• 1 Quelques publications récentes sont parues, notamment l’étude monographique d’Hélène Millet et Clau (...)
• 2 Paul Perdrizet, La Vierge de miséricorde, étude d’un thème iconographique, Paris, Albert Fontemoing (...)
• 3 Ibid., p. 87 et 175. Il s’agit des œuvres de Nice et de Saint-Étienne-de-Tinée.
• 4 À cette époque, le duché de Savoie s’étend de la Bresse au Pays de Vaud, puis de Nice au Piémont, j (...)
• 5 Paul Deschamps, « La Vierge au manteau dans les peintures murales en Savoie et Dauphiné », dans Com (...)

1L’image de la Vierge au manteau bénéficie depuis peu d’une attention parmi les chercheurs1. Néanmoins, peu d’enquêtes globales existent. Pour cela, il faut remonter en 1908 à la thèse de Paul Perdrizet qui propose la seule étude iconographique complète2. Malgré un corpus considérable, seules deux peintures sont évoquées pour notre terrain d’étude3. Or, depuis son enquête, nombre de Vierge au manteau ont été découvertes dans le Dauphiné et l’ancien Duché de Savoie, dont beaucoup ont échappé à une analyse scientifique, mais aussi à la simple reconnaissance de ce patrimoine. Cette communication se propose d’offrir un éclairage neuf sur cette iconographie dans l’ancien duché de Savoie4 et en Dauphiné, à la fin de l’époque médiévale5.

• 6 Tous les auteurs s’accordent sur la hiérarchie du thème de la Vierge mantelée. La seule étude compa (...)

2L’étude de la Vierge au manteau est particulièrement singulière sur le plan formel et sémantique, que nous aborderons dans un premier temps. Son étude nous mène indiscutablement sur le terrain de l’anthropologie médiévale en mobilisant les questions des croyances populaires, du contexte historique et spatial, mais aussi des commanditaires, que nous traiterons dans un second temps. De la sorte, cette communication tend à illustrer l’ordonnancement du monde médiéval au travers de l’organisation des fidèles sous le manteau, centrée sur un espace singulier, le monde alpin, dans lequel la Vierge de miséricorde revêt un caractère spécifique6.

• 7 Sept représentations de la Vierge au manteau se retrouvent en Dauphiné : Laval, Genevray-de-Vif, Cl (...)
• 8 Une description dans le Registre Delphinal de Mathieu Thomassin permet de les restituer. Voir Mathi (...)
• 9 Les Heures du comte de Piémont sont conservées à la Stadtbibliothek de Stuttgart, HB.I.175, tandis (...)

3Vingt représentations peintes de la Vierge au manteau occupent, à notre connaissance, les territoires médiévaux du Dauphiné et de l’ancien duché de Savoie7. De ce corpus iconographique, nous n’en étudions volontairement qu’un échantillon afin de nous pencher sur les éléments les plus parlants de cet axe de recherche. Pour le Dauphiné, quatre représentations sont retenues : celles du Genevray-de-Vif, de Laval, et les deux peintures perdues de Grenoble et de Saint-Antoine-l’Abbaye8. Pour les œuvres savoyardes, nous retiendrons cinq représentations : les miniatures des deux livres d’Heures, la peinture de Fénis et les deux de Genève (dont une a disparu9). Avant d’étudier le corpus d’images proposé, il convient de commencer par la définition de cette image et d’en examiner plusieurs aspects.

• 10 Voir Paul Perdrizet, La Vierge de miséricorde, op. cit., p. 107-193 et Émile Mâle, L’Art religieux (...)
• 11 Pour les origines du thème, voir la thèse de Nancy Hubbard, Sub Pallio: The sources and Development (...)
• 12 Louis Réau, Iconographie de l’art chrétien. Tome 2 : Iconographie de la Bible. Livre 2 : Nouveau Te (...)

4Le thème de la Vierge au manteau est né à la fin du Moyen Âge et a connu un vif succès10. Le contexte troublé de la guerre de Cent Ans, ainsi que la pandémie de peste qui frappa l’Occident, favorisèrent une diffusion très rapide de l’image11. Toutefois, sa fortune fut de courte durée, étant donné le succès de l’humanisme et les avancées de la Renaissance italienne12.

• 13 Paul Perdrizet, La Vierge de miséricorde, op. cit., p. 198-201.
• 14 François Garnier, Le langage de l’image au Moyen Âge. Signification et symbolique, Paris, Le Léopar (...)
• 15 Ibid.

5L’image s’articule autour de la figure de la Vierge, entourée d’orants. Elle est debout, de plain-pied, au centre de la composition et fait face au fidèle en écartant de ses bras les pans de son manteau13. Elle est d’une taille colossale, tandis qu’une multitude de petits personnages sont tournés vers elle, les mains jointes14. Cette image renvoie à la conception du monde propre à l’homme médiéval. La taille immense de la Vierge tout comme sa position frontale marquent sa sainteté et son pouvoir d’intercesseur auprès de Dieu, tandis que la petite taille et la figuration de profil des suppliants rappellent leur condition humaine de simples mortels15. Cet ordonnancement du monde médiéval est inscrit dans l’image par sa composition de forme pyramidale : le chef de Marie en constitue le sommet tandis que les fidèles forment sa base.

• 16 Hélène Millet et Claudia Rabel, La Vierge au manteau du Puy-en-Velay…, op. cit., p. 138.
• 17 Ibid.
• 18 On peut noter des similarités dans la structure des deux thèmes iconographiques. Les deux images so (...)

6Le manteau forme une séparation qui scinde horizontalement la composition en deux registres distincts. De manière métaphorique, cette ligne divise le monde céleste du domaine terrestre. Toutes les figures dépassant la limite supérieure de ce manteau sont auréolées en signe de sainteté16. Au contraire, les orants, sans auréole, sont placés sous le manteau de la Vierge et confinés au monde terrestre17. Cette dichotomie entre les deux mondes se retrouve de façon semblable dans les représentations du Jugement dernier, comme le montrent les fresques du xv^e siècle de la chapelle Notre-Dame-des-Fontaines de la Brigue18.

• 19 Jean Delumeau, Rassurer et protéger. Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, F (...)
• 20 Christian Heck, L’Échelle céleste dans l’art du Moyen Âge, Paris, Flammarion, 1997, p. 189. Voir ég (...)
• 21 Gertrud Schiller, Ikonographie des Christlichen Kunst, t. IV, livre 2 : Maria, Gütersloch, Mohn, 19 (...)
• 22 Ibid. Voir aussi Hélène Millet et Claudia Rabel, La Vierge au manteau du Puy-en-Velay…, op. cit., p (...)
• 23 Ibid. La Vierge de miséricorde se trouve être un syncrétisme des thèmes iconographiques du répertoi (...)

7De la sorte, la figure de la Vierge fait plastiquement le lien entre ces deux mondes, car Marie est reconnue par l’Église comme jouant le rôle de « pont entre le ciel et la terre19 ». Cette configuration renvoie aux notions d’intercesseur et d’échelle céleste, Marie étant le symbole qui assure à la fois la séparation et la liaison entre les deux mondes20. Un parallèle se crée entre l’image de l’Église et celle de la Vierge. En effet, l’Église est considérée comme la mère des fidèles, et la Vierge est mère du Christ. Ainsi, dès le xii^e siècle, Marie prend l’appellation de Mater Ecclesia et devient l’allégorie personnifiée de l’Église chrétienne21. Le rouleau d’Exultet de l’abbaye du Mont-Cassin représente la Mater Ecclesia22. Une figure féminine monumentale se tient debout en étendant ses bras. À sa dextre se tient une foule identifiée par une inscription Clerus, tandis qu’à sénestre se trouve le Populus. Cette composition rappelle, sans conteste, celle de la Vierge au manteau23.

• 24 Hélène Millet et Claudia Rabel, La Vierge au manteau du Puy en Velay…, op. cit., p. 21.
• 25 Louis Réau, Iconographie de l’art chrétien, op. cit., p. 117.
• 26 Paul Perdrizet, La Vierge de miséricorde…, op. cit., p. 150-193.
• 27 En effet, Maurice Vloberg détermine un type : celui de la Vierge abritant un seul priant, qui est p (...)
• 28 Ibid., p. 117-118.

8La figure de Marie marque aussi une dichotomie verticale, séparant distinctement le groupe de droite et celui de gauche. En effet, la foule a priori unie des priants se trouve en réalité scindée en deux. Aussi, l’assemblée des personnages sous le manteau semble, à première vue, désordonnée. Pourtant, leur disposition sous le manteau n’a pas été retenue au hasard24. En effet, une première classification peut être faite entre les clercs et les laïcs, eux-mêmes identifiés par un « personnage-type » qui définit son état, allant du pape au simple moine et de l’empereur jusqu’au paysan25. La seconde classification s’opère au niveau du groupe sous le manteau. Lorsque Marie protège la chrétienté tout entière, on parle du type de la Mater Omnium, ou « mère de tous », identifié par Paul Perdrizet26. En 1957, Louis Réau réétudie les types de Vierge au manteau élaborés par ses prédécesseurs27. Il en retient trois : le premier est la Mater Omnium, qui est le plus répandu ; le deuxième est la « protectrice d’une collectivité », qui abrite sous son manteau un groupe plus restreint mais homogène, comme une famille, un ordre religieux ou une confrérie ; et le troisième est le type Mater Unis, protégeant un unique fidèle28. Ces typologies permettent de caractériser les images du corpus et de proposer les quelques hypothèses qui suivent.

• 29 Pour une approche générale, voir Georges Duby, Les Trois Ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Pari (...)

9La société du Moyen Âge est fondée sur une séparation des états que nous retrouvons ici tous protégés par la Vierge29. Toutefois, chaque orant tient une place définie sous cette protection.

• 30 Hélène Millet et Claudia Rabel, La Vierge au manteau du Puy-en-Velay…, op. cit., p. 124.
• 31 Dans nos exemples, seuls les séculiers sont représentés. Toutefois, le thème peut servir pour les r (...)

10Premièrement, la répartition des groupes sous le manteau n’est pas fortuite. En effet, le groupe des clercs occupe la place à la droite de la Vierge. Or le côté droit est une place privilégiée, celle des élus, impliquant la prééminence systématique des religieux sur les laïcs30. Deuxièmement, nous remarquons que les plus hauts dignitaires se retrouvent au plus près de la Vierge et surtout au premier plan de la composition. Pour le groupe des laïcs, les premiers rangs sont occupés par l’empereur et le roi, suivis de la noblesse, de la bourgeoisie et enfin du tiers état. Quant au groupe antagoniste, celui des clercs, la composition redouble cette même hiérarchie : au plus près de la Vierge, nous retrouvons le souverain pontife de l’Église, le pape, suivi des cardinaux et des évêques, jusqu’aux plus simples des clercs31.

• 32 Cf. Hélène Millet et Claudia Rabel, La Vierge au manteau du Puy-en-Velay…, op. cit., p. 130.
• 33 Ibid.

11Hélène Millet et Claudia Rabel soulèvent une question intéressante concernant cette « société très choisie32 ». En effet, la Vierge « abrite une proportion de nobles qui n’a rien de commun avec la réalité33 ». Si nous regardons les exemples de Fénis ou encore de Genève, nous nous rendons compte que la proportion des hauts dignitaires vis-à-vis des laboratores est démesurément importante, contrairement à la société médiévale, qui comportait en réalité bien plus de paysans que de notables. Ce thème de la Mater omnium vise à dépeindre une conception du monde qui est propre à l’homme médiéval.

• 34 Clément Gardet, De la peinture du Moyen Âge en Savoie. Tome IV : Un livre d’Heures du comte de Piém (...)
• 35 Ibid.
• 36 Ibid. Voir aussi Marie-José de Belgique, La Maison de Savoie : Amédée VIII le duc qui devint pape, (...)
• 37 Clément Gardet, De la peinture du Moyen Âge en Savoie, t. IV, op. cit., p. 20-22.
• 38 Ibid.

13Les peintures savoyardes de Genève et de Fénis, ainsi que les deux livres d’Heures, présentent une tendance commune. Ainsi, le premier plan offre des portraits présumés des commanditaires et non des archétypes. Derrière eux, des nobles, des bourgeois puis les laboratores semblent être représentés sans individualité. Dans les Heures du comte de Piémont, Clément Gardet croit reconnaître des portraits des membres de la maison de Savoie34. Il identifie le duc Amédée VIII, sous les traits d’un prince vêtu d’un manteau rouge doublé d’hermine35. Ce manteau répondrait aux caractéristiques du rang ducal énoncé par Amédée lui-même dans les Statua Sabaudiae36. Quant à la femme vêtue d’une robe verte, l’auteur reconnaît la princesse Marguerite de Savoie, qui est la dernière fille d’Amédée VIII37. L’auteur discerne aussi des figures de la famille ducale sous le manteau de Marie dans un autre manuscrit : les Heures de Louis de Savoie, datées des années 1455-1460, montrent au premier plan un orant brun vêtu d’une tunique courte et de chausses ; il pourrait s’agir de Louis de Savoie (fils d’Amédée VIII), avec à ses côtés son épouse Anne de Chypre, vêtue d’une robe rebrodée de feuilles d’or38. Par conséquent, le duc de Savoie et les siens occupent les places situées au plus près de la Vierge et se rendent identifiables par des attributs et des portraits présumés.

• 39 Id., De la peinture au Moyen Âge en Savoie, t. I : du xi^e au xv^e siècle, Annecy, Gardet, 1965, p. 5 (...)
• 40 Ibid. Félix V n’était pas reconnu comme un pape légitime par certains cardinaux. Voir Histoire du C (...)
• 41 François de Bonivard, Chroniques de Genève, op. cit., p. 159.

14La peinture murale de la Vierge au manteau du temple Saint-Gervais de Genève, datée des années 1447-1449, est située dans une chapelle latérale de l’édifice (fig. 1). Au pied de la Vierge, un pape est reconnaissable grâce au manteau et au trirègne39. Il aurait pu s’agir de n’importe quelle représentation archétypale du pape. Cependant, la répétition du motif du blason de la maison de Savoie le long de sa chape dévoile, en croisant la datation de l’œuvre, une autre réalité. Il s’agit de Félix V, qui prend place au plus près de la Vierge. Félix V, qui fut élu pape en 1439 au concile de Bâle et qui fut contesté par une partie des pères du Concile, cherchait peut-être à se procurer la protection de la Vierge40. Une autre peinture de Marie mantelée à Genève est connue grâce aux descriptions de François de Bonivard. Nous apprenons que parmi les orants sous le manteau, le procureur de l’hôpital de Genève, Jean Nergaz, « y estoient pourtraict au vif41 ».

• 42 Hélène Millet, « Quels maillons entre “la Vierge au manteau” du Puy-en-Velay et celle du château de (...)
• 43 Ibid., p. 50. Nous n’évoquons pas l’homme quasi de dos vêtu de blanc, car son identification porte (...)

15À Fénis, une Vierge protectrice orne la chapelle privée de la demeure castrale. Nous retrouvons auprès de la Vierge miséricordieuse la représentation du maréchal de Savoie Boniface de Challant42 († 1426), commanditaire des réaménagements du château de cette ville et de ses peintures murales. Il est représenté les cheveux blancs et avec un visage accusant un âge avancé. Néanmoins, ses traits sont harmonieux et réguliers, avec un front lisse et des mains délicates, qui peuvent laisser croire à un possible portrait idéalisé43.

• 44 Marie-José de Belgique, La Maison de Savoie : Amédée VIII le duc qui devint pape, op. cit.

16Le corpus des peintures savoyardes est composé d’œuvres relevant autant du monde religieux que du monde laïc. En effet, plusieurs représentations de la Vierge mantelée figurent dans des églises, des chapelles, mais aussi dans des demeures privées (au château de Fénis et dans les manuscrits de la famille ducale), sur des supports variés comme la peinture sur mur, sur panneaux ou encore sur parchemin. Cette appropriation du thème religieux par les laïcs peut expliquer cette intrusion des portraits au sein de l’image pieuse. De plus, les images savoyardes montrent très régulièrement l’empereur, qui est le suzerain des comtes et des ducs de Savoie44.

• 45 Cette hypothèse doit être envisagée avec prudence, car nous nous appuyons sur les vestiges parvenus (...)

17La représentation de la Vierge mantelée est tout autre dans une principauté voisine. À première vue, le Dauphiné présente des exemples de Vierge mantelée similaires sur le plan iconographique. Toutefois, à l’inverse de leur voisin savoyard, les œuvres dauphinoises sont exécutées uniquement en peinture murale et pour des lieux de culte45.

• 46 Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Seuil, 2004, p. 114-120. (...)
• 47 Histoire du Dauphiné, dir. Bernard Blig, Toulouse, Privat, 1973, p. 161. Pour une approche récente (...)
• 48 Mentionnons également les œuvres de Claveyson et de Salbertrand, où l’on trouve un manteau doublé d (...)
• 49 Mathieu Thomassin, Registre Delphinal, op. cit., fol. 91r. La bataille de Verneuil eut lieu en 1424 (...)
• 50 En outre, l’exemple du Genevrey-de-Vif permet l’observation des armoiries d’une famille. Nous remer (...)

18Pour cette province, le motif des fleurs de lys, symbole de la monarchie française, est identifiable, comme en témoignent les arrière-plans des peintures du Genevrey-de-Vif et de Laval46. D’un point de vue historique, le Dauphiné est rattaché à la couronne française depuis le transport en 1349, et les vierges mantelées en question sont postérieures à cet événement47. Lorsque la fleur de Lys est absente, un autre attribut royal est figuré : le manteau doublé d’hermine, dont la Vierge peinte à Laval est pourvue48 (fig. 2). Les peintures disparues décrites dans le texte de Thomassin, sont une pièce maîtresse quant à la définition de la typologie des œuvres dauphinoises. En effet, les orants rassemblés sous le manteau sont uniquement « les chevaliers du Dauphiné tombés à la bataille de Verneuil49 ». Leur présence est la preuve d’une communauté restreinte abritée sous le manteau de Marie. Les cas peints du Genevrey-de-Vif et de Laval semblent représenter les habitants des villages respectifs, car les figures stéréotypées et la hiérarchie des états semblent absentes ou, du moins, plus diluées50 (fig. 3). Selon la définition de Louis Réau, Marie au manteau dans cette principauté relève du type « protectrice d’une collectivité ».

• 51 Cf. Anne Lemonde, Le Temps des libertés en Dauphiné, op. cit., p. 341.

19Les cas du Dauphiné et de la maison de Savoie montrent ici les variations sur un même thème iconographique. Le Dauphiné expose toute la « fierté d’une principauté51 » vis-à-vis du Dauphin et de la couronne de France. Cette appartenance est appuyée au travers des motifs de la fleur de lys et/ou du manteau royal. Cette typologie semble mettre en évidence des différences, voire des rivalités anciennes entre les deux voisins. Elles sont caractérisées par le type « protectrice d’une collectivité », ainsi que par l’absence de l’empereur et du pape dans les peintures dauphinoises, tandis que les œuvres conservées en terre savoyarde présentent le type de la Mater Omnium et intègrent la figure de l’empereur.

• 52 François de Bonivard, Chroniques de Genève, op. cit., p. 158.

20L’insertion des portraits sous le manteau de la Vierge témoigne de l’intérêt croissant pour l’individu à cette période, auquel le duché de Savoie semble sensible. Cette réceptivité peut s’expliquer grâce à la proximité avec l’Italie et par là avec l’idéal renaissant, qui va de pair avec l’art des portraits. Dans le Dauphiné, la distinction ne s’opère pas de la même manière, puisque les fidèles sont peu identifiables et passent par des portraits de groupe, comme l’indique le témoignage de Mathieu Thomassin à propos des chevaliers dauphinois morts à Verneuil. Surtout, sa description n’évoque pas de « pourtraict au vif », contrairement aux Chroniques de François de Bonivard52. La composition de cette image, qui est similaire d’une principauté à l’autre, rend état de l’organisation du monde médiéval, grâce, d’une part, à une lecture verticale et pyramidale, couplée, d’autre part, d’une lecture horizontale rendue par la dichotomie, hiérarchisant ainsi les fidèles entre eux et dans l’espace. C’est d’un point de vue sémantique que les variantes s’opèrent, avec le type d’orants qui sont rassemblés en son sein.