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Notes de lecture
Théories, méthodes

Christine Barats, Julie Bouchard, Arielle Haakenstaad, dirs, Faire et dire l’évaluation. L’enseignement supérieur et la recherche conquis par la performance

Paris, Presses des Mines, coll. Sciences sociales, 2018, 328 pages
Julnar Deaibess Malek
p. 426-429
Référence(s) :

Christine Barats, Julie Bouchard, Arielle Haakenstaad, dirs, Faire et dire l’évaluation. L’enseignement supérieur et la recherche conquis par la performance, Paris, Presses des Mines, coll. Sciences sociales, 2018, 328 pages

Texte intégral

1Faire et dire l’évaluation examine les pratiques et les discours de l’évaluation académique dans ses modalités actuelles, institutionnalisantes et instrumentalisantes. Consacré aux mutations de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche, il analyse, via des études de cas détaillées, les processus de fabrique et de transformation de l’évaluation. Loin de travailler celle-ci comme objet figé, l’ouvrage la conçoit comme « activité regroupant différents types d’acteurs et d’institutions en interaction qui formulent et véhiculent des discours et des récits sur l’évaluation » (p. 15). Introduite comme phénomène social, l’évaluation, à caractère dynamique et causal, est exposée au fil des pages selon un enchaînement relatif à l’historicité, à la diffusion-appropriation et à la performativité. Ainsi les auteurs critiquent-ils une logique concurrentielle et comparative développée à l’international. L’évaluation et la concurrence inter-institutionnelle et collégiale – c’est-à-dire entre les universitaires-chercheurs eux-mêmes –, y apparaissent comme une valeur ajoutée, et donc comme une finalité en soi. Les études s’attachent à rendre compte de la dépendance de ce modèle managérial néolibéral aux rapports de force hic et nunc. Dans la première partie, les chercheurs témoignent de pratiques variées, pourtant soumises à une « logique de compétition internationale et de recherche d’excellence, comme le montre l’évolution des indices bibliométriques » (p. 80), de la France à la Chine, en passant par la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

2Alignées sur des considérations d’homogénéité européanisante, les études de cette première partie inscrivent le processus dans des cadres nationaux normatifs pluriels et contraignants, apparaissant dès les années 1980. La singularité des contextes exposés est mise en avant par Aline Waltzing (pp. 25-43) pour éclairer la dynamique du phénomène, ses capacités et ses limites. En discours ou en pratique, le nouveau management public présente l’évaluation comme « impératif » adaptable mais qui reproduit « des inégalités et des asymétries au sein du monde académique » (p. 17). Intimement liée, selon les contextes, à la prise de décision, à la performance, à la réforme, à l’autonomie, à l’évaluation interne, à la pertinence sociétale, l’évaluation ne recèle-t-elle pas dans toutes ces représentations, les caractères d’un mythe qui se veut éventuellement universel mais surtout héroïquement académique ?

3Dans l’ensemble des cas présentés dans la première partie, les pouvoirs publics réinventent des rapports avec le monde académique et complexifient les procédures qui transforment le quotidien de l’universitaire, son activité ou non-activité et la division de son travail. Néanmoins, les incidences sur les carrières, sur la réputation scientifique et sur le financement des recherches, mobilisent des enjeux considérables d’ordre institutionnel mais surtout des enjeux forts en termes d’images et même d’ego ou d’ordre individuel.

4Premiers dispositifs interrogés dans la deuxième partie, les classements à l’international des revues en SHS restent subordonnés à une logique géopolitique, au prisme de l’économie de la connaissance et aux contours disciplinaires, mettant en tension les procédures de sélection et les listes de revues qui en résultent, avec toutes leurs valeurs et variables, en particulier la qualité et la pertinence. Ainsi David Pontille et Didier Torny (pp. 137-153) discutent-ils cet « espace de variations des classements de revues en SHS » (p. 153) et soulignent l’émergence de trois modèles de production, observés dans cette prolifération urgente des classements. Toutefois, les enjeux ne paraissent pas vraiment en adéquation avec les hypothèses explicites. De nombreux risques de « conformité sociale », de diversité méthodologique et théorique et de « relativisme », peuvent modifier sensiblement le monde social de toutes les parties prenantes. Quant à l’analyse de l’« évaluation de l’impact de la recherche » d’Émilien Schultz (pp. 155-177), elle montre que les dispositifs de mesure existants se caractérisent par un cadre fluctuant tirant sa vulnérabilité de la notion même d’impact. Soumises aux exigences d’une communication publique, les stratégies de mesure de ce « savoir inconfortable » souffrent encore d’un déficit méthodologique aux périmètres mal ou non définis. En lutte permanente contre une multiplication stérile d’approches, ces stratégies connaissent une crise due à une absence de consensus. Cette crise semble corroborer un scientisme économique et financier formaté, en partie, par d’autres crises propres à un capitalisme mondialisé.

5Dans le prolongement de l’agenda de Lisbonne, la politique publique française de cluster, d’entrée dans une dynamique de soutien à l’innovation, est assujettie, comme le montrent Renaud Debailly et Clément Pin (pp. 179-200), à des activités d’évaluation des relations science-industrie. « Façonnés par les jeux d’acteurs et de pouvoirs » (p. 188), les dispositifs d’évaluation se trouvent remis en cause par des indicateurs de performance sur les retombées de la recherche. Cependant, l’évaluation dans la durée a assuré la transition, voire l’évolution de pôles de compétitivité d’un statut d’« usines à projets » à un statut d’« usines à croissance ». En d’autres termes, l’évaluation est une voie pour ces structures d’innovation qui semblent rejoindre une dimension économique néolibérale pourvue de davantage d’autonomie. Si les auteurs rapprochent les pôles de compétitivité d’une culture de l’entreprise, ceux-ci manifestent l’appropriation d’une culture des marchés axée sur la création d’une demande et sur sa légitimation.

6Plus loin, Sandrine Garcia (pp. 201-218) questionne la politique de la performance pédagogique en prenant comme repères « le processus de Bologne et l’ancrage néolibéral de la construction européenne » (p. 201). À la lumière d’un contexte en crise, elle livre une relecture du rapport Bertrand prêchant la transformation pédagogique de l’enseignement supérieur au profit de la professionnalisation des enseignants-chercheurs, dans l’optique d’une construction d’un marché de la formation supérieure. L’auteure de ce chapitre constate que le problème de l’échec à l’université met en jeu des difficultés précoces, des dispositions scolaires, des réalités différentes et des inégalités très anciennes. Sa simple quantification, pas nécessairement pertinente, s’inscrit dans des intérêts politiques et confirme « le passage d’une politique de démocratisation à une politique du chiffre » à atteindre (p. 215). Les dispositifs d’évaluation mis en place et « les transformations du mode de gestion des carrières universitaires » privilégient la certification sur le contenu et promeuvent « un rôle plus social qu’académique » (p. 217) dans certaines institutions de l’enseignement supérieur.

7L’évaluation de la qualité de l’enseignement, particulièrement la formation, soulève, elle aussi, des enjeux d’ordre social et politico-démocratique. Sophia Stavrou (pp. 219-236) montre que le danger d’une « autonomie fracturée » risque de renverser les pouvoirs des établissements d’enseignement supérieur et de leurs corps professoraux, surtout ceux qui sont les moins positionnés sur l’agenda mondial. Si la production curriculaire et son évolution reposent sur des processus sociaux de cadrage et de classification, le dispositif de l’évaluation de la qualité, quant à lui, repose sur un phénomène d’expertise qui se réfère à la diffusion de logiques d’expertise, la mise en place d’un champ et la fabrication d’instruments ad hoc. En lien étroit avec les orientations européennes, l’assurance-qualité, dans les années 2000, se structure à partir des enjeux socio-économiques et se formalise en France autour d’une politique publique centralisée, aux finalités normalisantes. L’auteure présente l’espace conflictuel de cette démarche de recontextualisation curriculaire, produit par le « dimorphisme identitaire des experts » (p. 231), sorte d’hybridation de l’identité professionnelle. À l’allure pédagogique, ce dispositif d’assurance qualité, loin d’être dépourvu de tension, semble plutôt introduire, dans le vécu universitaire, une dichotomie entre pairs, contrariant désormais la performativité institutionnelle en tant que sa raison d’être et sa finalité première.

8Julie Bouchard (pp. 237-259) replace le débat entre l’académique et le médiatique dans une perspective sociohistorique élargie, régie par une mise en concurrence de l’enseignement supérieur. Les classements, objet de ce débat, apparaissent comme une invention « de contenus originaux indépendants de l’actualité extérieure » (p. 243) voire comme un co-produit sur le marché de l’information impliquant plusieurs acteurs-interlocuteurs « en mesure d’orienter et de faciliter la production et l’acceptabilité des classements » (p. 248). Outil d’orientation, outil d’aide à la prise de décision, les classements reposant sur la quantification, la qualification et la hiérarchisation des valeurs des établissements académiques proviennent de structures impliquées dans la production de valeurs caractérisées par une volonté de mise en valeur, de mise en comparaison et de mise en compétition. En somme, trois configurations de valeurs sont étudiées à la lumière des réseaux organisés, des méthodologies adoptées, des sources d’information interrogées, des critères et des valeurs. La valeur d’opinion catalyse le jugement des pairs et celui des représentants du monde professionnel, loin de toute considération particulière de représentativité de l’opinion de la population. Les indicateurs de performance régissent plutôt la valeur de productivité et sa mise en place entre l’État, l’enseignement supérieur et les entreprises de presse. La configuration de valeurs d’activité aux critères pluriels mesure les activités pertinentes de formations ou d’établissements, rapprochant ainsi l’un de l’autre les deux mondes concernés : celui de la presse et celui de l’enseignement supérieur.

9Shanghai est le berceau même d’un classement mondial qui porte son nom et dont Christine Barats (pp. 261-282) indique les mécanismes de production et de publicisation. Occupant une place hégémonique sur le marché des classements, le classement majeur de Shanghai (CS) « s’inscrit […] dans un interdiscours, celui de l’évaluation dans l’enseignement supérieur et de son corollaire depuis les années 2000 : l’internationalisation éducative » (p. 282). Co-produit dans « une logique de comparaison internationale et de mise en concurrence » par « des entrepreneurs de cause » (p. 281), le CS se veut un argument politique légitimant des réformes, une ressource journalistique faisant événement et un modèle-standard de la performance académique mettant en relation un rapport triadique (à l’origine chinois mais loin d’être secret) entre État, médias et enseignement supérieur.

10Le pari de cet ouvrage est donc d’interroger, avec distance, selon une approche socio-géographique, les mutations de l’évaluation en cours. Néanmoins, il défend une posture épistémologique qui détache l’objet de recherche de ses acteurs alors que les auteurs pourraient davantage s’engager dans une posture réflexive à son égard. Ces derniers semblent par ailleurs en rester à la déconstruction du contexte sociopolitique de la production des outils d’évaluation. À cet égard, on peut s’étonner de l’écart entre leur approche idéologique et l’absence de critique de leur part vis-à-vis de l’appropriation de ces outils par les universités.

11L’intérêt de cet ouvrage réside dans la configuration même de l’évaluation comme une double contrainte : le dire de l’évaluation qui prêche la macro-qualité sur des bases fragiles de micro-faire (de l’évaluation) plus ou moins faussement quantifiés dont les résultats si hétérogènes et différés ne peuvent être évalués. Pourtant, ces outils d’évaluation, de par leur normalisation académique et sociale, contribuent à « une transformation silencieuse de l’université humboldtienne » (Chris Lorenz, 2010, « “L’économie de la connaissance”, le nouveau management public et les politiques de l’enseignement supérieur dans l’Union européenne », EspacesTemps.net, 7 déc., accès : https://www.espacestemps.net/​articles/​economie-de-la-connaissance) vers une université postmoderne, dans un cycle perpétué et évolutif, qui semble de facto être un état permanent de supervision et de contrôle légitimé à Bologne. Frappante, sans pour autant explicitement préoccuper les auteurs, semble donc cette émergence, au sein de l’enseignement supérieur mondial, d’un certain comportement d’appropriation acritique et de consommation avide mais surtout relativement rapide, d’une part, dans l’adoption d’outils mis sur le marché, initialement conçus ailleurs pour une application locale (prolifération de classements) et, d’autre part, dans leur internationalisation.

12L’ouvrage s’apparente à une mosaïque de taille imposante, reflet du marché mondial concurrentiel, où l’évaluation, si complexe, apparaît comme règle du jeu social, politique et académique : règle de contrôle et d’influence qui, malgré ses faiblesses multiples (contredisant le faire et contrefaisant le dire) aux possibles incompatibilités locales, se voit reprise par un monde académique en pleine transformation et recherche d’affluence, pour servir de standard sinon battre des records. Ici, les enjeux économiques sont de mise et imposent le nouvel ordre de gouvernance de l’enseignement supérieur et de la recherche.

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Pour citer cet article

Référence papier

Julnar Deaibess Malek, « Christine Barats, Julie Bouchard, Arielle Haakenstaad, dirs, Faire et dire l’évaluation. L’enseignement supérieur et la recherche conquis par la performance »Questions de communication, 34 | 2018, 426-429.

Référence électronique

Julnar Deaibess Malek, « Christine Barats, Julie Bouchard, Arielle Haakenstaad, dirs, Faire et dire l’évaluation. L’enseignement supérieur et la recherche conquis par la performance »Questions de communication [En ligne], 34 | 2018, mis en ligne le 31 décembre 2018, consulté le 11 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/17057 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.17057

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Auteur

Julnar Deaibess Malek

Prim, université de Tours, F-37082
Julnar.Deaibes[at]gmail.com

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CC-BY-NC-ND-4.0

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