1L’intensification des fluctuations climatiques et l’augmentation de l’aridité qui surviennent à la fin du Pliocène et au début du Pléistocène favorisent en Afrique australe la mise en place de nouveaux habitats plus ouverts. D’une manière générale, les environnements de prairie et de savane ouverte s’étendent, au détriment des forêts qui reculent vers l’équateur. Ces changements du climat et des paysages coïncident avec une succession d’événements majeurs dans l’histoire évolutive humaine (e.g., deMenocal, 2004; Vrba, 1985) dont témoigne le registre fossile sud-africain. Ces événements incluent l’émergence de nouveaux taxons d’hominines, l’apparition de nouvelles technologies d’outillage et l’acquisition de comportements de subsistance innovants qui témoignent d’une complexification des capacités cognitives des représentants de cette lignée.
2L’évolution de cette série d’événements a pu être retracée grâce à des découvertes faites principalement dans les karsts fossilifères du « Berceau de l'Humanité », situés dans la province du Gauteng (Afrique du Sud). Cette région d’une superficie d’environ 47 000 ha est reconnue pour la densité et la richesse exceptionnelles des gisements fossilifères qui la parsèment : elle a fourni à elle seule plus d’un tiers des fossiles d’hominines pré-Homo sapiens d’Afrique. A côté de ce registre paléoanthropologique remarquable, les sites du Berceau de l’Humanité ont également livré une quantité importante de fossiles de vertébrés, qui nous renseignent sur l’évolution de la faune et des environnements entre quatre et un million d’années avant notre ère.
3Cette faune comprend de nombreux restes de rongeurs et autres petits mammifères (chiroptères, eulipotyhples, macroscélides, afrosoricidés, etc.). L’étude de cette « microfaune » présente un double intérêt scientifique : d’une part, elle représente, avec les fossiles de Makapansgat, de Taung, et les restes les plus anciens de la séquence de Wonderwerk, la principale source d’information sur la diversité micromammalienne plio-pléistocène d’Afrique du Sud (fig. 1) ; d’autre part, ces micromammifères constituent des indicateurs potentiellement très intéressants pour reconstruire les paléoenvironnements des gisements de cette région, où la plupart des proxies climatiques couramment utilisés tels que les pollens ou les sédiments lacustres font défaut.
4Jusqu’au tournant des années 2000, les micromammifères fossiles du Berceau de l'Humanité ont fait l’objet d’un nombre important de publications scientifiques (e.g., Pocock, 1987; Denys, 1990; Sénégas, 2000; Avery, 2001). Après cette date, le nombre d’études qui leur sont consacrées diminue considérablement. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation : d’abord, la grande stabilité morphologique de nombreux genres de micromammifères sud-africains fait qu’il est parfois difficile de distinguer les formes fossiles des formes actuelles ; ensuite, les avancées dans les champs de la systématique, de l’écologie ou encore de la taphonomie ont révélé que certaines interprétations des faunes fossiles étaient sans doute trop simplistes (Avery, 2007). Ces difficultés, qui restreignent la portée des interprétations paléoenvironnementales, mettent en exergue les limites des méthodes d’études microfauniques traditionnelles pour l’analyse des faunes sud-africaines.
5Dans ce contexte, ce travail de thèse visait à explorer de nouvelles approches pour les reconstructions des climats et des paysages du passé à partir des assemblages de micromammifères du Berceau de l’Humanité. L’étude, rédigée en anglais, est structurée en trois parties et comprend neuf chapitres.
6La première partie de la thèse s’appuie sur l’observation de spécimens fossiles et modernes et sur l’analyse de coprocénoses modernes pour proposer un cadre de référence qui servira à l’identification des restes fossiles et à l’interprétation des assemblages. Elle comprend une clé pour l’identification des genres de rongeurs sud-africains du Quaternaire (fossiles et modernes) à partir des restes cranio-dentaires (Linchamps et al., 2023a), et une analyse de sept assemblages néotaphonomiques issus de coprocénoses de rapaces nocturnes (les assemblages de Tyto alba du Botswana ont été publiés dans Linchamps et al., 2021).
7La deuxième partie de cette thèse présente la description et l’analyse de trois nouveaux assemblages pléistocènes : les restes de micromammifères des sites de Cooper’s D (Linchamps et al., 2023b) et de Swartkrans, et les restes de mésomammifères de Cooper’s D. Une description taxonomique du matériel est fournie, et chaque assemblage fait l’objet d’une analyse taphonomique et paléoécologique séparée. La reconstruction des paléoenvironnements, obtenue en utilisant les approches classiques des études microfauniques, indique à Cooper’s D comme à Swartkrans un paysage dominé par les milieux de prairie et de savane ouverte, globalement similaire aux environnements actuels retrouvés dans la vallée.
8Pour aller plus loin dans l’interprétation paléoenvironnementale de ces assemblages, la troisième partie de ce travail envisage plusieurs pistes méthodologiques. Afin de mieux comprendre l’origine chronologique et stratigraphique des assemblages de Swartkrans, dont une partie du matériel provient de ramassage de surface, une méthode de datation biochronologique a d’abord été réalisée via l’analyse morphométrique (classique et géométrique) de molaires de rongeurs. Une nouvelle méthode de reconstruction paléoclimatique basée sur des algorithmes de machine learning a ensuite été développée. Le déploiement de cette méthode s’est fait en deux étapes. La première visait à mettre au point une méthodologie adaptée pour les faunes de rongeurs d’Afrique et à la calibrer à partir de données modernes afin de pouvoir mesurer la performance des prédictions climatiques obtenues (Linchamps et al., 2023c). La deuxième étape ajoute un protocole pour prendre en compte le retrait aléatoire d’espèces afin de rendre les modèles plus efficaces pour l’interprétation paléoclimatique d’assemblages fossiles incomplets. Finalement, une dernière piste d’analyse paléoenvironnementale a été développée, qui repose sur l’étude du rôle des facteurs climatiques dans la distribution de la diversité morphologique et fonctionnelle des communautés actuelles de rongeurs sur l’ensemble du continent africain. Des méthodes d'analyses en morphométrie géométrique ont permis de quantifier la variabilité morphologique des mandibules de rongeurs en réponse à certains facteurs climatiques, et de détecter des motifs spatiaux significatifs qui pourront aider à mettre en lien la morphologie des fossiles avec certains types d’environnements.
Fig. 1 : Synthèse cartographique des assemblages de micromammifères pliocènes et pléistocènes d’Afrique australe. Fig. 1: Cartographic synthesis of Pliocene and Pleistocene micromammal assemblages from Southern Africa.
Ces deux cartes ont été générées en grande partie à partir des listes fauniques publiées par Avery (2019). Seuls les assemblages ayant livré au moins trois taxons différents de micromammifères sont repris sur ces cartes.
These two maps were largely generated from faunal lists published by Avery (2019). Only assemblages that have yielded at least three different taxa of micromammals are included on these maps.