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Dossier. Mise en (in)visibilité des groupes professionnels

Champs et hors-champs de l’actualité professionnelle

Les agriculteurs dans leur presse
Meadows and Fallows in the Professional Information field. Farmers in their press
Ivan Chupin et Pierre Mayance
p. 55-78

Résumés

Français English

La presse professionnelle est une presse qui a longtemps été délaissée dans les analyses. Pourtant, elle constitue un lieu central de définition et de reproduction des groupes professionnels. Cet article vise à investiguer les mécanismes de mise en (in)visibilisation dans cette presse professionnelle agricole qui a joué un rôle majeur dans l’accompagnement du déclin très important d’une profession. L’actualité est principalement d’ordre technique, en ce sens qu’elle se focalise sur les pratiques professionnelles. Elle découle d’un dispositif de fabrication dans lequel le journaliste se voit intégré à des organisations professionnelles agricoles. Ce dernier dépend d’intermédiaires pour recueillir la parole des agriculteurs. Or, cette survalorisation de la technique s’appuie sur une exemplification de la réussite (et donc en creux de l’échec) des figures de gagnants du monde agricole, sous la forme de portraits. Ainsi cette presse n’échappe-t-elle pas au néolibéralisme dans le sens qu’elle véhicule la représentation suivante : si l’agriculteur fait les bons choix techniques, il peut s’en sortir individuellement malgré les crises. Cette représentation d’un agriculteur technicien tend à exclure des angles de traitement médiatique plus sociaux : les suicides, les maladies professionnelles liées aux pesticides, la question de l’homosexualité sont ainsi largement invisibilisés.

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Texte intégral

  • 1 L’agriculteur peut être rangé du côté du peuple, représentant typique du gouverné (Darras, 1994), (...)
  • 2 Concernant cette question d’investissement dans les médias ainsi que la place de l’agriculture dan (...)

1Dans les médias généralistes, on peut constater l’irruption, parfois quotidienne, de certains groupes professionnels. Cette mise en visibilité est loin d’être égale pour toutes les professions. Les agriculteurs font régulièrement l’objet et sont parfois les sujets de reportages. Ces figures sont plurielles, du petit paysan au grand céréalier, du berger montagnard aux nouveaux installés en agriculture biodynamique1. Des représentants professionnels peuvent chercher à investir les médias afin d’exercer un rôle de porte-parolat2, notamment auprès de la presse quotidienne régionale, pour donner du sens à leurs mobilisations (Duclos, 1998 ; Neveu, 2002). Mais ces figures professionnelles leur échappent aussi en partie (Maresca, 1983 ; Champagne, 1984). Dans la presse généraliste, certains travaux ont déjà pointé le développement de spécialités journalistiques ajustées à des publics précis (Neveu, 2001 ; Marchetti, 2002). Ainsi produisent-elles des prismes particuliers via lesquels les journalistes perçoivent le réel et donnent à voir les professions. Historiquement, la presse professionnelle a pourtant bien souvent précédé ces rubriques sans donner lieu à des analyses scientifiques. Notre propos est de travailler sur cette presse délaissée. Cet article vise à investiguer les mécanismes de mise en (in)visibilisation de l’information dans la presse professionnelle agricole et d’aborder son rôle dans la construction du métier.

  • 3 Cette presse professionnelle se développe dans un milieu dominé par les agriculteurs, profession i (...)

2Cette presse, comme sa qualification le laisse penser, est à destination des professionnels, c’est-à-dire ici des agriculteurs3, mais aussi d’autres métiers de ces mondes de l’agriculture et de l’agroalimentaire (encadrement agricole, entreprises en amont et en aval, etc.). C’est donc un public de professionnels qui constitue une caractéristique de son fonctionnement. Contrairement à la presse généraliste, les publics sont fortement immergés dans l’actualité produite. Ils peuvent jauger l’information à l’aune de leurs pratiques et de l’exercice quotidien de leur métier.

  • 4 On ne peut malheureusement pas s’appuyer sur d’autres travaux sur la presse professionnelle. On po (...)

3Elle constitue une presse de l’entre-soi que l’on pourrait même, sous certains aspects, qualifier de communautaire (Chupin et Mayance, 2014), dont l’enjeu n’est pas la communication externe vers le grand public, mais bien une communication interne. Elle participe à la définition et la réaffirmation de l’identité professionnelle4, dans un contexte de constante diminution du nombre d’agriculteurs et d’exploitations. Alors qu’on peut avoir tendance à trop unifier cette profession ou au contraire opposer binairement le paysan à l’agriculteur, les groupes sociaux qui la constituent sont très divers (Bessière et al., 2014), tant d’un point de vue financier (taille de l’exploitation, chiffre d’affaires et revenus) qu’économique (diversité des filières de production, organisation des marchés et impact sur le travail et les dépendances économiques vis-à-vis des fournisseurs et des acheteurs). Les tensions sont fortes du fait de très nombreux intérêts contradictoires entre groupes (par exemple, l’opposition entre céréaliers et éleveurs). Certains titres nationaux et départementaux ont vocation à s’adresser à l’ensemble des agriculteurs et cherchent un discours équilibré si ce n’est unitaire, quand d’autres titres, notamment des mensuels, s’adressent à des productions (lait, grandes cultures, etc.) et à leurs intérêts spécifiques.

4En tant qu’institutions, les titres de presse agricole ont participé à la structuration du secteur à côté d’autres organisations professionnelles agricoles (OPA) et des pouvoirs publics depuis la IIIe République. D’un point de vue politique, la question de l’unité professionnelle reste depuis l’après-guerre un enjeu central pour les acteurs. Dans sa forme politique, elle s’incarne dans un mythe de l’unité syndicale (Hubscher et Lagrave, 1993) qui profite au tandem JA/FNSEA (Jeunes agriculteurs/Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Elle légitime par ailleurs la cogestion installée entre les représentants syndicaux et les pouvoirs publics (Muller, 1984). Pour les journalistes, il s’agit donc d’expliquer aux uns et aux autres les contraintes du métier afin de créer de la compréhension au sein et entre les groupes professionnels.

  • 5 Nous nous sommes référés au nombre de titres adhérents au Syndicat national de la presse agricole (...)
  • 6 Aux dernières élections professionnelles de 2019, les résultats sont les suivants dans le collège (...)

5Dans le cas de la presse agricole, celle-ci a joué un rôle majeur dans l’accompagnement du déclin très important d’une profession. Alors que la diminution du nombre d’agriculteurs est allée de pair avec la concentration des exploitations agricoles, des moyens et des ressources, il reste encore plus de 130 titres5. Elle demeure depuis la fin du xixe siècle un acteur majeur du secteur. Elle comportait jusque dans les années 1970 des titres à grand tirage avec des orientations politiques assumées (mouvement catholique, journaux communistes, etc.). Aujourd’hui, c’est davantage un traitement uniformisé qui passe pour apolitique qui s’est imposé. On peut distinguer une diversité de titres : des titres nationaux à visée généraliste (La France agricole) ou des mensuels plus techniques spécialisés sur des productions (L’Éleveur laitier, La Chèvre), ainsi qu’une presse départementale principalement hebdomadaire (L’Agriculteur normand, Terre de Touraine) appartenant principalement aux FDSEA locales, qui gagnent la plupart des élections aux chambres consulaires6.

  • 7 Du côté du syndicalisme majoritaire (FNSEA et JA), on assiste à des velléités de réorientation du (...)
  • 8 Les questions techniques sont largement évoquées comme dans le cas de Campagnes Solidaires, car el (...)
  • 9 Pour un cas atypique, voir le journal SymBIOse, le mensuel de la Frab (Fédération régionale des ag (...)

6Des titres strictement syndicaux existent, mais constituent une minorité et recueillent un faible lectorat : L’Information agricole de la FNSEA, JA Mag des JA7, 100 % agriculteurs de la Coordination rurale, Campagnes solidaires de la Confédération paysanne8 et enfin L’Exploitant familial du Modef. On peut souligner l’existence de titres plus confidentiels associés à la « gauche paysanne » qui parlent peu de l’agriculteur comme un professionnel, mais plutôt comme un acteur de la ruralité (Transrural initiatives. La revue des territoires ruraux). Les sujets sociétaux et de développement des territoires y sont davantage abordés. Quant à la presse spécialisée uniquement sur l’agriculture biologique, elle est très peu développée9.

  • 10 Sofiproteol est une société de financement d’investissement qui appartient à Avril, un groupe agro (...)
  • 11 Le groupe informatique Isagri, surnommé le « Microsoft de l’agriculture », détient le site interne (...)

7Malgré un effondrement du lectorat, cette presse a réussi à maintenir une forte rentabilité au profit des propriétaires et actionnaires. Ces groupes de presse ont fait parfois l’objet de rachats par des fonds d’investissements, même si la profession agricole cherche à conserver l’actionnariat dans le secteur (Chupin et Mayance, 2013b). Le syndicalisme majoritaire a pu reprendre coup sur coup, via Sofiproteol10 ou de manière plus directe, La France agricole et Agra Presse qui sont deux joyaux du secteur. Ces deux fleurons s’ajoutent à la cinquantaine de titres déjà détenus par le groupe Réussir, fondé en 1986, qui est une émanation de la FNSEA. Nous avons donc davantage constaté un resserrement des titres autour du syndicalisme majoritaire. D’autres acteurs sont présents mais appartiennent aussi au secteur agricole11. Au-delà du relai d’influence, la presse est avant tout une activité rentable pour les actionnaires. La presse agricole locale est un enjeu pour les syndicats départementaux, non pas tant en matière de contrôle de la prise de parole que des ressources financières qu’elle dégage (Hobeika, 2016). Cette rentabilité s’appuie à la fois sur des abonnements et des ressources publicitaires nombreuses et variées. Le lectorat professionnel y trouve son compte non seulement par l’aide qu’elle apporte aux décisions stratégiques en termes d’orientations technique et économique de l’exploitation, mais aussi avec le prix peu élevé des abonnements.

  • 12 La vente directe, la diversification par les gîtes, la réduction des intrants, le choix du bon deg (...)

8Quelle est l’actualité dans cette presse professionnelle ? On peut déjà souligner qu’elle est principalement technique et qu’elle diffère fortement de l’actualité généraliste (Hubé, 2008). Comme nous l’avons déjà précisé, elle suit une logique relativement autonome. Cette presse expose principalement les gagnants, certaines pratiques et des modèles d’excellence professionnelle. Alors qu’on pourrait penser qu’elle est une presse du productivisme, elle constitue avant tout, selon nous, une presse de la rentabilité12. Ainsi tend-elle à survaloriser certaines figures modernisatrices de l’agriculteur. Néanmoins, certains sujets et professionnels sont au mieux invisibilisés, sinon totalement absents, de leurs colonnes. C’est le cas notamment pour les agricultrices et, plus largement, des femmes dans cette presse (Albert, 1987 ; Comer, 2016).

9L’article vise donc à rendre compte des raisons de cette (in)visibilisation, en s’intéressant à la structure et aux conditions de production de cette information. Les journalistes doivent composer avec un impératif d’unité de la profession qui se matérialise au travers d’une figure d’une exploitation agricole moyenne. Si cette presse est plurielle dans ses formes, elle a une forte unité dans son contenu. Elle promeut une actualité positive, elle donne des solutions pour s’en sortir économiquement et passe sous silence celles et ceux qui échouent.

Méthodologie

  • 13 Aujourd’hui, ces deux titres ont fusionné au sein du titre Terres et Territoires.
  • 14 Les titres nationaux sont principalement axés sur des filières particulières (lait, céréales, etc. (...)

10Les analyses se fondent sur une enquête de plus de dix ans sur la presse professionnelle agricole, mobilisant archives, observations et plus d’une soixantaine d’entretiens avec des journalistes, communicants et représentants syndicaux. Nous travaillons sur le champ du journalisme agricole. L’enquête de terrain a débuté à Lille en février 2006 où nous avons interrogé plusieurs journalistes agricoles (Horizons Nord-Pas de Calais, Le Syndicat agricole13). Puis nous avons réalisé en 2009 un terrain à Paris (La France agricole, La Terre) puis un autre en Bretagne autour des principaux journaux (Terra, Paysan Breton, Éditions du Boisbaudry). En juillet 2010, nous sommes allés à l’agence de presse Actu Agri, au Betteravier français, chez Campagnes solidaires et Réussir Grandes cultures. En 2012, nous avons rencontré des journalistes et des cadres de l’agence Agra Presse, de L’Information agricole, de JA Mag ainsi que les directeurs commerciaux des régies publicitaires Réussir et Top Agri. En 2017, nous avons interrogé la Coordination rurale et le Modef pour compléter les titres syndicaux. Nous avons également pu nous procurer les archives de l’AFJA (Association française des journalistes agricoles) et travailler sur leurs annuaires. En parallèle de cette analyse des conditions de production, nous avons réalisé une base de données portant sur les unes et les dossiers du journal La France agricole sur les années 2010, 2015 et 2020 afin d’étudier les transformations de l’actualité. Le choix de ce titre se justifie par le caractère central de ce journal qui est à la fois un journal national et généraliste14, tiré à 100 000 exemplaires par semaine.

La mise en actualité des pratiques professionnelles exemplaires

Une actualité agricole technique avant tout

11On dénombre une très grande diversité de titres : des titres nationaux, des mensuels spécialisés sur des productions ainsi qu’une presse régionale et départementale (pour le détail, voir tableau ci-dessous).

Périodicité Presse agricole régionale/ départementale Presse agricole nationale Total général
Bi-hebdomadaire 1   1
Bimensuel 7 2 9
Bimestriel 2 9 11
Hebdomadaire 60 7 67
Mensuel 9 29 38
Trimestriel   2 2
Web   3 3
Total général 79 52 131
  • 15 L’actualité reste rythmée par le quotidien des agriculteurs, même si certains événements particuli (...)
  • 16 Loin de constituer un cas automatique de précarité, ces pigistes peuvent vivre de leur métier en t (...)

12Quelle actualité trouve-t-on dans cette presse professionnelle ? Comme son nom l’indique, cette presse s’adresse à un lectorat qui appartient à des mondes professionnels. L’actualité suit en partie un cycle annuel car elle se cale sur le processus de production agricole et sa saisonnalité15. La majorité de l’information porte sur les pratiques professionnelles des agriculteurs. Quelles sont les techniques à employer ? Quelles machines utiliser ? Quelles productions privilégier ? etc. Ces solutions techniques ont une dimension économique. Une autre partie traite de l’actualité des acteurs institutionnels (syndicats, coopératives, etc.) tant au niveau local, notamment pour la presse départementale hebdomadaire, qu’à l’échelle nationale et des réformes gouvernementales et européennes. Deux agences de presse dominent le secteur, Actu Agri lié à la FNSEA qui fournit des papiers pour la plupart des titres départementaux, et Agra Presse qu’on peut qualifier de « l’AFP du secteur ». Pour le reste, les titres s’appuient sur des journalistes salariés et des pigistes16.

  • 17 D’autres titres portent sur des productions bien particulières sous la forme de mensuels : sur le (...)

13Afin d’objectiver cette information agricole, nous avons fait le choix de travailler sur La France agricole, journal hebdomadaire créé à l’après-guerre et qui constitue encore aujourd’hui un journal central de l’espace de la presse professionnelle agricole. Il s’adresse à l’ensemble des professions agricoles, toutes productions confondues17. Le projet « généraliste » initial des fondateurs nourrit encore la ligne éditoriale :

  • 18 Y. Herry, rédacteur en chef adjoint de La France agricole, entretien avec les auteurs, siège de Fr (...)

« C’est-à-dire qu’on ne veut pas que notre journal soit un ensemble de chapelle pour quelques pages pour les céréaliers, quelques pages pour les éleveurs, même s’il y a du rubriquage plus technique, une actualité spécifique pour les uns, une autre pour les autres, on essaie que tout ça brasse. Ne serait-ce que parce qu’il y a une réalité d’interdépendance entre le secteur par exemple des grandes cultures et le secteur de l’élevage, les uns consommant les produits des autres18 ».

  • 19 La base de données de La France agricole regroupe plus de 110 000 articles. Seuls 40 000 sont clas (...)

14Afin d’étudier le contenu de cette information, nous avons réalisé un comptage thématique des articles. En se fondant sur l’archivage réalisé en ligne par La France agricole, les articles classés en neuf catégories19 se répartissent de la façon suivante :

Type Nombre articles %
Culture 7 152 17,80
Élevage 6 944 17,29
Société et vie sociale 6 535 16,27
Machinisme 5 681 14,14
Commercialisation 4 263 10,61
Gestion et droit 3 216 8,01
Environnement 2 387 5,94
International 2 106 5,24
Politique agricole 1 888 4,70
Total 40 172 100

15On remarque la prédominance des sujets de production (culture, élevage, machinisme) qui regroupent près de la moitié des articles (49,23 %).

16Afin de saisir d’une autre manière l’actualité agricole, nous avons annoté selon nos propres catégories les sujets labellisés chaque semaine comme « À la une », ainsi que les dossiers thématiques pour les années 2010, 2015 et 2020.

  À la une Dossiers Total général
  2010 2015 2020 Total 2010 2015 2020 Total  
1-Production 7 12 12 31 16 16 17 49 80
2-Économie/marché 15 10 9 34 6 5 6 17 51
3-Environnement 8 12 11 31 7 7 6 20 51
4-Machinisme 3 4 4 11 11 7 7 25 36
5-Problèmes sociaux 5 1 6 12 6 6 7 19 31
6-Politique 7 6 4 17 2 1 1 4 21
7-Europe 4 2 2 8 2 3 1 6 14
8-Santé 1 2 1 4   3 2 5 9
9-Culturel           1 2 3 3
Total général 50 49 49 148 50 49 49 148 296
Labels

Nous avons fait le choix d’établir neuf labels pour annoter les « À la une » et les dossiers de La France agricolea, ils se décomposent comme suit :

[1-Productionb], exemple : « À la une – Blé hybride. Les grandes manœuvres », no 3606, 04/09/2015 / « Dossier – Élevage laitier. Prévenir les troubles de la reproduction », no 3874, 23/10/2020 ;
[2-Économie/marché], exemple : « À la une – Les contrats laitiers ont-ils un prix ? », no 3591, 15/05/2015 / « Dossier – Marché des grains. Des repères pour déclencher vos ventes », no 3329, 02/04/2010 ;
[3-Environnement], exemple : « À la une – Réduction des phytos. La marche reste haute », no 3323, 19/02/2010 / « Dossier – Cogénération, injection. Ils ont fait leur choix de méthanisation », no 3875, 30/10/2020 ; [4-Machinisme], exemple : « À la une – Dans le rétro. Les événements marquants de 2019 en machinisme », no 3832, 03/01/2020 / « Dossier – 60 pages de semoirs et outils de travail du sol », no 3360, 19/11/2010 ;
[5-Problèmes sociaux], exemple : « À la une – Coronavirus. Comment ils vivent la crise », no 3846, 03/04/2020 / « Dossier – Agriculteurs et nouveaux pères », no 3571, 02/01/2015 ;
[6-Politique], exemple : « À la une – Sia 2020. Macron à l’écoute, sans faire d’annonces », no 3840, 28/02/2020 ; « À la une – Aide aux agriculteurs : les collectivités locales font leurs comptes », no 3345, 30/07/2010 ;
[7-Europe], exemple : « À la une – PAC 2023. Vers le sprint final », no 3875, 30/10/2020 / « Dossier – PAC 2010. Nos conseils pour faire sa déclaration », no 3333, 30/04/2010 ;
[8-Santé], exemple : « Dossier – Suicide - Dossier. Tout faire pour l’éviter ! », no 3843, 20/03/2020 / « Dossier – Stress et douleurs musculaires. Les risques du métier », no 3585, 03/04/2015 ;
[9-Culturel], exemple : « Dossier – Tout ce que vous apportez à la société », no 3882, 18/12/2020.
a. Les dates des dossiers et « À la une » sont fondées sur les versions papiers. Nous avons pu consulter le fond présent à la Bibliothèque nationale de France. Le site en ligne du journal, accessible avec un abonnement, a été utilisé afin de référencer les papiers individuels présents dans la suite de l’article.
b. Les articles sur les pratiques de productions suivent un certain équilibre entre pratiques d’élevage et de cultures. On peut noter une quasi-absence sur les pratiques viticoles dans ce journal généraliste. La vigne et le vin est l’objet d’une presse professionnelle spécifique comme avec le titre Viti.
  • 20 L. Doumana, rédacteur en chef de Filières avicoles, Éditions du Boisbaudry, entretien avec les aut (...)

« On a des comptes rendus des assemblées générales. C’est là la différence avec le journalisme pur. C’est que nous, on a des assemblées générales. Le compte rendu pour nous, ça fait partie de la vie de la filière. On doit en rendre compte. Le tout c’est qu’on essaie de trouver un angle intéressant, de mettre en forme le CR de l’AG. […] Mon métier c’est de la mise en scène de l’information. Plus que du journalisme, de parler d’éthique, liberté de la presse ou quoi que ce soit20 ».

  • 21 On retrouve ce « journalisme de compte rendu » sous une autre forme chez les journalistes parlemen (...)

17On trouve ici une mise à distance à un modèle professionnel généraliste que l’on peut nommer le « modèle Viannay » tel que défini par Ivan Chupin (2018). Construit à la Libération dans les écoles de journalisme et la presse héritée de la Résistance, il dessine un modèle de journalisme moral et civique. À l’inverse, on trouve régulièrement cette minoration de leur rôle en le réduisant dans ce cas à un journalisme de compte rendu21. Plus généralement, l’idée de « scoop » est fortement mise à distance.

18La presse départementale traite de l’actualité des acteurs locaux, la presse spécialisée traite de l’actualité des acteurs de la filière quand les quelques titres généralistes, comme La France agricole, traitent des acteurs nationaux, dont des ministres. Cette actualité institutionnelle concerne des comptes rendus des réunions et événements organisés par les groupes du secteur, mais aussi des changements de législation. S’il existe souvent une rubrique juridique, elle concerne surtout des points précis relevant par exemple du droit rural. Parfois, certains articles entreprennent de traduire les « attentes » du grand public vis-à-vis de la profession. Enfin, l’information économique, centrée sur les marchés, devient ces dernières années de plus en plus importante. En effet, les réformes successives de la politique agricole commune (PAC) ont mis fin aux prix garantis qui exposent ainsi les agriculteurs à la forte volatilité des cours et les poussent à se positionner sur les marchés mondiaux, notamment en France où l’agriculture est fortement exportatrice :

  • 22 N. Ouvrard et G. Omnès, rédactrice en cheffe et rédacteur en chef adjoint de Réussir Grandes Cultu (...)

« Parce que les mécanismes, comprendre le marché, avoir la bonne information, être réactif ce n’est pas si simple. […] L’agriculteur chez lui, même avec des outils internet, il ne maîtrise pas forcément tout ça. Ils sont vraiment déstabilisés. Donc là, on a vraiment quelque chose à apporter en termes de conseil, en termes de services, faire exprimer les experts. On a vraiment une carte à jouer sur cette partie marché où il faut qu’ils réapprennent à fonctionner différemment en termes de stratégie d’entreprise22 ».

19Du côté de la technique, cela regroupe l’ensemble des productions (cultures, élevages, etc.), tant au regard des moyens utilisés (intrants ou mécaniques) que des méthodes. Si cette presse n’est pas le seul prescripteur de pratiques auprès des agriculteurs qui utilisent les réseaux sociaux et s’inscrivent dans des réseaux de sociabilités ou de formations professionnels, elle constitue néanmoins une presse d’aide à la décision. On peut la comparer sous certains aspects aux médias d’aide à l’achat (Akrich, 1992), mais aussi plus généralement au journalisme de solutions (Amiel, 2017). Si la presse généraliste s’inscrit dans une dynamique d’acquisition d’un capital culturel (sous la forme d’une culture générale), cette presse professionnelle transmet des savoirs et savoir-faire autour du métier. Elle renforce donc la culture technique du lecteur, en ouvrant l’horizon des possibles afin d’améliorer l’exploitation agricole. Le recours à des portraits d’agriculteurs est l’un des outils principaux de la valorisation des techniques culturales.

Le portrait des innovants

20Cette presse se caractérise par le fait de mettre en vitrine les agriculteurs les plus innovants. Sur le plan sociologique, les journalistes de cette presse sont le plus souvent passés par des BTS d’agriculture ou bien des écoles formant des ingénieurs agronomes. Du fait de cette formation, on peut comprendre une certaine appétence pour la dimension technique du métier et une distance tout aussi certaine à la politique dans l’écriture. Les journalistes se positionnent dans la défense de l’agriculture et des agriculteurs, causes qu’ils partagent avec une partie des communicants du secteur (Chupin et Mayance, 2013a).

  • 23 Avec une mécanisation importante, l’agriculture conventionnelle recourt aux intrants (pesticides, (...)
  • 24 L. Doumana, rédacteur en chef de Filières avicoles, entretien avec les auteurs, Cesson-Sévigné, 25 (...)

21La vente directe, l’agriculture biologique ou toute autre forme de pratiques que le lecteur profane n’attendrait pas dans une presse de l’agriculture dite « conventionnelle23 » sont néanmoins bien présentes, tant qu’elles permettent une réussite économique. Ainsi un journaliste de Filières avicoles explique-t-il qu’il a couvert une volière car celle-ci constituait un « tournant dans la production de l’œuf, c’était vraiment nouveau24 ». Pour trouver ces agriculteurs « innovants » et « leaders », les journalistes peuvent parfois s’appuyer sur des événements (comme la semaine de l’innovation en agriculture – Innov’Action – organisée par la chambre d’agriculture des Côtes d’Armor) dont ils vont faire la promotion.

  • 25 Le semis direct est une technique culturale dans laquelle la graine est introduite directement dan (...)
  • 26 Bernard, journaliste Côtes d’Armor et Pierre, journaliste Morbihan, le Paysan Breton, entretien av (...)

« Sur cette semaine-là (il prend le journal), c’est mon collègue qui a fait l’article, on a été voir quelqu’un qui a 33 années d’expérience sur le non-labour, qui fait le semis direct25. Plutôt que d’aller dire “allez-y c’est le plus beau”, on donne l’exemple de quelqu’un et ça rentre dans le cadre de la semaine, c’est de dire voilà comment il fait. Lui, c’est un portrait d’agriculteur qui depuis 33 ans a des pratiques que l’on promotionne depuis 4-5 ans, mais lui a de l’expérience. On essaie, lorsqu’on peut, de trouver des agriculteurs qui sont un peu au-dessus du lot et qui peuvent être des vitrines pour les autres26. »

22Cette presse se caractérise par un primat de la technique qui incite les journalistes à surmédiatiser les agriculteurs jugés les plus performants. Il s’agit plutôt d’une valorisation des techniques performantes, ou des techniques qui sont « à la mode », et ensuite les journalistes recherchent un agriculteur pour illustrer pratiquement ces techniques. Un journaliste du Paysan Breton explique ce prisme de la technique au travers duquel il privilégie les plus innovants, ce qu’il appelle des « leaders » :

  • 27 Bernard, journaliste Côtes d’Armor et Pierre, journaliste Morbihan, le Paysan Breton, entretien av (...)

« C’est rare d’aller faire des reportages chez des gens qui sont nuls techniquement. Ça paraît même assez évident. On est une vitrine. Ce que dit mon collègue Pierre c’est de montrer à la base qu’il y a des gens qui font un peu différemment, qui ont des meilleurs résultats. C’est plutôt ces gens-là qui font mieux, que l’on voit […]. Parce qu’on considère que c’est le schéma classique, en agriculture, il y a 20 % de leaders et 60 % de suiveurs et ensuite il y a tout le reste, c’est pas péjoratif, ceux qui sont un peu moins faciles à classer. On est plus souvent, c’est vrai, chez les 20 % de leaders27 ».

  • 28 Cette recherche d’un agriculteur innovant rejoint les modalités de diffusion des savoirs en agricu (...)

23Pour autant, cette recherche d’un agriculteur innovant doit aussi être abordable pour la majorité des agriculteurs et du lectorat28. Ainsi le rédacteur en chef du journal La France agricole explique-t-il cet impératif de représentativité et d’accessibilité du journal, depuis sa création à l’après-guerre, pensé « par les agriculteurs, pour les agriculteurs » :

  • 29 É. Maerten, rédacteur en chef de La France agricole, entretien avec les auteurs, siège de France a (...)

« C’est-à-dire que l’une des vocations de la maison, c’est de bien mettre les agriculteurs en scène. Et si on fait appel dans un certain nombre de cas à des sujets, à des experts, à des politiques, à des observateurs, on essaie dans la majorité des cas, voire dans la quasi-totalité, de mettre aussi l’agriculteur sur le devant de la scène pour apporter son témoignage et son expérience29 ».

  • 30 On note pour l’année 2010 dans La France agricole des titres comme « Le Gaec de la Baronnesse a ad (...)
  • 31 « Nous réduisons les transferts de phytos », La France agricole, 3891, p. 30-31, 19 févr. 2021.

24Cette diffusion des techniques rejoint une valorisation ancienne héritée de la modernisation des années 1960 dans laquelle s’affirme la figure de l’agriculteur technicien (Muller, 1984) mais aussi une représentation ordinaire de la vulgarisation agricole (Rémy et al., 2006). Cette mise en avant de la technique passe notamment par de nombreux reportages sur les exploitations, avec photographie des agriculteurs sur leur lieu de travail. On retrouve largement cette mise en scène de l’agriculteur dans La France agricole. Les papiers, d’une ou deux pages, s’intéressent à une technique en l’incarnant à travers celui ou celle qui l’a choisie et la pratique. S’il y a dix ans, le titre mobilisait les noms et prénoms des agriculteurs30, aujourd’hui, c’est une citation qui est mise en exergue afin de personnifier le choix et l’appropriation de la technique31.

  • 32 Pour M. Foucault (2001 : 299), un dispositif désigne « un ensemble résolument hétérogène, comporta (...)
  • 33 Pour un contre-exemple dans le cas du journalisme de guerre lors du conflit en Irak de 2003, voir (...)
  • 34 Dans le journalisme de source municipale, le dispositif d’encadrement repose sur l’accréditation e (...)

25Si le portrait semble donc assez habituel et institué, il ne faut pas pour autant considérer qu’il est aisé à réaliser. Les agriculteurs ne sont pas nécessairement intéressés par le fait de présenter des techniques innovantes à des lecteurs qui peuvent aussi être ou devenir leurs concurrents. Le journaliste peut alors profiter d’événements ponctuels de promotion de certaines techniques, comme le cas de ce journaliste qui saura prendre appui sur une journée portes ouvertes de la chambre d’agriculture de Bretagne afin de trouver des idées de papier et les agriculteurs pour les illustrer. Mais en général, le journaliste est contraint de passer par des intermédiaires ou d’attendre d’être contacté. En effet, la profession d’agriculteur est encadrée par des organisations professionnelles agricoles (OPA). On a donc une forme de journalisme proche du journalisme embarqué au travers duquel il se voit intégré dans un dispositif au sens foucaldien32. Cependant, à la différence du journalisme de guerre, ici le dispositif ne produit pas de pénalités de manière très formalisée en cas de non-respect des normes de fabrication de l’information33. De la même manière, ce journalisme se distingue d’un système d’accréditation qui existe au sein de la mairie de Paris34 ou à la Commission européenne (Baisnée, 2003 ; Bastin, 2008 ; Tixier, 2019). Dans ces deux cas, s’il existe des intermédiaires entre l’administration et les journalistes, dans le journalisme agricole il n’y a pas de dispositif de centralisation de l’accès aux sources. Dans les reportages, ils ne sont pas à la recherche d’informations qui seraient présentes dans l’institution mais davantage de l’agriculteur qui permette d’exemplariser des pratiques techniquement et économiquement intéressantes pour le lecteur.

  • 35 Pour une perspective historique du rôle des techniciens dans la politique de modernisation, voir S (...)
  • 36 É. Massin, rédacteur en chef du Betteravier français, entretien avec les auteurs, Paris, 01 juill. (...)

26L’agriculteur évolue dans un univers de techniciens qui le conseillent35. De ce point de vue, l’accès à des sources est pour le journaliste grandement facilité car il est intégré au milieu agricole. « Je passe par le syndicat betteravier, ou par l’institut technique de la betterave (ITB) qui ont des délégués de terrain qui connaissent bien les planteurs », reconnaît un rédacteur en chef. « Ça prendrait du temps pour détecter de telles pratiques. Moi ça me demande quatre coups de fil mais je sais que je l’aurai36. »

  • 37 L. Doumana, rédacteur en chef de Filières avicoles, entretien avec les auteurs, Cesson-Sévigné, 25 (...)
  • 38 Cet essor est variable historiquement selon les clubs et selon les sports concernés, mais on note (...)

27Dans le même temps, l’accès à la parole agricole est aussi très encadré. La plupart des agriculteurs acceptent de témoigner s’ils sont appuyés par leur technicien de groupement qui appartient à la coopérative. C’est celui-ci qui sélectionne les agriculteurs avec lesquels le journaliste peut ensuite s’entretenir. Cet encadrement est plus ou moins fort selon les filières : « Pour la filière avicole c’est quasiment impossible de rencontrer un éleveur sans avoir l’aval du groupement. C’est pour ça que c’est relativement intégré. […] En lait, c’est la différence, on avait le contact direct avec les éleveurs37 ». Dans le cas de la filière porcine – fortement intégrée –, ce rôle des techniciens de la coopérative est central. Dans le cas de la production laitière, comme le signale ce journaliste, il joue moins car les agriculteurs comme les institutions sont plus nombreux (présence du contrôle laitier, des centres d’insémination ou des syndicats « de race », par exemple) et les chefs d’exploitation davantage organisés et en position de décideurs dans le reste de la filière. On rejoint ici des logiques plus globales dans lesquelles les journalistes ont de moins en moins accès à leurs sources, ce que l’on retrouve également dans le cas du sport du fait de l’essor de la communication dans les clubs38. Dans le journalisme sportif, ainsi le journaliste se voit-il coupé des sources par la présence de ce qu’un communicant qualifie d’« entremetteurs » que sont les agents de sportifs ou les chargés des relations publiques (Gasparini, 2000 ; Montañola et al., 2012).

28Ainsi le recours aux organisations professionnelles agricoles comme intermédiaires est-il régulier et routinisé : le journaliste donne les caractéristiques des céréaliers, éleveurs, etc., qu’il souhaite interroger et le technicien se charge de faire l’intermédiaire avec l’agriculteur et de lui trouver le « bon client » qui correspond à ses attentes (taille d’exploitation, etc.). Le technicien de groupement peut être également consulté par le journaliste pour relire l’article et en vérifier la portée technique. Le journaliste n’est pas forcément aussi spécialisé que le technicien. Cette relecture est une manière de rassurer l’éleveur/l’agriculteur qui consent à apporter son témoignage et rassurer le journaliste sur la fiabilité de ce qu’il écrit.

Une presse du libéralisme économique

29Cette presse véhicule la croyance libérale que l’agriculteur peut s’en sortir s’il travaille et s’il fait les bons choix dans un marché qui est orienté vers la concentration. S’opère ainsi la négation de toute dualisation ou pluralisation de l’agriculture.

L’agriculteur responsable de sa réussite économique

30Cette presse enracine l’idée très libérale que les agriculteurs sont responsables ou non de leur réussite. Le recours à la technique est vu comme une planche de salut pour les agriculteurs. Les journalistes interrogés renvoient en entretien la vision d’un agriculteur malin qui saurait tirer parti des conseils techniques et de commercialisation que le journal lui dispense. Cela est très sensible dans les propos de Bernard, journaliste pour le Paysan Breton :

  • 39 Bernard, journaliste Côtes d’Armor pour le Paysan Breton, entretien avec les auteurs, Plérin, 22 j (...)

« Dans les exploitations, il y a de moins en moins de gens donc les gens ont de moins en moins de temps de sortir. Nous, notre rôle en tant que journal technique c’est de jouer ce rôle de vulgarisation de nouvelles techniques. Faire prendre connaissance. On n’est pas là pour dire c’est bien ou pas bien. On n’est pas toujours en capacité de le dire. On doit être assez honnête pour ne pas dire aux gens “allez-y”. Il y a des gens qui font du bio et qui s’en sortent très bien. Lorsqu’on fait un reportage sur le bio, on dit untel fait ça et a réussi. Après c’est à l’agriculteur de mettre en place les conditions pour réussir […]. Sachant qu’on est là pour montrer des expériences, et non pas pour dire aux gens “c’est comme ça qu’il faut faire”. Sur la viande bovine, on a pris des créneaux de valorisation un peu particuliers : la vente directe, du bio, du label, des éleveurs qui ont créé leur boucherie, un qui valorise en circuit court direct. On sait bien que tous les agris ne font pas ça mais si on ouvre les yeux à d’autres qui galèrent dans le tradi. À travers un dossier là, il y a cinq ou six agriculteurs qui ont fait des choix un peu différents du tradi, du classique, du conventionnel. Pourquoi pas ? Parce que sinon, à la limite, ils ne le sauront pas. Si, ils le sauront si c’est leur voisin, mais à cinquante kilomètres, ils ne le sauront pas39 ».

  • 40 C’est notamment encore sur cette question des installations que le syndicat des JA se mobilise dan (...)
  • 41 On ne note que 38 articles depuis 8 ans sur les entreprises en difficulté.
  • 42 S. Bergot, « Les défaillances d’exploitations reculent de 30 % en 2020 », La France agricole, 21 j (...)

31Derrière cette figure de l’agriculteur astucieux, bricoleur et informé, on assiste à une forme de négation des déterminismes économiques dans lesquels il évolue. En effet, les journaux ne donnent que très rarement à voir les problèmes des coopératives, les problèmes de la grande distribution ou des coûts exorbitants des intrants. Il n’y a pas de construction univoque en problèmes publics de ces questions, contrairement à toute une série d’enjeux professionnels (pour en citer quelques-uns : les retenues d’eau pour réduire les effets de la sécheresse, les menaces des écologistes, la valorisation des broutards – jeunes bovins – sur le marché français, etc.). La faillite n’est certes pas totalement absente de cette presse. Lorsqu’elle prend une dimension collective comme dans le cas de la faillite de grands groupes agroalimentaires, les journalistes y consacrent une importante couverture. Elle se voit sinon également traitée sous l’angle du non-renouvellement des générations qui donne lieu à des fermetures du fait de la non-reprise des exploitations. La question des installations est en effet un enjeu structurant dans l’espace de représentation syndicale, une cause centrale pour le syndicat des Jeunes agriculteurs40. En revanche, lorsque la faillite touche des individus, tout se passe comme si elle était cachée. Le journal La France agricole aborde très peu les cas d’ouvertures de procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation41. Lorsqu’il les traite, c’est en citant par exemple des chiffres de la Banque de France en en présentant le caractère agrégé42. On retrouve ici une différence de cadrage au sens de Shanto Iyengar (1991) qui expliquait que le chômage pouvait être cadré de manière épisodique comme un problème individuel et thématique sous un angle plus collectif. Ainsi la presse agricole apparaît-elle comme la presse des problèmes collectifs et des solutions individuelles. Par rapport à la faillite, la presse participe donc à la fiction qu’on peut s’en sortir si on fait les bons choix stratégiques d’entreprise, concourant ainsi à construire ce rapport à la réussite que peuvent porter d’autres acteurs comme les coopératives, les chambres d’agriculture, notamment avec les techniciens agricoles (Rémy et al., 2006).

32Ce qui souligne le plus cette tendance à « l’innovation » tient dans le recours à des palmarès par les journalistes. En agriculture, on trouve une tendance au classement qui existe dans d’autres champs comme ceux de la culture (Bourdieu, 1984). Il s’agit ici de valoriser non pas une certaine définition de l’intellectuel mais une définition de la technique. Dans le cas du journal spécialisé Filières avicoles, le classement prend une double forme : un classement des éleveurs et un classement plus économique des groupes par les chiffres d’affaires.

  • 43 L. Doumana, rédacteur en chef de Filières avicoles, entretien avec les auteurs, Cesson-Sévigné, 25 (...)

« Oui, la top list. Le palmarès des abattoirs. C’est deux produits que j’ai pris en cours de route. La top list, les éleveurs aiment bien être situés. On met les 1 000 premiers. Je m’étais arrêté à 1 000. On aurait pu s’arrêter à 100 mais 100 c’est pas assez. Les éleveurs sont contents. Ça les met en valeur, ça fait parler des gens. Ça nous fait des pistes de reportage. Ça permet d’avoir pas mal de données. Moi, à l’époque, j’organisais des remises de trophées avec des labos et tout. On a fait des trucs sur Paris. Le palmarès des abattoirs, c’est plus l’aspect économique. Je me suis raté cette année puisque je voulais l’envoyer aux Échos parce qu’ils reprennent ça. Ça permet d’avoir une vision sur les groupes intervenants. Doux, LDC… C’est quelque chose que personne ne faisait dans la filière avicole. C’est une photo d’un tissu économique […] Pour les classer, on leur demande leurs chiffres d’affaires. Alors il est imparfait. Certains parlent en tonnage vendu, tonnage vif, d’autres en carcasses équivalents mais c’est le CA réalisé en avicole. À partir de là, on voit les grands groupes devant les petits43. »

33Par ce classement, le journal se met en position de centralité et le journaliste s’invite dans le marché. Ce classement permet également à une grande partie du lectorat de se voir, de se donner à voir et de se classer au sein de la profession.

Une timide ouverture aux sujets sociaux

34Si ce sont avant tout des figures de réussite économique qui sont portées dans les pages du journal, on peut noter une légère ouverture à toute une série de sujets sociaux et sociétaux. Ceux-ci laissent entrevoir ce qui est normalement considéré comme périphérique parmi les enjeux portés habituellement par la profession.

35Le sujet des pesticides va être plus souvent abordé. Le souci des journalistes est qu’ils butent ici sur les annonceurs comme Syngenta, Bayer-Monsanto, qui sont des grands groupes producteurs de produits phytosanitaires. Sans disqualifier leur usage, les journalistes vont couvrir des cas d’agriculteurs « économes » en phyto. Par exemple, le rédacteur en chef du Betteravier français explique que

  • 44 É. Massin, rédacteur en chef du Betteravier français, entretien avec les auteurs, Paris, 01 juill. (...)

« Le grand sujet c’est le verdissement. Il y a des syndicats betteraviers dans chaque région. On va leur dire : trouvez-nous un mec qui soit dans cette démarche-là. Moi, mon boulot, c’est de repérer ces gens-là. Les annonceurs vendent des phytos et on va pas dire “les phytos c’est mauvais, c’est dégueulasse”. On va faire des papiers en disant qu’on peut utiliser moins de phytos, faire des marges. On est sur le fil du rasoir44 ».

  • 45 Sur ce traitement médiatique et la construction d’une cause, voir notamment J.-N. Jouzel et G. Pre (...)

36Le discours de la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires passe avant tout par le prisme de la rentabilité. Depuis une dizaine d’années, la presse professionnelle s’est ouverte timidement à un traitement de la question des pesticides comme une maladie professionnelle. C’est sous l’effet de la mobilisation d’un agriculteur, Paul François, et de son association Phyto-Victimes qu’a pu s’opérer un traitement médiatique45. En effet, en février 2012, lors du salon de l’agriculture, des agriculteurs s’étaient mobilisés et étaient venus avec leurs banderoles manifester devant l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes) qu’ils considèrent comme « le lobby des pesticides ». Forte de cette mobilisation, des titres de presse professionnelle ont pu s’en emparer, à l’image de L’Information agricole, le journal de la FNSEA qui consacre un entretien à Paul François en juin 2012 (Chupin et Mayance, 2013b).

37On parle peu du célibat (qui n’est présent que dans 34 articles dans les archives de La France agricole) et encore moins de l’homosexualité, autre forme marginalisée à la figure traditionnelle du couple. Il ne comprend que deux occurrences dans la base de données de La France agricole.

Deux articles sur l’homosexualité

Il y a d’abord un témoignage de 2017 d’Olivier Guitel intitulé « Le jour où j’ai affirmé mon homosexualité » (3/11/2017). Cet article raconte le coming out à 40 ans d’un agriculteur céréalier dans les Yvelines. Celui-ci était marié et avait un enfant et, à l’occasion d’un stage de clown-thérapie, il est parvenu à s’affirmer son homosexualité. Il décrit ensuite que « Ma mère a accusé la nouvelle, n’osant sortir de la ferme pendant deux semaines, pour s’apercevoir ensuite que les voisins ne voyaient pas cela comme un problème. Finalement, le monde agricole est bienveillant et plus tolérant que l’on croit. Mon salarié m’a soutenu, touché de ma confiancea ». Cet article insiste donc sur le caractère accueillant du milieu même si l’homosexualité reste un quasi-tabou dans la presse professionnelle. L’autre article remonte à 2014 et aborde le cas de Guillaume, agriculteur gay, éleveur d’ovins vivant en Auvergne, participant à l’émission L’amour est dans le pré de M6 (31/12/2014). « Ce n’est pas l’occasion d’un coming out, son homosexualité est tout à fait assumée », assure-t-on à la production de M6. Ce qui est là mis en avant dans l’article c’est « la diversité des visages de l’agriculture » dans L’amour est dans le pré. Or, l’émission se caractérise surtout par la mise en scène de l’hétérosexualité (Béliard et Quemener, 2012). Cette inscription d’un candidat gay permet de mettre en avant l’émission qui caractérise une ouverture quelque peu fantasmée du monde paysan aux yeux du grand public.
a. O. Guitel, « Le jour où j’ai affirmé mon homosexualité », La France agricole, 3 nov. 2017.
  • 46 Depuis une dizaine d’années, la Coordination rurale fait du suicide un enjeu social. La Coordinati (...)
  • 47 N. Deffontaines (2013) montre que le suicide des agriculteurs est un sujet qui présente donc le do (...)
  • 48 R. Aries participe aux dossiers sur des sujets sociaux, par exemple en 2021 sur les déserts médica (...)
  • 49 L’association Solidarité Paysans a été créée en 1992. Elle fédère des associations régionales d’ag (...)
  • 50 O. Damaisin est élu La République en marche en 2017 dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne. (...)
  • 51 H. Cabanel est un sénateur de l’Hérault depuis 2014. Il est viticulteur de profession, et était vi (...)

38Pendant longtemps, la question du suicide des agriculteurs a été tabou dans la presse professionnelle et dans l’espace de la représentation syndicale46. Elle était abordée à l’occasion de mesures prises par la MSA. On comptabilise un total de 249 articles dans La France agricole sur une période qui s’étend du 24 novembre 2005 au 3 février 2021. Un premier pic est situé dans le prolongement de la vague des suicides à France Télécom en 2009 puisque l’on passe de 4 articles en 2009 à 5 en 2010 et 22 en 2011. Dans un contexte de forte médiatisation des suicides à France Télécom, plusieurs journaux dénoncent l’invisibilisation de ces tragédies au sein du monde agricole (Deffontaines, 2013). Cette question du suicide a été traitée scientifiquement mais lorsqu’elle l’a été, c’était dans la presse la plus généraliste47 et non pas dans la presse professionnelle. Or, dans les dernières années un nouveau cadrage médiatique s’est imposé. Le film Au nom de la terre d’Édouard Bergeon (2019), avec Guillaume Canet, où le réalisateur raconte l’histoire de son père, sa dépression qui le mène jusqu’au suicide par ingestion de pesticides, réalise à sa sortie plus de deux millions d’entrées, notamment en région, et va servir de tournant pour mettre plus régulièrement à l’agenda la question du suicide. En 2015, 372 suicides d’exploitants agricoles avaient été recensés, soit plus d’un par jour, selon les statistiques les plus récentes de la sécurité sociale agricole, la MSA. Cette médiatisation du suicide dans La France agricole est dû à une journaliste (Rosanne Aries), ayant un profil plus généraliste, qui est en charge des questions sociales et politiques dans le journal48. En 2020, c’est elle qui signe la majeure partie des articles consacrés au suicide. Ces articles portent sur le film Au nom de la terre, sur le fait que les auteurs aient décidé de reverser une partie des recettes du film à l’association Solidarité Paysans49. Ce film débouche également vers une prise en charge politique de la question du suicide puisqu’un député et un sénateur se voient, chacun, chargés de réaliser une mission sur la question. Les déplacements de ces deux politiques, Olivier Damaisin50 et Henri Cabanel51, la remise du rapport (dans un des deux cas en décembre 2020 par le député O. Damaisin) constituent autant de moments pour La France agricole pour revenir sur cette thématique du suicide avec plus de régularité que ce qu’elle faisait auparavant.

Conclusion

39Comme nous l’avons vu, les conditions de production de l’information, renforcées par une certaine proximité sociale entre les journalistes et les mondes agricoles, contraignent ainsi fortement les journalistes dans leur capacité de publiciser un certain nombre de problèmes. Cette presse n’échappe pas au néo-libéralisme. Son caractère de presse de conseil d’achats en fait un outil de conservation d’un ordre social au service du marché agricole. Elle se caractérise par le fait d’être un support d’aide à la décision selon l’idée que tous les agriculteurs peuvent s’en sortir et être rentables s’ils opèrent les bons choix techniques, le rôle de journaliste étant ainsi celui d’informer celles et ceux qui veulent (ou peuvent…) bien l’être.

40Cette dernière presse est construite comme une zone de consensus ; et pour cause, elle évacue les conflits : à ce titre, elle constitue un lieu d’activation du mythe de l’unité. Ne parler de rien, sinon des figures de la productivité, c’est répondre à tous, professionnels et grand public confondus, que « nous sommes des agriculteurs ». Elle se caractérise par la célébration de la réussite économique qui se traduit par une non-remise en cause du modèle technique dominant et du déclin numéraire de la profession agricole. En contrechamp, cela la conduit à des formes d’invisibilisation des problèmes sociaux (faillite, suicide, maladie professionnelle liée aux pesticides…) qui, lorsqu’ils sont évoqués, sont relégués à des destinées individuelles.

  • 52 On pourra s’intéresser à l’émergence de la notion d’agribashing depuis quelques années, comme caté (...)

41La presse professionnelle agricole constitue donc un cas d’analyse pour comprendre ces professions qui à la fois subissent de manière subjective et/ou objective de fortes stigmatisations mais qui sont, par ailleurs, en capacité de résister à ces cadrages, du fait d’une presse professionnelle structurée. Si l’agriculteur a bonne presse auprès du grand public, l’agriculture quant à elle semble plus décriée52. Ainsi cette presse constitue-t-elle un refuge, offre du réconfort et réaffirme les identités professionnelles, en participant à créer une distinction entre un « nous » et un « eux ».

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Notes

1 L’agriculteur peut être rangé du côté du peuple, représentant typique du gouverné (Darras, 1994), ou en tant que figure protestataire (Duclos, 1998 ; Lynch, 2013).

2 Concernant cette question d’investissement dans les médias ainsi que la place de l’agriculture dans l’actualité généraliste, pour une mise en perspective voir I. Chupin et P. Mayance (2016).

3 Cette presse professionnelle se développe dans un milieu dominé par les agriculteurs, profession indépendante. Contrairement à d’autres presses professionnelles à destination de fonctionnaires ou de salariés, les postes de journalistes n’ont pas le même attrait en termes de carrière. Loin de permettre d’échapper à sa condition salariale ou à constituer sous ses formes les plus militantes une rétribution, cette situation concourt à l’autonomisation d’un journalisme professionnalisé alors que les agriculteurs, eux, restent à gérer leur exploitation et à réaliser des carrières économiques et/ou syndicales…

4 On ne peut malheureusement pas s’appuyer sur d’autres travaux sur la presse professionnelle. On pourrait néanmoins faire un parallèle avec les travaux sur la presse féminine et féministe, ou encore la presse sportive sur ce sujet, voir la livraison 35 de Questions de communication (Bonnet et Mennesson, 2019).

5 Nous nous sommes référés au nombre de titres adhérents au Syndicat national de la presse agricole et rurale (SNPAR).

6 Aux dernières élections professionnelles de 2019, les résultats sont les suivants dans le collège « exploitants agricoles » : 55,5 % pour le tandem FNSEA-Jeunes, 21,5 % pour la Coordination rurale, 20 % pour la Confédération paysanne, 1,9 % pour le Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux) et 1,2 % pour diverses listes. Sur ces différents acteurs syndicaux, on peut se référer à Pierre Mayance (2009) et Ivan Bruneau (2013).

7 Du côté du syndicalisme majoritaire (FNSEA et JA), on assiste à des velléités de réorientation du journal syndical sur une ligne davantage « relations publiques ». Le journal est alors un outil de lobbying et de légitimation des syndicats comme représentant des intérêts agricoles et ruraux. Le public visé n’est plus seulement celui des agriculteurs syndiqués, mais bien celui des « décideurs ».

8 Les questions techniques sont largement évoquées comme dans le cas de Campagnes Solidaires, car elles pourraient créer des tensions au sein des collectifs militants comme le démontre I. Bruneau dans sa thèse (Bruneau, 2006).

9 Pour un cas atypique, voir le journal SymBIOse, le mensuel de la Frab (Fédération régionale des agrobiologistes de Bretagne).

10 Sofiproteol est une société de financement d’investissement qui appartient à Avril, un groupe agroalimentaire des filières françaises des huiles et protéines végétales (dont les marques Lesieur, Puget, etc.). Elle était alors dirigée par X. Beulin, par ailleurs président de la FNSEA.

11 Le groupe informatique Isagri, surnommé le « Microsoft de l’agriculture », détient le site internet Terre-net.fr. L’hebdomadaire Paysan Breton est détenu par Groupama, le Crédit Mutuel de Bretagne et Eureden (fusion du groupe d’aucy et de Triskalia).

12 La vente directe, la diversification par les gîtes, la réduction des intrants, le choix du bon degré de mécanisation sont présents dans tous ces titres, du moment que ces options constituent des pistes de rentabilité pour le plus grand nombre.

13 Aujourd’hui, ces deux titres ont fusionné au sein du titre Terres et Territoires.

14 Les titres nationaux sont principalement axés sur des filières particulières (lait, céréales, etc.). L’information plus généraliste s’adressant à l’ensemble des agriculteurs est cantonnée au niveau départemental.

15 L’actualité reste rythmée par le quotidien des agriculteurs, même si certains événements particuliers peuvent venir bousculer cette routine, comme depuis mars 2020 et les conséquences de la crise du Covid-19.

16 Loin de constituer un cas automatique de précarité, ces pigistes peuvent vivre de leur métier en travaillant pour plusieurs titres sur quelques sujets spécialisés.

17 D’autres titres portent sur des productions bien particulières sous la forme de mensuels : sur le créneau de la production laitière on trouve par exemple Réussir Lait du groupe Réussir, L’Éleveur laitier du groupe France Agricole et PLM (Production laitière moderne) des Éditions du Boisbaudry.

18 Y. Herry, rédacteur en chef adjoint de La France agricole, entretien avec les auteurs, siège de France agricole, Paris, 03 avr. 2009.

19 La base de données de La France agricole regroupe plus de 110 000 articles. Seuls 40 000 sont classés depuis le 21 octobre 2010.

20 L. Doumana, rédacteur en chef de Filières avicoles, Éditions du Boisbaudry, entretien avec les auteurs, Cesson-Sévigné, 25 juin2009.

21 On retrouve ce « journalisme de compte rendu » sous une autre forme chez les journalistes parlementaires qui présentent leur fonction à la fin du xixe siècle comme celle de retranscrire fidèlement les débats. Pour comprendre les transformations de ce journalisme politique et l’abandon de ce rôle de séancier, voir les travaux de Nicolas Kaciaf et notamment (2013 : 40 et suivantes).

22 N. Ouvrard et G. Omnès, rédactrice en cheffe et rédacteur en chef adjoint de Réussir Grandes Cultures, entretien avec les auteurs, Paris, 20 août 2010.

23 Avec une mécanisation importante, l’agriculture conventionnelle recourt aux intrants (pesticides, insecticides, engrais, etc.) de synthèse.

24 L. Doumana, rédacteur en chef de Filières avicoles, entretien avec les auteurs, Cesson-Sévigné, 25 juin 2009.

25 Le semis direct est une technique culturale dans laquelle la graine est introduite directement dans le sol sans pratiquer de travail du sol entre les rangs semés ou en profondeur. On confond souvent la méthode du semis direct avec le non-labour. Grâce à ces techniques, l’agriculteur peut espérer économiser du temps de travail et des coûts liés à la mécanisation.

26 Bernard, journaliste Côtes d’Armor et Pierre, journaliste Morbihan, le Paysan Breton, entretien avec les auteurs, Plérin, 22 juin 2009.

27 Bernard, journaliste Côtes d’Armor et Pierre, journaliste Morbihan, le Paysan Breton, entretien avec les auteurs, Plérin, 22 juin 2009.

28 Cette recherche d’un agriculteur innovant rejoint les modalités de diffusion des savoirs en agriculture et de la politique de vulgarisation telle que celle menée en France. Ces transmissions passent notamment par des groupes d’échanges qui recoupent des réseaux de sociabilités. On a pu aussi la qualifier de transmission « par-dessus la haie », où l’agriculteur regarde ce que fait son voisin.

29 É. Maerten, rédacteur en chef de La France agricole, entretien avec les auteurs, siège de France agricole, Paris, 03 avr. 2009.

30 On note pour l’année 2010 dans La France agricole des titres comme « Le Gaec de la Baronnesse a adapté une distribution Herriau sur un semoir en ligne » (8 janv. 2010), « Dominique Gibon a fabriqué une remorque sans fond pour déplacer ses génisses » (28 janv. 2010), « Emmanuel Moquet a conçu des toboggans pour distribuer le foin aux broutards » (29 janv. 2010), « Xavier Marchal a construit son installation de stockage des grains » (5 mars 2010). À chaque fois est mise en avant l’ingéniosité de ces agriculteurs.

31 « Nous réduisons les transferts de phytos », La France agricole, 3891, p. 30-31, 19 févr. 2021.

32 Pour M. Foucault (2001 : 299), un dispositif désigne « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même, c’est le réseau qu’on peut établir entre ces éléments ».

33 Pour un contre-exemple dans le cas du journalisme de guerre lors du conflit en Irak de 2003, voir A.-J. Bizimana (2014 : 18).

34 Dans le journalisme de source municipale, le dispositif d’encadrement repose sur l’accréditation et l’appartenance à une association professionnelle (Haegel, 1992).

35 Pour une perspective historique du rôle des techniciens dans la politique de modernisation, voir S. Brunier (2018).

36 É. Massin, rédacteur en chef du Betteravier français, entretien avec les auteurs, Paris, 01 juill. 2010.

37 L. Doumana, rédacteur en chef de Filières avicoles, entretien avec les auteurs, Cesson-Sévigné, 25 juin 2009.

38 Cet essor est variable historiquement selon les clubs et selon les sports concernés, mais on note un processus depuis une dizaine d’années. Sur cette émergence dans des clubs de football, natation et hockey, voir S. Montañola et al. (2012).

39 Bernard, journaliste Côtes d’Armor pour le Paysan Breton, entretien avec les auteurs, Plérin, 22 juin 2009.

40 C’est notamment encore sur cette question des installations que le syndicat des JA se mobilise dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune et des négociations en France autour du plan stratégique national (PSN) que les États membres doivent déterminer.

41 On ne note que 38 articles depuis 8 ans sur les entreprises en difficulté.

42 S. Bergot, « Les défaillances d’exploitations reculent de 30 % en 2020 », La France agricole, 21 janv. 2021.

43 L. Doumana, rédacteur en chef de Filières avicoles, entretien avec les auteurs, Cesson-Sévigné, 25 juin 2009.

44 É. Massin, rédacteur en chef du Betteravier français, entretien avec les auteurs, Paris, 01 juill. 2010.

45 Sur ce traitement médiatique et la construction d’une cause, voir notamment J.-N. Jouzel et G. Prete (2016).

46 Depuis une dizaine d’années, la Coordination rurale fait du suicide un enjeu social. La Coordination rurale est sur un discours de la crise économique et sur le mal-être des agriculteurs. Elle construit une ligne en rapport avec le sentiment de déclassement. La visibilisation de la cause du suicide appartient au répertoire d’action du syndicat, qui interpelle les pouvoirs publics sur cette question, soit par la demande d’expertise, soit par des manifestations comme au Salon de l’agriculture où ses militants déambulent en groupe avec des tee-shirts jaunes et alertent sur les suicides.

47 N. Deffontaines (2013) montre que le suicide des agriculteurs est un sujet qui présente donc le double avantage d’être domesticable d’une part, et de correspondre à la définition commercialement rentable d’un événement par son caractère dramatique et émouvant d’autre part.

48 R. Aries participe aux dossiers sur des sujets sociaux, par exemple en 2021 sur les déserts médicaux (« Santé. La débrouille pour se faire soigner dans les déserts médicaux », no 3389, 4 févr. 2021) ; concernant l’enseignement : « École. L’agriculture cherche à se faire entendre », no 3901, 22 avr. 2021 ; ou encore la féminisation du milieu : « Installation. Pourquoi ça coince pour les femmes », no 3906, 26 mai 2021.

49 L’association Solidarité Paysans a été créée en 1992. Elle fédère des associations régionales d’agriculteurs qui ont pour but d’aider les paysans en difficulté. Il existe 35 structures qui agissent dans une cinquantaine de départements.

50 O. Damaisin est élu La République en marche en 2017 dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne. À l’Assemblée nationale, il intègre la commission des Finances où il est rapporteur sur les régimes sociaux de pensions et de retraites. Le 21 février 2019, il se voit confier par le Gouvernement la mission de réaliser un rapport sur la prévention du suicide.

51 H. Cabanel est un sénateur de l’Hérault depuis 2014. Il est viticulteur de profession, et était vice-président du conseil général de l’Hérault chargé de l’agriculture, de la pêche, de la conchyliculture, des ports et de la forêt de 2011 à 2014.

52 On pourra s’intéresser à l’émergence de la notion d’agribashing depuis quelques années, comme catégorisation des supposées attaques systématiques contre les agriculteurs et l’agriculture dans l’espace public.

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Pour citer cet article

Référence papier

Ivan Chupin et Pierre Mayance, « Champs et hors-champs de l’actualité professionnelle », Questions de communication, 39 | 2021, 55-78.

Référence électronique

Ivan Chupin et Pierre Mayance, « Champs et hors-champs de l’actualité professionnelle », Questions de communication [En ligne], 39 | 2021, mis en ligne le 10 décembre 2021, consulté le 11 septembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/25222 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.25222

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Auteurs

Ivan Chupin

Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Printemps, F-78380 Guyancourt, France

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Pierre Mayance

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CESSP, F-75005 Paris, France

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