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Notes de lecture
Culture, esthétique

Pierre-Jean Benghozi, Philippe Chantepie, Jeux vidéo : l’industrie culturelle du xxie siècle ?

Paris, Ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, coll. Questions de culture, 2017, 272 pages
Nicolas Labarre
p. 328-329
Référence(s) :

Pierre-Jean Benghozi, Philippe Chantepie, Jeux vidéo : l’industrie culturelle du xxie siècle ?, Paris, Ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, coll. Questions de culture, 2017, 272 pages

Texte intégral

1Les deux auteurs de Jeux vidéo : l’industrie culturelle du xxie siècle ?, Pierre-Jean Benghozi et Philippe Chantepie – respectivement enseignant à l’École polytechnique et inspecteur général des affaires culturelles au ministère de la Culture –, étudient le jeu vidéo de façon essentiellement synchronique, en prenant en compte l’économie du secteur, sa géographie, les pratiques qu’il engendre ou encore les politiques publiques qui lui sont consacrées, au fil de six chapitres thématiques. L’expression industrie culturelle n’a ici aucune connotation critique adornienne, mais souligne que ce secteur peut être compris en grande partie comme la continuation de ces autres industries de la culture que sont le cinéma ou la télévision, par exemple (p. 10).

2Une importante introduction (pp. 9-34) permet aux auteurs de proposer une nécessaire note de méthode, relatant la difficulté à mesurer le poids économique du secteur et, a fortiori, celui des sous-ensembles qui le composent. En effet, les incertitudes de nomenclatures, les problèmes liés à la fragmentation du secteur ou encore son extrême mutabilité obligent à se référer à un grand nombre de sources complémentaires mais pas nécessairement en accord sur les critères de mesure ou sur la meilleure façon de structurer ces derniers (pp. 11-12). Malgré ces précautions liminaires, l’ouvrage ne contourne pas tout à fait l’écueil identifié et fait montre de nombreuses hésitations taxinomiques. Ainsi, dans cette même introduction, lorsque les auteurs proposent un parcours des différents « types » de jeux vidéo, commencent-ils leur tour d’horizon par les machines (ordinateur, console, etc.) avant de poursuivre avec un parcours de quelques genres (jeux occasionnels, jeux en ligne, jeux sérieux, etc.) dans une logique de juxtaposition plus que d’exhaustivité ou de structuration de l’objet étudié. Le problème est d’autant plus sérieux que les sources utilisées, dont les chiffres sont repris tels quels dans les nombreux graphiques de l’ouvrages, proposent bien souvent des catégories ad hoc, à la validité contestable. Pour ne prendre qu’un exemple, un graphique du cabinet d’étude Newzoo (p. 41) divise le marché du jeu vidéo par support : navigateur PC, tablette, téléchargement, console et smartphone, dans cet ordre. Une telle division n’a de sens que si l’on accepte de lire « téléchargement » comme un équivalent de « téléchargement sur ordinateur », qu’il aurait alors fallu regrouper avec les jeux de navigateur pour produire une mesure utilisable. À ce titre, cette introduction est l’aspect le moins réussi de l’ouvrage, en ce qu’elle échoue à proposer un ordonnancement clair du secteur, qui aurait pu être maintenu tout au long du texte. En contrepartie, elle démontre d’emblée l’étendue et la diversité des sources auxquelles les auteurs ont su puiser, allant d’enquêtes étatiques aux chiffres de cabinets d’études privés en passant par le journalisme ou la production universitaire la plus récente, dans le domaine économique comme dans celui des game studies. En conséquence, la bibliographie qui figure en fin d’ouvrage est riche et éclectique.

3Après cette entrée en matière hésitante, l’ouvrage aborde un terrain plus solide au cours de trois chapitres examinant les ressorts économiques internes et la structuration du secteur. Le premier, « Une industrie numérique culturelle » (pp. 35-75), s’ouvre sur une analyse des plus pertinentes du lien que le jeu vidéo entretient avec la technologie – en particulier sur la façon dont les évolutions technologiques constituent les ressorts de la compétition dans le secteur (pp. 42-54) – avant de passer en revue l’organisation du travail au sein de cette industrie. Cette approche économique se poursuit dans le deuxième chapitre, qui analyse et décompose la chaîne de valeur du jeu vidéo (pp. 77-108). En s’intéressant en particulier au mode de financement du secteur, les auteurs parviennent notamment à expliquer le rôle central des éditeurs (pp. 96-98) et la part importante des revenus qu’ils captent (p. 83) au regard de leurs effectifs. Plus technique que la précédente, cette partie réussit à rendre lisible avec rigueur et efficacité les codéterminations existant entre les différents acteurs du secteur. Cette analyse se poursuit dans le troisième chapitre, « Modèles d’affaires et monétisation » (pp. 109-151), qui caractérise le jeu vidéo comme une économie de prototype et donc de coûts fixes, ainsi que les différentes stratégies de différenciation mises en œuvre : stratégie de surqualité (logique de blockbuster), surproduction et stratégie de visibilité par les marques (pp. 109-119). Ici comme ailleurs, les auteurs n’ignorent pas le cas des jeux à petit budget ou indépendants, même si ce n’est pas sur eux que porte l’essentiel du propos. Ce chapitre se clôt sur un inventaire des modes de monétisation des jeux, indispensable mais relativement banal pour tout connaisseur du secteur.

4Les trois chapitres suivants proposent des éclairages plus sélectifs. « Pratiques, consommation et usage » (pp. 153-191) inventorie ainsi les multiples rôles des consommateurs en mettant bien entendu en valeur la diffusion de cette pratique à la fois sur le plan de l’âge et du sexe depuis les années 2000, notamment par la présence d’environnements non strictement consacrés au jeu (pp. 154-155). Le chapitre balaie aussi largement des questions comme l’e-sport ou la patrimonialisation, via des éclairages utiles mais brefs, et s’achève sur un compte rendu nuancé des peurs suscitées par les jeux vidéo sur le plan de l’addiction ou de l’incitation à la violence (pp. 180-191). Le chapitre « Un secteur reflet de la mondialisation » (pp. 193-220) propose quant à lui un fascinant parcours géographique du jeu vidéo à travers le monde, avec les trois acteurs historiques (États-Unis, Japon, Europe) mais aussi le marché chinois, africain ou sud-américain, à l’aune des différences économiques mais aussi de pratiques qui caractérisent ces différentes sphères. Alors que l’ensemble de l’ouvrage penche vers une vision rétrospective, qui lit le présent à la lumière des cinq ou dix années précédentes, cette partie prend le risque d’un état des lieux ultra-contemporain et de la prospective. Ainsi offre-t-elle une lecture édifiante, qui complète les efforts universitaires actuels pour redécouvrir l’histoire du jeu vidéo hors de ces deux centres désormais bien connus que sont le Japon et les États-Unis. Enfin, le chapitre intitulé « Politiques publiques et compétition internationale » (pp. 221-241) s’intéresse à la façon dont le jeu vidéo adossé est pris en compte dans les régimes juridiques ou fiscaux, et comment il est devenu un enjeu de politiques de développement national ou régional avec, dans ce dernier cas, l’exemple souvent imité de Montréal.

5L’objectif affiché de la collection à laquelle appartient l’ouvrage est de rendre compte des phénomènes contemporains de la culture et de fournir des outils pour penser leur évolution. L’ouvrage atteint ce but lorsqu’il s’intéresse aux évolutions des pratiques ou aux changements géopolitiques du secteur, ou encore lorsqu’il identifie certains mécanismes économiques sous-jacents du secteur, à l’œuvre sur le moyen ou long terme. Il offre aussi, en matière d’outils, un impressionnant parcours des chiffres et études disponibles sur ce versant économique de l’industrie du jeu vidéo. Cependant, le livre n’est pas exempt de défauts : ainsi la faiblesse déjà évoquée de l’introduction, l’usage de graphiques contestables (la surévaluation de la réalité virtuelle est patente) et parfois sans lien avec le texte qui les annonce (p. 150 par exemple) ou encore d’assez nombreuses erreurs factuelles (sur la WiiU, sur Professeur Layton, sur les « consoles Atari » des années 1990, etc.) entament-ils le crédit de l’entreprise. Ce texte est fort utile sur bien des points, particulièrement pour des chercheurs venus des game (ou play) studies et souhaitant mieux comprendre la superstructure économique du secteur, mais nécessite sans doute une utilisation en conjonction avec d’autres sources, notamment sur le plan historique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Nicolas Labarre, « Pierre-Jean Benghozi, Philippe Chantepie, Jeux vidéo : l’industrie culturelle du xxie siècle ? »Questions de communication, 34 | 2018, 328-329.

Référence électronique

Nicolas Labarre, « Pierre-Jean Benghozi, Philippe Chantepie, Jeux vidéo : l’industrie culturelle du xxie siècle ? »Questions de communication [En ligne], 34 | 2018, mis en ligne le 31 décembre 2018, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/16237 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.16237

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Auteur

Nicolas Labarre

Climas, université Bordeaux Montaigne, F-33607
nicolas.labarre[at]u-bordeaux-montaigne.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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