1Pour une large part, le pouvoir de séduction exercé par le titre du volume revient sans doute à la promesse qu’il formule d’engager une approche transatlantique de l’objet. Les points de vue français et nord-américains, plus que de se croiser et se répondre comme on aurait pu le souhaiter, ne feront, globalement, que se succéder au fil des contributions. Au lecteur de faire vivre, a posteriori, cet échange qu’autorisent et appellent les multiples ressources mises à disposition par les auteurs.

2Les huit contributions rassemblées dans le volume se révèlent aussi hétérogènes dans leurs ancrages disciplinaires et leurs objets que dans leurs perspectives critiques. La notion de célébrité fait elle-même l’objet d’approches diverses, moins contradictoires que complémentaires, asseyant la pertinence bibliographique de l’ouvrage. Organisé en trois parties, Selfies & stars traverse, plus ou moins rapidement, chacun des trois grands âges de la célébrité en politique. L’âge héroïque d’abord, celui d’une célébrité de papier couronnant grandeur et exemplarité ; l’âge égotiste ensuite, celui d’une célébrité médiatique caractérisée par l’exposition de l’intimité de politiques qui, bien qu’individualisés, demeurent étroitement associés à leurs rôles institutionnels ; et l’âge narcissique enfin, l’âge d’une célébrité numérique, celle d’individus plus que de partis, celle des selfies plus que des poignées de main et celle, finalement, de l’extimité promotionnelle et des affects.

3La première partie, « Renommée et célébrité de papier », s’ouvre sur une étude de cas largement documentée consacrée à la figure de Louise Michel. Sidonie Verhaeghe propose une lecture historique et critique d’une popularité qui « rend ainsi visible la conception méritocratique révolutionnaire dans le dernier tiers du xix^e siècle » (p. 32). La contribution de Christian Le Bart, qui, parce qu’elle en explicite la charpente, aurait tout aussi bien pu figurer en préambule du volume, revient ensuite sur l’évolution en trois temps des rapports entre célébrité et politique. C. Le Bart résume lui-même son propos en écrivant que le « temps de l’impersonnalité est révolu : l’idéal qui fondait le régime d’assemblée sur fond de crainte du césarisme est perçu comme dépassé […]. Mais la seconde phase de notre histoire politique, celle qui tolérait la personnalisation au prix d’une exemplarité finalement très impersonnalisante, est elle-même dépassée. […] D’où une troisième phase, qui privilégie au contraire l’expressivité, le jeu distancié avec le rôle, l’ironie même, comme si les rôles institutionnels n’étaient plus à eux seuls pourvoyeurs de légitimité. […] Ils [les politiques] existent désormais d’abord grâce aux médias » (p. 63).

4Mireille Lalancette et Vincent Raynauld interrogent, dans la deuxième partie, « Popularité et célébrité médiatique », le phénomène d’advocacy – soit d’engagement public des célébrités en faveur de causes diverses – dans le cadre de campagnes politiques étasuniennes et canadiennes. Si l’objectif de cette contribution est d’explorer les enjeux de ces appuis médiatiques et médiatisés, l’espace d’écriture disponible ne permet finalement aux auteurs que d’esquisser quelques pistes explicatives soutenues par une solide bibliographie. Les deux exemples choisis pour illustrer le phénomène, soit la campagne des élections fédérales de 2015 au Canada et la campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis, appellent pareillement plus de développements – ici principalement réduits à des considérations quantitatives – que ne le permet le volume.

5Depuis l’autre rive de l’Atlantique, Nicolas Mary propose ensuite de revenir sur « La starisation de Rachida Dati dans la presse magazine ». L’ascension puis la chute politico-médiatique de l’ancienne garde des Sceaux française fait l’objet d’une solide analyse critique renforcée, là encore, par une robuste bibliographie multidisciplinaire, allant de l’économie à la psycho-sociologie. L’auteur y pointe, entre autres, le rôle de pionnier joué par les journaux dits « sérieux », devant la presse people, dans ce processus de starisation. Depuis la France encore, l’article suivant questionne le traitement médiatique réservé par le magazine people, Closer aux représentants du Front national. Jamil Dakhlia conclut, après démonstration, à « une banalisation de ce parti dans l’espace public français » (p. 125), ajoutant que « la stratégie énonciative du magazine de Mondadori s’harmonise remarquablement aux nouveaux impératifs stratégiques de la communication politique du FN » (p. 125).

6C’est avec une analyse de la « marque » Trudeau que s’ouvre la troisième et dernière partie de l’ouvrage, « Visibilité et célébrité numérique ». De sa campagne électorale de 2015, où « les médias sociaux ont joué un grand rôle » (p. 130), au matin suivant son élection comme Premier ministre, où il prit « plusieurs clichés avec ses électeurs » dans un bain de foule organisé dans le métro de Montréal (p. 131), les stratégies et pratiques de communication de Justin Trudeau offrent à Myriam Durocher et Mireille Lalancette un cas « idéal pour réfléchir à l’enchevêtrement entre la célébrité contemporaine et la politique » (p. 131) et plus spécifiquement à l’utilisation du selfie comme pratique d’un marketing politique transformant l’homme en produit, le nom en marque. Figure souvent comparée à celle de J. Trudeau, Emmanuel Macron, par son mode d’ascension politique, semble contredire, pour Pierre Leroux et Philippe Riutort, « ce que la sociologie politique considérait comme des acquis. Son entreprise politique se présente à la fois comme dégagée des cadres structurants de la politique (soutiens, parti), et largement liée à un intense travail de communication » (p. 147-148). Les deux auteurs retracent ainsi, non sans le questionner, le singulier parcours de mise en visibilité médiatique qui précéda la campagne présidentielle d’E. Macron.

7C’est enfin au corps physique des hommes et femmes politiques que s’intéresse François Hourmant. Ce corps assujetti depuis les années 2000 à « un nouvel ordre corporel qui impose ses règles, à la fois aux compétiteurs comme aux journalistes, assurant la promotion d’une approche sensible du politique, caractérisé par l’emprise des émotions et l’empire des apparences » (p. 167), dans une forme de réactivation douce d’une physiognomonie que l’on pensait dépassée.

8Puisque, comme le formulent les auteurs de la conclusion, « Loin d’être un épiphénomène, le cas Donald Trump constitue un bon analyseur pour appréhender cette “nouvelle économie politique de la célébrité” qui s’est imposée dans les sociétés occidentales » (p. 192), le lecteur pourra regretter le manque d’attention que lui portent globalement les contributeurs. Quelques lignes, en effet, dans la conclusion du volume, mais sans doute moins d’une dizaine de mentions au total. En définitive, contrairement à ce qu’annonce la quatrième de couverture, plus que de « tenter de comprendre ce que la culture de la célébrité fait à la politique », le volume ouvre de plus larges perspectives ; la célébrité n’y est pas envisagée comme une entité abstraite et insaisissable, « agissant sur », mais plutôt comme un phénomène complexe, aussi « déterminé par » des champs eux-mêmes en constante évolution.