1Cet ouvrage se donne pour objectif de s’appuyer sur les concepts d’espace public, de territoires et de démocratie, pour proposer un panorama de ce qui pourrait plutôt se nommer l’espace public pluriel, décliné du local à l’international, en passant par l’espace européen. Si les parrainages d’Emmanuel Kant et Jürgen Habermas sont évoqués dès les premières lignes, très rapidement, des références à Dominique Wolton et surtout à Karl Polanyi s’imposent, ce dernier auteur s’avérant progressivement la principale référence.

2En quoi peut-il apporter quelque chose aux recherches en SIC ? Ces sciences ont travaillé séparément l’intelligence territoriale et l’espace public. L’auteur, doctorant et possédant une expérience politique de terrain dans la région Auvergne, propose d’aborder le recoupement des deux problématiques en passant par une étude de cas élargie. Cette approche accepte la part de la subjectivité du chercheur en tant qu’élu, et oblige à une prise de distance vis-à-vis de soi-même. L’engagement, dans l’esprit de l’auteur, n’empêche ni la représentativité d’un échantillon, ni les reconstructions après enquête.

3Il n’est pas évident de rapprocher ces deux notions. D’abord parce qu’on traite la plupart du temps l’intelligence territoriale comme une dimension économique et l’espace public comme une dimension politique : la situation économique et sociale est une donnée d’expérience et non l’objet d’une délibération constante. Et ensuite parce qu’elles correspondent à des ensembles géographiques souvent différents : l’intelligence territoriale est pensée localement, l’espace public de plus en plus dans sa dimension européenne, non uniquement nationale.

4Il y a, en arrière-fond de nos sociétés, la conviction que nous sommes dans un monde où les déterminants économiques sont vécus par tous comme dominants. Que nos sociétés sont composées de gens ayant vécu des modes de socialisation très différents. Et que le progrès trouve ses limites avec celles de la planète.

5J. Habermas définit la modernité par l’usage de la raison, la multiplication des organisations (partis, syndicats…), la construction d’une législation. Mais aujourd’hui, d’autres questions se posent : les citoyens peuvent-ils faire autre chose que ratifier des compromis écrits en dehors d’eux ? Les femmes ne devraient-elles pas mieux accéder aux fonctions électives ? N’y a-t-il pas maintenant d’autres espaces publics à décrire ?

6Il y a, nous dit l’auteur, une fragmentation de l’espace public : un espace public bourgeois, un espace public prolétaire, des formes multiples d’engagement militant (associatif ou autres collectifs), une aspiration à la démocratie participative. Il y a des espaces autonomes qui, à l’occasion, émergent dans l’espace public avec ses procédures de délibération. Et nous assistons à un rapprochement de notions initialement conçues comme distinctes : l’idée que l’activité économique doit être régulée par le processus de la délibération s’impose de plus en plus. La notion d’espace public se complexifie.

7Comment alors relier cette analyse aux questions territoriales ? Par l’économie sociale et solidaire. L’économie sociale naît vraiment au xx^e siècle. L’économie solidaire vient ensuite, comme un positionnement complémentaire : l’idée d’une solidarité nécessaire dans un univers économique difficile. La finance solidaire ou l’économie sociale sont inscrites dans les logiques de territoire : les propositions partent de l’identification de besoins spécifiques (garde d’enfants, aide aux personnes âgées…). Mais la proximité n’est pas le seul paramètre. Le partage d’objectifs est essentiel. On a vu des Coop changer d’échelle, racheter des entreprises d’autres pays, rencontrer des difficultés qui sont celles de toute entreprise.

8La deuxième partie annonce une analyse des échanges entre individus et groupes, des pratiques de communication politique. En réalité, peu d’éléments factuels sont donnés, et quand ils sont donnés, ils sont rarement précis (l’Auvergne a une démographie déclinante, il y a peu de chômage…), Clermont-Ferrand devient métropole en 2018. Les principaux résultats sont donnés sous forme de réflexion générale : il y a une tension entre la volonté de désencastrer les territoires et l’univers économique, s’identifier à un territoire ne s’oppose pas à l’ouverture au monde… Mais on ne sait pas précisément qui a été interrogé, quelles ont été les positions des uns ou des autres. Et très rapidement, le texte revient sur la place des questions économiques dans la discipline et leur mode de traitement, ou la relative autonomie de la société civile par rapport à l’univers politique, ou les pratiques managériales de l’économie sociale et solidaire. Il ne semble pas que ces réflexions soient inspirées par le terrain, en tout cas rien ne le prouve.

9C’est aussi le cas des réflexions qui suivent sur les acteurs de l’espace public qui sont proposés : entrepreneurs de causes, chercheurs et élus. On note que les fonctionnaires bien formés, qui restent sur le terrain plus longtemps que les élus, peuvent être classés dans les entrepreneurs de cause. Ou que le thème de la démocratie participative s’invite dans le débat depuis 2005, sans que l’on repère la justification de cette datation en Auvergne. La métropolisation est citée, mais sans être référencée spécifiquement. Les communications numériques sont utilisées par les politiques de la région, mais sans que l’on puisse repérer les particularités de leur utilisation sur ce territoire. L’irruption des médias mobiles et leur usage généralisé attirent plus de questions que d’observations : depuis quel territoire les échanges sont-ils émis ? Que devient la notion de territoire ?

10Puis la notion d’interterritorialité est proposée, pour signifier le fait que les individus ne cessent de passer d’une échelle de territoire à l’autre, d’un lieu physique à l’autre, d’un lieu de contacts à l’autre, d’une technique et condition de communication à l’autre. De leur côté, les régions jouent leur jeu, se donnant une image, comme le font les marques, pour exprimer leur particularité, leur performance et leur qualité. Alors comment favoriser l’articulation des différentes identités, à une période où l’espace public est vécu dans un temps de mondialisation et de diversité culturelle ? L’identité européenne, le fait de se sentir européen, a un début de réalité et est un lieu expérimental de l’identité. Le cosmopolitisme est en revanche plus rare.

11Si l’on comprend l’accès à cette thèse dans une collection conçue pour valoriser les jeunes chercheurs et la dimension internationale de la discipline, on peut prendre cet ouvrage comme une première tentative de pensée avec ses maladresses (des conclusions qui ne sont que des résumés de ce qui a été dit antérieurement). Mais on est aussi frustré dans notre attente d’une partie empirique construite par des données objectives, étayée de citations. Les données précises (nombre de personnes rencontrées, leurs fonctions et localisations…) sont introuvables.

12Le lecteur a toujours le sentiment de ne jamais quitter la théorisation. On se demande alors dans quelle mesure l’objectif est rempli, puisqu’il s’agissait d’expliciter ce que le vécu territorial peut apporter à une thèse, et ce qu’une théorisation peut apporter à une pratique politique.