1Cet ouvrage offre un éventail des différentes approches théoriques et méthodologiques mobilisées en sciences de l’information et de la communication (SIC) pour questionner tous les types de média et leurs productions. Il s’agit ici de considérer l’extension que le numérique a apporté au papier et à l’analogique pour déployer un nouvel espace médiatique. Cet espace renvoie tout autant aux médias d’information (presse écrite), qu’aux médias audiovisuels (télévision, radio, cinéma) et aux médias numériques (sites d’information en ligne, portails, réseaux sociaux). Cette extension conduit à une production médiatique toujours plus importante et variée qualifiée de médiatisation. La spécificité des recherches en SIC, en articulant les dimensions socio-culturelles, économiques et politiques, s’avère ici des plus pertinentes pour bien saisir les mutations de ces « réalités médiatiques contemporaines ».

2Il ne s’agit pas là d’un manuel, mais d’une proposition pour considérer ce nouvel espace médiatique. Ainsi, dans l’introduction, Benoît Lafon propose une grille de lecture pour appréhender ce phénomène. Il distingue « trois types de dispositifs ayant trait au domaine de la communication et des médias » (p. 8) et propose un modèle pour appréhender les différents facteurs explicatifs de cette réalité médiatique plus complexe. Intitulé « MÉDIATS », ce modèle présente les cinq dimensions à considérer : MÉ pour modèle économique, D pour discours, I pour institution, A pour acteurs, et TS pour techniques et société. L’ouvrage est constitué de dix chapitres et de quatre focus répartis en deux parties. La première rassemble les travaux qui analysent les médias, la seconde, les faits sociaux médiatisés.

3Le premier chapitre, de Vincent Bullich et Laurie Schmitt, s’intitule « Socio-économie des médias : analyser les stratégies de production-valorisation ». Les auteurs rappellent que l’économie politique de la communication francophone aborde les phénomènes étudiés dans leurs dimensions économiques et politiques mais selon deux axes différents. Un premier axe vient dénoncer les logiques de domination à l’œuvre accompagnant la mondialisation de l’information et de la communication. Un second renvoie à la tentative de renouveler la théorie des industries culturelles en proposant des modèles (éditorial, flot, etc.). Cependant, quel que soit l’axe, il est toujours question dans ces analyses socio-économiques de considérer les médias comme des acteurs ou des groupes d’acteurs et d’étudier leurs stratégies, et c’est tout l’intérêt de ces approches : mettre en avant l’analyse des stratégies d’acteurs. Ce chapitre est suivi d’un focus rédigé par Franck Rebillard. En rappelant que les médias associent du symbolique et de l’industriel, il invite à appréhender dans une même perspective leur dimension socio-économique et la nature même des productions médiatiques. Il conserve cette perspective pour présenter le cas de l’information en ligne, et l’arrivée de nouveaux acteurs : les infomédiaires, qui relèvent du « courtage informationnel » un nouveau modèle qui vient enrichir ceux présentés précédemment. Céline Ségur, dans un deuxième chapitre, présente l’évolution des différents questionnements et méthodes sur les usages des médias. Elle revient sur les grandes étapes de la recherche sur les « publics médiatiques » : entre mesure d’audience et analyse de la réception qui ont contribué à inscrire les pratiques médiatiques dans le monde social (p. 58). Pour sa part, Emmanuel Marty fait une présentation des ancrages théoriques et méthodologiques mobilisés pour étudier les contenus et discours médiatiques. Il présente les différents outils et méthodes disponibles, jusqu’aux plus récents, les SNA (Social Network Analysis (p. 96), pour analyser les discours des médias, en insistant sur la nécessité d’une articulation solide entre, d’une part, les outils et les méthodes d’analyse du discours, et, d’autre part, les théories du discours, afin de construire ainsi son « parcours interprétatif ».

4Rédigé par Yves Jeanneret, le chapitre 4 « Recourir à la démarche sémio-communicationnelle dans l’analyse des médias » est important. Il présente de façon didactique, en donnant des repères, pour « un recours raisonné à l’analyse sémiologique dans le cadre d’une approche communicationnelle » (p. 105). Il insiste sur les exigences spécifiques de cette analyse lorsqu’il s’agit des médias, à considérer comme conditionnant et non déterminant la communication, cette production constante de sens par les individus et les groupes au fil des échanges. Il revient sur le concept de dispositif médiatique pour une approche communicationnelle, entendu ici comme un artefact industriellement produit qui configure les conditions matérielles de la communication : « Le dispositif détermine la manière dont les signes peuvent être produits, enregistrés, diffusés, reçus, transformés : ce qui participe à la vie triviale des êtres culturels » (p. 119).

5Le focus 2, qui suit ce chapitre intitulé, « Récits médiatiques », de Marc Lits, revient et développe toutes les dimensions du récit médiatique : ses apports, ses logiques, ses dangers et donc aussi ses exigences. Dans le cinquième chapitre, Claire Blandin retrace brièvement les grandes étapes de l’histoire des médias, pour montrer les enjeux que posent, d’une part, la numérisation des archives, et, d’autre part, les thèmes émergeants pour la suite de recherches en histoire des médias, comme celui de prendre dorénavant en considération la circulation des discours médiatiques.

6La seconde partie de l’ouvrage, intitulée « Médiatisation. Les grands enjeux. », s’intéresse à la construction des faits sociaux médiatisés. Les médias produisent des contenus consommés par les publics dans des thématiques diverses – questions politiques (agenda gouvernemental, politiques publiques…), socio-économiques, culturelles, environnementales, etc. – et sous des formes variées – de l’article spécialisé à l’information humoristique, de la vidéo de vulgarisation aux formats fictionnels. Les médiatisations sont par conséquent omniprésentes dans le quotidien des publics citoyens ; leur analyse pose des questions toujours renouvelées et essentielles quant à l’influence des médias au sein des groupes sociaux et à la construction des normes. Autrement dit, il s’agit de comprendre ici comment les médias et les moyens de communication participent à la définition du social et de ses dynamiques.

7Dans le chapitre 6, qui introduit cette seconde partie, B. Lafon revient sur les différentes définitions du terme « médiatisation ». Il propose alors de considérer le double phénomène : « Le processus de médiatisation, tel que nous l’envisageons relève à la fois du procès de médiatisation de la communication, c’est à dire des processus visant à techniciser les échanges, et du procès d’élargissement du domaine médiatique qui concerne l’extension des médias vers les médias sociaux » (p. 179). Le processus de médiatisation apparait ainsi comme un moyen de donner de la profondeur aux études sur les médiatisations ainsi que de relier les contenus produits et consommés avec les problématiques plus générales d’une économie politique de la communication (p. 184). Il propose alors comme objectif des recherches en communication, celui de croiser les apports de l’analyse fine des médiatisations avec ceux d’une étude d’un processus de médiatisation plus général à portée politique et économique et sociale.

8Dans le chapitre suivant, Isabelle Paillard retrace l’évolution du rôle de la médiatisation et de ses conséquences dans l’espace public, qui, relativement unifiée, laisse place à « une pluralité d’espaces publics, indiquant tout à la fois leur élargissement (à d’autres acteurs, d’autres domaines sociaux, d’autres registres d’expression, d’autres conflictualités) et leur fragmentation » (p. 208).

9Dans un focus sur le rôle des journalistes comme acteurs de la contribution à la médiatisation des faits sociaux, Roselyne Ringot propose de convoquer la notion d’auteur. Elle part de l’hypothèse qu’on assiste aujourd’hui à des stratégies d’individualisation de la parole journalistique dans un contexte de prolifération de l’information liée au numérique et aux réseaux sociaux.

10Sur la médiatisation du politique, Pierre Leroux et Philippe Riutort constatent également une « accélération sans précédent de la mise à disposition et de la circulation d’une information politique de plus en plus multiforme, qui vient élargir quasiment sans limite la masse de vecteurs de l’information politique mais aussi de ses producteurs et diffuseurs » (p. 221). Ils proposent alors de présenter les principaux repères d’une analyse de la politique médiatisée. Puis dans le chapitre intitulé « Les médiatisations visuelles des savoirs scientifiques », Michael Bourgatte et Daniel Jacobi analysent les différentes transformations que subit la production scientifique. Pour qu’elle se diffuse plus largement dans la société et parvienne ainsi à rencontrer de très larges cercles de publics, le discours scientifique des spécialistes subit un certain nombre de transformations, textuelles d’abord, visuelles ensuite.

11Enfin, Isabelle Garcin-Marrou, revient sur les études qui ont analysé le genre au prisme des médias. Elle en distingue deux moments : celui qui interroge la place ou la présence des femmes dans les contenus médiatiques et dans les rédactions. Ensuite, celui qui aborde de façon plus précise des thématiques spécifiques (la famille, la politique, le sport) et qui permet d’approcher les modes éditoriaux ou discursifs de constructions des dominations genrées (p. 280). Les études sur les médias sous l’angle du genre, permettent alors de « comprendre comment les médias construisent, signifient et réaffirment des rapports de pouvoir et de domination ». Et de constater que, sur les nouveaux espaces médiatiques que sont les réseaux sociaux, viennent s’exprimer des formes de résistance et de déconstruction des dominations genrées (p. 288). Dernier focus, celui de Jocelyne Arquembourg qui revient sur la notion d’événement, pour montrer que la « médiatisation des événements collectifs interroge avant tout leur publicisation qui n’est pas redevable aux seuls médias, mais aussi aux acteurs qui la portent et aux publics qui lui répondent » (p. 297), et pour souligner les limites à considérer seule la médiatisation pour appréhender les événements.

12L’ouvrage est d’une grande richesse pour tout étudiant·e ou chercheur·se s’intéressant aux médias et aux faits sociaux médiatisés. Il ou elle pourra y repérer et choisir tel ou tel cadre théorique et/ou méthodologique. On peut néanmoins regretter que les chapitres semblent plus servir au directeur de l’ouvrage à construire sa nouvelle grille d’analyse capable d’appréhender ce double procès – à la fois l’extension du domaine médiatique et la technicisation des échanges – qu’aux chercheurs sollicité. Nous attendons donc avec impatience une suite, où les différents travaux viendraient mobiliser cette nouvelle grille pour en saisir sa pertinence et ses limites.