2Youtube, une plateforme du Web 2.0, a été créée en 2005 par Stephen Chen, Chad Hurley et Jawed Karim. Celle-ci est devenue l’une des préférées du public. Au Mexique, en 2019, Youtube a été le réseau social le plus fréquenté par les internautes (Kemp, 2019). En France, d’après l’enquête annuelle réalisée par Ipsos sur la lecture et la fréquentation média des jeunes de moins de 20 ans, la plateforme Youtube est la plus populaire chez les jeunes de 13 à 19 ans, suivie par Snapchat (Guillaume, 2018). Elle constitue un moyen idéal pour la diffusion personnelle (Chih-Ping, 2016), mais aussi pour l’éducation et la communication (Martins Flores et Muniz de Medeiros, 2018).

3En principe, une « plateforme » ne réalise pas une activité mais la facilite, et ne s’implique guère dans son contenu lorsqu’aucune forme de médiation n’est exercée (Gillespie, 2010). Néanmoins, dans le cas de la plateforme Youtube, la mobilisation d’algorithmes spécifiques conduit les créateurs de vidéos à produire des contenus attractifs, à destination des segments de la population qui les intéressent. Avec ces algorithmes, Youtube promeut ou bien exclut une proportion importante des vidéos (Bishop, 2018). Les algorithmes de classement définissent en effet les vidéos qui auront la plus grande visibilité (Cotter, 2019). En ce sens, il est important de rappeler que Youtube est une société à but lucratif, presque entièrement financée par la publicité (Nguyen et Allen, 2018). Plus d’une décennie après son lancement, cette plateforme est devenue une entreprise générant un grand chiffre d’affaires (Pereira et al., 2018), « une plateforme commerciale qui est actuellement un nœud important dans un écosystème en évolution constante, constituée par un conglomérat de médias dominé par Google » (van Dijck, 2008 : 54).

4Pour faciliter leur conformité avec l’algorithme, les créateurs peuvent utiliser Creator Studio, un logiciel d’analyse inclus dans l’offre de Youtube, ainsi que l’aide en ligne. Les créateurs pouvant gagner de l’argent par l’intermédiaire de la publicité, il leur est conseillé de surveiller attentivement les fluctuations dont leurs vidéos font l’objet : nombre de vues et nombre d’abonnés sont en effet mobilisés pour maximiser les profits publicitaires (Bishop, 2018). Les créateurs de vidéos sont également encouragés à prendre soin de leur propre mise en scène « pour être visibles entre des employeurs potentiels, clients, abonnés et fans » (Abidjin, 2016).

5L’algorithme de Youtube constitue néanmoins une forme de boîte noire car à aucun moment Youtube n’explicite clairement le poids relatif de chaque variable dans la sélection des chaînes. En conséquence, c’est le créateur qui doit interpréter ces variables, pour espérer voir sa chaîne sélectionnée (Bishop, 2018). Son interprétation peut le mener à modifier le contenu, les voix, les mots et les structures des phrases de ses vidéos (Bucher, 2017).

Des recherches sur les vidéos de Youtube

6Plusieurs études autour de Youtube et des youtubeurs ont été récemment publiées. On peut citer par exemple celles analysant le fonctionnement de la plateforme et les conséquences de son algorithme sur la visibilité des vidéos (Bishop, 2018 ; Cotter, 2019 ; Gillespie, 2010). D’autres recherches visent à identifier les attributs des vidéos et des locuteurs qui attirent les jeunes (Aran-Ramspott et al., 2018 ; Millerande et al., 2017 ; Pereira et al., 2018), ainsi que la contribution du contenu des vidéos de Youtube au processus de construction identitaire (Pérez-Torres et al., 2018). José Van Dijck (2008) a, pour sa part, traité du rôle des utilisateurs de Youtube comme producteurs des vidéos, d’un point de vue culturel, économique et du marché du travail, tandis que Margaret Holland (2017) a décrit, à partir de l’histoire de trois chaînes suédoises de Youtube, l’histoire de la transformation de Youtube : d’un simple site web – où les utilisateurs chargeaient simplement leurs vidéos – en une plateforme, à travers laquelle les individus peuvent désormais construire leur carrière. Quant à Hayley Cocker et James Cronin (2017), ils abordent l’émergence de cultes de la personnalité de certains youtubeurs, en soulignant le rôle actif du public dans ce processus. D’autres recherches enfin, comme celles menées par Angeriñe Elorriaga Illera et Sergio Monge Benito (2018), se centrent sur la monétarisation des youtubeurs.

7Ces dernières années, quelques études ont été publiées plus spécifiquement autour du rôle de Youtube dans l’éducation et la communication des sciences. Ainsi Dana Henriksen et Megan Hoelting (2017) ont-ils analysé l’utilisation de cette plateforme pour l’apprentissage dans la salle de classe ; Dustin Welbourne et Will Grant (2016) ont, quant à eux, identifié les attributs des vidéos de vulgarisation scientifiques favorisant la visibilité de leurs concepteurs. On peut aussi citer les études de Pauline Adenot (2016), celles de Natalia Martins Flores et Priscila Muniz de Medeiros (2018) ou encore de Jesus Munoz Morcillo et al. (2016), brièvement décrites ci-dessous.

8Les locuteurs mettent en place des stratégies pour attirer leur public. « Il s’agit d’édifier de manière délibérée un ethos, c’est-à-dire faire bonne impression par la façon dont on construit son discours, donner une image de soi capable de convaincre l’auditoire en gagnant sa confiance » (Maingueneau, 2002 : 1), pour établir une crédibilité et une légitimité face aux publics (Adenot, 2016). Quelques recherches portent sur ces stratégies discursives : P. Adenot (2016) analyse des vidéos de E Penser, la plus ancienne chaîne française de Youtube de vulgarisation scientifique, à partir des modes de construction et d’expression de l’ethos du vulgarisateur. Natalia Martins Flores et P. Muniz de Medeiros (2018) cherchent à identifier les stratégies de légitimité des dix chaînes scientifiques les plus populaires du Brésil. Parmi les attributs sélectionnés se trouvent la construction de l’ethos du locuteur, à travers des éléments langagiers (utilisation de l’humour, de mots familiers et vulgaires), ainsi que des éléments non langagiers (nombre de locuteurs, type de plans, bande-son, etc.). De façon similaire, la recherche de Peter Stockinger (2017) porte sur l’analyse des éléments audiovisuels et narratifs de vidéos de Youtube abordant le sujet des immigrants et des réfugiés. Kristy Beers Fägersten (2017) identifie quant à lui les attributs langagiers de la chaîne du youtubeur suédois Pewdiepie. Il montre comment ces attributs contribuent à créer une ambiance d’intimité avec son public.

9À partir de l’ensemble large de stratégies discursives présentes dans les vidéos de Youtube, la construction de typologies contribuera à construire du sens. Même si chaque vidéo correspond à une combinaison unique de stratégies, la construction des typologies permettra de se concentrer sur des attributs spécifiques en regroupant les éléments communs, sans les approfondir néanmoins. Ainsi la construction de typologies participera-t-elle à la compréhension des stratégies discursives, en élevant notamment le niveau d’abstraction tout en soulignant certaines tendances (Lewin-Epstein N. et Stier H, 2005). C’est dans ce but que J. Munoz Morcillo et al. (2016) ont construit plusieurs typologies, à partir de 190 vidéos scientifiques de Youtube. Ils ont utilisé comme critères de classification les genres des vidéos (documentaire, docu-drame, monologue, interview, reportage, film de fiction, etc.), les caractéristiques de la production (nombre de prises, types de plans, etc.), ainsi que les stratégies narratives (narrateur à la première ou troisième personne, construction de l’intrigue).

Le discours environnemental dans Youtube

10Depuis trois ou quatre décennies, l’environnement est devenu une question d’intérêt général, c’est-à-dire, une question d’intérêt pour l’ensemble des membres des sociétés, et les activités de communication ont joué un rôle clé pour le mettre en valeur (Hansen, 2011). Jusqu’aux années 1960, les problématiques environnementales sont restées négligées par la plupart des gouvernements et des citoyens qui mettaient au « premier plan » l’industrialisation, les effets positifs de la croissance et du progrès. Les inquiétudes environnementales restaient très localisées (concernant des cas spécifiques de pollution, par exemple) (Aknin et al., 2002). Par contraste, depuis le début des années 2000, la plupart des décideurs politiques et des acteurs sociaux ont manifesté leurs préoccupations pour l’environnement. Comme le signalaient déjà Bernard Cathelat et Jean-Louis Peytavin en 1992, une angoisse écosystémique planétaire s’est développée : les écologistes sont préoccupés par des problèmes comme le réchauffement climatique et la disparition de la couche d’ozone. Selon J.-L. Peytavin (1992 : 2), l’écologie est ainsi devenue « une machine de consensus » : « Parler d’écologie est la chose la mieux partagée du monde, et tout un chacun, dès lors qu’il est électeur et consommateur, peut prétendre être spécialiste de l’environnement et parler à l’infini des problèmes des déchets, du bruit, de la prolifération des algues ou de la raréfaction de la couche d’ozone. L’écologie s’adresse à tous et peut prendre en considération l’avis de tous ».

11Les thématiques de l’environnement occupent depuis longtemps une place centrale dans les sciences de l’information et de la communication (SIC), notamment depuis les années 1970. À cette époque, des questionnements importants ont commencé à être développés sur les façons de communiquer sur l’environnement, ou encore sur des notions liées à l’environnement, telles que la préservation ou la conservation de l’environnement, des espèces menacées ou de la communication développée par les groupes environnementaux (Catellani et al., 2019). Dans les années 1980, ce champ de recherche s’est élargi, grâce à l’importance de l’environnement dans des sujets d’information tels que les découvertes scientifiques, les avancées technologiques, les scandales environnementaux. Progressivement, une discipline indépendante s’est développée : celle de la communication environnementale (Hansen, 2011), c’est-à-dire, l’étude de l’ensemble des dynamiques communicationnelles et interactives concernant les relations de l’humanité avec son environnement social et naturel, et la transition de l’humanité vers un nouveau type de société (Catellani et al., 2019). Actuellement, la communication environnementale est fondée sur un cadre méthodologique solide pour étudier des questions plus larges, telles que les rôles sociaux, politiques et culturels des communications liées à l’environnement (Hansen, 2011). Parmi les fondateurs de ce champ de recherche, on peut citer Gregory Bateson, Philippe Althoff, William H. Greig, Francine Stuckey, Robert Cox. En ce qui concerne les pays francophones, les premières recherches dans ce champ ont été menées par Nicole D’Almeida et Françoise Bernard. Mais, selon Andrea Catellani et al. (2019), d’autres auteurs y ont contribué, comme Thierry Libaert, Michel Ogrizeck et Jacques Vigneron avec Laurence Francisco. Les notions proches de la communication environnementale, telles que le développement durable, la soutenabilité, la transition énergétique, ont notamment été particulièrement développées. Ainsi près de 300 ouvrages, articles et thèses francophones sont-ils parus sur ce thème depuis le début des années 1990 en France, au Canada et en Belgique (Catellani et al., 2019).

12Les chercheurs ont fait appel à une méthodologie d’analyse du discours, dans le domaine de l’environnement, depuis des décennies. On peut citer Philip Macnaghten (1993) qui considérait que, dans les discours, il y a des relations sociales implicites qui peuvent être étudiées à partir des termes utilisés. Il a par exemple analysé la diversité des constructions du mot « nature » dans une enquête publique aux États-Unis. La notion de « nature » a également été étudiée par Jean-Louis Peytavin (1992b). Dans le champ de la communication environnementale, d’autres notions ont soulevé un intérêt spécifique : l’écologie, la transition énergétique et la responsabilité sociale notamment (Catellani et al., 2019).

13James S. Risbey (2008), pour sa part, a étudié le discours des climatologistes sur le réchauffement climatique. Béatrice Jalenques-Vigouroux (2006) a analysé les métarécits présents dans les discours écologiques des organisations françaises. Enfin, le travail de Susan Kovacs (2012) a porté sur les schémas communicationnels mis en place dans les documentaires, dans le but de comprendre leur influence dans la construction de l’identité environnementaliste des jeunes.

14Dans cette recherche, nous avons choisi de nous intéresser aux discours environnementaux des vidéos de Youtube, étant donné l’importance de cette plateforme comme moyen de communication et de diffusion, notamment chez les adolescents. En considérant la réalité comme une construction sociale (Berger et Luckmann, 1966), étudier les discours environnementaux des vidéos de Youtube contribue à la compréhension de la signification de la problématique environnementale. Autrement dit, ce qui est pertinent dans ce cas, ce ne sont pas les phénomènes environnementaux en soi, mais la façon dont les locuteurs leur donnent un sens (Hajer et Versteeg, 2005).

15À noter que ce travail fait partie d’un projet plus vaste qui vise à comparer les stratégies discursives des vidéos de chaînes mexicaines et françaises abordant l’environnement et ses menaces, à partir d’analyses d’éléments linguistiques et non linguistiques. Pour la construction du corpus, en plus de la nationalité des chaînes, le critère de sélection retenu a été l’appartenance de la chaîne de vidéos à des particuliers et non à des institutions ou organisations, publiques ou privées. Pour trouver les vidéos, nous avons cherché sur Youtube, de novembre 2018 à juin 2019, les mots relatifs à l’environnement et aux menaces environnementales, tels que « écologie », « environnement », « biodiversité », « eau », « problèmes environnementaux », « pollution », « surpopulation », « déforestation », parmi beaucoup d’autres. Nous avons ainsi construit un corpus de 78 vidéos provenant de 59 youtubeurs.

Objectif

16À partir des résultats de l’analyse exploratoire des 44 vidéos (22 françaises et 22 mexicaines), nous proposons ici une typologie descriptive des stratégies discursives des vidéos de Youtube sur l’environnement et ses menaces. Celle-ci peut contribuer à faciliter l’analyse et l’étude du discours environnemental adressé aux jeunes. D’après Didier Demazière (2013 : 233), les typologies permettent d’obtenir une meilleure intelligibilité en réduisant la complexité des phénomènes étudiés : « Toute production de connaissance scientifique, quelle que soit la discipline, s’appuie d’ailleurs sur des classifications et catégories. Et plus généralement, c’est la commune condition humaine que de mobiliser des catégorisations pour construire de la signification, pour l’énoncer, l’argumenter, la faire partager. »

Méthodologie

Analyse des stratégies discursives

17Pour cette analyse, nous partons de la définition de Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau (2002 : 324) : « Une stratégie discursive est l’emploi d’éléments linguistiques et non linguistiques de la part de l’énonciateur pour produire une certaine réaction chez son interlocuteur. » Pour étudier les stratégies discursives présentes dans notre échantillon, nous avons réalisé deux types d’analyse :

1. l'analyse langagière des transcriptions de vidéos (voir tableau 1 en annexe) pour identifier des éléments de l’énonciation ;
2. l'analyse audiovisuelle pour identifier les éléments de la mise en scène (voir tableau 2 en annexe). Même si le plan rapproché sur le buste et le visage reste dominant dans ces vidéos, on trouve plusieurs variations des plans choisis (Celik Combe, 2014). De la même façon, on retrouve des variantes par rapport au décor du lieu de tournage, aux vêtements des locuteurs, à leurs postures, à leur vitesse de discours, à la longueur des scènes, et aux attributs du montage, comme la présence ou l’absence de musique, de générique, etc.

18Il faut signaler que les éléments présents dans les tableaux 1 et 2 (voir en annexe) ont été sélectionnés à partir de l’exploration du corpus, en distinguant les attributs que la plupart des vidéos possédaient en commun (scènes très courtes, plans rapprochés, vêtements décontractés, etc.), ainsi que ceux qui les distinguaient (usage fréquent de mots familiers, utilisation particulière des voix grammaticales, décor du lieu de tournage, etc.). Nous avons également fait appel à plusieurs éléments des analyses langagière et audiovisuelle pour construire les dualités « intime/émouvant versus objectif/impersonnel », et « amuser/captiver le public versus transmettre de l’information de façon compréhensible », expliquées ultérieurement.

19Avant d’introduire la typologie proposée, nous présentons une description générale de l’échantillon. Celle-ci distingue des dualités intéressantes autour de l’ethos construit par les youtubeurs.

Description de l’échantillon

20Nous avons fait une description générale en fonction de certains attributs langagiers et non langagiers qui sont partagés par les vidéos de notre échantillon. Ces vidéos appartiennent à deux genres de chaînes : 1) des chaînes de youtubeurs qui abordent des thèmes précis de diverses disciplines (biologie, écologie, physique, entre autres) de façon régulière ; 2) des chaînes de youtubeurs qui abordent d’autres sujets (mode, voyages, musculation, sujets sensationnels ou même paranormaux) et produisent sporadiquement une vidéo qui traite de la préservation de l’environnement, de façon directe ou marginale.

21Le tableau 3 (voir en annexe) montre les titres des vidéos analysées, ainsi que leur sujet principal, les youtubeurs qui les ont produites, le jour du chargement et le nombre de vues. On peut s’apercevoir que les sujets les plus abordés sont la pollution, la perte de biodiversité et le réchauffement global. Cependant, la plupart des vidéos traitent aussi d’autres sujets (déforestation, surpopulation, pénurie d’eau, problèmes de santé, etc.), même si c’est de façon plus marginale. On peut également remarquer que plus de 80 % des vidéos ont été mises en ligne entre 2017 et 2019, et que l’amplitude du nombre de vues varie entre 4 000 et 12 millions. La grande majorité des vidéos faisant l’objet de plus d’un million de vues sont mexicaines, ce qui peut s’expliquer par le fait que ces vidéos sont regardées par des internautes d’autres pays hispanophones, bien au-delà du Mexique. Il faut également signaler que seulement neuf locutrices sont présentes dans notre échantillon : sept participent à des monologues et deux apparaissent comme les « assistantes » des locuteurs principaux. L’absence de femmes avait déjà été remarquée par N. Martins Flores et Priscila Muniz de Medeiros (2018), dans leur étude sur les stratégies de légitimation des vidéos de vulgarisation brésiliennes.

22La plupart des vidéos sont racontées au présent. Les voix grammaticales apparaissent plus fréquemment dans les vidéos où il y a des locuteurs à l’écran que sur celles narrées en voix off. La plupart de celles-ci les utilisent seulement dans l’introduction et dans la conclusion, pour demander au public d’effectuer les actions que Youtube recommande pour augmenter la visibilité des vidéos (les partager, les liker, s’abonner aux chaînes, mettre en place une alarme pour les notifications, etc.). Quand les voix grammaticales sont utilisées, la plupart du temps, c’est de la façon suivante : « je » concerne l’auteur de la vidéo, « vous » concerne le public (beaucoup plus fréquemment que « tu »), en s’adressant aux interlocuteurs de façon intime ou impersonnelle ; « nous » concerne généralement l’humanité et, moins souvent, les compatriotes du locuteur ou l’ensemble locuteur-public. À cet égard, on voit une généralisation par rapport à la façon d’aborder les sujets. Premièrement, le problème et ses solutions concernent, dans la plupart des vidéos analysées, l’humanité en général ; deuxièmement, même s’il s’agit d’une question locale (la déforestation de l’Amazonie, les impacts de la construction d’un aéroport), il y a, dans la grande majorité des cas, une référence à la planète (par exemple, les impacts sur la planète, prendre soin de la planète) et, finalement, dans une proportion significative de l’échantillon, on observe l’insertion de films et de programmes de télévision américains, ainsi que des mots en anglais (notamment cool), c’est-à-dire des références culturelles globales.

23Dans toutes les vidéos de cet échantillon, on note une utilisation fréquente d’adjectifs subjectifs pour décrire l’environnement, ses menaces et les actions écologiques, tels que « sympa », « cool », « dramatique », « catastrophique », « importante », « intéressante », « énorme », ainsi que des adverbes qui expriment les degrés d’intensité, comme « extrêmement », « vraiment », « complètement », « simplement », « forcément ». En outre, la plupart des vidéos utilisent l’humour, de façon régulière ou sporadique. L’humour est présent à travers les blagues des locuteurs, les dialogues des personnages ou les insertions de films ou de programmes de télévision.

24Une caractéristique de notre échantillon qui attire l’attention, notamment dans les vidéos françaises, est la vitesse d’élocution, laquelle est de 246 mots par minute, en moyenne. Une étude menée par Colas Rist (1999) a montré que l’on pouvait observer les vitesses d’élocution suivantes parmi divers types d’orateurs français : les orateurs institutionnels : 85 à 120 ; les experts parlant dans les journaux télévisés : 175 à 200 ; et les présentateurs de ces journaux : 200. Les locuteurs des vidéos mexicaines analysées parlent, eux, à un rythme moyen de 174 mots par minute, similaire à celui des présentateurs des journaux. Étant donné que, dans ces vidéos, les locuteurs donnent souvent des explications sur des questions scientifiques, on pourrait s’attendre à une vitesse d’élocution modérée. Comme le signale C. Rist (1999 : 73), « l’auditeur suit d’ailleurs plus aisément à 170 m/min qu’à 200. Cependant, paradoxalement, à 170 m/min, il risque de décrocher plus vite ». Autrement dit, les locuteurs français dans les vidéos de notre échantillon semblent privilégier l’attraction sur la compréhension.

25À propos de l’usage de substantifs, les vidéos dans lesquelles les locuteurs n’apparaissent pas à l’écran sont celles où nous avons identifié une fréquence supérieure de ces unités lexicales : dans 93 % de ces vidéos, le pourcentage de substantifs par rapport à la totalité de mots varie entre 20 et 30 %, tandis que dans 81 % des vidéos dans lesquelles les locuteurs apparaissent à l’écran, le pourcentage de substantifs par rapport à la totalité des mots varie entre 10 et 19 %. Jean-Marc Dewaele (2001 : 193) explique l’usage fréquent de substantifs de la façon suivante : « Si toutefois le locuteur craint, pour une raison probablement inconsciente, que son intention communicationnelle soit mal inférée, il optera pour un style plus explicite et plus lourd. » Il est envisageable que le fait de ne pas apparaître sur l’écran, et en conséquence de ne pas s’exprimer avec des gestes et expressions du visage, favorise la crainte des locuteurs d’être mal compris et donne comme résultat un discours contenant plus de substantifs. En outre, on a identifié un usage fréquent de phrases culpabilisantes dans le discours des locuteurs, telles que : « Nous, les êtres humains […], avons produit d’énormes dégâts sur la planète que nous habitons, et personne n’est irréprochable » ; « En réalité la faute vient de nous. »

26La plupart des vidéos finissent par un appel à l’action, à travers des suggestions spécifiques ou générales (par exemple : « Protéger l’environnement est la responsabilité de tous »). Dans les cas de suggestions spécifiques, il s’agit notamment de suggestions pour la vie quotidienne, en tant que consommateurs. L’appel peut être direct, s’adressant au public à travers la deuxième personne grammaticale, ou bien le sujet parlant utilise la première personne du pluriel, peut-être pour donner un effet de co-responsabilité.

28Les caractéristiques antérieures donnent une dualité de l’ethos dans, au moins, deux domaines. D’un côté, la dualité intime/émouvant versus objectif/distant, et de l’autre, la dualité amuser/captiver le public versus transmettre l’information de façon compréhensible.

Dualité intime/émouvant versus objectif/impersonnel

29Dans la plupart de ces vidéos, on voit la personne proche, détendue, engageante, s’adresse au public et s’exprime avec beaucoup d’adjectifs, de mots familiers et de phrases qui commencent par : « Je pense », « Je crois ». Ce sont des personnes que l’on regarde de près (plan rapproché) ou de très près (gros plan). Il y a aussi des sourires, des gestes d’inquiétude des locuteurs ou des images d’animaux qui pourraient émouvoir le public (un rhinocéros en train de mourir, un phoque en train d’être battu). À l’opposé, dans une partie importante de l’échantillon, le texte est narré en voix off, parfois même avec la voix d’un robot, ou bien, si les locuteurs apparaissent à l’écran, ils s’expriment de manière impersonnelle pour transmettre l’information, en utilisant principalement un langage soutenu. En outre, beaucoup de locuteurs présentent des chiffres, des pourcentages, et ils interviewent ou citent des experts, ce qui pourrait donner une impression d’« objectivité ».

Amuser/captiver le public versus transmettre de l’information de façon compréhensible

30La courte durée des scènes, l’usage très fréquent de jump-cuts dans le montage et la rapidité d’élocution contribuent à captiver le public. Ce désir de rapidité se retrouve également dans l’usage fréquent d’adverbes d’intensité (Mayaffre, 2012). En comparaison, on peut observer le désir de transmettre l’information de façon compréhensible à travers l’insertion de textes et de graphiques sur l’écran, à travers la définition de concepts, l’utilisation de la formule question-réponse, ainsi que via le fréquent usage de substantifs. D’après J.-M. Dewaele (2001), « si un locuteur craint que son intention communicationnelle soit mal inférée, il optera pour un style plus explicite et plus lourd ».

Pour une typologie des vidéos analysées

31À partir de l’analyse intégrale des éléments langagiers et non langagiers, et en prenant compte des dualités signalées, nous avons construit une typologie des stratégies discursives des vidéos portant sur l’environnement et ses menaces (voir tableau 4 en annexe). Il s’agit de six stratégies, auxquelles nous avons donné des noms particuliers. Le type « documentaire » a été également identifié par J. Munoz Morcillo et al. (2016) et le type « professeur » par N. Martins Flores et P. Muniz de Medeiros (2018) dans leurs analyses des vidéos de vulgarisation scientifique. Le tableau 5 (voir en annexe) présente les attributs principaux qui caractérisent chaque type.

32Il convient de faire deux clarifications à propos des éléments du tableau 5. Premièrement, « Protagonisme » concerne la fréquence d’utilisation de la première personne (par exemple : « Je suis super contente de vous retrouver » ou « grâce à mon lien », « la référence de ma brosse à dents ») et « Diversité d’éléments visuels de post-production » concerne le nombre de types différents d’éléments visuels (photographies, extraits de films, animations, dessins, images de satellite).

Le professeur

33Les vidéos de cette catégorie sont les plus nombreuses dans notre échantillon. Dans les vidéos du type « Professeur », la stratégie mobilisée vise à instruire le public et parfois aussi à le convaincre au sujet des menaces à l’environnement, à travers des définitions et des explications.

34Comme le montre le tableau 5, plusieurs outils peuvent contribuer à la compréhension des vidéos. Il en est ainsi des équivalences (« On parle de plus de 44 000 hectares, soit 55 000 terrains de football »), des questions-réponses (par exemple : « Et est-ce qu’on plante encore de bonnes choses à la place de la forêt ? Eh bien, en Amazonie, par exemple, on plante beaucoup, beaucoup de soja »), des comparaisons (par exemple : « Ça serait plus pénible que le livre de poésie de Dulce Maria »), et des exemples (par exemple : « Regarde les Mayas : si tu vas visiter les ruines de Tulum, tu vas voir vraiment une civilisation incroyable »). En outre, les locuteurs utilisent une importante diversité d’éléments visuels pour se faire comprendre, tels que des images de satellite, des animations, des graphiques et des tableaux.

35On observe également une intention d’objectivité : les locuteurs utilisent souvent des chiffres, des dates, des avis d’expert ou d’organisations renommées, ainsi que des formules comme « en réalité… », « et le problème, c’est… », « la réponse est… ». La dimension pédagogique est attestée par des tournuresde phrases particulières : « il faut savoir », « pour que tu comprennes », « je vais vous expliquer », « il est donc temps de faire un point sur le sujet pour savoir où on en est ». On pourrait lier ce discours au modèle d’instruction publique (Callon, 1999), selon lequel le public ne participe pas à la création des connaissances, et dans lequel la transmission de l’information reste unilatérale.

36Un autre attribut en lien avec la dualité intime/émouvant versus objectif/distant, concerne l’usage des mots familiers : la grande majorité de cette catégorie de vidéos les utilise rarement. L’usage de ces mots stimule les conversations spontanées, contribue à réduire les distances sociales, crée l’illusion de l’intimité (Pereira et al., 2018). En revanche, nous avons trouvé l’intention d’intimité dans le type Professeur à travers le décor : si le lieu de tournage se veut parfois la preuve de l’expertise du locuteur, en montrant des affiches avec des contenus scientifiques (schémas, illustrations d’espèces animales ou végétales, etc.), ou bien des livres, dans la plupart de ces vidéos, le décor n’a aucun rapport avec le « discours d’expert ». Il s’agit plutôt d’un décor très personnel. On peut, par exemple, observer des skates, des portraits au fusain, une lampe, une fenêtre, une guitare, ainsi que des éléments du décor geek ou de la culture pop, ce qui est probablement dû au désir de se présenter comme un personnage décontracté, proche du public.

Pour ou contre

37Dans les vidéos de ce type, la stratégie consiste à donner des arguments pour ou contre, pour convaincre qu’un projet ou une action menacent l’environnement, en se positionnant clairement à cet égard. La différence entre le type « Professeur » et celui « Pour ou contre » est que dans ce dernier, les locuteurs évoquent les arguments contraires aux leurs, ou au moins, parlent des porteurs de ces arguments. Pour discréditer les arguments opposés, ils attaquent les arguments (« Même le plus climato-sceptique des climato-sceptiques est obligé de reconnaître que c’est vraiment ça qui est en train de se passer »), ou se moquent des arguments ou des personnes qui les appuient (« La mine se dit respectueuse de l’environnement. C’est mignon, mais il s’agit quand même de déforester 1 500 hectares », « La communauté scientifique est excellente pour avoir tort et pour ridiculiser les gens qui ne sont pas d’accord avec eux »). On peut comprendre cette stratégie comme une façon de questionner la légitimité de l’opposant (Charaudeau, 2007).

38Une autre différence par rapport au type « Professeur » est que la plupart des locuteurs des vidéos « Pour ou contre » s’expriment avec des phrases de « subjectivité », comme « je pense », « je crois », en plus de phrases « d’objectivité ». Dans toutes les vidéos de l’échantillon qui appartiennent à ce type, les locuteurs apparaissent à l’écran. Cela peut être dû au fait que, pour persuader les spectateurs de se rallier à leur position, les locuteurs essaient de renforcer leur confiance en montrant leur visage. Par rapport à la localisation du tournage, il s’agit toujours de lieux en intérieur (chambre, studio d’enregistrement), ce qui pourrait aider l’interlocuteur à se focaliser sur le sujet abordé, sans distractions accidentelles.

Documentaire

39Ces vidéos informent en montrant en direct les sujets abordés. Ils sont présentés dans un format proche du documentaire, en entreprenant un « voyage » (même si c’est dans la ville où le locuteur habite), avec des phrases pour motiver le public (« Ça va être assez cool et on va également faire de la plongée en lagon pour voir de nos propres yeux les coraux », « Accompagnez-moi, ça va être très très bien », « L’histoire est vraiment fascinante ») et pour lui faire part de l’expérience (« C’est ça, mes amies, on va voyager au nord de Mexico », « Je vous emmène bientôt avec moi pour d’autres projets »).

40Par rapport à la mise en scène, les locuteurs portent des vêtements décontractés, appropriés au voyage. Ils montrent leur moyen de transport (voiture, avion, bateau), ainsi que des extraits de leurs parcours filmés de l’intérieur de celui-ci. La plupart des scènes ont lieu en extérieur, que ce soit dans des endroits naturels, dans de petits villages, dans des rues de villes, etc. En outre, il y a des scènes où les locuteurs parlent en marchant, sans doute pour donner une impression de mouvement, de dynamisme. Par rapport aux éléments visuels pour se faire comprendre, ils peuvent les utiliser ou non, et le cas échéant, ce sont souvent des objets filmés pendant le tournage (dessins, par exemple) et non ajoutés dans la post-production.

Appel à l’action

41La stratégie propre à ces vidéos est de motiver l’action écologique à travers des astuces, des challenges, ou même de la provocation (: « Je crois que toi et moi nous sommes des imbéciles et que nous sommes en train de tuer la planète »). Les locuteurs utilisent fréquemment l’impératif ou des phrases comme « il faut que tu », « tu dois », ou bien un mélange de l’impératif avec des formules de politesse (« Si jamais vous avez envie de faire quelque chose pour l’environnement », « Pensez à »). Les locuteurs se présentent comme un exemple à suivre, en signalant leurs actions personnelles ou en montrant les dispositifs respectueux de l’environnement qu’ils utilisent pour leur propre compte. En conséquence, on rencontre un usage fréquent de la personne grammaticale « je ». De la même façon, les sujets parlants s’adressent au public à travers la deuxième personne du pluriel ou du singulier.

42La plupart des adjectifs subjectifs utilisés sont positifs (« hyper pratiques », « responsable », « honnête » « meilleure »). Dans la majorité des vidéos, on trouve les mots « facile », « simple », « important », par rapport aux actions recommandées en faveur de la planète. On observe également des adjectifs subjectifs qui expriment les sentiments positifs des locuteurs (surtout des locutrices) : « super contente », « enthousiaste », etc., ainsi qu’une fréquente utilisation de mots familiers, des mots en anglais : « cool », « green », « wow », « when », « too much ».

Humour

43La stratégie est de divertir l’audience en faisant appel à l’humour. Dans ces vidéos, les youtubeurs incarnent souvent des personnages ; ils utilisent des mots familiers et/ou vulgaires de façon régulière. L’environnement est utilisé comme excuse pour faire rire le public et les sujets sont traités de manière générale. Néanmoins, il faut signaler que, même si l’intention est de faire rire le public, les principaux problèmes environnementaux sont mentionnés dans ces vidéos, tels que le réchauffement climatique, la pollution, la gestion des déchets, la surconsommation d’électricité. En outre, comme Patricia Dias Da Silva et José Luis Garcia (2012) le signalent, en jouant avec les significations, l’humour défie nos croyances. Même dans les vidéos dans lesquelles le seul objectif semble être d’amuser, les locuteurs cherchent une réponse particulière et c’est pour cela qu’ils utilisent des stratégies discursives (Berlanga et al., 2013).

44Dans les vidéos « Divertissement » analysées, nous avons trouvé des questionnements, par exemple, sur la faisabilité de certaines actions proposées par les écologistes, ou sur l’inefficacité du gouvernement (« Aucune voiture rouge ne pourra circuler » signale le personnage du président mexicain en essayant de réduire la pollution de l’air), le manque de participation des citoyens (un personnage refuse de ramasser les déchets de son chien). De même, la conclusion d’une vidéo mexicaine est : « C’est-à-dire que l’environnement est foutu parce qu’il n’y a pas de bonnes propositions. »

Listings

45Les vidéos de ce type informent procédant à une description des éléments appartenant à une liste. Il s’agit de vidéos ayant des titres qui comprennent des nombres et sont structurées selon ces listes. On peut évoquer : « Top 5 des sites les plus pollués du monde », « 8 animaux qui vont disparaître » ou « 7 animaux qui détruisent la Terre ». Généralement, ces vidéos ont une introduction, après laquelle le locuteur décrit chacun des éléments de la liste. Selon plusieurs sites web de conseils pour Youtube, inclure des nombres dans les titres aide à apporter de la clarté au public sur ce qu’il va voir dans la vidéo et sur ce qu’il peut en attendre. Il est possible que l’utilisation des listes contribue aussi à augmenter la durée de visionnage des vidéos, un des attributs prioritaires pour l’algorithme de Youtube (Viet, 2016.).

46Dans toutes les vidéos du type « Listings », il y a une dramatisation du discours au travers d’images choquantes, comme celles de visages d’animaux malades ou morts (phoques, tigres, rhinocéros), de chasseurs en train de tuer des pingouins à coups de pelle, ou même, dans une vidéo le dessin d’un axolotl en train de pleurer, avec un panneau qui précise : « Ne me tue pas », et dans une autre, un emoji d’un visage qui pleure. En outre, les locuteurs utilisent des mots alarmistes comme « cancérogène », « extrêmement dangereux » ou des phrases dramatiques : « Son visage reflétait une souffrance et une tristesse qui ne peut pas être décrite avec des mots » ou : « Un véritable génocide d’abeilles. » Au contraire, la grande majorité des vidéos que nous avons baptisées « Listings » sont narrées en voix off. Il y a même une vidéo animée par la voix d’un robot. Ainsi la voix-off est-elle « la voix acousmatique, non individualisée, non visualisée, y est à son plus pur état, désincorporée […]. Cette voix d’ombre qui dit un texte, plus qu’elle ne parle avec un corps » (Bourdon, 1997 : 70). S’ils se présentent à l’écran, les locuteurs s’expriment de manière impersonnelle pour transmettre l’information, en utilisant principalement le langage soutenu. En outre, beaucoup de locuteurs présentent des chiffres et des dates, ce qui contribue à donner une impression d’objectivité.

Le porte-parole

47La stratégie des « Porte-parole » consiste à faire connaître des rapports ou des événements d’institutions très connues, tels que l’Organisation des Nations unies, ou Greenpeace. Dans ces vidéos, on trouve beaucoup de termes techniques avec une participation restreinte des mots propres du locuteur. Celui-ci n’apparaît pas à l’écran, mais on l’écoute en voix off. En conséquence, ces vidéos sont parmi celles qui utilisent le plus les substantifs. Le fait de ne pas apparaître à l’écran favorise la rareté de mots propres au locuteur, étant donné qu’il n’est pas obligé d’improviser ni de mémoriser son texte, car on ne le regarde pas. Il peut également lire les documents qu’il présente. Cette observation s’appuie également sur l’étude de J.-M. Dewaele (2001), qui a montré que l’utilisation fréquente de substantifs est liée au langage écrit. Enfin, dans ces vidéos, les personnes grammaticales sont presque toujours absentes. Le locuteur utilise la première personne du singulier et la deuxième du pluriel uniquement pour la conclusion de la vidéo pour solliciter des commentaires et/ou des likes (aspects requis par l’algorithme de Youtube).

Dénonciation

48Ces vidéos visent à dénoncer des problèmes environnementaux spécifiques, géographiquement situés. Étant donné la fréquence de sujets liés à l’environnement dans les médias, nous avions supposé que nous trouverions plusieurs vidéos de ce type sur Youtube. Néanmoins, nous n’en avons rencontré que deux qui appartiennent à une seule chaîne mexicaine comportant plus de 42 millions d’abonnés. En ce qui concerne l’intention d’intimité, les locuteurs utilisent des mots familiers, et s’adressent souvent au public. En outre, ils parlent du gouvernement comme de l’ennemi (les titres eux-mêmes sont éloquents à cet égard). Les locuteurs mentionnent les noms des fonctionnaires gouvernementaux responsables selon eux du problème et dénoncent leur inaction en les tutoyant. Les stratégies discursives identifiées s’appliquent aussi bien aux vidéos mexicaines qu’aux françaises, à exception des stratégies « Porte-parole » et « Dénonciation », lesquelles comprennent uniquement des vidéos mexicaines.

Conclusion

49Les sujets les plus abordés par les vidéos de Youtube de l'échantillon sont la pollution, la perte de biodiversité et le réchauffement climatique. Dans la grande majorité des vidéos analysées, ces sujets sont abordés en utilisant le temps présent, ainsi qu’une fréquence élevée d’adjectifs et d’adverbes qualificatifs, et avec un ton culpabilisant. Il y a de nombreuses campagnes de communication qui suscitent la culpabilité en essayant de réorienter les comportements pour atteindre des objectifs écologiques (Chédotal et al., 2017). Néanmoins, quel que soit leur niveau de réussite, il convient de prendre en compte des considérations éthiques à l’égard de la culpabilisation des individus (Gutman et Salmon, 2004), étant donné ses effets potentiels sur leur santé mentale (Basil et al., 2006).

50La plupart des appels à l’action des vidéos correspondent aux suggestions en tant que consommateurs. Cela conduit à réfléchir à ce que Jean-Baptiste Comby (2017 : 8) appelle, dans le cas de la lutte contre les climato-sceptiques, « un raisonnement cardinal de l’idéologie néolibérale » : en mobilisant l’argument selon lequel il faudrait sensibiliser les individus pour créer une conscience, au lieu de rapporter les problèmes à l’organisation sociale au sein de laquelle ils évoluent (le système capitaliste), les médias rapportent les causes du réchauffement globale au quotidien des individus. « La bataille contre les climato-sceptiques est louable, à la grosse nuance près qu’elle est motivée par la conviction conservatrice selon laquelle on ne pourra pas changer le système si on n’a pas d’abord changé les individus » (ibid.).

51Dans la grande majorité des vidéos analysées, on a par ailleurs constaté des dualités entre des caractéristiques qui pourraient contribuer à la visibilité des vidéos, telles que l’objectivité, l’intimité, l’émotion, la distance avec les interlocuteurs, la compréhension et le divertissement. On a aussi constaté qu’il existait une relation entre la présence/absence du locuteur à l’écran et les mots utilisés.

52Enfin, sachant que nous proposons une typologie des stratégies discursives des vidéos sur Youtube autour de l’environnement, pour contribuer à la compréhension de la signification que la société, et notamment les locuteurs, donne à ces sujets, on peut avancer que les stratégies discursives portent sur les intentions d’informer sur des menaces particulières liées à l’environnement, de convaincre les interlocuteurs de se positionner à cet égard, de les motiver à l’action, de dénoncer un problème spécifique environnemental, ou d’amuser le public à partir des thématiques environnementales. Comme indiqué précédemment, le type « Documentaire » avait déjà été identifié par J. Munoz Morcillo et al. (2016) et le type « Professeur » par N. Martins Flores et P. Muniz de Medeiros (2018). Le décalage entre leurs autres catégories et les nôtres peut partiellement s’expliquer par le fait que ces auteurs ont analysé uniquement des vidéos de vulgarisation scientifique. Si notre échantillon comprend des vidéos de vulgarisation scientifique, il en comporte d'autres qui abordent des sujets environnementaux avec une approche non scientifique (par exemple, les vidéos « Divertissement » et « Appel à l’action »). Par rapport au cas spécifique de J. Munoz Morcillo et al. (2016), notre différence essentielle est d'ordre typologique. Alors que J. Munoz Morcillo et al. ont construit une typologie pour chacun des attributs identifiés, tels que la mise en scène, les stratégies narratives, les effets de post-production, etc., nous avons établi une seule typologie comprenant plusieurs attributs langagiers et non langagiers.

53La rareté des vidéos « Dénonciation » pourrait s’expliquer par le fait que les problèmes environnementaux dénoncés sont de courte durée et/ou géographiquement situés. En conséquence, il nous semble que seule une chaîne ayant un public important pourrait se permettre de produire ce genre de vidéos. Autrement dit, nous supposons que, pour augmenter la visibilité d’une vidéo, les youtubeurs préfèrent généralement aborder des sujets qui restent valides plus de temps et qui peuvent intéresser un public large, souvent de divers pays (des pays hispanophones, dans le cas de vidéos mexicaines, et francophones pour les vidéos françaises).

54La protection de l’environnement est devenue un des problèmes prioritaires pour l’humanité. À des fins purement académiques, ou même pour essayer de sensibiliser la société sur certains sujets environnementaux, l’étude de discours environnementaux peut contribuer à comprendre la perception sociale dans ce domaine. Un corpus plus large permettra dans un futur proche de consolider notre typologie et peut-être d’ajouter d’autres types. Dans tous les cas, cette étude souhaiterait représenter un pas vers une meilleure intelligibilité du discours environnemental.