1Cet ouvrage rédigé sous la direction de Maëlle Bazin, Frédéric Lambert et Giuseppina Sapio s’attache à cerner et définir les enjeux de la stigmatisation et les modes de résistance qui en découlent. Les différents articles qui le composent, divisés en trois grandes parties : « Stigmatisation : Pouvoir des mots, politique et normes sociales » (p. 39-134), « Dispositifs et discours médiatiques : mise en scène des corps vulnérables » (p. 135-216) et « Réappropriation du stigmate : engagement, lutte et création » (p. 217-302), permettent d’exemplifier la manière dont s’opèrent les processus de stigmatisation ainsi que leurs effets sur les individus minorisés. L’ouvrage rend en effet compte du pouvoir exercé par le langage et les discours en termes d’exclusion des minorités et dans les processus de construction de catégories d’individus jugés légitimes ou hors normes. Les enjeux de pouvoir de l’espace médiatique constituent l’un de ses fils directeurs. Les médias occupent un rôle majeur dans leur capacité à invisibiliser, sur-représenter, ou stigmatiser certaines catégories de population. « L’ambition de cet ouvrage est de rassembler les différentes manifestations et déclinaisons médiatiques du processus de stigmatisation, en faisant émerger la pluralité des signes et des comportements considérés comme déviants par une société donnée » (p. 27).

2La première partie permet de cerner les stratégies de stigmatisation déployées par les groupes dominants pour exclure et disqualifier certaines catégories de population et comportements. Elle offre également l’opportunité de revenir sur les définitions de la stigmatisation, de la dénonciation et de la discrimination, la distinction de ces termes étant essentielle à la compréhension des enjeux de l’ouvrage. « Le stigmate pose la question de la différence non comme pensée ontologique mais comme mécanisme social en en faisant apparaître la dimension politique dans une pensée binaire et régulatrice » (p. 277). La stigmatisation rend compte des normes sociales en vigueur dans une société donnée, elle en constitue un rappel constant et participe, dès lors, à les maintenir et les renforcer. Son sens réside dans l’acte de répétition. Selon Stuart Hall, c’est la représentation qui construit l’identité d’un individu et la représentation est elle-même élaborée par des pratiques discursives ; c’est en ce sens que les médias occupent un rôle majeur dans la perpétuation de schémas dominants et des normes hégémoniques. Par ailleurs, Judith Butler est régulièrement citée en raison de ses écrits sur la performativité du discours. Le pouvoir de la stigmatisation réside dans sa fonction performative : la répétition d’acte de stigmatisation cristallise les rapports de pouvoir entre groupes dominants et dominés et essentialise les identités en donnant l’illusion que les comportements jugés déviants relèvent de processus naturels et non d’une construction sociale. L’acte de stigmatisation est une « action qui actualise et légitime l’exclusion du sujet qui le porte » (p.24)

3Les six premiers chapitres de l’ouvrage permettent de surcroît d’analyser différents modes d’opération de la stigmatisation. L’acte de stigmatiser repose sur de multiples processus discursifs qui participent à déshumaniser des individus en raison de leur couleur de peau, de leur genre, de leur sexualité, de leur classe sociale, de leur maladie ou handicap. Ces processus discursifs sont variés et peuvent être liés à des actes de simplification des caractéristiques propres à un groupe d’individus, à l’usage de stéréotypes, de préjugés, de raccourcis, de procédés humoristiques dont l’objectif est de créer une complicité avec un groupe dominant au détriment des individus minorisés. Dans tous les cas, l’acte de stigmatisation repose sur la construction de la figure de « l’autre », de l’intrus et de l’indésirable. Le langage de la stigmatisation, dans sa capacité à essentialiser et donc à figer les identités, s’apparente à un « dispositif de pouvoir » selon la notion de Michel Foucault car il maintient l’emprise des normes sociales et de fait, participe à dissuader et réguler certains comportements et à déshumaniser les individus situés en dehors de ces normes hégémoniques qui régissent la société.

4L’ouvrage insiste sur le pouvoir représenté par les mots et leurs usages, « la stigmatisation est un acte de langage » (p. 16), raison pour laquelle les médias sont au cœur de ces processus de stigmatisation : ils participent activement à la circulation et à la cristallisation des schémas de pensée dominants et des normes hégémoniques. Les médias relaient essentiellement des discours produits par des groupes dominants et participent, alors, à faire perdurer ces rapports de pouvoir. L’ouvrage met ainsi en lumière la nécessité, pour les minorités, de se réapproprier à la fois l’espace médiatique et le stigmate qui y réside, dans le but de se défendre, de redéfinir ce dernier et de lutter collectivement contre les normes hégémoniques qui essentialisent et contrôlent les individus. Il est, dès lors, aussi « un manuel de la résistance à la stigmatisation » (p. 21) qui s’apparente à un outil de lutte contre les préjugés et qui éclaire les différentes manières de se défaire des représentations stigmatisantes afin d’en proposer de nouvelles. Le dernier chapitre rend compte de diverses formes de résistance et de l’enjeu politique majeur que représente le réinvestissement de l’espace médiatiques par les minorités afin de construire de nouveaux paradigmes.

5« La stigmatisation, qui n’est pas l’apanage des instances de pouvoir hégémonique, peut contribuer à fédérer et mobiliser, virtuellement et physiquement, une opposition politique » (p. 29). Les chapitres qui constituent la dernière partie de l’ouvrage illustrent différentes méthodes employées par les groupes stigmatisés pour redéfinir et renégocier le stigmate et ainsi mettre en place une résistance collective dont la puissance politique réside dans sa capacité à fragiliser, déstabiliser, les représentations stigmatisantes dominantes. Cela s’opère, par exemple, à travers des stratégies de retournement du stigmate. Les termes « dykes », « nigger », « gouine » ou « queer », originellement insultants, illustrent ces stratégies en raison de leur réappropriation par les minorités visées, à des fins d’empowerment : « Dans sa dimension discursive [la stigmatisation] consiste à reprendre un élément langagier ressenti comme blessant et/ou injurieux et à en modifier la valeur axiologique négative pour le transformer en marque d’identité habilitante » (p. 217). « Ce qui compte, c’est le changement de la position du regard, similaire également à ce qu’Éric Macé appelle “anti-stéréotype”, c’est-à-dire une déstabilisation réflexive du stéréotype à travers notamment l’humour » (p. 267). Cela permet également aux minorités de s’exprimer publiquement et de rompre avec l’invisibilité structurelle qu’elles subissent. L’ouvrage offre, enfin, la possibilité de revenir sur une question essentielle de l’acte de stigmatisation qui est celle de la légitimité à s’exprimer et à représenter les minorités.