1Des Coffin Handbills placardés lors de l’élection présidentielle américaine de 1928 à l’encontre d’Andrew Jackson aux messages d’insulte de Donald Trump sur Twitter contre ses adversaires en 2016, la négativité est depuis longtemps un pan important des campagnes électorales. Plus ou moins présente suivant les époques, les scrutins et les pays, elle se retrouve dans tous les médias à partir des débuts de l’affiche jusqu’aux différents formats sur les réseaux socionumériques aujourd’hui. Cette pratique est en constante augmentation. Les campagnes électorales ont un caractère de plus en plus agressif, déterminé par des attaques toujours plus fréquentes et brutales (Nai et Walter, 2015). Ne faisant pas exception à la règle, l’élection présidentielle française de 2017 a surpris par l’agressivité qui s’y est déployée (Maarek et Mercier, 2018 ; Perrineau, 2017 ; Theviot, 2019). Qu’il s’agisse de la proéminence des « affaires », de la défiance manifestée par certains électeurs à l’égard du personnel politique, du traitement journalistique de la campagne ou encore de l’hostilité affichée entre certaines personnalités politiques, ces différents facteurs ont contribué à conférer à la campagne électorale un aspect négatif prégnant. Afin de contribuer à une meilleure compréhension de ce phénomène, cet article étudie la part de négativité présente dans la campagne conduite par les deux candidats du second tour de l’élection présidentielle français sur Twitter en direction de leur opposant. L’intérêt est de comprendre comment cette négativité – supposée de plus en plus marquée lors des campagnes – s’inscrit dans le contexte électoral présidentiel français. La visée de cette étude est double : d’une part, déterminer dans quelle mesure et de quelle manière les deux personnalités politiques ont utilisé la négativité pour décrédibiliser leur adversaire ; d’autre part, réfléchir à la manière dont cette décrédibilisation a conforté leur propre positionnement. En tant qu’espace polémique avéré (Mercier, 2015), Twitter est particulièrement pertinent pour mettre en lumière les stratégies de décrédibilisation menées par les deux candidats. La première partie de l’article porte sur l’adressage des tweets. Nous nous demandons si les candidats ont recouru aux fonctionnalités de Twitter pour s’interpeller, puis nous cherchons à savoir si les attaques ont ciblé directement l’individu ou si ce dernier a été inclus au sein d’un collectif. La seconde partie s’intéresse à la nature des attaques, personnelles ou politiques. Une analyse thématique permet de préciser les thèmes sur lesquels les offensives se sont déroulées le plus souvent. Finalement, une étude des différentes formulations utilisées fait ressortir les qualificatifs négatifs récurrents employés pour désigner le candidat adverse.
2Pour réaliser l'étude, nous avons collecté tous les tweets émis entre le 23 avril et le 5 mai 2017 par Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) et Marine Le Pen (@MLP_officiel). Nous avons rassemblé un total de 1 102 messages, dont 591 pour E. Macron et 511 pour M. Le Pen. Parmi ceux-ci, nous avons conservé uniquement les 238 tweets négatifs mentionnant – directement ou indirectement – l’un des deux candidats (111 chez E. Macron et 127 chez M. Le Pen). Ceux-ci comprennent tout tweet ayant émis une critique ou un jugement de valeur à l’égard du candidat adverse ou de son programme.
3En France depuis 2012, les réseaux socionumériques sont considérés comme des outils de campagne électorale incontournables (Papa et Francony, 2012 ; Koc-Michalska et al., 2014). Qu’il s’agisse de Facebook, Instagram, Snapchat ou encore Youtube, chaque espace en ligne possède sa propre culture et promeut des manières de s’exprimer distinctes. Il a été reconnu que tous ces réseaux ne relèvent pas de la même logique de présentation et d’énonciation et ne laissent pas la même place à la négativité. Des études ont montré que non seulement le degré de négativité employé par une personnalité politique, mais également le contenu des messages offensifs varie en fonction du média sur lequel ceux-ci sont diffusés (Walter et Vliegenthart, 2010 ; Elmelund-Praestekaer cité dans Nai et Walter, 2015). Twitter s’avère être l’espace en ligne le plus propice à la polémique (Mercier, 2015). Sur cette plateforme, l’agressivité est un registre si fréquent qu’elle en est devenue l’une de ses particularités par rapport aux autres environnements numériques (Sebbah et al., 2018). Parmi les raisons évoquées pour justifier l’animosité régnant sur Twitter, nous retenons la limite de 140 caractères en vigueur lors de l’élection présidentielle française en 2017 (Longhi, 2013). La concision imposée par l’outil favorise la formulation de « petites phrases » définies comme « des fragments de discours, plus ou moins décontextualisés, qui font l’objet de reprises dans et par les médias, notamment en raison de leur caractère remarquable ou polémique » (Krieg-Planque et Ollivier-Yaniv, 2011 : 18). En plus d’entraîner la simplification extrême des discours, la contrainte imposée par Twitter agit indirectement comme une incitation à la négativité pour gagner en visibilité. Sans oublier qu’il permet de contourner les médias traditionnels pour communiquer directement avec les électeurs et offre un contrôle sur le message émis (Graham et al., 2013). Loin des filtres et des interprétations journalistiques, Twitter est un espace particulièrement pertinent pour définir son positionnement tout en critiquant celui de ses opposants.
4En invoquant une approche marketing de la politique, nous considérons que les candidats sont des marques qui se positionnent dans un environnement concurrentiel. Ce positionnement est compris comme la mise en valeur stratégique de caractéristiques aussi bien personnelles qu’idéologiques du candidat (Giran-Samat, 2013). L’idée est que les candidats cherchent à établir une opposition forte vis-à-vis de leurs concurrents. Ils se démarquent les uns des autres en mettant en avant au moins un trait distinctif qui les différencie positivement de leurs adversaires et leur confère une identité originale.
5La notion de positionnement va de pair avec la nature de la compétition électorale en elle-même qui se décrit comme une compétition sur enjeux (Green et Hobolt, 2008). Cette dernière implique que les partis se différencient les uns des autres lors d’une campagne électorale par l’emphase qu’ils choisissent de mettre sur certains enjeux plutôt que par la confrontation directe d’idées (Green et Hobolt, 2008). Si nous nous référons à la théorie de l’issue ownership (la propriété d’enjeux), les partis politiques possèdent des thèmes de prédilection, sur lesquels ils sont réputés comme compétents (Green et Hobolt, 2008 : 462). Nous considérons que le positionnement – constitué des caractéristiques personnelles et idéologiques – mis en avant par les candidats peut s’apparenter aux enjeux de prédilection sur lesquels ils font campagne. Pour les candidats, le but de la compétition est d’imposer les thèmes qui les avantagent de sorte qu’ils dominent l’agenda politique et donc, par extension, la compétition électorale tout en atténuant ceux qui les désavantagent (Green et Hobolt, 2008 ; Dolezal et al., 2017). En plus de valoriser leur position, l’intérêt est de forcer leurs adversaires à aborder des thématiques qui les désavantagent et ainsi de les mettre en difficulté (Green-Pedersen, 2007).
6Notre approche vise à relier le concept de compétition sur enjeux à celui non seulement de positionnement, mais aussi de négativité. Si nombre d’études se sont intéressées au rôle que le contexte exerce sur le recours à la négativité (Auter et Fine, 2016 ; Dolezal et al., 2017 ; Gross et Johnson, 2016 ; Skaperdas et Grofman, 1995), nous avons choisi de nous concentrer sur l’importance du contenu de la campagne en nous inspirant de recherches ayant confirmé une incidence entre le recours à la négativité et le principe d’issue ownership (Damore, 2002 ; Elmelund-Præstekær, 2011). Selon David F. Damore (2002), les hommes et femmes politiques attaquent leurs adversaires sur les enjeux sur lesquels ils ont la réputation d’être compétents, qui sont également ceux au sujet desquels ils bénéficient d’une plus grande crédibilité que leurs rivaux. De cette manière, un candidat peut mettre en avant l’un de ses thèmes de prédilection, et démontrer la faiblesse de son adversaire sur le sujet et, par conséquent, accroître sa crédibilité. Nous étendons cette logique en prenant en considération les qualités personnelles qui constituent l’autre aspect compris dans la notion de positionnement.
7L’étude du positionnement des candidats passe par l’analyse de leur discours, car c’est notamment à travers ce dernier que les hommes et femmes politiques se différencient les uns des autres. Pour persuader les électeurs qu’ils représentent le meilleur choix, les personnalités politiques recourent à trois stratégies de paroles : l’éloge de leurs qualités, l’attaque des autres candidats et la défense contre les offensives de leurs adversaires (Nai et Walter, 2015 : 16). Compte tenu de ces possibilités stratégiques, nous considérons que tous les candidats mènent simultanément deux types de campagnes : l’une positive et l’autre négative (Dolezal et al., 2017 ; Skaperdas et Grofman, 1995). La campagne positive signifie que l’homme ou la femme politique cherche à séduire l’électorat en promouvant ses avantages afin de paraître attractif aux yeux des électeurs. À l’inverse, la campagne négative implique de tenter de réduire l’attractivité des concurrents auprès des électeurs en les attaquant (ibid.). En conséquence, si la compétition électorale implique la promotion d’un candidat et d’un programme, elle consiste aussi en une succession d’offensives et de défenses. Le recours à l’un ou l’autre de ces procédés varie constamment au fil de la campagne.
8Nous lions la notion de négativité à celle de positionnement selon le principe selon lequel le système politique a pour cadre de référence la compétition entre les acteurs considérés comme étant stratégiquement interdépendants les uns des autres. Chaque candidat consolide son positionnement non seulement dans la valorisation de ses points forts et de ses mesures phares, mais également dans l’adversité ou, autrement dit, en opposition à ses rivaux. Diverses études (Auger et al., 2008 ; Larguèche, 2011) montrent que la conséquence de la dévalorisation de l’image de l’adversaire entraîne la valorisation de la sienne. Bien souvent, et c’est particulièrement le cas sur Twitter, les messages négatifs visent un concurrent, mais sont en réalité adressés aux internautes selon une tactique argumentative dite trope communicationnel (Kerbrat-Orecchioni, 1984). Ces derniers représentent une troisième partie qui ne prend pas directement part à l’échange, mais qui écoute et juge. En s’attaquant, les candidats ne visent pas à se persuader l’un l’autre de la validité de leur propos, mais à convaincre l’électorat (Auger et al., 2008 ; Larguèche, 2011). En plus de ce procédé argumentatif, les attaques exercent une fonction sociale en excluant la personne critiquée, ce qui crée ou renforce la cohésion du groupe opposé (Amossy, 2015 ; Larguèche, 2011) selon la logique du repoussoir, voire dans certains cas du bouc émissaire.
9Avant de s’intéresser aux questions d’adressage, il est important de présenter la place qu’occupe la négativité au sein des propos tenus sur Twitter par chacun des finalistes. Les messages négatifs représentent 19 % des tweets d’E. Macron (111 sur 591) postés durant l’entre-deux tours, entre le 23 avril et le 5 mai 2017, et 25 % de ceux de M. Le Pen (127 sur 511). Nous retrouvons ici l’observation de Stergios Skaperdas et Bernard Grofman (1995) indiquant que, dans une compétition entre deux candidats, celui étant crédité du nombre le moins élevé d’intentions de vote adopte une campagne plus négative que son concurrent, car il est le challenger qui doit affaiblir l’image de celui passant pour le favori.
10Comme les discours sur le web sont constitués de dimensions à la fois langagière et technique (Paveau 2013, 2019), nous avons cherché à savoir si les deux finalistes ont employé les fonctionnalités hypertextuelles que sont la mention, le hashtag (#) ou encore la réponse, pour s’interpeller l’un l’autre. Constituant la dimension technique, les lien hypertextes permettent de renvoyer vers un autre discours, entraînant par là même une délinéarisation des énoncés (ibid.). C’est notamment le cas du hashtag qui agrège tous les tweets portant sur la thématique précédée du signe, ou de la mention (@) qui permet d’interpeller un compte.
11Notre conclusion est qu’aucun des candidats n’a utilisé Twitter pour interagir avec l’autre. Toutefois, nous constatons une utilisation active des liens hypertextes lors de l’évocation d’E. Macron par M. Le Pen. Celle-ci le nommait en faisant précéder son nom de famille d’un hashtag, peu importe la manière dont elle l’appelait (Emmanuel Macron, M. Macron, Monsieur Macron, E. Macron ou Macron). Nous dénombrons 85 occurrences de l’hypertexte #Macron, auxquelles s’ajoute une fois #LeVraiMacron et quatre fois #DangerMacron. L’utilisation du hashtag permettait d’inscrire le propos dans un regroupement thématique de tweets qui ont pour sujet #Macron. Plutôt que la confrontation avec son concurrent, ce procédé visait l’augmentation de la visibilité du message. Ce dernier n’était pas adressé à E. Macron, mais à la twittosphère (les utilisateurs de Twitter). M. Le Pen n’a que rarement parlé du leader du parti En Marche sans recours aux liens hypertextes. Il n’est évoqué que sept fois sans fonctionnalité Twitter, soit environ 12 fois moins qu’avec une fonctionnalité. Nous constatons que, dans ce cas de figure, l’adressage a été poli. Dans la majorité des cas (5 sur 7), M. Le Pen s’est réfèrée à son adversaire en tant que « Monsieur Macron » ou « M. Macron ». Contrairement à sa rivale, E. Macron n’a jamais recouru aux liens hypertextes lorsqu’il parlait de son adversaire. Son discours était linéaire, dépourvu de caractéristiques techno-langagières visant à interpeller M. Le Pen ou à inscrire ses messages dans un ensemble de tweets la concernant. Cela laisse à nouveau penser que ses tweets n’avaient pas vocation à se confronter à M. Le Pen, mais bien à faire passer des messages aux internautes.
12Parmi les ressources linguistiques pour faire référence à l’adversaire et le critiquer, nous remarquons trois types d’adressage : individuel, collectif et non déterminé. L’adressage individuel indique que le candidat attaque son opposant en tant qu’individu. L’adressage collectif signifie que le candidat attaqué est inclus au sein d’un groupe (idéologique, partisan…) auquel il appartient ou auquel il s’apparente. Quant à l’adressage non déterminé, il regroupe des tweets où il est difficile de déterminer si le candidat attaque la personne individuellement ou le camp adverse. E. Macron a attaqué M. Le Pen environ deux fois plus individuellement qu’au sein d’un collectif. Dans la grande majorité des cas (58 % des messages négatifs), il s’est réfèré directement à sa rivale en tant que personnalité politique et il l’a incluse au sein d’un collectif dans un peu moins d’un tiers des cas (30 %). Les adressages non déterminés ont été relativement peu nombreux (12 %). Le constat est similaire chez M. Le Pen, toutefois dans des proportions différentes. Cette dernière a attaqué E. Macron en tant qu’individu dans 81 % de ses messages négatifs, soit 1,6 fois plus que lui ne l’a fait. Le camp adverse n’a que rarement été mentionné sous la forme d’un collectif, seuls 6 % de ses messages offensifs ont dépeint l’adversaire comme un groupe. Quant aux adressages non déterminés, ils sont dans des proportions semblables à E. Macron et représentent 13 % des messages négatifs de M. Le Pen. Les deux candidats ont privilégié les attaquent individuelles, plutôt que celles portant sur un collectif ou sur des sous-entendus. Nous notons que la personnalisation de la campagne, caractéristique des élections présidentielles sous la Ve République (Abélès, 2011 ; Delporte, 2001), s’observe également sur Twitter.
13Concernant les adressages individuels, les deux candidats ont eu recours à des procédés neutres tels l’adresse nominative (nommer l’adversaire par son nom), l’adresse pronominale (« elle » et « vous ») ou nominale (« mon adversaire ») ainsi que des groupes déterminants (« votre position », « votre projet »…). Les candidats ont mobilisé des arguments ad hominem ciblant la personne et non son raisonnement (Amossy, 2014) afin d’attaquer leur opposant tout en le définissant. Certaines attaques sont passées par des groupes déterminants : « votre esprit de défaite » pour E. Macron ainsi que « votre loi El Khomri Plus », « votre société » pour M. Le Pen. Cette dernière emploie des paraphrases (« quelqu’un qui propose une loi El Khomri x10 et l’ubérisation généralisée ») et des hashtags spécialement destinés à son adversaire (« #DangerMacron » et « #LeVraiMacron »). Toutefois, l’adressage qui la distingue le plus de son opposant est son recours aux surnoms : « héritier de François Hollande », « représentant de la mondialisation décomplexée », « banquier » et « Monsieur le ministre de l’Économie, le conseiller de Hollande ». Ces manières de qualifier son concurrent laissent entrevoir deux stratégies complémentaires : d’une part, définir E. Macron comme la continuité du quinquennat, la succession de F. Hollande, alors que ce dernier avait fini son mandat très impopulaire ; d’autre part, rappeler le passé de banquier d’affaires d’E. Macron et à l’associer au capitalisme, alors qu’une importante frange populaire de l’électorat du Front national (FN) est majoritairement hostile au libéralisme économique et au capitalisme.
14Pour ce qui est des adressages collectifs, le leader d’En Marche a rangé M. Le Pen dans plusieurs groupes, dont la qualification a été plus ou moins critique. Parfois, il a fait référence à son adversaire en nommant son parti ou la position qui lui est attribuée au sein du paysage politique français : « Front national », « FN », « l’extrême droite », « le parti de l’extrême droite », etc. Il a associé M. Le Pen à un collectif familial – « les Le Pen » – afin de la présenter comme l’héritière d’un parti et une politicienne de métier. Il a employé des pronoms comme ils ou ceux pour déterminer un collectif adversaire indéterminé. Les autres collectifs évoqués pour désigner sa concurrente sont « les nationalistes », « une droite réactionnaire, nationaliste, anti-européenne » et « un parti de repli ». Ces collectifs s’opposent à ce que prétend représenter le camp d’E. Macron, qui se définit comme « progressiste », ouvert sur le monde et favorable à l’Union européenne (UE). Contrairement à E. Macron, M. Le Pen a enfermé le camp adverse uniquement dans des collectifs connotés négativement. Elle n’a associé E. Macron qu’au Parti socialiste (« PS », « les socialistes ») et n’a jamais parlé du mouvement En Marche. Elle a émis des critiques virulentes à l’égard des « élites arrogantes » ou « prétendues élites », « la grande finance » (à laquelle E. Macron est associé en tant qu’ancien banquier d’affaires), « nos gouvernants » (auxquels E. Macron est associé en tant qu’ancien ministre) et « les puissants » ou « l’oligarchie ». Si ces collectifs n’ont pas été explicitement reliés à E. Macron, ils ont sous-entendu ce lien en raison des qualificatifs qu’elle lui a attribué. Ces adressages collectifs permettent de consolider la représentation du groupe social que représente chacun des candidats et de renforcer ainsi un ethos collectif (Amossy, 2015 ; Orkibi, 2008). Cette identité de groupe se forge non seulement dans l’affirmation de valeurs ou d’idées communes, mais également dans la différenciation par rapport aux groupes adverses (Orkibi, 2008).
15Les adressages non déterminés font référence aux tweets dans lesquels E. Macron a critiqué le programme ou le comportement du camp adverse. Nous trouvons des énoncés tels que : « Aucune fausse promesse, aucune démagogie ne permettra durablement de relever le défi français. #19hRuthElkrief » (critique du comportement) ou « Sortir de l’Europe, c’est la guerre. #MacronArras » (critique du programme). Nous retrouvons également dans ces messages sans adressage déterminé des critiques générales propres à la compétition électorale, visant à dévaloriser l’adversaire tout en mettant en avant le locuteur : « La France que je veux vaut beaucoup mieux que ça. #2017LeDébat » (E. Macron, 26 avr. 2017). Celles-ci servent principalement à marquer une opposition forte entre les candidats. Nous retrouvons chez M. Le Pen les attaques envers le programme (par exemple : « “Je n’accepte pas que l’on dérégule l’intégralité du droit du travail et que l’on organise la casse sociale par ordonnances.” #JT20h », M. Le Pen, 24 avr. 2017) et envers la personne, de manière sous-entendue (« “L’adversaire du peuple, c’est toujours le monde de la finance. Mais cette fois, il a un nom, un visage, un parti.” #MarineÀVillepinte », M. Le Pen, 1er mai 2017). Sont présents également les propos sur le jeu électoral (« “Cette élection présidentielle est un référendum [sic] pour ou contre la France. Je vous appelle à #ChoisirLaFrance !” #MarineÀNice », M. Le Pen, 27 avr. 2017).
16Certains tweets ne se laissent ranger dans aucune des deux catégories. Les deux premiers sont des attaques sur le bilan d’E. Macron au sein du gouvernement de F. Hollande. Le premier mentionne bien le nom d’E. Macron, mais sans faire pour autant référence directement à sa personne. Dans l’expression « la politique économique du quinquennat Hollande-Macron », le nom du candidat possède une fonction de qualificatif, presque adjectivale. Le but est d’associer E. Macron à F. Hollande, et sa politique à la tête de l’État. Le deuxième concerne la « loi travail », désignée par M. Le Pen comme la « loi El Khomri-Macron ». Une fois de plus, le nom d’E. Macron est bien cité, mais non pas pour désigner le candidat, mais une loi. Habituellement désignée sous le nom « loi travail » ou « loi El Khomri », bien qu’initiée par E. Macron alors ministre de l’Économie, M. Le Pen rajoute le nom de son adversaire pour souligner son appartenance au quinquennat précédent et appuyer son propos visant à le présenter comme la continuité néfaste de F. Hollande.
17Autre adressage non déterminé explicitement, mais dont la cible implicite – E. Macron – est aisément identifiable : « Avec @GilbertCollard, j’étais ce matin auprès de nos pêcheurs, au #GrauDuRoi (#Gard). Pour eux, leur métier n’est pas “une promenade” » (M. Le Pen, 27 avr. 2017). C’est une réponse directe au tweet offensif d’E. Macron suivant : « Madame le pen [sic] se promène à la pêche. Bonne promenade. La sortie de l’Europe qu’elle propose c est la fin de la pêche française. Pensez y. EM » (E. Macron, 27 avr. 2017).
18Nous nous sommes inspirée de l’étude de Zachary J. Auter et Jeffrey A. Fine (2016), qui identifie deux types d’attaques possibles : les attaques personnelles (ad hominem) et les attaques sur enjeux (ad res). En nous fondant sur leurs définitions, nous avons listé les critères permettant de classer les tweets dans l’une ou l’autre catégorie. Un message porte sur la personne lorsqu’il traite de : son caractère, son comportement, des traits de sa personnalité, ses défauts, ses actions ou expériences personnelles passées, ses propos et ses soutiens réels ou supposés (association entre l’opposant et d’autres acteurs politiques ou extérieurs). À l’inverse, un message porte sur un enjeu lorsqu’il traite du programme, de l’idéologie, des mesures proposées, des mesures appliquées, du bilan ou du jeu électoral.
19Nos résultats montrent qu’E. Macron focalise légèrement plus ses attaques sur la personne de M. Le Pen (52 % des messages négatifs) que sur son programme (48 %). Quant à M. Le Pen, elle privilégie les attaques portant sur le programme de son rival (60 %) plutôt que sur sa personnalité (40 %). Face à cette différence, une interprétation possible est la notoriété préalable de chaque candidat. Nous sommes face à, d’un côté, E. Macron, à la tête d’un mouvement créé il y a moins d’un an, encore inconnu du grand public, et, de l’autre, M. Le Pen, présente dans le paysage politique français depuis plusieurs années, leader depuis 2011 d’un parti fondé notamment par son père en 1972 et connue de tous. Le grand public a eu le temps de se forger une représentation de la personnalité tout comme de la politique de la présidente du FN. En revanche, il est moins évident qu’il soit autant au courant des caractéristiques personnelles d’E. Macron. Cela peut expliquer la raison pour laquelle ce dernier diversifie ses attaques, alors que sa rivale concentre majoritairement son offensive sur la politique de son adversaire. Notre analyse qualitative des thèmes associés aux candidats ainsi que des qualificatifs viennent préciser ces remarques préalables.
20E. Macron et M. Le Pen partagent certains thèmes principaux d’attaque, l’Europe et l’économie, mais se différencient respectivement sur l’agriculture et l’immigration. L’Europe et l’économie constituent des sujets discriminants pour les deux candidats, sur lesquels ils ont une position revendiquée et différenciante.
21La stratégie de décrédibilisation mise en place par E. Macron comporte trois axes principaux : la qualification du programme de son adversaire comme un danger, la mise en avant de l’incohérence et/ou de l’impertinence du programme et la différenciation par rapport à ses propres propositions. C’est en particulier l’Europe, et plus précisément la sortie de l’UE et de l’euro, qui a été présentée comme un danger. Cette notion de danger a été associée soit uniquement à la question européenne, soit en lien avec d’autres thématiques telles l’agriculture et la pêche. E. Macron a fait également rimer la sortie de l’UE avec la fermeture des frontières et la fin de la liberté de circulation des Français, allant même jusqu’à évoquer la guerre : « Sortir de l’Europe, c’est la guerre. #MacronArras » (26 avr. 2017). Cette association au danger est de nature anxiogène et vise à convaincre par la peur les électeurs indécis. Le projet politique de la candidate du FN est considéré comme un programme de repli, où nationalisme est synonyme d’isolement. En plus de chercher à susciter la peur, E. Macron a tenté de décrédibiliser son adversaire en pointant l’incohérence et le manque de pertinence de son programme sur les questions européennes (« sur l’euro, je ne comprends pas votre position : on revient au franc ? Il y aura deux monnaies ? À quoi servira l’euro alors ? », 3 mai 2017), économiques (« il est important de montrer que le projet économique et même sécuritaire du Front national ne répond pas à nos défis. #JT20H », 4 mai 2017) et liées à l’agriculture (« le projet de Madame Le Pen n’est pas un projet pour la ruralité », 29 avr. 2017). Ces trois thématiques phares sont également employées par E. Macron pour se différencier de son adversaire. Tout en critiquant la position de la candidate du FN, il met en avant une alternative, qu’il s’agisse d’agriculture, d’économie ou d’Europe. À titre d’exemples, nous citerons trois tweets : « Une politique commerciale qui ne serait que française ne permettrait pas de défendre nos intérêts. #2017LeDébat » (économie, 3 mai 2017) ; « vous montrez bien l’inanité de la promesse du FN pour répondre à la ruralité. Notre ruralité a besoin d’ambition et d’ouverture au monde » (agriculture, 28 avr. 2017) ; « avec Madame Le Pen, nous sommes les deux candidats les plus cohérents sur l’Europe : je veux la refonder, elle n’en veut pas » (Europe, 27 avr. 2017). Dans chacun de ces exemples, E. Macron oppose le programme de son adversaire à sa propre position. Si le programme de sa rivale est décrit comme un « projet de repli » et de « fermeture », E. Macron y oppose sa propre conception de la politique, axée sur l’ouverture. Les mentions de la « liberté » et de l’« ouverture » sont très présentes chez le candidat E. Macron, et contrastent avec le repli qu’il associe à sa rivale.
22Quant à la candidate du FN, sa stratégie pour dénoncer le programme de son opposant se découpe en quatre points : la critique du bilan, la qualification de celui-ci en danger, l’accusation d’être contre les intérêts de la France et une volonté de différenciation. Elle consiste à décrédibiliser E. Macron sur certains de ses enjeux de prédilection, à savoir l’emploi et l’Europe, ainsi qu’à mettre en avant ses thèmes privilégiés comme l’immigration, thématique phare du FN. M. Le Pen traite E. Macron comme un candidat sortant, le tenant responsable non seulement de son bilan en tant que ministre de l’Économie, mais également de l’ensemble des échecs du quinquennat. Les offensives contre son bilan portent principalement sur l’économie, tout particulièrement l’emploi avec 6 tweets sur 15 mentionnant la loi El-Khomri. Sa volonté est de l’associer autant que possible à la continuité de la politique de F. Hollande pour se positionner comme l’alternance. L’autre objectif de la focalisation sur cette thématique est de prouver que le programme de son rival est dangereux, car en faveur de la « mondialisation sauvage » (ainsi que de l’ensemble des maux qui lui sont associés tels les délocalisations, la dérégulation des marchés et l’immigration de masse) et soumis à l’UE. Nous retrouvons des tweets tels : « “Emmanuel #Macron veut aller plus loin dans l’Europe fédérale, qui nous mènera à l’impôt européen !” #E1Matin » (1er mai 2017) ou « “#Macron est pour la mondialisation sauvage, pour la dérégulation du droit du travail, pour l’immigration de masse.” #JT20h » (24 avr. 2017). À cet avertissement contre le danger que représentait E. Macron sur ces thématiques, M. Le Pen a ajouté divers arguments ad personam, visant à le dépeindre comme un homme au service d’intérêts privés. De manière générale, elle le décrit comme quelqu’un cherchant l’efficacité économique au détriment du bien vivre des citoyens. M. Le Pen accuse son rival d’être contre la France, à travers des messages comme « “Monsieur Macron, vous défendez des intérêts privés, et derrière cela il y a la casse : les délocalisations.” #2017LeDébat » (3 mai 2017) ou « “#Macron, vous avez fait acheter des grandes entreprises françaises par des groupes américains, au détriment de notre intérêt.” #2017LeDébat » (id.). Si elle dénonce un programme hostile à la France chez son concurrent, c’est en réalité pour mieux se différencier de lui et se faire valoir à la fois comme le choix pour la France (« “C’est la France qu’il faut choisir dans cette élection présidentielle, face à sa dilution dans une mondialisation sauvage.” #Élysée2017 », 25 avr. 2017) et la représentante du peuple (« “Mon adversaire a une vision désincarnée de la France, il est le candidat de l’oligarchie. Je suis la candidate du peuple.” #Élysée2017 », 25 avr. 2017). Ces attaques ont permis à M. Le Pen de déployer la rhétorique propre au FN et, plus généralement, aux droites radicales européennes, en prônant le patriotisme économique afin de défendre les citoyens qui pâtissent de la mondialisation (Camus, 2011 ; Stockemer, 2017).
23Notre étude qualitative des termes employés par les candidats pour qualifier leur adversaire permet de distinguer deux stratégies : la dénonciation de ce qu’il représente et la critique de ce qu’il est. Selon E. Macron, sa concurrente, ainsi que son parti, représentent la défaite, la fracture sociale et la haine : « Le parti du Front national n’a pas changé : il porte la haine, la division du pays, et un projet d’affaiblissement. #LE20H » (1er mai 2017). Le leader d’En Marche ! recourt à des attaques ad personam envers sa concurrente, visant à la déprécier en tant que personne. Sur les 111 messages négatifs à l’encontre de la présidente du FN, 56 concernent sa personnalité. Elle serait indigne de la fonction présidentielle (11 % des attaques personnelles) et malhonnête (menteuse, manipulatrice et profiteuse, comptant pour 57 % des attaques personnelles). Ce type d’attaques vise à rendre le compétiteur indigne de la confiance des électeurs. Il en est de même pour l’accusation de manipuler diverses émotions (telles la colère) des citoyens. Toujours dans ce même objectif de décrédibilisation, E. Macron qualifie indirectement sa concurrente de profiteuse. Sans jamais utiliser à proprement parler ce mot, que nous avons choisi pour rendre compte de l’ensemble d’une série de tweets, il énonce que sa rivale profite de différentes situations (la misère des salariés de Whirlpool, le terrorisme, la détresse, la peur, l’inefficacité des politiques menées jusqu’alors et surtout la colère). Il dénonce également son comportement, qu’il accuse d’être tourné vers la communication et non la recherche de solutions. C’est par exemple le cas dans ce tweet : « Pendant ce temps, Madame Le Pen faisait des photos. #JT20H » (30 avr. 2017). Ces tweets dénonçant la manière dont elle profite de situations sociales difficiles comptent pour 30 %, soit près d’un tiers, des attaques ad personam. C’est l’offensive la plus fréquente après l’accusation de mensonges (18 %).
24Un autre angle d’attaque privilégié par E. Macron est la qualification de M. Le Pen en tant qu’héritière (13 % des attaques contre sa personne). Pour reprendre un tweet résumant bien les reproches qu’E. Macron lui adresse : « Madame Le Pen est l’héritière de son père, l’héritière d’un parti, l’héritière d’un système. #LE20H » (1er mai 2017). Derrière cette notion d’héritage, se regroupent deux critiques. D’abord, E. Macron cherche à rapprocher M. Le Pen de son père, Jean-Marie Le Pen. L’héritage est compris au sens premier du terme comme la succession d’un patrimoine, à savoir la transmission d’un bien d’un père à sa fille (Haegel, 1990). De cette manière, le leader d’En Marche ! rappelle le lien entre J.-M. et M. Le Pen, allant par là-même contre la rupture que celle-ci tente de marquer avec la rhétorique et la personnalité, ouvertement agressives et xénophobes, de son père (Stockemer, 2017 ; Crépon et al., 2015). Ensuite, en la qualifiant d’héritière, E. Macron renvoie M. Le Pen à une élite politique, en contradiction avec son auto-proclamation de « candidate du peuple ». Il attaque le fondement du discours anti-establishment propres aux partis d’extrême droite comme le FN, qui se prétend le défenseur du peuple face à une classe dominante malhonnête et impuissante (Camus, 2011). À ces accusations, E. Macron oppose sa propre image d’homme qui s’est construit seul, en marge du système politique : « Je ne suis pas le fruit du système politique. Je suis le fruit de la République. #JT20H » (30 avril 2017) ou encore « La différence entre Madame Le Pen et moi ? Je ne suis pas né dans un château et un parti politique déjà constitué. #JT20H » (id.). Il se revendique comme le fruit d’un système méritocratique où tout s’acquiert en fonction du mérite et non de l’héritage (Le Bart, 1994). Cette ligne d’attaque sert à la fois à E. Macron à délégitimer son adversaire et à se valoriser lui-même, tout en se défendant des offensives de celle-ci. Si nous nous penchons à présent sur les attaques formulées par M. Le Pen, nous constatons que l’une de ses stratégies privilégiées est d’évoquer son passé de banquier et de ministre sous le quinquennat socialiste. Nous retrouvons dans le discours de la candidate frontiste la mobilisation des qualificatifs héritier et élite déjà présents dans les offensives de son adversaire.
25Selon M. Le Pen, E. Macron serait aussi un héritier : celui de F. Hollande. C’est ce qu’elle décrit dans 17 % des messages visant la personne d’E. Macron. Il n’est dans ce cas pas question d’héritage reçu, mais de filiation et de continuité politique (Haegel, 1990). En le qualifiant d’héritier de F. Hollande, elle insinue que voter pour son adversaire signifie poursuivre avec le PS au pouvoir. E. Macron ne serait pas à la tête d’un nouveau mouvement politique, mais perpétuerait la politique des vieux partis de gouvernement : « Derrière la nouveauté #Macron, il y a toute la vieille politique menée depuis des années.» #MLPTF1 » (2 mai 2017). De cette manière, elle s’érige en seule alternative. Par ailleurs, elle va plus loin dans sa critique en qualifiant E. Macron d’élite, par définition opposée au peuple (19 % des messages négatifs visant la personne). De plus, E. Macron n’appartient pas à n’importe quel type d’élite, c’est un banquier (15 % des messages négatifs visant la personne). Ce fait est transformé en accusation : « “L’adversaire du peuple, c’est toujours le monde de la finance. Mais cette fois, il a un nom, un visage, un parti.” #MarineÀVillepinte » (1er mai 2017). La candidate du FN utilise un imaginaire du monde de la finance, impitoyable et inhumain, pour le transférer à la personne et au projet de son rival : « “La France que défend #Macron c’est une salle de marché qui organise la guerre de tous contre tous.” #2017LeDébat » (3 mai 2017). Ainsi, quiconque s’oppose à cette vision n’aurait d’autre choix que de voter pour elle. Elle s’érige en l’alternative au monde de la finance et des élites, se confortant ainsi dans la position qu’elle s’attribue de « candidate du peuple ». Sur une autre thématique, 21 % des attaques personnelles critiquent une soi-disant connivence entre E. Macron et l’Union des organisations islamiques en France, évoquant une soumission de celui-ci à cette dernière. C’est une manière de rapprocher dans l’imaginaire collectif le candidat d’En Marche ! de mouvements islamiques, parfois même radicaux. Supposément à la solde des islamistes, des intérêts privés et de la finance, E. Macron serait, par conséquent, contre la France. M. Le Pen accentue le trait en interprétant des « gaffes » faites par le candidat durant sa campagne pour appuyer son argument : « “#Macron a accusé la France de crimes contre l’Humanité, et il a même dit qu’il n’y avait pas de culture française.” #JT20h » (24 avr. 2017). Ces propos reviennent à plusieurs reprises (quatre fois en ce qui concerne le « crime contre l’humanité » et trois fois pour « la culture française ») et servent à illustrer un certain mépris qu’aurait le candidat d’En Marche ! pour la France. Une fois de plus, cette dénonciation est utilisée par M. Le Pen pour s’ériger en alternative au service de la France, ou « patriote » pour reprendre ses propres termes.
26Les finalistes se disputent la capacité à représenter et défendre « la France », dont chacun a sa propre conception. Ce faisant, ils incarnent chacun à leur manière un défenseur de la France contre la menace que représente l’adversaire. Si un candidat est le choix pour la France, l’autre est, de manière logique, un choix contre la France. Pour illustrer notre propos, nous citerons à la fois E. Macron (« Le Front national, c’est le parti de l’anti-France ! #Ensemble », 1er mai 2017) et M. Le Pen (« “Cette élection présidentielle est un référendum [sic] pour ou contre la France. Je vous appelle à #ChoisirLaFrance !” #MarineÀNice », 27 avr. 2017).
27Notre étude démontre que la négativité est employée par les candidats pour décrédibiliser leurs concurrents, en dénonçant aussi bien leur approche politique que certains traits de leurs personnalité ou comportements. Les deux candidats mènent sur Twitter une campagne négative à l’encontre de leur adversaire qui, loin d’une confrontation directe, vise à convaincre les électeurs et à asseoir leur positionnement. Les attaques ciblent le plus souvent le candidat finaliste opposé, et non le collectif, confirmant une personnalisation de la compétition. Les enjeux offensifs privilégiés par les candidats sont l’économie et l’Europe. Selon E. Macron, le programme de sa rivale serait synonyme de danger et de repli, auquel il oppose un programme d’ouverture et de liberté. De son côté, M. Le Pen traite E. Macron comme un candidat sortant et le critique sur son bilan au sein du gouvernement de F. Hollande. Elle qualifie le programme de son opposant de dangereux, car en faveur de la mondialisation, soumis à l’UE et, par conséquent, intrinsèquement contre les intérêts de la France. Face à ce risque, M. Le Pen proposerait un programme de protection. De plus, les candidats se disputent autour de la notion d’héritier derrière laquelle se dissimule à la fois la critique de l’héritage ou de la filiation ainsi que l’assimilation de l’adversaire à une élite politique ou financière. En accusant M. Le Pen d’être l’héritière d’un parti politique et d’un système, E. Macron renforce son image de nouveauté politique, parvenu à de hautes fonctions au mérite. En reprochant à E. Macron d’être l’hériter de F. Hollande et un ancien banquier, la présidente du FN se positionne comme l’alternative et assied son titre auto-proclamé de « candidate du peuple ». À ces attaques, s’ajoutent des arguments ad personam : M. Le Pen serait malhonnête et indigne ; alors qu’E. Macron serait soumis aux islamistes. Chacun à sa manière dépeint son adversaire comme un danger pour la France et se présente comme l’unique solution. Ce recours à la négativité sur Twitter n’est pas une singularité française. D’autres études montrent une certaine inclination pour la négativité sur ce réseau social lors de campagnes dans plusieurs démocraties occidentales (voir par exemple Ceron et D’Adda, 2016 en Italie ; Gross et Johnson, 2016 aux États-Unis ; Usherwood et Wright, 2017 au Royaume-Uni). Le caractère concis, instantané et direct des messages sur Twitter fait de ce dernier un lieu privilégier pour affirmer son positionnement à travers non seulement l’attaque de ses adversaires, mais également l’autopromotion. L’aspect négatif lors du second tour de l’élection présidentielle de 2017 sur Twitter ne représente qu’une part de la campagne, contrebalancé par des messages promotionnels positifs, s’inscrivant dans une stratégie de positionnement globale. Considérant la stratégie extrêmement, voire uniquement, offensive de M. Le Pen lors du débat du second tour, nous pouvons nous demander à quel moment la négativité arrête de servir le positionnement et la valorisation du candidat pour finalement faire le jeu de l’adversaire.
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