveleuses puis limoneuses et enfin franchement tourbeuses déposées par la Scarpe-Scarbus à son entrée dans la plaine de la Scarpe. Elle enregistre des variables sédimentologiques, paléontologiques et archéologiques particulièrement cohérentes pour la fin du Saalien et la majeure partie de l’Eemien. La séquence sédimentaire traduit le passage progressif d’une sédimentation détritique graveleuse puis limoneuse de période froide vers un pôle de plus en plus nettement organique marqué par l’envahissement de tout le fond de vallée par des tourbes franches et le développement de forêts caducifoliées au cours de l’Interglaciaire Eemien. Contrairement à ce qui est observé à Caours, la transition glaciaire-interglaciaire semble être continue à Waziers, sans limite érosive. Elle est concomitante avec un ennoiement du fond de vallée, selon une évolution déjà rencontrée régionalement pour la transition Weichselien-Holocène.
782/ La Formation de Waziers enregistre une succession de palynozones caractéristiques de la période comprise entre la fin du Glaciaire saalien (Membre 1, steppe) jusqu’à l’optimum climatique de l’Interglaciaire eemien (Membre 2, tourbe, partie supérieure US5b) et l’amorce d’une dégradation climatique (partie sommitale du Membre 2). Avec le carottage d’Erquinghem-sur- la-Lys, elle complète nos connaissances régionales sur l’évolution du couvert végétal de la fin du Saalien et de l’Eemien.
793/ Sédimentologie, malacologie et palynologie pointent les variations locales d’humidité, avec un fond de vallée inondé par intermittence lors des crues (Membre 1), puis une inondation du fond de vallée avec un plan d’eau ouvert (base du Membre 2, US5b) évoluant vers une tourbière (Membre 2, US5b-e).
804/ Les estimations de paléotempératures moyennes annuelles reconstituées à partir des quelques dents d’herbivore analysées sont respectivement de 4,7°± 0,6°C en partie supérieure du Membre 1 (US4-US5a), de 6,9°± 0,5°C en limite des Membres 1-2 (limites US4-US5a) et de 8,6°± 0,5°C dans la partie inférieure du développement tourbeux (US5b). Pour rappel, la température moyenne annuelle sur la période 1999-2019 a été de 11°C. Les trois valeurs calculées sont représentatives de la fin du Glaciaire saalien, de la transition glaciaire- interglaciaire et du début de l’Interglaciaire eemien avec, pour ce dernier, des conditions encore relativement fraîches, nettement inférieures aux températures moyennes actuelles. La transition climatique Saalien- Eemien intervient dans la partie inférieure du Membre 2 dans un contexte de sédimentation continue dans un plan d’eau (US5a-base US5b). L’optimum interglaciaire est enregistré ultérieurement dans la Formation, mais nous ne possédons pas de reconstitution de température associée. Les températures au moment de l’optimum devaient être cependant plus chaudes que celles actuelles comme semble l’indiquer la présence du chêne vert et de la cistude, espèces dont l’extension actuelle est plus méridionale.
815/ L’abondance des restes paléontologiques (végétaux comme animaux) dans le petit volume fouillé fait de la Formation de Waziers un site paléontologique de référence pour la fin du Saalien et l’Eemien, complémentaire du site de Caours.
826/ La présence de quatre niveaux archéologiques associant industrie lithique et restes fauniques avec intervention anthropique distribués entre la fin du Saalien jusque dans la partie sommitale de la tourbe eemienne témoigne de l’important potentiel archéologique de la Formation de Waziers. Ce potentiel devient d’autant plus exceptionnel s’il est considéré que les zones fouillées n’étaient pas les plus favorables à la préservation de témoins d’occupation humaine car souvent en eau. Ce gisement présente également un potentiel exceptionnel sur le plan archéologique car il pourrait livrer des vestiges organiques travaillés par l’Homme de Néandertal (analyses des bois en cours), élément rarissime dans le registre du Paléolithique européen.
837/ Le gisement de Waziers se distingue en effet par la richesse et l’excellente conservation des éléments organiques qui n’ont encore été que très partiellement exploités. D’autres études (ADN faune/sédiment, insectes, parasitologie) sont à envisager.
84L’étude du carottage d’Erquinghem-sur-la-Lys dans les années 1990 puis la mise en évidence de la Formation de Waziers dans les années 2010 permettent d’envisager la conservation d’autres enregistrements sédimentaires de bonne qualité en chenaux pléistocènes, interglaciaires ou stadiaires, au sein des vastes plaines du nord de la France. Leur détection est délicate, car ils sont enfouis plus ou moins profondément sous les dépôts du dernier glaciaire, sans indice morphologique en surface. Toutefois la qualité et l’abondance des données paléontologiques, paléoenvironnementales et le potentiel archéologique de ces dépôts tempérés, peu documentés en contexte continental, justifient des efforts accrus pour la détection et leur étude. Ils convient de continuer à investiguer la zone du Bas-Terroir et peut-être aussi d’envisager une ré-investigation et ré-interprétation d’observations régionales anciennes telles Wambrechies (Ladrière, 1883) ou Warneton (Paepe, 1964) dans la plaine de la Lys.
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