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Dossier. La communication politique négative en campagne présidentielle

L’affaire Fillon et sa couverture médiatique négative : une sensibilité contrastée des électeurs, entre scandale et complot

The Fillon case and its negative media coverage: perceived as a scandal or a plot, a contrasted reception among voters
Anne Jadot, Émilie Roche et Alexandre Borrell
p. 173-200

Résumés

L’affaire Fillon a saturé l’espace médiatique consacré à l’élection présidentielle française de 2017, engendrant une négativité diffuse et multiforme. Des focus groups panélisés, complétés de questionnaires et d’entretiens individuels, nous ont permis d’appréhender au sein d’un échantillon diversifié de citoyens, au cours des deux derniers mois de la campagne, les réceptions différenciées de ce scandale, de sa médiatisation et des stratégies de défense de François Fillon. L’analyse de ce matériau qualitatif nous conduit à présenter la variété des réceptions, les processus d’actualisation de l’image du candidat et l’évaluation du rôle des médias, dans le déclenchement du scandale puis ses conséquences. Nous expliquons ces dynamiques par les profils socio-économiques des enquêtés et leurs ancrages politiques.

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Texte intégral

1Le 28 août 2016, François Fillon considère :

« Avoir une haute idée de la politique signifie que ceux qui briguent la confiance des Français doivent en être dignes. Ceux qui ne respectent pas les lois de la République ne devraient pas pouvoir se présenter devant les électeurs. Il ne sert à rien de parler d’autorité quand on n’est pas soi-même irréprochable. Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? »

2Candidat déclaré depuis mai 2013, F. Fillon lance ce jour-là dans son fief de Sablé-sur-Sarthe sa campagne pour la primaire de la droite et du centre. Organisée par trois partis de droite, celle-ci vise à désigner leur candidat à l’élection présidentielle d’avril-mai 2017, par un vote ouvert organisé fin novembre. F. Fillon cible sans les nommer ses deux principaux concurrents, Alain Juppé, maire de Bordeaux, ancien Premier ministre, condamné en 2004, et Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, alors mis en cause dans différentes affaires politico-financières. Cette stratégie de communication incisive du député de Paris, Premier ministre de N. Sarkozy de 2007 à 2012, a produit un effet boomerang, cette déclaration lui étant renvoyée après que Le Canard enchaîné a publié le 25 janvier 2017 les premières révélations d’une série d’affaires qui allaient fortement marquer la campagne présidentielle de 2017.

Saisir la réception d’un scandale politique au fil de ses rebondissements

  • 1 Ont contribué à ce projet A. Borrell, A. Jadot, P. Lefébure, P. Mansier, É. Roche, C. Sécail, et I (...)

3L’affaire Fillon est principalement connue du grand public par sa couverture dans les médias et son écho sur les réseaux socio-numériques. Alors que les campagnes présidentielles provoquent traditionnellement un intérêt accru pour la politique et une consultation plus intense des médias d’information, cette affaire vient saturer l’espace consacré à la campagne, impacte les stratégies des principaux candidats en lice et engendre une négativité diffuse et multiforme. Les effets des scandales politiques sur les citoyens ont déjà fait l’objet d’enquêtes empiriques. Confrontés à un événement inattendu, nous avons adapté notre dispositif d’enquête, destiné à saisir la réception de la campagne présidentielle (« Médias élection 20171 »), pour appréhender in vivo les réceptions différenciées de ce scandale au sein d’un échantillon diversifié de citoyens.

Étudier les effets des scandales politiques sur les citoyens

4Dans le présent dossier, la négativité n’est pas seulement envisagée comme la stratégie visant pour un candidat à attaquer explicitement un concurrent afin d’inciter les électeurs à juger celui-ci négativement. Par extension, elle renvoie aussi à la tonalité négative de la campagne dans les médias d’information. À ce titre, nous étudions les effets d’un « scandale politique », défini par Franck Esser et Uwe Hartung (2004 : 1041) comme la situation où la révélation d’une affaire embarrassante pour un candidat conduit à « une communication publique intense à propos d’un défaut réel ou imaginaire qui, selon un large consensus, est condamné, et qui provoque une indignation et un outrage universels ». Ce type de perturbation d’une campagne électorale a tendance à se multiplier, devenant un phénomène majeur de ces moments clés de la démocratie représentative (Geer, 2012) ; une étude portant sur 150 scrutins dans 19 pays européens a montré leur relative rareté dans les années 1970, alors que près de la moitié des élections ont été impactées par des scandales majeurs dans les années 2000 (Kumlin et Esaiasson, 2012).

5Plusieurs disciplines – communication politique, sociologie électorale, psychologie politique, etc. – ont étudié les effets des scandales (pour une approche historique, voir El Gammal, 2017). Certains auteurs ont relevé qu’une tonalité négative de la campagne peut susciter des critiques chez les citoyens et entraîner la polarisation de l’électorat (Ansolabehere et Iyengar, 1995), voire affecter sur le long terme la confiance dans le système politique (Bowler et Karp, 2004). D’autres ont mesuré les effets directs et de court terme d’un scandale sur le vote (Sikorski et al., 2020). Tout un pan de recherches est consacré à la réception d’une information négative sur un candidat et à ses variations, notamment en fonction des ancrages politiques préalables. On parle de « biais de confirmation » quand des citoyens cherchent à minimiser la dissonance cognitive en écartant les informations qui vont à l’encontre de leurs convictions (Fischle, 2000 ; Redlawsk et al., 2010). Certains individus, confrontés à des preuves en contradiction avec leurs croyances, ont tendance à les rejeter résolument et à se renfermer davantage dans leur conviction initiale, par un effet de « retour de flamme » qui immunise leur candidat contre des informations négatives (Nyhan et Reifler, 2010). D’autres, au contraire, finissent par atteindre un « point de bascule », sous l’effet d’une révélation supplémentaire qui les conduit à changer d’avis sur un candidat (Redlawsk et al., 2010). Une autre part des études de réception explore les dynamiques entre cognition et émotions. La couverture d’un scandale par les médias peut provoquer des réactions fortes, en particulier la colère et la tristesse, avec une combinatoire selon que les individus considèrent que les faits allégués sont graves ou qu’ils les minorent, et selon qu’ils pensent que l’acteur politique visé est coupable ou innocent (Nerb et Spada, 2001). Une approche par le cadrage médiatique a montré que la cognition et les émotions se renforcent dans la réception de telles informations (Kepplinger et al., 2012).

6Selon nous, ces deux principales voies de recherches présentent des limites en raison des matériaux collectés. D’une part, les travaux qui se fondent sur des sondages, à propos d’une vraie élection, peuvent souffrir de l’endogénéité des mesures récoltées : les informations à la fois sur les choix électoraux et sur l’image des candidats, y compris celui affecté par un scandale, sont collectées lors d’une seule et même enquête, avant ou après le vote. Ces données sont généralement obtenues par des questions fermées, ce qui permet difficilement de cerner la complexité des perceptions des candidats. Par ailleurs, il est rare de bénéficier de mesures répétées avant et après l’éclatement d’un scandale pour mesurer son impact. C’est le cas d’un sondage panélisé sur les élections législatives du 15 octobre 2017 en Autriche. Les interviewés ont été interrogés en deux vagues : la première fois fin août, les chercheurs faisant le pari qu’un scandale surviendrait plus tard pendant la campagne ; la seconde fois début octobre, après que des médias eurent révélé qu’un parti avait recruté un consultant pour orchestrer une campagne négative visant à discréditer un concurrent (Sikorski et al., 2020 : 555). D’autre part, des chercheurs ont mis en place des expérimentations au sein d’études qualitatives au cours desquelles les participants sont exposés à des candidats fictifs et à des comportements réprouvés imaginaires. Cela a permis de documenter que la crédibilité des sources d’information était un élément important pour qu’un citoyen prenne (ou pas) en compte les révélations négatives, voire scandaleuses, sur un candidat (Botero et al., 2015), mais pas de contrôler de potentiels effets d’immunisation vis-à-vis des informations négatives, puisque des candidats fictifs n’ont pas de traits d’images préalables, ni ne suscitent d’affects. En France, une enquête collective sur la probité, hors contexte électoral, a soumis à des focus groups des scénarios fictifs présentant différents comportements d’élus ou de citoyens ordinaires, allant d’une zone « grise » à une illégalité avérée (Bezes et Lascoumes, 2005 ; Lascoumes et Bezes, 2009). De la compréhension, voire de l’indulgence, jusqu’à la réprobation forte de tels manquements à la probité, ce dispositif d’enquête qualitatif permet de relever les nuances et ambivalences des considérations morales, légales ou d’efficacité qui fondent les jugements politiques sur la corruption des politiciens. Cependant, ces raisonnements sur la probité étaient, là aussi, développés à propos de politiciens fictifs.

7Par contraste, nous disposons d’une « quasi-expérimentation naturelle » : l’affaire surgit en cours de campagne et nous permet de saisir sa réception. Elle concerne l’un des prétendants à la victoire ; elle crée une onde de choc qui affecte le déroulement de la campagne et donne une tournure négative à sa couverture médiatique, d’autant qu’une succession de révélations entretient l’affaire, produisant comme autant de répliques au séisme initial.

Une série d’affaires très médiatisées : le « feuilleton Fillon »

8Le 24 janvier 2017, une dépêche de l’AFP annonce un article du Canard enchaîné à paraître le lendemain, sur des emplois présumés fictifs de Penelope Fillon. À partir de cette date, la puis les affaires Fillon nourrissent l’actualité médiatique pendant près de deux mois. Ainsi, 84 % du temps d’antenne que le JT de 20 heures de TF1 consacre à F. Fillon entre le 23 janvier et le 21 avril est focalisé sur ses affaires, et presque 100 % en février et en mars (Piar, 2017 : 78 et 87).

9Face à l’éclatement de l’affaire puis à la succession de révélations2, F. Fillon fait front et réorganise sa stratégie. Dans un premier temps, il reformate sa campagne de terrain, annulant certaines visites, en menant d’autres en cercle restreint. Et il concentre ses interventions sur sa défense, notamment lors d’une interview dans le 20 heures de TF1 le 26 janvier, au lendemain des premières révélations, et d’allocutions depuis son siège de campagne, retransmises en direct par plusieurs chaînes de télévision les 6 février et 1er mars. Début mars, apprenant qu’il sera prochainement convoqué par les juges, le candidat réaffirme sa volonté de se présenter, notamment le dimanche 5, lors d’un meeting au Trocadéro puis dans le 20 heures de France 2. Dans l’intervalle, il est soumis à une forte pression : de nombreux élus de la droite et du centre l’appellent à retirer sa candidature, des membres de son équipe (son directeur de campagne et son porte-parole) démissionnent, à tel point que la liste des « lâcheurs » fait l’objet d’un décompte ironique sur le site de Libération3. Le lundi 6, le bureau exécutif des Républicains appelle à l’unité derrière le candidat et A. Juppé confirme qu’il ne le remplacera pas. Alors qu’une incertitude forte planait sur sa candidature et que chacune de ses interventions publiques suscitait une forme de suspens, à partir de cette date, il ne fait plus de doute que F. Fillon sera candidat jusqu’au bout. Pour autant, d’autres révélations médiatiques viennent questionner son rapport à l’argent : prêt de 50 000 euros non déclaré (publication le 8 mars), costumes de luxe offerts (12 mars), rémunération de sa société de conseil pour organiser des rencontres à l’avantage d’un milliardaire libanais (22 mars).

10En parallèle de sa défense, F. Fillon tente de redonner un cours normal à sa candidature, mettant en avant son programme (présentation de son plan pour la santé le 21 février, de son « projet pour la France » le 13 mars) et prenant part aux émissions qui scandent la campagne (L’Émission politique le 23 mars sur France 2, débat entre cinq candidats le 20 mars, débat à onze le 3 avril). Alors que le 20 heures de TF1 se focalisait presque exclusivement sur les affaires quand il évoquait F. Fillon depuis fin janvier, il n’en fait quasiment plus état entre le 27 mars et le 23 avril, jour du premier tour (Piar, 2017 : 87). La souplesse de notre dispositif d’enquête a permis d’appréhender la réception de ces affaires et de leur couverture médiatique.

Une enquête panélisée, adaptée pour étudier la réception de ce scandale

11Le volet réception de l’enquête « Médias élections » comportait trois objectifs complémentaires : étudier le niveau d’attention et d’investissement des citoyens à l’égard de la campagne, renseigner finement leurs usages des différents médias d’information (télévision, radio, presse, réseaux sociaux), et comprendre les phénomènes de socialisation autour de ces contenus médiatiques. La panélisation, consistant à rencontrer plusieurs fois les mêmes individus, devait permettre d’établir les effets présumés du traitement médiatique de la campagne, des stratégies de communication des candidats ou de tout autre événement imprévu sur la réception, l’image des candidats, la compréhension de la compétition électorale et, in fine, le choix de vote.

  • 4 Les participants ne se connaissaient pas ; sous réserve d’avoir participé aux quatre vagues, ils o (...)
  • 5 Les seuils de ressources pour définir ce qui est modeste ou confortable diffèrent volontairement e (...)

12Le cœur du dispositif qualitatif a reposé sur des focus groups, méthode propice pour inciter les participants à développer leurs arguments, en particulier quand ils ne sont pas d’accord entre eux. La diffusion d’éléments de communication produits par les candidats et d’extraits de la couverture médiatique de la campagne était destinée à alimenter ces échanges. Un échantillon sociologiquement diversifié de 26 électeurs franciliens, dont 24 restés jusqu’au bout4, a été réuni à quatre reprises pendant 1 heure 30. Afin d’assurer une homogénéité suffisante à l’expression de leurs points de vue et d’éventuels désaccords, les participants étaient répartis en quatre groupes paritaires de six ou sept personnes selon des critères d’âge et de revenu5 (voir tableau 1). On faisait l’hypothèse que ces deux critères déterminent des rapports au politique et à la campagne, qui génèrent des réceptions contrastées : expériences et mémoires des campagnes antérieures, variation des usages des médias et de la sensibilité à certains thèmes de campagne, etc.

Tableau 1. Composition des groupes d’entretien collectif.

Groupe G1
20-30 ans ; revenus inférieurs à 1 400 euros
Groupe G2
20-30 ans ; revenus supérieurs à 2 000 euros
Groupe G3
45 ans et plus ; revenus inférieurs à 1 600 euros
Groupe G4
45 ans et plus ; revenus supérieurs à 3 000 euros

13Le calendrier des vagues, établi avant l’éclatement de l’affaire, n’a pas été modifié. En revanche, les grilles d’entretien ont été en partie adaptées. Au moment de la première vague (V1, 8-9 mars), les premières révélations du Canard enchaîné datent de cinq semaines, mais les jours qui précèdent sont marqués par des débats intenses sur le maintien de la candidature de F. Fillon (voir ci-avant), et une nouvelle révélation du Canard enchaîné, le 8 mars, permet d’actualiser les réceptions de la couverture médiatique des « affaires Fillon ». À sept semaines du premier tour, les participants sont invités à livrer leurs ressentis, jugements ou affects relatifs aux principaux candidats en compétition ; pour F. Fillon, il est particulièrement question des affaires en cours. Lors de la deuxième vague (V2, 29-30 mars), nous sommes revenus sur l’image des cinq principaux candidats, après avoir diffusé leurs interventions introductives au débat à cinq. Une semaine après l’annonce de la liste des candidatures officielles, il s’agissait de repérer d’éventuelles inflexions dans la perception de ces candidats, et notamment de F. Fillon, au regard des révélations successives et de sa défense. À quelques jours du premier tour, la troisième vague (V3, 19-21 avril) portait sur la couverture médiatique de quelques politiques publiques et sur les spots officiels. À deux jours du second tour, la quatrième vague (V4, 4-5 mai) s’arrêtait sur le premier tour, la compétition entre les deux finalistes et revenait sur l’ensemble de la campagne finissante et sur sa couverture médiatique.

  • 6 Les entretiens ont été réalisés le 17 (Richard), le 20 (Bouchra et Chantal), le 21 (Audrey et Loïc (...)

14À chaque vague, et dans la foulée du débat du 20 mars, nous avons soumis aux enquêtés des questionnaires individuels (ci-après Q1 à Q4, Q1 bis pour celui administré en ligne après le débat) dans lesquels des questions fermées portaient sur leur jugement du traitement médiatique de la campagne et des différents candidats, et notamment sur le rôle du Canard enchaîné dans le scandale Fillon. Enfin, nous avons conduit 11 entretiens individuels (EI) semi-directifs entre les vagues 1 et 2, pour mieux saisir leur rapport au politique à long terme et l’évolution de leur choix électoral en 2017, et ainsi affiner l’interprétation de ce qu’ils disaient dans les focus groups. Cela permettait en outre de recueillir une expression plus libre que dans la discussion collective. Les données citées ici s’appuient sur les transcriptions des quatre vagues collectives (V1, V2, V3, V4) et des entretiens individuels6 (EI) et sur les questionnaires (Q1, Q1 bis, Q2, Q3, Q4) ; le groupe d’appartenance est systématiquement signalé (G1, G2, G3, G4), les prénoms ont été modifiés, la profession est mentionnée à la première citation d’un enquêté.

15La composition des groupes ne cherchant pas à être représentative de l’électorat français, nous ne généralisons pas, au-delà de notre échantillon diversifié, des résultats en termes de proportions de tel ou tel comportement observé. En revanche, ce riche matériau, recueilli à cinq, voire six moments de la campagne, permet d’observer finement les réceptions de la médiatisation des « affaires Fillon », de ses évolutions au fil des rebondissements, et de mettre en évidence les contradictions, les adhésions, les tiraillements et les condamnations du fond des affaires, de leur médiatisation et du candidat lui-même. Nous pouvons ainsi mettre en évidence, par analyse inductive, les catégories d’arguments utilisées par les enquêtés, ce qui nous permet de relever les biais à l’œuvre dans la réception de l’affaire, et d’identifier des mécanismes de filtrage des informations, rapportés aux ancrages socio-économiques, aux jugements normatifs sur le système politique et aux convictions politiques des enquêtés.

Deux réceptions négatives du scandale nourrissent un rejet de la stratégie de défense du candidat

16La première fois que les panélistes parlent du scandale Fillon, en V1, les médias le couvrent depuis cinq semaines. Nombre d’enquêtés semblent s’être déjà forgé une opinion stabilisée sur l’affaire et le candidat. Ici, nous mettons en évidence deux variantes de cadrage négatif : soit on juge les faits révélés par les médias très graves dans l’absolu, soit on les juge d’autant plus graves qu’ils impliquent un candidat dont l’ethos (Seoane, 2015) était particulièrement fondé sur la probité et qui réclamait des sacrifices aux citoyens. Dans les deux cas, les panélistes concernés ne sont pas du tout réceptifs à la stratégie de défense de F. Fillon.

« Rends l’argent ! »

17Nombre de panélistes émettent des jugements sévères sur le comportement de F. Fillon à partir de ce qu’ils en ont appris dans les médias, en discutant avec des proches, voire en repérant des informations sur les réseaux sociaux. Dans leurs propos, nous retrouvons certains résultats de travaux sur les ressources et schèmes d’argumentation mobilisés par des citoyens pour exprimer des sentiments d’injustice et d’indignation morale sur des enjeux de société et de politiques publiques (Gamson, 1992), ainsi que de travaux sur les critiques profanes de la politique, où la question de la malhonnêteté supposée des élus est très présente (Gaxie, 2015). Que nos panélistes adhèrent ou non à la rhétorique du « tous pourris », l’idée de pratiques délictueuses largement répandues chez les élus ne dilue pas, à leurs yeux, la responsabilité de F. Fillon.

18Il semble que ce soit plutôt au regard de leurs situations personnelles que ces enquêtés jugent et critiquent les fautes du candidat et son rapport à l’argent. Cela se retrouve en particulier dans les deux groupes G1 et G3, dont le niveau de vie est plus faible : il n’est pas illogique que les revenus des panélistes soient un critère discriminant pour évaluer un scandale d’argent. On note des variations mineures : les membres du G1 argumentent avec plus de détails précis, tirés des médias, parfois appris la veille ou le jour même, alors que certaines expressions génériques (« les casseroles », « les magouilles ») reviennent en boucle dans les discussions du G3, sans plus de précisions. Tous sont choqués par l’affaire en elle-même, et ils réagissent à certains aspects financiers. Certains relèvent l’ampleur des sommes en jeu – « Vu les sommes… 30 euros je ne sais pas, mais… On approche du million quoi ! » (Melvin, G1V1, surveillant de travaux ferroviaires) ; d’autres, le fait qu’il s’agit d’argent public – « Il a utilisé l’argent des Français pour payer sa femme des sommes… » (Jérôme, G1V1, vendeur en parfumerie) ; d’autres encore notent la valeur des costumes offerts au candidat, le prêt par un ami milliardaire « qui n’a pas été déclaré » (Ingrid, G4V1, cadre dans la télésurveillance) ou les « choses qui sortent, là, autour de sa société de conseil » (Chantal, G3V2, assistante de direction dans l’aéronautique). La désinvolture du candidat apparaît comme un facteur aggravant : « Il avait oublié de déclarer 50 000 euros. Comment on peut oublier ? » (Élise, G1V1, assistante de direction dans la santé). Certains appellent à ce « qu’il rembourse ! » ; cependant, l’expression « Rends l’argent », objet d’un hashtag sur les réseaux sociaux, n’est pas reprise. Ils se questionnent non seulement sur les affaires mais aussi sur leur protagoniste. C’est d’ailleurs le deuxième registre négatif de réception que nous avons identifié.

« Il jouait au chevalier blanc alors qu’en fait… »

19Quand il est question de l’image de F. Fillon et des révélations à son sujet par les médias, en V1 ou en V2, toutes les critiques ne sont pas fondées sur des détails factuels. Certains panélistes mettent en avant un autre argumentaire, en rapportant les révélations à deux aspects antérieurs de la candidature de F. Fillon largement relayés par les médias pendant la primaire de la droite et du centre, puis le début de sa campagne en tant que candidat officiel : son ethos préalable de « chevalier blanc », d’homme vertueux, et son programme réclamant des efforts significatifs aux Français. Cela revient dans plusieurs vagues des groupes 1 à 3, beaucoup plus timidement chez la seule membre du G4 qui s’affirme à gauche face à des pro-Fillon convaincus.

20D’une part, on revient sur son ethos, son incarnation d’une droite traditionnelle, pondérée, catholique, du père de famille, voire de « père la morale », qui se brise à la lumière des révélations : « Pour le coup, je n’étais pas du tout d’accord avec ses idées. Il représentait quelqu’un de stable, quelqu’un de droit, enfin c’était la droiture de droite, à l’ancienne, un peu calme et là, du coup, c’est comme un Sarkozy. […] C’est un Berlusconi à la française au final, qui se cachait bien » (Jérôme, G1V1). De manière notable, ce sont des prestations médiatiques anciennes du candidat, revues à la lumière du scandale, plutôt que ses prises de position récentes, qui sont citées pour étayer ce raisonnement. Ainsi sa participation à Ambition intime le 6 novembre 2016, magazine d’inspiration people de M6 animé par la présentatrice Karine Le Marchand, qui mettait en avant le père de famille catholique, est particulièrement débattue dans le G3, où on se demande si le focus sur sa famille et sa personnalité avait été réellement décisif dans sa victoire à la primaire. Le raisonnement est très bien exprimé par une jeune femme résolument de gauche qui ironise sur cet ethos qui a volé en éclats :

« Il incarnait la tradition… Avec ses mauvais côtés… Ses quarante enfants. Mais du coup, c’est vrai qu’il avait un côté un peu… Je vais dire un truc, je ne sais pas du tout s’il se revendique gaulliste ou je ne sais pas quoi, mais il avait un côté un peu comme ça. Le patriarche avec sa famille, la droite catho, très machin, très truc. Et là en fait, pour le coup, il fait beaucoup plus homme de son temps, mais pour le pire ! Effectivement, je trouve qu’il s’est complètement décrédibilisé » (Cécile, G1V1, assistante de production dans le cinéma).

21Comme un boomerang, reviennent aussi les prises de position de F. Fillon pendant la primaire de la droite, sur l’exemplarité, l’exigence que les candidats et élus soient irréprochables : « Fin novembre, il parlait d’irréprochabilité, de tout ça. C’est ce qui m’embête un peu, moi. Il n’avait qu’à pas mettre un point d’honneur là-dessus » (Ingrid, G4V1). Ce sur quoi abondent d’autres femmes des divers groupes : « Surtout qu’il faisait tout un foin de la transparence ! » (Cécile, G1V1) ; « Et il se permettait de donner des leçons de morale à ces gens-là [N. Sarkozy et A. Juppé] alors que lui ! Grand Dieu, là, c’est encore pire parce que c’est de l’argent qui lui a profité à lui » (Chantal, EI). Selon le positionnement politique, ce constat est neutre ou peut être exprimé avec colère par des panélistes se situant à droite comme le sont Chantal et Yvan, qui se positionnent respectivement en cases 6 et 5 sur une échelle gauche-droite graduée de 1 à 7. Yvan rappelle aussi, outré, les propos d’août 2016 : « C’est le monsieur qui dit, pour viser Sarkozy : “Le Général de Gaulle, s’il avait été mis en examen…” Il vise Sarkozy, et c’est honteux ! Donc c’est un monsieur, comme disait Coluche, qui “lave plus blanc que blanc”, donc le mec est intègre, etc. Et, en fin de compte, on est tous déçus » (Yvan, G3V1, menuisier en invalidité).

22D’autre part, certains rappellent le programme de F. Fillon, axé sur la dette publique et les déficits. Le candidat demandait aux Français des efforts financiers drastiques, assumés comme tels car présentés comme nécessaires, et il réclamait une justice plus sévère pour les délinquants. Certains participants jugent d’autant plus gravement les révélations qu’elles entrent en contradiction avec ce qu’il prônait pour les autres. Les débats télévisés de la primaire et des points précis de son programme servent à dénoncer la dissonance entre l’austérité préconisée et ce qu’il pratiquait :

23« Ce qui me dérange, c’est que c’est des personnes qui sont très dans la morale. Typiquement, François Fillon stigmatise ceux qui ne travaillent pas, parle des personnes qui profitent des allocations. Au final, il se retrouve dans une affaire où il va profiter […] du système. Il a de la fermeté, il est contre les juges, enfin bon, c’est très contradictoire ! Et aujourd’hui, il est important de gouverner par l’exemplarité. […] Il faut savoir être irréprochable. Donc voilà, j’ai du mal avec ces contradictions-là, en fait » (Norman, G2V1, cadre dans le secteur bancaire).

  • 7 Les sources privilégiées varient selon l’âge, notamment pour les pratiques numériques et le fait d (...)

24Tous ces panélistes critiques ont en commun de se déclarer assez, voire très intéressés par la politique, de souvent s’informer sur la campagne7, et d’avoir suivi la primaire de droite. Celle-ci a d’ailleurs souvent été un « déclencheur » de leur intérêt pour la campagne présidentielle (Borrell et al., 2019). Pour autant, tous ne se positionnent pas à droite, et beaucoup n’ont pas voté en novembre. Suivre la campagne de la primaire leur a permis de connaître, voire de choisir, le candidat de leur camp, ou au contraire de s’informer sur un adversaire sérieux. Car tous semblent avoir partagé la croyance, alors répandue, largement médiatisée et alimentée par les sondages d’intentions de vote, selon laquelle le vainqueur de novembre serait le futur président de la République. Dans les propos qui précèdent, on décèle parfois de l’amertume, chez des participants qu’on pourrait qualifier d’« amoureux déçus », quand d’autres soulignent l’hypocrisie d’un candidat pour lequel ils n’auraient, de toute façon, jamais voté. Cela colore leurs propos de différentes émotions : déception, colère plus ou moins froide, ironie. On relève en outre une forte dimension évaluatrice et normative dans les discours : leur jugement de F. Fillon est d’autant plus sévère qu’ils ont une haute idée des qualités attendues d’un candidat à la présidentielle. Cela confirme ce que Daniel Gaxie (2015) appelle un « répertoire mixte » : une vision critique de la politique qui mobilise à la fois déception et implication, désinvestissement et surveillance, typique de personnes plus qualifiées, par rapport à des critiques plus univoques dans les classes populaires. Par ailleurs, quand la réception du scandale applique une de ces deux grilles de lecture négatives, toutes les stratégies de défense que le candidat de la droite met en œuvre semblent inefficaces, voire contre-productives.

« Si je suis mis en examen… » Un candidat qui s’accroche malgré sa promesse

25La défense de F. Fillon est souvent évoquée telle qu’elle se déploie dans les médias, plus particulièrement lors de ses interventions retransmises en direct, à la télévision ou sur les réseaux socio-numériques (allocutions depuis le siège de campagne, discours du Trocadéro), voire organisées par le petit écran (interview dans un JT, débats entre candidats).

  • 8 Nous verrons plus loin que quelques-uns de ces arguments fonctionnent auprès du public appartenant (...)

26William Benoît (1995) a consacré plusieurs travaux aux stratégies de « réparation d’image » d’un candidat atteint par un scandale. Magali Guaresi et Damon Mayaffre (2018) ont appliqué sa grille d’analyse à la défense de F. Fillon face aux révélations. Il s’avère que le candidat a utilisé successivement, voire simultanément, toutes les stratégies possibles : le déni (démentant par exemple le caractère fictif des emplois de son épouse), la dilution des responsabilités (mettant en avant le fait que c’étaient des pratiques répandues chez les parlementaires), la minimisation de l’offense (relativisant la valeur des cadeaux ou prêts reçus), l’action corrective (rendre les costumes), le mea culpa (présenter ses excuses, mais pour une « erreur » au lieu d’une faute) et le retournement de la charge (se présenter comme la victime d’un complot politique relayé par des médias complices ou instrumentalisés). Toutes ces stratégies de défense sont relevées par au moins un enquêté8. Ici, nous passons rapidement en revue les procédés défensifs qui ont été perçus et rejetés, voire condamnés avec plus ou moins de virulence, entre amusement et colère. Comme montré précédemment, il apparaît que les nuances dans les émotions suscitées par la défense de F. Fillon dépendent beaucoup des intentions de vote : des panélistes, qui avaient initialement prévu de voter pour lui lui en veulent, alors que ceux qui n’en avaient jamais eu l’intention font preuve de plus de détachement.

27La stratégie de minimisation serait presque recevable aux yeux d’un jeune, Martial, qui se classe en case 7, et dit que « François Fillon n’a pas tort, un ami a le droit de lui offrir un costume, même si on va lui dire “c’est mal” » (G1V1, consultant informatique). Par contraste, Bouchra, qui hésite sur son vote (à gauche) et ne consentirait à voter pour F. Fillon que s’il était face à Marine Le Pen au second tour (EI), regardant la retransmission télévisée de l’un de ses meetings, note : « Il dédramatise ce qui se passe alors que je trouve que c’est très, très grave » (G3V3, éducatrice spécialisée).

28Sur la dilution des responsabilités, une jeune panéliste réagit de manière atypique. Au cours d’un échange sur le népotisme familial des élus (G2V1), alors que Marceau (diagnostiqueur immobilier) souligne que le candidat « avait embauché sa femme mais qu’elle n’avait pas travaillé », Anna (responsable d’une boutique) concède que c’est grave, mais elle lui demande s’il pense vraiment que F. Fillon était le seul dans ce cas et poursuit en incitant à « ne pas être naïf. Demain, je suis députée, j’embauche toute ma famille ! Je rigole. Non, mais c’est vrai. On lui reproche quelque chose que nous-mêmes, on est capables de faire, vraiment. C’est quelque chose que n’importe qui aurait pu faire. Donc ça, à la limite, ça ne me dérange pas ». Ce qui frappe ici, par rapport à l’ensemble du matériau de notre enquête sur le scandale Fillon, c’est que cet argument soit retenu par une jeune femme s’auto-positionnant très à gauche, en case 2.

29C’est de nouveau une jeune femme positionnée aux extrêmes, mais pour sa part électrice de Marine Le Pen, qui disqualifie avec humour l’action corrective de F. Fillon : « Il a revendu ses costumes après les avoir portés. C’est comique, quand même… » (Audrey, G1V2, gestionnaire informatique dans le public). Elle réagit de la même manière à son mea culpa, perçu comme trop tardif : il aurait suffi que le candidat s’explique tout de suite « “Je fais mon mea culpa, excusez-moi”. […] Il en aurait peut-être perdu un peu entre-temps [des électeurs], mais ça n’aurait pas fait tout ce tapage ! » (Audrey, G1V1).

  • 9 Son rejet du candidat F. Fillon n’est pas lié au scandale mais à son adhésion au « mariage pour to (...)

30La stratégie de victimisation de F. Fillon est évoquée plus fréquemment et fait l’objet de plusieurs commentaires négatifs. Quand Loïc (G4, ingénieur informatique dans le privé) déplore que « les chiens soient lâchés et que François Fillon n’ait pas le temps de se défendre » (voir ci-après), une femme du groupe qui se classe à gauche commente, narquoise : « Oh, le pauvre chéri, il n’a pas le temps ! » (Valérie, G4V1, cadre dans la fonction publique). Bouchra ne souscrit pas non plus à sa tentative de faire reposer la faute sur d’autres : « Il se prend pour la victime des médias, la victime de la justice, lui, il n’a rien fait en réalité » (G3V1). Invité à définir ce qu’il appelle « victimisation », Jérôme (G1), électeur de droite ayant décidé dès la primaire de ne pas voter pour F. Fillon9, répond : « C’est presque une menace en disant : “Si vous continuez à vous acharner sur moi, je pourrais faire une bêtise.” Enfin bon… »

31Plusieurs points précis de sa défense sont donc réfutés. Au-delà, et plus fondamentalement, c’est la stratégie d’ensemble de F. Fillon qui est perçue très négativement, sous trois angles : un reproche d’incohérence, une accusation d’arrogance, l’amertume vis-à-vis d’une promesse initiale non tenue. La multiplicité de ses stratégies de défense aboutit à des incohérences, patentes sur le plan logique (Guaresi et Mayaffre, 2018) et relevées par plusieurs enquêtés : Anna trouve que « dire un jour c’est blanc, l’autre jour c’est noir », c’est « ridicule » (G2V1) ; Fanny relève qu’il « s’embourbe tout seul » (G2V1, chargée de relations internationales) là où, pour Jean-Michel, F. Fillon « s’empêtre » (G3V1, conseiller emploi) en tentant de se justifier, « il s’enlis[e] à chaque fois » (G3V4). Par contraste, souligne-t-il, M. Le Pen (pour laquelle il n’a pourtant aucune sympathie) « coupe court » et refuse de commenter son actualité judiciaire, ce qui lui paraît plus efficace. De plus, là où on pourrait attendre des signes de contrition, le candidat est perçu comme arrogant : « À chaque fois que je le vois [à la télévision], je pense aux affaires et il est quand même hyper arrogant » (Ghislaine, G3V2, agent administratif). Le mot revient plusieurs fois au fil du panel : il est « arrogant » face aux bruits de casseroles qui accueillent ses déplacements (Laurent, G3V2, agent de quai dans la logistique), il a un « ego surdimensionné » (Élise, G1V1). Enfin, et peut-être surtout, plusieurs panélistes ne lui pardonnent pas ce que nous pourrions qualifier de « péché originel », qui a irrévocablement affaibli sa défense.

  • 10 D’après le directeur de campagne de F. Fillon, le candidat suit cette ligne de défense de sa seule (...)

32En effet, lors de son interview télévisée du 26 janvier (TF1), F. Fillon déclare10 sur un ton solennel : « Il n’y a qu’une seule chose qui m’empêcherait d’être candidat, c’est si mon honneur était atteint, si j’étais mis en examen… » Lors de son allocution du 6 février, il réédite cette promesse. Le fait de se maintenir malgré sa mise en examen est, selon M. Guaresi et D. Mayaffre (2018), une faille majeure dans sa défense, qui disqualifie durablement sa parole. Cela démonétise en quelque sorte chaque élément de discours qu’il produit ensuite. Leur article, fondé sur une analyse discursive de son argumentation, présume que ce reniement a des effets sur les électeurs. Notre étude permet de les démontrer, et sur des électeurs de tous bords. Jean-Michel note que F. Fillon « ne respecte pas ce qu’il avait dit » (G3V2). Cette rupture de la parole donnée est jugée très négativement par une grande partie des panélistes, parfois considérée comme plus grave que les faits reprochés : Chantal, qui s’est détournée du vote Fillon en raison des révélations, le trouve « vraiment gonflé » de continuer (G3V2) ; Yvan, qui trouve « dommage » ce comportement, tranche : « C’est quelqu’un qui n’a pas de parole ! » (G3V4) ; pour Françoise, « il n’est plus éligible » dès que la « faute » est révélée, et son revirement aggrave encore son cas : « Ça va, c’est bon, on passe à autre chose ! » (G4V1, gérante d’une société de transport). Les critiques sur ce thème sont parfois exprimées de façon encore plus tranchée dans les deux groupes de jeunes, certains s’étonnant même qu’il ait « le culot d’être encore là » lors du débat à cinq, se disant « mal à l’aise » de sa présence maintenue (G2V2). Pour Anna, électrice de Jean-Luc Mélenchon, encore plus que l’emploi présumé fictif de P. Fillon, « le plus grave, c’est de mentir ouvertement comme ça aux Français, ça ne se fait pas ! » (G2V1). Pour Audrey, « sur Fillon, […] son premier critère, c’était “je suis droit et transparent”. Tu t’es planté, tu t’es planté, merci et au revoir, c’est bon, next, suivant ! » (G1, EI). Pour Marceau, enfin, électeur de droite qui a déjà décidé de voter pour Emmanuel Macron, F. Fillon n’est « plus audible » et ferait mieux de se retirer pour « [donner son] programme à quelqu’un d’autre ». Il y a d’ailleurs quelques discussions ponctuelles spontanées entre panélistes, en différentes vagues, sur la possibilité ou non d’un « plan B ». Qu’ils y croient ou pas, plusieurs panélistes de droite déplorent son maintien, son obstination étant perçue comme de l’orgueil et de l’égoïsme : il est prêt à faire perdre son camp au nom de son ambition personnelle. La réception de sa défense mais aussi, en amont, la réception du scandale s’avèrent fort différentes chez d’autres panélistes, qui s’inscrivent aussi à droite mais qui, eux, soutiennent farouchement leur candidat, quoi qu’il fasse ou dise.

Des biais de confirmation qui font minorer le scandale et adhérer sans réserve à la défense de F. Fillon

Le rôle des émotions et de la cognition

33Par contraste avec la plupart des enquêtés cités jusqu’ici, sévères pour les actes de F. Fillon et n’adhérant pas à sa stratégie de défense, d’autres panélistes volent systématiquement à son secours et lui trouvent des excuses. Au point que certains semblent finir par voter pour lui malgré lui, en quelque sorte. De fortes émotions, colère et peur, entrent ici en jeu. On aurait pu s’attendre à ce que, face à l’avalanche d’informations négatives sur leur candidat, ses électeurs convaincus esquivent un peu les actualités, pour ne pas avoir à gérer de dissonance cognitive. Mais ce n’est pas un enjeu pour eux, puisqu’ils réfutent quasi systématiquement les éléments à charge rapportés par les médias, retournent les accusations, le « victimisent », présentant ainsi de forts biais de confirmation (Fischle, 2000). Ils indiquent en Q1 s’exposer de manière intensive à la campagne, qu’ils suivent tous les jours (surtout à la télé, à la radio, sur les sites internet des grands médias, un peu moins dans la presse écrite et nettement moins sur les réseaux sociaux) et, en Q2, continuer à suivre la présidentielle « autant qu’avant ». Affects et cognition semblent avoir des rôles imbriqués. Les émotions ne sont pas contradictoires avec une approche rationnelle du suivi d’une campagne électorale – on parle d’affective intelligence (Marcus, 2000) –, elles peuvent même déclencher un processus actif de recherche d’informations. Et la littérature pointe une asymétrie dans l’effet des émotions négatives et positives : la colère ou la peur qu’inspire un candidat conduiraient plus à la recherche d’informations que l’enthousiasme en faveur d’un autre candidat. Face à la couverture médiatique du scandale Fillon, très négative, tout se passe comme si ce candidat, qui les rendait enthousiastes et pour lequel ils ont peur, même s’ils veulent garder confiance en ses chances, déclenchait chez ses partisans une recherche active d’informations, sélective et biaisée. Ils sont aux aguets de tout ce qui pourrait aller dans son sens, y compris au cours de nos focus groups. Cette attention soutenue à la campagne leur a permis de repérer les principaux arguments de la défense de leur champion. Qu’ils citent ou non le candidat lui-même, ils restituent ceux-ci en y adhérant totalement, voire en se les appropriant.

Des stratégies de défense négatives validéespar les fillonistes

34Les pro-Fillon persistants utilisent en particulier trois arguments défensifs pour minorer le scandale – le déni, la dilution des responsabilités, la minimisation de l’offense –, c’est-à-dire ceux qu’ils peuvent s’approprier sans que le candidat n’ait à agir lui-même, contrairement à une action corrective ou à un mea culpa.

35Tous les enquêtés qui prennent ainsi la défense du candidat LR se classent nettement à droite (en case 5 ou 6) et votent, in fine, pour lui. Et, par contraste avec ses contempteurs, ils mobilisent des arguments précis. Ainsi, Loïc explique : « J’ai lu un article dans Le Monde : il y a un député sur six qui emploie des membres de sa famille » (G4V1), et il détaille l’étude aux autres membres du G4. Ce chiffre est ensuite repris par Laurence (G4V1, cadre dans la fonction publique), qui se demande à son tour pourquoi seul F. Fillon est attaqué là-dessus. Plus tard, Richard notera que d’autres responsables politiques, y compris de gauche, sont accusés de faits similaires. Plus généralement, ces pro-Fillon convaincus partagent l’idée selon laquelle ce qui est reproché à leur candidat relève d’un système répandu, une manière de se verser un « complément de salaire », un « business […] habituel » qui a eu cours pendant des années, pratique perçue comme normale par les parlementaires, à tel point que, selon Richard, F. Fillon lui-même ne se rendait sans doute pas compte de ce qu’il faisait (Richard, G4V1, ingénieur dans la chimie). Thomas ajoute que « la plupart achètent leur permanence de député avec cet argent, et ça n’a jamais choqué grand monde » (G4V1, commandant de police). Ce raisonnement de dilution des responsabilités rejoint les résultats d’une enquête sur la perception de la probité des élus et des citoyens ordinaires (Bezes et Lascoumes, 2005 ; Lascoumes et Bezes, 2009). Divers systèmes d’excuses, justifications et techniques de neutralisation argumentative y étaient mobilisés pour atténuer la gravité de débordements, dont l’invocation de la généralité des pratiques illégales dans le champ politique.

36À propos d’un prêt consenti à F. Fillon que ce dernier a omis de déclarer, Richard note, agacé : « Non mais ça devient vraiment au ras des pâquerettes, l’histoire du prêt de 50 000 euros, qui est sortie, là ! Ça devient ridicule […], c’est pas très sérieux, quoi, qu’on sorte cette histoire-là. Il s’est fait prêter 50 000 euros par son copain. Ça paraît tellement négligeable ! » (G4V1). Ceux qui minorent ainsi les faits sont des électeurs qui, tout comme certains membres du G3 précédemment cités, se classent à droite, approuvent son programme économique et sont de la même tranche d’âge. Mais, contrairement à Chantal ou Yvan, eux n’éprouvent pas de difficultés financières et n’expriment pas de ressentiment face aux salaires de l’épouse ou des enfants du candidat. C’est donc aussi le rapport à l’argent (ici l’aisance financière) qui semble orienter leur réception de l’affaire Fillon, et qui les distingue d’autres électeurs de droite qui ont, eux, rejeté le candidat des Républicains du fait du scandale.

  • 11 Thomas utilise plusieurs fois son statut professionnel comme argument d’autorité, pour appuyer ses (...)

37La stratégie du démenti se place sur un autre terrain, celui de la légalité, par opposition à la morale, et même sur un terrain strictement judiciaire. On affirme que ce qu’a fait F. Fillon était légal ou, à tout le moins, qu’il reste innocent jusqu’à preuve du contraire. Loïc déplore ainsi un « télescopage » entre les calendriers judiciaires et la campagne présidentielle, et minore l’importance du caractère éventuellement fictif du travail des collaborateurs parlementaires familiaux car, « comme le dit Fillon lui-même, il n’y a pas de règles, de justifications du travail à fournir en tant qu’employeur quand on est député. C’est peut-être ça qui est à revoir » (G4V1). Thomas, commandant de police11, lui, met en avant la présomption d’innocence, du moins quand il s’agit de F. Fillon, et dilue sa responsabilité en glissant des allusions à ses principaux concurrents, E. Macron et le Rassemblement national :

« Il y a une justice, il va être convoqué devant un juge d’instruction. Pour une mise en examen […]. Mais la mise en examen, on est toujours innocent, on n’est toujours pas jugé. L’instruction n’en est qu’à ses débuts. Je travaille un peu dans le domaine financier. Là, pour l’instant, le dossier, j’aimerais bien le voir, mais il ne doit en être qu’à ses débuts, également. Si, à la fin, il est relaxé, je ne pense pas que les médias viendront s’excuser pour tout le travail qui a été fait ! Donc effectivement, il y a peut-être quelque chose, on verra bien… Mais il y en a aussi ailleurs… Je crois qu’il y a Macron qui est peut-être visé par quelque chose, et là, ça ne cause pas beaucoup. Il y a le FN, aussi, qui est visé » (Thomas, G4V1).

38Certains supporters de F. Fillon semblent ainsi se renforcer mutuellement dans leurs convictions au cours des quatre vagues. À tel point qu’ils prennent mal les rares et timides critiques de certains membres du G4 envers leur candidat. Quand Richard, ambivalent sur l’affaire en V1, pointe que « la vraie attachée parlementaire a vu son salaire diminué par deux pour pouvoir faire de la place à Penelope », Loïc l’interpelle d’un abrupt : « Qui le dit, ça ? » qui relève presque du déni. Loïc poursuit en l’incitant ensuite, avec la même fermeté, à rester à sa place d’électeur, à ne pas se prendre pour un juge qui instruirait uniquement à charge :

« On ne va pas se lancer dans la polémique, mais vous êtes juge ou vous êtes électeur ? Là, c’est un juge, vous êtes en train de tenir le discours d’un juge qui se prononce sur un dossier à charge. […] On a le droit de se défendre, y compris quand on est un [homme] politique. Et là, en l’occurrence, il ne peut pas se défendre » (Loïc, G4V1).

39Outre une défense fondée sur des arguments précis, les pro-Fillon défendent leur candidat par principe, à la fois pour ce qu’il est et pour sa combativité.

Un courage valorisé face à l’« acharnement »

40La stratégie de victimisation « vise à tenter de réduire l’intensité de la crise en recourant au registre de l’émotion » (Piar, 2017 : 93). De fait, dans certaines des discussions du G4, on retrouve un registre de pathos : ils souffrent pour cet homme qu’ils présentent comme courageux, victime d’une campagne odieuse mais qui s’accroche. Leur perception est à front renversé par rapport aux enquêtés qui n’en peuvent plus, voire n’en reviennent pas, qu’il persiste à être candidat.

41Laurence a assisté au rassemblement du Trocadéro le dimanche 5 mars ; elle a trouvé le discours de F. Fillon « magnifique ». À ce stade de la V1, ceux qui voteront pour lui pensent que le scandale va vite se tasser et espèrent qu’il a encore toutes ses chances : on veut y croire (Laurence), on attend avec impatience les débats télévisés car il a été bon pendant ceux de la primaire (Richard), on rappelle sa « remontada » en novembre 2016 (Thomas) ou on estime que tout va se jouer « en cinq points » pour la qualification pour le second tour, minimisant l’impact des révélations médiatiques sur les sondages d’intentions de vote (Loïc). En V2, nous observons une évolution d’humeur et de tonalité, plus grave et moins enthousiaste, faisant vibrer la corde sensible. Quand ils commentent à plusieurs voix sa prestation dans le débat à cinq candidats, ils concèdent une « fêlure », « qu’il a été moins bon que d’habitude », car on sent que c’est un homme « blessé », qui avait les « yeux inquiets au début », « limite au bord des larmes », mais qui se détend ensuite, quand il se rend compte que les autres candidats ne l’attaqueront pas frontalement sur ses affaires, à part « deux trois petits trucs ».

  • 12 P. Bérégovoy s’est suicidé le 1er mai 1993, un mois après son départ de Matignon, à la suite d’une (...)
  • 13 Il fait peut-être référence à une déclaration de F. Mitterrand lors des obsèques de P. Bérégovoy, (...)

42Parmi les interventions du candidat dans les médias qui ont marqué depuis la V1, il y a notamment sa prestation à L’Émission politique, le 23 mars : « Il a été excellent et là, pour le coup, il a été offensif, il a vraiment été attaqué. […] Et je trouve qu’il s’en est extrêmement bien sorti ! » (Laurence, G4V2). Cette émission est conçue comme une suite d’épreuves à affronter pour le candidat (Veyrat-Masson, 2018 : 220-222) ; découpée en séquences, elle est propice à des interprétations très contrastées. L’allusion, au cours de l’émission, à un potentiel chantage au suicide, prise avec distance et ironie par Jérôme (G1), est débattue plus sérieusement par les panélistes du G4. Ils évoquent le suicide de Pierre Bérégovoy12, dressant un parallèle entre la médiatisation de ces deux affaires pour inciter à ne pas s’acharner sur F. Fillon, en se demandant si les médias n’ont rien retenu de l’histoire. Le vocabulaire dramatisant souligne la dimension émotionnelle de leurs réactions : « La machine judiciaire est lancée et les chiens sont lâchés13 » (Loïc, G4V3) ; « Je trouve qu’il a été victime d’un acharnement, médiatique et judiciaire, de façon inconsidérée et injuste. Je dirais que de là, il a fait ressortir sa dignité, parce que c’est quelqu’un de très digne » (Laurence, G4V1). D’une certaine façon, ces attaques injustes leur permettent de souligner la grandeur morale du candidat, et de saluer sa solidité : « Il est quand même costaud, le bonhomme », déclare, admiratif, Richard (G4V4). En somme, F. Fillon impose le respect en tenant bon dans l’épreuve. Ses qualités morales face au scandale finissent de les convaincre qu’il est le meilleur candidat, eux qui apprécient son étoffe et son programme. Cette thématique de la persévérance fait peut-être écho à son slogan de campagne qui a évolué, mi-mars, du « Courage de la vérité » à « Une volonté pour la France ». En tout cas, valider les stratégies de défense du candidat et admirer son comportement face à l’adversité permettent aux pro-Fillon de conforter et d’assumer moralement leur choix électoral.

43Quand F. Fillon dénonce un « cabinet noir » qui aurait orchestré les révélations, ce qui surprend, voire révolte, les autres enquêtés (voir ci-avant), les pro-Fillon du G4 considèrent que c’est une vérité bonne à dire, et certains versent presque dans le complotisme, en dénonçant des informations sorties « comme par hasard », au bon moment, pour l’abattre, parce qu’il se serait mis dans le dos une « cible politique » en annonçant tôt un programme considéré comme courageux. Ils spéculent alors sur les auteurs des fuites, évoquant des personnalités de droite (Rachida Dati, N. Sarkozy), puis aboutissent à un consensus : les coupables seraient à gauche, et très probablement à l’Élysée. Élargissant la focale, ils accusent aussi les médias de complaisance, voire de complicité : ces derniers ont donné un large écho aux affaires et ainsi teinté négativement la couverture de la campagne de F. Fillon. C’est ce dernier pan de la réception – celui de la couverture médiatique de ces affaires et ses effets potentiels sur les dynamiques de la campagne – que nous allons étudier pour finir.

L’évaluation de la couverture médiatique du scandale et de la campagne : investigation ou complot ?

Du scoop du Canard enchaînéau « complot d’un cabinet noir »

  • 14 Il est fait allusion au Canard enchaîné pour ses révélations dans les éditions du 25 janvier, 1er  (...)
  • 15 Dans le Q2, 3 panélistes font « tout à fait confiance » à la presse écrite, 20 lui font « plutôt c (...)

44L’analyse des entretiens collectifs a permis de repérer quels étaient les pics médiatiques des affaires Fillon cités par les enquêtés. Bien que la V1 de l’enquête se soit tenue à distance de la première révélation du Canard enchaîné, c’est bien ce journal que les panélistes identifient comme source principale des révélations menant au scandale. Dans les quatre groupes, certains panélistes ont même une connaissance assez fine de la chronologie des révélations sorties dans la presse écrite14. Ainsi Yvan (G3V4) rappelle-t-il aux autres panélistes le rôle pionnier du Canard enchaîné et « trouve que c’était bien que les médias parlent. Ils avaient commencé dans Le Canard, moi, je lis Le Canard toutes les semaines… qu’ils aient dénoncé ça, que ça ne reste pas en plan ». De son côté, Marceau (G2, EI) souligne que c’est la presse écrite qui a sorti l’affaire et qu’il pense s’abonner au Canard : « Pour le coup, ce n’est pas la télé, c’est la presse écrite en l’occurrence. Je ne lis pas Le Canard, mais… Vous pensez que là, les médias font leur boulot ? Oui, ils font leur boulot, bien sûr. Correctement ? Oui. Ce sont eux qui ne sont pas honnêtes. » Extrait parmi d’autres, le jugement posé par le panéliste est ici teinté d’une grande positivité sur le rôle des médias, particulièrement sur celui de la presse écrite dans la production d’une information fiable. Ce lien de confiance est conforté par les résultats de l’enquête menée par questionnaires, où la presse écrite apparaît largement comme un média de confiance15. Il y a donc une forte adhésion à la presse écrite, même si la télévision demeure la principale source d’information de l’ensemble des panélistes. Les sites des grands médias et les réseaux sociaux sont, quant à eux, plus rarement l’unique source d’information.

45Si les JT sont cités, c’est de manière plus sporadique, notamment celui du 26 janvier 2017 sur TF1, au cours duquel le candidat répond pour la première fois aux questions d’un journaliste à ce propos. En revanche, la référence à L’Émission politique diffusée sur France 2 le 23 mars, au cours de laquelle David Pujadas reçoit F. Fillon, est commune à tous les groupes. Les panélistes citent plus particulièrement la séquence dans laquelle le candidat dénonce un complot (Dard, 2018) contre sa personne à travers l’existence d’un cabinet noir au sein de l’Élysée qui chercherait à nuire à sa candidature. Il déclare au présentateur détenir ces informations d’un livre (Hassoux et al., 2017) rédigé par deux journalistes du Canard enchaîné : « C’est un livre qui explique que François Hollande fait remonter toutes les écoutes judiciaires qui l’intéressent à son bureau, ce qui est d’une illégalité totale. Un livre qui explique comment François Hollande est branché en permanence sur Tracfin, comment il est au courant des moindres faits et filatures. On cherchait un cabinet noir, on l’a trouvé. » Très rapidement, l’Élysée et les journalistes mis en cause publient des démentis.

  • 16 Selon le Q1, 9 panélistes sont « tout à fait d’accord » avec l’affirmation selon laquelle « les mé (...)

46Questionnés en vague 2 (29-30 mars) sur ce qui a retenu leur attention au cours des dernières semaines, les panélistes du G1 répondent en chœur : « Le cabinet noir ! » Ainsi, si la couverture médiatique de F. Fillon a été submergée par les affaires, sa réception semble également marquée par ce prisme. Au fil des entretiens collectifs et individuels, nous avons cherché à observer comment les panélistes évaluaient cette couverture médiatique, afin de saisir dans quelle mesure certains types de réception pouvaient être liés à certains types d’électeurs. Les entretiens révèlent par ailleurs que la majorité des panélistes jugent que le scandale Fillon a teinté de négativité la campagne, au sens où sa médiatisation a pris toute la place dans les discours sur la campagne. L’intérêt n’est donc pas de comprendre si l’affaire a pris ou non trop de place dans les médias16, mais plutôt d’essayer de comprendre, d’une part, comment les récepteurs de cette médiatisation identifient et évaluent les raisons pour lesquelles les médias ont « sorti » ces affaires, et, d’autre part, comment les récepteurs jugent les effets de cette médiatisation sur la campagne en général.

« Les médias ont fait leur boulot »

47En V1, les panélistes sont interrogés sur leur réception du traitement médiatique du scandale. Leurs réponses portent donc sur l’émergence du scandale, les différentes révélations et l’onde de choc médiatique qu’elles ont produites ensuite. Un premier type de réception révèle une évaluation axiologique du travail des journalistes. Ainsi dans le groupe G3, la majorité des panélistes estiment-ils qu’en révélant les différentes affaires Fillon, les médias ont fait leur travail : « C’était bien que les médias en parlent », explique Yvan (G3V4). Au sein du G1, Cécile et Jérôme évaluent aussi le degré de jugement produit par les journalistes. Pour Cécile (G1V1), les journalistes font leur travail et le début de l’affaire est même marqué par une forme de retrait et de respect vis-à-vis de l’homme politique, F. Fillon. Jérôme (G1V1) estime également qu’il n’y a pas eu de parti pris et Ghislaine (G3V4), que « c’était équitable ».

48Les journaux sont bien évalués selon l’axe bon ou mauvais travail, traitement neutre ou engagé des affaires. L’évaluation du travail des médias est positive dans les G1 et G3 et les panélistes soulignent aussi l’effort d’impartialité des médias, notamment de gauche, qui auraient, selon eux, pu se montrer plus clivants. Ces résultats sont intéressants en ce qu’ils montrent un attachement des récepteurs à un idéal type de la figure du journaliste combinant travail d’enquête et neutralité de ton.

49Un second type de réception axiologique apparaît dans les propos de Grégory. Il explique que le rôle des médias, dont les réseaux sociaux font partie selon lui, est positif car on n’étouffe plus les affaires. Il argumente : « Ce n’est pas le seuil de tolérance des citoyens qui a changé, mais la vérité qui est connue » (G2V1, cadre commercial dans la sécurité incendie). Cet argument renvoie aussi à une évaluation positive du rôle des médias et montre que, sans dater ni caractériser précisément « l’avant », ce panéliste constate qu’il y a eu un assainissement des pratiques journalistiques et des relations entre les journalistes et le personnel politique. Ce type d’évaluation est directement corrélé, chez un grand nombre de panélistes, à une évaluation normative : le journalisme d’investigation et l’exposition médiatique des affaires sont de saines pratiques en démocratie. Pour ces récepteurs, l’instance à l’aune de laquelle ils évaluent les bonnes pratiques médiatiques est la démocratie : l’idéal démocratique de transparence du débat public et de libre circulation de l’information est un référent essentiel. Certains panélistes sont d’ailleurs particulièrement précis et expliquent que l’émergence de ces affaires est un indicateur de la bonne santé de notre régime. Ils estiment même que c’est une chance : « On a cette chance en France quand même qu’il y ait une transparence, que des choses se disent, dans d’autres pays ce n’est pas le cas » (Bouchra, G3V1). Ghislaine utilise aussi cet argument pour condamner les critiques adressées aux médias par F. Fillon : « Non, et puis taper constamment sur les médias à longueur de journée, parce qu’il dit que c’est les médias, que c’est une conspiration ; ce n’est pas bon, ce n’est pas sain ça. Ça fait une ambiance nauséabonde dans le pays, je trouve, parce que les médias font leur boulot. On n’est pas dans une dictature » (G3V1). Ce qu’approuve Ingrid, électrice de Benoît Hamon, qui se dit « stupéfaite » de cette ligne de défense (G4, EI) car s’attaquer aux « élites », ici les juges et les journalistes, c’est mobiliser l’un des trois piliers du populisme. Enfin, Jérôme considère que « taper sur les journalistes », c’est « un coup de com […] raté » (G1V1).

50Parmi les 16 panélistes correspondant à ce type de réception, 14 ont également répondu, en Q2, que les médias étaient indépendants du pouvoir politique, et 12 que Le Canard enchaîné ne s’était pas acharné sur F. Fillon. Ils se situent majoritairement (9 d’entre eux) à gauche et au centre de l’échelle politique.

51Les 16 panélistes donnant une évaluation positive du rôle des médias dans la couverture médiatique du scandale Fillon ont donc une acception des médias comme instance à la fois discursive et agissante essentielle en démocratie. Celle-ci renvoie à une conception des médias comme acteurs autonomes et indépendants du pouvoir politique en régime démocratique, à un idéal type habermassien.

« Les médias sont manipulés ou complices »

52Le second type de réception concerne également le travail des journalistes, mais dans une acception plus contrastée et teintée de désapprobation.

  • 17 Mercredi 22 mars 2017, Le Canard enchaîné révèle que F. Fillon a reçu 50 000 dollars en 2015 pour (...)

53Le premier contraste avec les panélistes évoqués ci-avant réside dans une perception du traitement médiatique, vécu comme un acharnement contre F. Fillon. « Parce qu’il y a eu le cabinet noir, il y a eu les costumes, il y a eu les montres, il y a eu le milliardaire libanais17 », l’effet d’accumulation laisse à penser à Martial (G1V2) que « cela ne s’arrêtera jamais ». Il ajoute que cette médiatisation est ridicule et que c’est de l’acharnement. L’évaluation finalement semi-négative de Martial est représentative d’un certain nombre de panélistes (sept d’entre eux), qui estiment que sortir des affaires fait bien partie du rôle des journalistes en démocratie, que ces derniers sont plutôt indépendants du pouvoir politique mais que les médias se sont particulièrement acharnés sur F. Fillon. Ces panélistes ont donc une évaluation contrastée que l’on peut expliquer par leur positionnement politique à droite : soit certains sont déçus de la déroute de leur candidat, F. Fillon, soit ils craignent que le même « acharnement » vienne frapper leur candidate, Marine Le Pen. Sans remettre en cause la place des médias en démocratie, ils estiment que des « dérives médiatiques » sont possibles.

54Les huit panélistes restants ont une acception du rôle des journalistes beaucoup plus négative et deux positions évaluatives émergent. Dans la première, le principal argument mis en avant est celui de la manipulation (Bernard, 2018) des médias : ils sont manipulés et ils nous manipulent. Ainsi Audrey (G1, EI) estime-t-elle qu’« on ne sort pas ce genre d’informations pendant une élection présidentielle sans avoir une idée derrière la tête. Clairement, c’est manipulé, si tu as dit ça à ce moment-là, c’est que tu voulais vraiment avoir une conséquence ». C’est aussi l’avis d’Axelle (G1V1, éducatrice spécialisée) : « Comme par hasard ça arrive au moment de la campagne. » Ces types de réception renvoient à une acception des médias comme non autonomes par rapport au pouvoir (Quéré, 1982 ; Beaud, 1984). L’instance qui manipule n’est pas clairement identifiée ou désignée, ce qui sous-entend un fonctionnement opaque des relations entre médias et pouvoir politique.

55La seconde position évaluative correspond à une acception des médias non pas manipulés par le pouvoir mais complices de celui-ci. Ce sont des médias de gauche qui seraient complices des intérêts du pouvoir de gauche en place : ainsi, trois panélistes du G4 estiment qu’en général les médias sont plutôt indépendants, mais ils évaluent très négativement leur rôle dans cette campagne. C’est pourquoi la thèse du cabinet noir, celle d’un complot politico-judiciaire relayé par les médias, leur paraît crédible et leur positionnement anti-médias est à la mesure de leur positionnement politique pro-Fillon. Fillonistes profondément déçus, ils déploient une argumentation à charge :

« Oui, mais c’est injuste. Donc ça suffit, ça suffit ! Alors, qu’il y ait une confrontation entre des idées, entre des candidats, entre je dirais des courants de pensées, c’est normal. Nous sommes en démocratie. Mais qu’il y ait un acharnement comme ça, sur une seule et même personne, et avec des coups bas, ça m’a choquée. […] Ça pose des questions très graves, quelque part, sur le fonctionnement de la démocratie dans notre pays » (Laurence, G4V1).

« C’est Le Canard qui sort le truc pour Fillon. Là, c’est je ne sais plus quel média pour… Donc il y a une espèce de mélange des genres qui ne me plaît pas. À mon sens, c’est contre-productif parce qu’un journaliste, je vais être suspicieux envers lui. Alors on peut dire que c’est la démocratie qui fonctionne comme ça et tout, mais je trouve que c’est inconfortable. C’est la porte ouverte à toutes les dérives […]. Il y avait quand même quelque part et forcément une intention, la narration de tous ces problèmes, là, pour que ça s’arrête le jour où finalement il n’y a plus d’enjeu » (Loïc, EI, G4V1).

56À travers leur adhésion à la thèse du complot politico-médiatique, on voit apparaître chez ces panélistes une logique jusqu’au-boutiste du vote en faveur de F. Fillon. Le fait remarquable ici est que leur profil sociologique (45 ans et plus, revenus supérieurs à 3 000 euros) ne correspond pas à celui des citoyens qui adhèrent d’habitude aux thèses complotistes (Reichstadt, 2018). Il apparaît que ces enquêtés, qui préfèrent croire à la collusion des pouvoirs exécutif et judiciaire et au complot médiatique, estiment par conséquent que, dans ces circonstances, F. Fillon est héroïque de poursuivre sa campagne. Dans une enquête Enef menée du 7 au 12 février 2017, au début des révélations, 47 % des électeurs de droite estiment que « François Fillon est victime d’un complot, il s’agit d’une affaire politique pour le discréditer et l’empêcher d’être candidat à l’élection présidentielle » (Enef 2017). Interrogés à partir de mars, donc après une série de révélations supplémentaires, ceux de nos panélistes qui restent convaincus par F. Fillon estiment que les médias n’ont eu de cesse de traiter ses affaires de manière négative et tendancieuse afin qu’il soit éliminé. Après le premier tour, le silence relatif des médias autour de F. Fillon et de ses affaires les conforte rétrospectivement dans l’idée selon laquelle l’objectif de toute la médiatisation antérieure était bien d’éliminer leur champion de la course à la présidentielle. Pour ces panélistes, les journalistes sortent des affaires et c’est dangereux pour la démocratie parce qu’ils se substituent à la justice. Ce positionnement révèle un second type de récepteurs qui envisagent les médias soit comme étant manipulés, soit comme étant complices du pouvoir, et comme des instances néfastes entraînant un délitement de la démocratie.

57Ces deux acceptions antagonistes du rôle des médias en démocratie, avec des interprétations contrastées du déclenchement médiatique des affaires Fillon (révélation légitime d’un scandale vs fruit d’une manipulation, voire d’un complot) s’entrecroisent avec une analyse située sur un autre plan : l’évaluation du travail médiatique en fonction, cette fois, des effets de cette couverture sur l’ensemble de la campagne.

« Ça a foutu la campagne en l’air »

58Un troisième type de réception critique sévèrement les effets de la médiatisation des affaires Fillon sur la campagne électorale. Pour 11 panélistes, la campagne a été gâchée par la médiatisation à outrance des affaires Fillon, qui n’a pas permis de débattre sereinement du fond. Ce positionnement est adopté à la fois par 6 panélistes considérant les médias comme des acteurs autonomes de la démocratie et par les 5 panélistes qui estiment que les médias sont soit dépendants, soit complices du pouvoir. Ainsi, Anna (G2, EI) estime que les médias en ont trop fait et que les informations sur le scandale Fillon tournent en boucle sur les chaînes d’information en continu ; Chantal aimerait que l’on parle des programmes plutôt que « des casseroles » (G3V1). Pour Laurence, il y a eu « beaucoup de débats, oui, mais enfin il n’y a pas eu beaucoup de qualité » (G4V4). Audrey fait un parallèle avec la campagne américaine de 2016 : « Moi, ça m’a fait penser à la campagne aux États-Unis avec Hillary Clinton. Il y a un truc comme ça, bam ! c’est sorti et ça a foutu toute la campagne en l’air » (G1V1).

Une couverture négative, mais un mal nécessaire

59Les 13 panélistes restants estiment que les effets de la médiatisation ont eu un impact négatif sur le fond de la campagne mais que ce travail de révélations était absolument nécessaire. Il s’agit du quatrième type de réception. C’est le cas d’Axelle (G1V1, éducatrice spécialisée) qui évalue les médias comme ayant été « utilisés » mais estime qu’il était nécessaire de savoir « comment il [F. Fillon] est finalement » avant de choisir. Les V3 et V4 montrent des repositionnements et des visions plus rétrospectives puisqu’Axelle, Cécile, Élise, Melvin (G1V4), Chantal, Ghislaine et Marie-Claude (G3V4, la dernière citée est aide-soignante) évoluent dans l’entre-deux-tours, estimant finalement que « ça valait le coup ».

60Les panélistes peuvent ainsi être classés selon quatre types. Si notre échantillon est certes diversifié et pas représentatif, on peut chercher à vérifier quels types de raisonnements sont privilégiés par quelles catégories. Les panélistes qui se classent dans les deux typologies négatives sont majoritairement de droite avec des revenus aisés ou d’extrême droite avec des revenus faibles. Les panélistes qui intègrent les deux typologies positives sont majoritairement de gauche ou de centre gauche, sans que leurs revenus ne semblent intervenir dans leur positionnement. Les panélistes qui se classent dans une perception en général positive des médias mais négative de la couverture de cette campagne sont soit de droite et très attachés au candidat, soit d’extrême droite. Enfin, les panélistes qui se classent dans une réception généralement négative des médias mais, malgré tout, finalement positive de leur couverture de cette campagne, ont des revenus faibles et semblent les plus indécis quant à leur positionnement politique, voire moins intéressés par la politique. Seuls les panélistes de droite ayant une acception très négative à la fois des médias et des effets de la médiatisation sur la campagne demeurent fidèles au candidat des Républicains jusqu’au vote du premier tour. Tous les autres choisiront d’autres candidats ou s’abstiendront. Il apparaît donc que les réceptions de l’affaire Fillon et de sa couverture médiatique négative sont multifactorielles, et justifient que l’on se soit intéressé aux différentes logiques qui les sous-tendent.

Conclusion

61Dans la lignée de la littérature existante sur la réception d’un scandale politique, nous nous sommes intéressés aux processus par lesquels les enquêtés apprennent puis incorporent, en les (in)validant, les informations diffusées par les médias. Cela les conduit à argumenter, surtout en contexte d’entretiens collectifs, d’une part, sur l’affaire elle-même et son degré de gravité et, d’autre part, sur la défense déployée par le candidat face à la couverture médiatique. On perçoit ainsi les dynamiques de la sensibilité des citoyens face à un tel événement, source de négativité dans une campagne. Il s’avère qu’il y a bien un effet des convictions politiques, mesurées par leur autopositionnement sur l’échelle gauche-droite, qui conduit aux biais de confirmation attendus d’après les études antérieures. Les ancrages sociologiques jouent aussi un rôle majeur, en interaction avec les convictions politiques.

62Ces résultats sur les sensibilités contrastées de réception de la campagne renforcent l’intérêt du dispositif panélisé qui avait été mis en œuvre dans le projet Médias élections, puis adapté aux circonstances. Certes, la campagne de 2017 est un cas particulier, une quasi-expérimentation naturelle qui nous a « offert » une succession de révélations. Alimenté et largement couvert par les médias, ce scandale a contribué à donner une tonalité négative à cette campagne, suscitant chez nos enquêtés de la lassitude malgré un suivi intense de la campagne jamais démenti. Cela a nourri des regrets sur l’absence de débats de fond et l’insuffisante couverture des programmes des candidats, même chez ceux, majoritaires, qui considèrent que les médias ont rempli leur rôle d’investigation. Surtout, cette affaire à rebondissements est une opportunité pour observer les processus d’actualisation de l’image d’un candidat, plus finement qu’à travers les questions fermées d’un sondage qui ne permettent pas toujours les nuances et ambivalences, et de manière plus réaliste que dans des études qualitatives auprès de focus groups avec expérimentations à propos d’un candidat et de comportements fictifs. Les électeurs qui apprennent des informations nouvelles sur un candidat et qui « mettent à jour » leurs évaluations à la fin de la campagne, au moment de décider si et pour qui voter, semblent, dans le cas Fillon, avoir recouru à la fois à ce que la littérature américaine (Kim et Garrett, 2012) qualifie de processus memory-based (faire une économie cognitive, en s’appuyant sur des raccourcis fondés sur leur positionnement politique et leurs connaissances antérieures sur un candidat, au moment où on leur demande d’exprimer un jugement) et d’online processing (actualiser en continu leur évaluation au fur et à mesure de la succession d’informations nouvelles). Pour monter en généralité, nous souhaitons désormais déterminer si ces processus d’actualisation des évaluations d’un candidat sont aussi à l’œuvre pour d’autres prétendants, qu’ils soient ou non atteints par des controverses d’ampleur variable.

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Notes

1 Ont contribué à ce projet A. Borrell, A. Jadot, P. Lefébure, P. Mansier, É. Roche, C. Sécail, et I. Veyrat-Masson.

2 Pour une chronologie détaillée de la campagne et des affaires, voir Gaultier-Voituriez et Call, 2017.

3 Accès : www.liberation.fr/apps/2017/03/compteur-lacheurs-fillon.

4 Les participants ne se connaissaient pas ; sous réserve d’avoir participé aux quatre vagues, ils ont reçu un dédommagement.

5 Les seuils de ressources pour définir ce qui est modeste ou confortable diffèrent volontairement entre les groupes d’âge. Les perceptions de la facilité à s’en sortir avec leurs revenus sont d’ailleurs contrastées : tous sauf une parmi les seniors du G3 estiment s’en sortir difficilement, tous sauf deux parmi les jeunes du G1 répondent s’en sortir facilement (dont plusieurs parce qu’ils vivent encore chez leurs parents, leurs revenus étant précisément un obstacle à leur indépendance immobilière). Un autre aspect les distingue : les jeunes sont globalement assez, voire très diplômés, et ils peuvent espérer que leur situation s’améliorera.

6 Les entretiens ont été réalisés le 17 (Richard), le 20 (Bouchra et Chantal), le 21 (Audrey et Loïc), le 22 (Marceau, Jérôme et Norman), le 23 (Anna et Ingrid) et le 24 mars (Martial).

7 Les sources privilégiées varient selon l’âge, notamment pour les pratiques numériques et le fait de voir la télévision en direct ou des extraits en replay en ligne.

8 Nous verrons plus loin que quelques-uns de ces arguments fonctionnent auprès du public appartenant au « noyau dur » de l'électorat de F. Fillon.

9 Son rejet du candidat F. Fillon n’est pas lié au scandale mais à son adhésion au « mariage pour tous » (Borrell et al., 2019).

10 D’après le directeur de campagne de F. Fillon, le candidat suit cette ligne de défense de sa seule initiative, sans concertation préalable (Stefanini, 2017 : 267).

11 Thomas utilise plusieurs fois son statut professionnel comme argument d’autorité, pour appuyer ses dires sur l’insécurité ou l’immigration, ou distiller des sous-entendus sur le scandale, suivant la thématique du complot des journalistes et du « cabinet noir » (voir ci-après).

12 P. Bérégovoy s’est suicidé le 1er mai 1993, un mois après son départ de Matignon, à la suite d’une défaite historique du Parti socialiste aux élections législatives. Alors qu’il avait fait de la lutte contre la corruption un cheval de bataille, il était notamment mis en cause pour un prêt sans intérêt d’un million de francs qu’il n’aurait que partiellement remboursé.

13 Il fait peut-être référence à une déclaration de F. Mitterrand lors des obsèques de P. Bérégovoy, son ancien Premier ministre : « Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie ».

14 Il est fait allusion au Canard enchaîné pour ses révélations dans les éditions du 25 janvier, 1er février, 8 mars et 22 mars et au JDD pour son édition du 12 mars révélant l’affaire des costumes.

15 Dans le Q2, 3 panélistes font « tout à fait confiance » à la presse écrite, 20 lui font « plutôt confiance » et 2 plutôt « pas confiance du tout », alors qu’un seul panéliste fait « tout à fait confiance » à la télévision, 14 lui font « plutôt confiance », 9, « plutôt pas confiance » et 1, « pas du tout confiance ».

16 Selon le Q1, 9 panélistes sont « tout à fait d’accord » avec l’affirmation selon laquelle « les médias parlent trop des scandales et des affaires », 8 panélistes sont « plutôt d’accord », 5 ne sont « plutôt pas d’accord », 3 ne sont « pas du tout d’accord ».

17 Mercredi 22 mars 2017, Le Canard enchaîné révèle que F. Fillon a reçu 50 000 dollars en 2015 pour organiser une rencontre entre l’industriel libanais F. Makhzoumi et le président de la Russie, V. Poutine.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne Jadot, Émilie Roche et Alexandre Borrell, « L’affaire Fillon et sa couverture médiatique négative : une sensibilité contrastée des électeurs, entre scandale et complot »Questions de communication, 38 | 2020, 173-200.

Référence électronique

Anne Jadot, Émilie Roche et Alexandre Borrell, « L’affaire Fillon et sa couverture médiatique négative : une sensibilité contrastée des électeurs, entre scandale et complot »Questions de communication [En ligne], 38 | 2020, mis en ligne le 30 mars 2023, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/23868 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.23868

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Auteurs

Anne Jadot

Université de Lorraine, Irenee, F-54000 Nancy, France

Émilie Roche

Université Sorbonne-Nouvelle - Paris 3, CIM, F-75005 Paris, France

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  • Anti-antibios ? [Texte intégral]
    Représentations de l’antibiorésistance dans la presse magazine française entre 2001 et 2014
    The Representations of Antibiotic Resistance in French News Magazines between 2001 and 2014
    Paru dans Questions de communication, 29 | 2016

Alexandre Borrell

Université Paris-Est Créteil, Céditec, F-94010 Créteil,France

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