Nous remercions le Dr. Hugo Blain (IPHES-URV) pour la relecture du manuscrit.
1Nous présentons les résultats des analyses anthracologiques des fouilles réalisées entre les années 2004 et 2006 dans deux vallées des Pyrénées orientales : la vallée de la Vansa (Alt Urgell, chaîne du Cadí) et la vallée du Madriu (Andorre). Nous avons réalisé plusieurs campagnes de prospections et de fouilles de diagnostic par sondages sur des structures archéologiques localisées dans l’étage bioclimatique montagnard et subalpin de différents sites de ces deux vallées (Palet et al., 2006 et 2007) (fig. 1).
2Ce travail est intégré dans le projet appelé Occupation du sol et formes du paysage montagnard dans les Pyrénées orientales de l’Antiquité à la période médiévale dirigé par J.M. Palet (ICAC), pour la coordination des études historiques et archéologiques, et par S. Riera (SERP-UB), pour les études paléoenvironnementales. Il s’agit d’un projet multidisciplinaire dont l’objectif, dans la ligne thématique de l’Archéologie du Paysage, est de connaître et comprendre la dynamique d’occupation et d’exploitation du territoire et les interactions sociétés- milieu dans ces vallées de haute montagne. La recherche anthracologique associée à ce programme a constitué la thèse de Doctorat d’une des auteurs, dont quelques résultats sont présentés dans cet article (Euba, 2008).
3La recherche paysagère dans les Pyrénées orientales a acquis plus d’importance à partir des années 1980. Il faut souligner notamment l’activité du laboratoire Geode de l’Université de Toulouse-Le Mirail (Bonhôte & Vernet, 1988 ; Galop, 1998 ; Rendu, 1987, 2003). Des projets similaires ont été réalisés dans les Alpes du Sud (Mocci et al., 2005 ; Walsh, 2005 ; Leveau & Segard, 2006 ; Walsh et al., 2007). Ces deux programmes ont développé des recherches anthracologiques paysagères telles que Davasse et al., 1997 ; Davasse, 2000 ; Durand, 2003 ; Durand & Py, 2004. La recherche que nous présentons ici a deux objectifs principaux : 1) reconstruire la végétation des vallées de la Vansa et du Madriu depuis le Néolithique jusqu’à l’époque moderne, ainsi que 2) connaître l’utilisation des ressources forestières par les sociétés qui ont occupé ces vallées pendant ces différentes périodes.
Fig. 1 : Localisation des sites.
4La vallée de la Vansa - chaîne du Cadí se situe dans les Pré-Pyrénées orientales dans le parc naturel du Cadí-Moixeró. Notre zone d’étude, dominée par le substrat calcaire, est localisée sur le versant sud, aux pentes plus douces et aux sommets plus arrondis. Le réseau hydrographique est très pauvre parce que l’eau s’infiltre facilement à travers des matériaux calcaires.
5À Cerneres, domine l’extension de la forêt de Pinus sylvestris, tant primaires que secondaires. Buxus sempervirens apparaît généralement dans des zones claires et en lisière des forêts où il y a davantage de pâturages. Abies alba, qui peut monter jusqu’à la limite inférieure des pinèdes de Pinus uncinata, se trouve généralement sur des terrains siliceux et des zones humides d’exposition nord et nord-est. Bien que cette espèce soit acidophile et la chaîne du Cadí soit calcaire, sa présence est possible grâce au fait que la pluviosité importante donne lieu à une acidification du sol (Vigo et al., 2003). Dans le reste des gisements, dominent les pinèdes de Pinus uncinata accompagnées du Juniperus sp.
6Andorre se trouve dans le versant méridional de l’axe axial des Pyrénées orientales. La vallée du Madriu se situe dans le SE de la Principauté, dans la paroisse d’Escaldes-Engordany. Les sols siliceux formés par des substrats de granites et schistes composent la plus grande partie du terrain. Ils dominent par conséquent les formations végétales acidophiles. Nous pouvons trouver des pinèdes de Pinus uncinata soit de façon monospécifique, soit avec des essences accompagnatrices telles que Juniperus sp. aux endroits ensoleillés, les Ericaceae en zone d’ombre et Betula alba aux endroits plus humides.
7Nous avons une information fiable et de haute résolution chronologique grâce aux diverses datations par 14C réalisées sur des charbons de bois (tab.1) (Palet et al., 2007 ; Euba, 2008). Au Madriu, la majorité des structures fouillées par les archéologues correspondent à des charbonnières datées entre le XIVe siècle et le début du XIXe siècle. En revanche, le cadre chronologique des structures pastorales est plus vaste. Aux sites du Pla de l’Ingla et Orris de Setut, nous avons des datations pour la fin de l’époque médiévale (entre les XIVe et XVIe siècles). Un enclos pastoral au gisement de Basses de Setut a été daté du Ier siècle après J.-C. Les autres structures de ce site ont une chronologie médiévale et moderne. Au gisement de Pleta de les Bacives (2 530 m), une occupation pastorale a été attestée, qui démarre vraisemblablement au Néolithique Ancien (fin du Ve millénaire cal. avant J.-C.) avec une réoccupation pastorale datée du Néolithique Final (IIIe millénaire cal. avant. J.-C.). Enfin, un four romain a été daté au IIe siècle après J.-C. au site du Pla de l’Ingla (Palet et al., 2007).
8Dans la chaîne du Cadí, quatre sites ont été étudiés : Cerneres, Goleró, Pradell et Carboneres. Cerneres est le seul site situé dans l’étage bioclimatique montagnard ; les autres sont situés dans l’étage subalpin. À Cerneres et Carboneres, nous avons seulement documenté des charbonnières qui correspondent au XVIe et XVIIIe siècles. Au Goleró, des fours de grillage ont été datés des Ier et IIe siècles après J.-C. On a aussi trouvé des structures vraisemblablement pastorales protohistoriques (des enceintes circulaires) (VIIIe - IIe siècles av. J.-C.), réoccupées à l’époque moderne (XVIIe-XVIIIe siècles), ainsi qu’un horizon du Néolithique Final-Chalcolithique, très effacé, probablement en rapport avec une activité pastorale. Au Pradell nous avons trouvé un four pour la réduction du fer du VIIIe siècle après J.-C., mais aussi des niveaux d’occupation anciens associés à une activité pastorale antique (du IVe siècle après J.-C.) et moderne (Palet, 2006).
Tab. 1 : Datations 14C calibrées (Stuiver et al., 2005) (laboratoire de radiocarbone de Poznaƒ, Pologne).
9L’analyse anthracologique que nous avons réalisée est fondée sur des charbons récupérés dans un projet d’Archéologie du Paysage. Les caractéristiques principales de notre matériel sont la diachronie et la provenance des échantillons de structures de différentes fonctionnalités sur une zone d’étude étendue. Quelques travaux anthracologiques similaires en haute montagne ont été effectués par le passé (Davasse, 2000 ; Durand, 2003 ; Durand & Py, 2004 ; Pèlachs, 2004, etc.), mais ils sont encore très peu nombreux.
10Les charbons ont une origine essentiellement anthropique et avec ce matériel nous pouvons connaître l’utilisation du bois en rapport avec les différentes activités développées dans le domaine d’étude. Avec cette méthode on peut aussi connaître la végétation des environs du site. Une bonne interprétation du registre anthracologique dépend d’un bon échantillonnage. C’est pour cela qu’on a adapté les théories d’échantillonnage déjà établies par d’autres auteurs (Izard, 1992 ; Fabre, 1996 ; Chabal, 1997 ; Buxó & Piqué, 2003) à nos types de sites. La méthode utilisée dans ce travail, pour récupérer les échantillons, varie en fonction de la méthode de fouille (sondage ou prospection) ou du type de structure (charbonnières, fours, etc.). Dans les structures prospectées, nous avons recueilli un litre de sédiment à leur base. Dans les sondages, l’échantillonnage a été plus systématique. Dans les charbonnières, nous avons recueilli du sédiment tous les 10 cm. Dans le reste des structures, nous avons récupéré 4 litres de chaque unité stratigraphique et le reste des sédiments fouillés a été tamisé avec un tamis de 4 et 2 mm de grille. Pour ce qui concerne les concentrations de charbons (foyer domestique etc.), la totalité du sédiment a été récupéré (Euba, 2008).
11Après prélèvement, les échantillons ont été transportés au laboratoire. Nous avons réalisé une flottation manuelle avec un tamis de 0,5 mm. Le sédiment a été tamisé à l’eau en utilisant une colonne de tamis de 4 et 2 mm. Le sédiment des charbonnières n’a pas été traité par flottation mais seulement par tamisage à l’eau.
12Une fois les échantillons secs, nous avons identifié taxonomiquement chaque fragment de charbon. L’observation des charbons a été réalisée avec un microscope optique de lumière réfléchie avec des grossissements de 50, 100, 200 et 500 (Zeiss Axioskop 40), en nous aidant d’un atlas d’anatomie du bois (Gregus, 1955 ; Schweingruber, 1990 ; García Esteban et al., 2000). La captation des images a été réalisée avec un microscope électronique à balayage de l’Université Rovira i Virgili de Tarragone (fig. 2). Nous avons identifié majoritairement les genres tels Juniperus sp., Rhododendron ferrugineum, Betula sp. ou Salix sp. En raison de la variabilité de quelques genres nous n’avons pas différencié : Sorbus sp. et Crataegus sp. dans le cas des Pomoideae et Vaccinium myrtillus et Rhododendron ferrugineum dans le cas de quelques fragments d’Ericaceae. Nous avons pu déterminer les espèces Abies alba, Buxus sempervirens et Rhododendron ferrugineum.
13Dans le cas des pins, nous pouvons dire que les char- bons de pins analysés correspondent au type Pinus uncinata. Nous avons effectué un rapprochement avec les données biométriques des fragments identifiés comme Pinus. On peut trouver deux types de pin de montagne dans les régions d’étude : Pinus sylvestris et P. uncinata. Ces deux espèces sont très difficiles à distinguer anatomiquement. C’est pour cela que nous avons décidé de comparer les caractéristiques que d’autres auteurs ont distingué entre les deux taxa, tels que la localisation des canaux résinifères (Bazile-Robert, 1979 ; Schweingruber, 1990 ; Guerrero-Campo et al. 1998 ; Figueiral et Carcaillet, 2005), la morphologie des points aréolés du mur radial des trachéides longitudinales (García Esteban et al., 2000) et la largeur des anneaux de croissance (Gregus, 1955 ; Heinz, 1990). Après l’observation de ces caractéristiques nous avons décidé d’appeler tous les fragments de pins type Pinus uncinata (Euba, 2008).
14Nous avons effectué l’analyse taxonomique mais aussi l’analyse dendrologique et taphonomique. La dendrologie est l’étude des cernes de croissance, qui dépend du climat ou des activités anthropiques (Carrión, 2005, 2006 ; Duffraise, 2006 ; Euba, 2008). La taphonomie étudie les déformations des cellules du bois produites durant la combustion ainsi qu’au cours des processus post-dépositionels. Cette étude permet de comprendre les conditions de combustion du bois et l’influence des processus naturels sur l’altération des matériaux après leur dépôt (Di Lernia & Fiorentino, 1995 ; Théry-Parisot, 2001 ; Allué, 2002 ; Badal & Carrión, 2004 ; Euba, 2008). Ces types d’études ne sont pas habituels dans les recherches anthracologiques. Dans les différents ensembles étudiés, nous avons récupéré des fragments de grande taille qui conservent encore la morphologie originale et les marques d’un travail du bois.
Fig. 2: Liste des taxa identifiés dans les registres anthracologiques.
15Les résultats nous montrent une surreprésentation du Pinus et une présence d’autres taxa. Le graphique nous montre l’ubiquité taxonomique, c’est-à-dire, le nombre de fois que chaque charbon est observé en tenant compte de la totalité du registre anthracologique (fig. 3).
16Dans la vallée du Madriu, nous avons identifié Pinus type uncinata dans toutes les structures sauf dans la S 13, une charbonnière à 1 500 m d’altitude, où unique- ment a été identifié Abies alba. Dans les charbonnières, toutes d’époque moderne, et situées entre 1900 et 2100 m d’altitude, à côté de la rivière Madriu, outre Pinus, nous avons identifié Betula sp. dans les S 110, C1, C2 et C3, Ericaceae dans la S 104, Juniperus sp. dans la C6 et Salix et Betula sp. dans la C5. Le four romain du Pla de l’Ingla S52 est la structure présentant le plus de variabilité taxonomique. Nous avons identifié Pinus type uncinata, Abies alba, Juniperus sp. et Buxus sempervirens.
17Dans les structures pastorales, outre Pinus, d’autres taxa ont été déterminés comme Juniperus sp. et Ericaceae dans la S27, Salix sp. dans la S 121, Betula sp. et Ericaceae dans la S137, enfin Juniperus et des fragments de Monocotylédones dans le niveau Néolithique de la cabane ES 152 du Pleta de les Bacives (tab. 2).
18Dans la chaîne du Cadí, nous avons identifié Pinus type uncinata dans toutes les structures. Dans les fours romains du Goleró, en plus de Pinus, nous avons identifié Juniperus sp. et Pomoideae dans la S42 et Abies alba, Juniperus sp. et Buxus sempervirens dans la S43. Dans la S75 de ce site, on a identifié également Buxus sempervirens. Dans S79 nous avons déterminé Salix sp. et dans le four antique métallurgique (S81) du Pradell, nous avons identifié Juniperus en plus de Pinus.
19Dans les charbonnières du site de Carboneres (S82, 83 et 84) et à la S37 du Cerneres nous avons uniquement identifié Pinus. Mais dans les S35 et 36 du Cerneres, nous avons déterminé aussi Abies alba et Juniperus sp. et dans la S39 Abies alba, Juniperus sp. et Buxus sempervirens.
20Dans les structures pastorales, outre Pinus, nous avons identifié Juniperus sp. et Buxus sempervirens dans les S2, 11 et 46 du Goleró. Dans la S48 de ce site, nous avons identifié Juniperus sp. Dans le site du Pradell à la S31 nous avons déterminé Juniperus sp. et Ericaceae et dans la S30 des fragments de Monocotylédones, très probablement des tiges de céréales (tab. 3).
21Plusieurs fragments nous ont permis de reconnaître des objets liés à des activités concrètes et de cette manière de comprendre certains aspects de l’utilisation du bois dans les structures étudiées. Ces morphologies ont été identifiées sans l’aide du microscope parce que les charbons et les bois étaient de taille assez grande pour conserver la morphologie. Les fragments identifiés sont : 4 fragments présentant un coup de hache, 1 manche d’outil, 2 fragments de clôture, 2 fragments de bouchon de récipient, 2 éléments qui proviennent de la toiture d’une cabane et plus de 20 fragments des copeaux de bois carbonisés (fig. 4).
Fig. 3 : Graphique d’ubiquité taxonomique en tenant compte de la totalité les structures étudiées.
Tab. 2: Résultats des analyses anthracologiques menées dans la vallée du Madriu.
Tab. 3: Résultats des analyses anthracologiques menées dans la chaîne du Cadí.
Fig. 4: Objets et outils conservant leur morphologie originale.
A: Coup de hache (Bosc dels Estanyons ES 110) ; B : Bouchon de récipient (Pradell ES 30) ; C : Manche (Pla de l’Ingla ES 52) ; D : Travail du bois, coupeaux (Cerneres ES 35) ; E : structure, toiture de cabane (Pleta de les Bacives ES 153) ; F : Structure, clôture (Pradell ES 30).
22Les résultats anthracologiques ne mettent pas en évidence de changement entre les niveaux étudiés depuis le Néolithique Ancien jusqu’à l’époque moderne. En plus, nous n’avons pas observé aucune variation en rela- tion avec l’altitude ou le type de structure. Mais les analyses polliniques et les fouilles archéologiques nous montrent une exploitation forestière importante à l’époque romaine (Miras et al., 2007) et une baisse de la limite supérieure de la forêt à l’époque médiévale et moderne à cause de l’activité charbonnière (Palet et al., 2007 ; Euba, 2008).
23L’ensemble des résultats anthracologiques nous montre différentes sortes de formations végétales en dépit de la faible variabilité du registre. Nous pouvons observer différents types de pinèdes de Pinus type uncinata : d’un côté, la pinède de Pinus type uncinata sur zones ensoleillées où Pinus est accompagné du Buxus sempervirens, du Arctostaphylos uva-ursi, du Juniperus communis subsp. communis et du Juniperus communis subsp. nana. Sur ce versant, c’est la strate herbacée qui domine par rapport à la strate arborescente ou arbustive, correspondant ainsi à des zones de pâturage. De l’autre côté, dans les endroits ombragés, là où les pâtures ne sont pas aussi abondantes, Pinus type uncinata se trouve accompagné par Vaccinium myrtillus et Rhododendron ferrugineum et parfois, à des altitudes plus basses (à la limite supérieure de l’étage montagnard), nous trouvons quelques Abies alba faisant partie de cette composition. Près des ruisseaux et des rivières, nous pouvons trouver Pinus uncinata accompagnés par des espèces comme Betula alba ou Salix sp., et des Sorbus/Crataegus sp. Ces espèces ont été identifiées au site de Bosc dels Estanyons et dans les charbonnières du GR 11 qui se trouvent près du fleuve Madriu.
24Au Madriu, les données polliniques indiquent que les premières évidences de l’exploitation du milieu forestier débutent dès le Ve millénaire cal. avant J.-C. (Miras et al., 2007). De ce fait, les résultats des fouilles au site du Pleta de les Bacives, situé dans le haut bassin du Madriu, sont cohérents avec cette donnée. Un niveau d’occupation dans une cabane a été daté à la fin du Ve millénaire avant J.-C. (Poz-18807 4593/ 4 369 cal. à 2 Sigma avant J.-C.). De plus, une réoccupation pastorale est attestée dans un enclos voisin à la fin du IIIe millénaire avant J.-C. (Poz-188122286/ 2 039 cal. à 2 Sigma avant J.-C.) (Palet et al., 2007).
25Selon les données polliniques, la pression anthropique est plus importante au début de l’Âge de Bronze (Miras et al., 2007). Ce fait est aussi observé dans d’autres sites des Pyrénées orientales (Galop, 1998) et en général dans toutes les hautes montagnes européennes (Walsh et al., 2005). En revanche, les indices archéologiques correspondant à l’Âge des Métaux sont rares dans les vallées étudiées. Au Cadí, le site du Goleró permet de nuancer cette situation : sur un horizon du Néolithique Final-Chalcolithique, une occupation pastorale du Bronze Final-Âge du Fer est bien attestée (VIIIe/VIIe-IIe siècles avant J.-C.) (Palet et al., 2006 et 2007).
26Pour cette période, les résultats anthracologiques nous montrent l’utilisation majoritaire du Pinus, possiblement utilisé comme combustible ou pour la construction de structures, conjointement à une utilisation moindre d’espèces arbustives comme Juniperus et Ericaceae. Les branches de Pinus et des espèces arbustives pourraient avoir été utilisées pour l’alimentation du bétail, la consommation humaine ou l’allumage de foyers (Thiébault, 2005). Le fourrage animal à l’aide de feuilles et de brindilles de différentes espèces est documenté dès le Néolithique. Le fourrage est utilisé comme complément alimentaire ou pour les propriétés thérapeutiques de certaines espèces (Laederich & Thiébault, 2004 ; Thiébault, 2005). Nous ne croyons pas qu’il ait existé un élagage systématique des branches pour l’alimentation du bétail, mais plutôt une utilisation ponctuelle de ramilles d’arbres et d’arbustes des alentours pendant la stabulation des animaux.
27Les analyses polliniques montrent qu’à cette époque les bergers montent en altitude à la recherche de prairies estivales. Pour entretenir et augmenter la superficie de zones de pâturage, les bergers gèrent cet espace grâce au feu par l’écobuage (Miras et al., 2007).
28En ce qui concerne la période romaine, la seule structure d’élevage localisée se situe dans le gisement de Basses de Setut, où un niveau d’occupation dans un petit enclos daté au Ier siècle après J.-C. a été étudié. Au site du Pla de l’Ingla, un four a été aussi daté par 14C de la période romaine (IIe siècle après J.-C.) Dans ce cas, il s’agit vraisemblablement d’un four en rapport avec l’exploitation de résine (Palet et al., 2007). Les autres structures attestées de cette période sont les fours métallurgiques de grillage du Goleró. Ils ont été datés de la seconde moitié du Ier siècle après J.-C. par la présence de mobilier céramique, notamment du Terra Sigilata Hispanica dans les niveaux d’utilisation des fours.
29On y exploite Pinus en tant que principal combustible dans tous les cas. L’identification d’autres taxons comme Abies alba et Buxus sempervirens qui ne correspondent pas à l’étage subalpin, a probablement un rapport avec la présence d’un type d’outil. On sait que, dans le four de Pla de l’Ingla, a été utilisé du bois altéré, sûrement des branches tombées de grande taille, comme combustible, mais dans les fours de Goleró, il est possible que du charbon ait été utilisé. Dans ce site, la présence de charbon comme combustible est liée justement à l’activité du grillage du fer qui suppose d’atteindre une température minimum de 600ºC (Magnin, 2004). Pour le moment, nous n’avons pas localisé les charbonnières romaines au Cadí, mais nous n’écartons pas l’idée d’en découvrir lors des prochaines campagnes de fouilles. De ce fait, la présence de charbonnières anciennes a été documentée, par l’archéologie et par les sources littéraires antiques (Dubois, 1988-90 ; Pèlachs, 2004).
30Dans le gisement de Pradell, près du gisement de Goleró, nous avons localisé les restes de la destruction d’un four en relation avec le travail du fer du VIIIe siècle après J.-C. Dans ce four, seul Pinus type uncinata a été utilisé comme combustible. La présence de structures liées aux activités métallurgiques aux époques romaine et médiévale montre bien la continuité de ces activités au cours du temps, avec un pic d’activité à l’époque moderne.
31Pour les périodes médiévale et moderne, la plupart des structures documentées archéologiquement correspondent à des charbonnières, toutes en rapport avec les forges attestées dans les deux vallées (Mas Canalis, 1995 ; Gascón, 2006).
32Les espèces utilisées dans les charbonnières étudiées sont Abies alba, Pinus type uncinata et Betula alba. Celles-ci peuvent se retrouver dans un même assemblage. La présence des autres espèces, la plupart arbustives, n’était pas en relation avec le combustible. Nous avons mis en évidence ethnographiquement à travers des entretiens avec les charbonniers d’aujourd’hui plusieurs hypothèses d’interprétation. Celles-ci pourraient provenir de la couverture de la meule, du foyer qui est utilisé pour allumer celles-ci, des ramilles qui sont entraînées accidentellement avec le bois, ou peut-être que ce sont des objets brûlés accidentellement sur la meule. Dans l’une des charbonnières du gisement de Cerneres, ont été récupérés des restes de copeaux, provenant probablement du processus d’affilage d’un morceau de bois en Abies alba pour servir de tirages.
33Les données polliniques (Miras et al., 2007) ainsi que les textes (Codina et al., 2001) montrent une importante déforestation à l’époque moderne, notamment dans la vallée du Madriu provoqué par l’activité de charbonnage. Dans la chaîne du Cadí, cette activité fut aussi intense que dans la vallée du Madriu (Gascón, 2006). Nonobstant, dans cette région, l’activité de la forge s’est arrêtée au XVIIe siècle en raison de l’épuisement du minerai (Gascon, 2007). Il est probable que la forêt n’ait pas souffert d’impact anthropique aussi grand que dans la vallée du Madriu.
34Nous avons documenté aussi des structures pastorales de l’époque médiévale et moderne. Dans les gisements d’Orris de Setut III et du Pla de l’Ingla, les structures pastorales correspondent aux XIVe et XVe siècles. Il s’agit d’un élevage lié aux besoins d’une population locale (Codina, 2004) qui, pendant son séjour estival en altitude, exploite l’environnement immédiat pour la construction de structures durables, la fabrication de feux, le fourrage, etc. Les résultats anthracologiques nous indiquent que c’est Pinus type uncinata qui est utilisé majoritairement, car c’est le bois le plus abondant des alentours. D’autres ressources arbustives disponibles aux alentours comme les Ericaceae et Juniperus étaient aussi exploitées.
35Au XVIIe siècle, l’activité pastorale en altitude diminue, du fait de l’augmentation de la demande de bétail en stabulation. Cependant, au XVIIIe siècle, l’élevage retrouve une importance commerciale du fait qu’une production spécialisée est nécessaire, à cause de la crise agricole (Codina, 2004). Les structures documentées dans les gisements de Basses de Setut et Orris de Setut dans la vallée du Madriu correspondent à ce cadre chronologique. Sur le site du Goleró et Pradell correspondent aussi à ces chronologies. Les résultats anthracologiques nous indiquent les mêmes résultats que pour les XIVe et XVe siècles.
36Au XIXe siècle se produit un bouleversement dans le cadre socioéconomique qui donne lieu à une forte diminution des activités tant dans la chaîne du Cadí que dans la vallée du Madriu. L’activité de la forge cesse définitivement avec l’apparition des hauts fourneaux. Le problème de la déforestation et de l’épuisement des mines devient lui aussi un problème important pour l’exploitation des forêts de la haute montagne. L’élevage du bétail entre en crise parce que l’élevage ovin perd de l’importance en faveur de l’élevage bovin (Codina, 2004). Les activités industrielles prennent aussi beaucoup plus d’importance face aux activités d’élevage qui, avec le temps, deviennent plus coûteuses. L’exploitation minière et le pâturage étaient les principales raisons de la présence anthropique. Ces activités ne fournissant plus un apport économique rentable, les activités cessent et les forêts se régénèrent.
37Les occupations de haute montagne sont estivales dans tous les cas. C’est pour cela que, dans de nombreux cas, les enclos se construisent entièrement en bois à l’époque pré- et protohistorique, (par exemple la S 46 de Goleró). La construction en matériau périssable et en terre est un mode généralisé de construction pour ce type de structures (Molist et al., 2003). Des structures de l’époque préhistorique (Pleta de les Bacives) sont aussi documentées. Dans ces structures, la technique de construction est fondée sur une base en pierre sèche avec l’utilisation aussi de roches naturelles et de bois. Ce type de construction est plus habituel surtout à partir des périodes historiques, du fait que la fréquentation des prairies et des forêts soit plus grande et qu’on espère qu’elle tienne jusqu’à la prochaine montée (Rendu, 2003).
38Outre les structures, la bonne conservation des char- bons nous a permis de connaître le genre d’outils qui étaient fabriqués par ces sociétés durant leur séjour en haute montagne (fig. 4). L’absence d’importantes activités anthropiques comme l’agriculture ou la construction de bâtiments a permis une bonne conservation des restes archéologiques.
39Nous avons tout d’abord récupéré un manche d’outil de l’époque romaine, puis des bouchons en bois antiques fabriqués en Pinus type uncinata. Dans d’autres gisements correspondant à des chronologies similaires ont été attestés des bouchons avec ces mêmes caractéristiques (Piqué, 1999 ; Sada, 2004), de même qu’ont été récupérés d’autres fragments de charbon, de Salix sp., de Buxus sempervirens et de Abies alba, qui pourraient correspondre aussi à des outils. Il s’agit de fragments qui ne conservent aucun type de morphologie artificielle mais qui pourraient avoir été transportés par les charbonniers eux-mêmes ou par des bergers et qui auraient été brûlés accidentellement.
40Dans l’une des charbonnières, des copeaux d’Abies alba ont été également découverts. Du point de vue ethnographique, nous savons que le charbonnier fabrique habituellement une espèce de lance pointue appelée donafums ou tirage qui sert à maîtriser la cuisson de la charbonnière par l’ouverture de tirages.
41Nous pouvons dire que la stratégie d’approvisionne- ment en bois, pour l’obtention du combustible est conditionnée par l’offre de l’environnement. Néanmoins, pour l’élaboration d’outils, il est possible que ceux-ci soient transportés alors que d’autres sont fabriqués sur place. Il est documenté ethnographiquement que les bergers consacraient leur temps libre pendant les séjours estivaux en haute montagne, à la fabrication d’outils. Parfois, la matière première utilisée était transportée, mais d’autres fois on utilisait le bois disponible aux alentours (Violant & Simorra, 1986).
42Du Néolithique Ancien à l’époque moderne, les populations qui montent en haute montagne à la recherche de prairies estivales, réalisent une exploitation de l’environnement ligneux le plus proche.
43À partir de l’époque romaine, dans la chaîne du Cadí, l’activité métallurgique prend de l’importance et nous pensons que le combustible utilisé était du charbon, cependant à ce jour, aucune charbonnière n’a été retrouvée. Le charbonnage en relation avec l’activité de la forge produit un des impacts les plus forts dans la vallée du Madriu et dans la chaîne du Cadí entre les XIVe et XVIIIe siècles.
44Malgré la faible variabilité taxonomique du registre, nous avons pu observer plusieurs formations végétales sur des étages montagnard et subalpin.
45Les taxons utilisés pour des activités qui requièrent une grande quantité de matière première, sont ceux dont on dispose dans l’environnement immédiat qui, dans ce cas, est Pinus. La fabrication des outils par les bergers et les charbonniers aura sans doute été réalisée aussi avec le bois disponible dans les environs, mais il est également fort probable qu’ils emportaient avec eux des objets réalisés avec d’autres espèces provenant d’un autre contexte comme Buxus sempervirens ou Abies alba.
46L’étude anthracologique montre une exploitation forestière constante dès le Néolithique Ancien jusqu’à l’époque moderne, avec un pic d’exploitation durant cette dernière période. L’exploitation des ressources à l’époque romaine aussi mérite être souligné. Les ressources (forêts, minéraux et pâtures) offertes par ce paysage de haute montagne sont connues et recherchées depuis le Néolithique Ancien.
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