1En 2012, nous célébrions les 10 ans de Questions de communication, une revue qui s’est imposée grâce à la détermination d’un collectif d’enseignant·es-chercheur·es exerçant dans deux universités voisines – Université Paul Verlaine-Metz et Université Nancy 2 – et dans deux unités de recherche qui font désormais partie de la seule Université de Lorraine et d’une seule unité, le Centre de recherche sur les médiations (Fleury, Walter, 2015). À l’occasion de cet anniversaire, 10 chercheur·es étranger·es (et un co-auteur français) posaient chacun et chacune une question sur l’un ou l’autre aspect de l’avenir scientifique du domaine info-communicationnel. La dimension épistémologique était présente via une mise en perspective de la pensée d’Aristote, de la théorie critique ou du récit médiatique. Le numérique était également questionné dans des propositions s’attachant aux usages et mésusages des jeux vidéo en ligne, du web en lien avec la participation politique, des technologies dans leur relation à la diffusion des connaissances. Enfin, diverses pratiques et applications du savoir faisaient l’objet de contributions interrogeant la commercialisation de la communication scientifique, l’internationalisation des connaissances et la mutation des revues scientifiques.

210 ans plus tard, que devient Questions de communication et que s’est-il passé sur un plan scientifique dans le domaine de l’information-communication ? Plus largement, comment avons-nous traversé cette décennie ? Il ne s’agit surtout pas de faire ici un retour descriptif sur le passé, mais de regarder vers le futur à l’aune des expériences engrangées. Pour les explorer, cette fois-ci, 20 chercheurs et chercheuses répondent à 10 questions posées par des membres du comité de rédaction qui, en 20 ans, a bien sûr été remanié. Logiquement, les sujets sont en phase avec les problématiques contemporaines, marquées en profondeur entre 2018 et 2022 par des crises sanitaires, sociales et politiques de grande envergure. Les discriminations et violences, le participatif en acte, les propagandes, la pandémie, l’environnement, l’espace, le temps et le travail, les algorithmes, l’audiovisuel numérique, l’art et les sciences sociales, les terrains matériels et immatériels sont donc les thèmes développés dans cette livraison qui a été préparée avant que le gouvernement de la fédération de Russie ne lance une guerre d’agression contre l’Ukraine en février 2022. Pourtant, cette violente et dramatique réalité, impensable hier, fait étrangement écho à des questions posées dans les pages qui suivent.

3D’évidence, la revue Questions de communication est différente de ce qu’elle était en 2012 et son environnement scientifique l’est aussi. Pour autant, la revue n’a pas renoncé aux valeurs et projets qui étaient les siens en 2002 et qu’elle a rappelés en 2012. Ainsi en 2022, comme hier et demain, entend-elle jouer un rôle de passeur dans et hors des sciences de l’information et de la communication (SIC) et elle reste ouverte à l’ensemble des sciences humaines et sociales (SHS), convaincue que ce décloisonnement ne peut que se matérialiser par des interrogations, passerelles, conciliations et réconciliations… au moins sur le plan scientifique. C’est dans un tel état d’esprit que la présente livraison anniversaire a donc été conçue. Elle est le résultat d’un travail mené par le comité éditorial dont les sensibilités scientifiques et les ancrages disciplinaires prennent forme et sens dans des universités françaises, en métropole et au-delà.

Partager et faire circuler des savoirs

4Structurée à sa création autour d’un dossier, d’« échanges », de notes de recherche et de notes de lecture, Questions de communication s’est enrichie au cours de la dernière décennie de deux rubriques qui confortent un projet éditorial fondé sur le désir de faire circuler des savoirs, avec un renforcement de la dimension internationale. Dans chaque livraison, « En VO » offre un article en anglais qu’éclaire le propos introductif de la responsable de la rubrique, tandis que « Focus » donne la parole à deux chercheurs et chercheuses ; l’un·e qui commente un ouvrage ancien, parfois oublié, dont la lecture éclaire des phénomènes actuels ; l’autre qui analyse un ouvrage récent qui porte sur des transformations de la société contemporaine. Pour ces deux rubriques, et comme il est d’usage dans la revue, les chercheurs et chercheuses disposent de l’espace qui leur sied (jusqu’à 50 000 signes) pour développer leur point de vue et aider de la sorte les lecteurs et lectrices à se forger le leur. Peu fréquente, cette disposition a contribué à faire de Questions de communication une base d’échanges et de discussions scientifiques qui se déploient au sein des SIC comme ailleurs. Le modèle a fait florès : il a inspiré d’autres revues ou collections d’ouvrages. Ce qui est plutôt de bon augure pour le dynamisme de la recherche en SHS.

5Et si la revue accueille des auteurs et autrices de disciplines différentes, elle donne aussi à lire et apprécier des travaux qui relèvent de traditions et de cultures tout aussi différentes. Cette ouverture figure autant dans les contributions publiées dans le dossier, les « échanges » et les notes de recherche que dans les notes de lecture qui sont une mine tout à fait précieuse de références scientifiques, en SIC bien évidemment, mais aussi en anthropologie, en art, en histoire, en littérature, en philosophie, en psychologie, en sciences de l’éducation, en sciences du langage, en science politique, en sociologie… En effet, chaque livraison publie une cinquantaine de recensions dont l’accès est facilité par un dispositif de recherche automatique qui renvoie à une base de données pouvant être interrogée par titre, auteur ou année de parution. En 20 ans, le nombre de contributeurs et contributrices de cette rubrique est substantiel et si de nouvelles signatures concourent à diversifier les regards et références, des amitiés se sont nouées à travers une présence régulière de quelques-uns et quelques-unes qui mettent leur curiosité intellectuelle au service de la revue.

6La pluralité des générations, disciplines, pays, cultures se lit autant dans les colonnes de Questions de communication qu’elle se devine dans les avis rédigés dans le cadre des expertises. Pionnière en SIC en matière d’évaluation en double aveugle, la revue sollicite des expert·es de plusieurs domaines disciplinaires, attendant de ces derniers et dernières qu’ils et elles se prononcent sur le fond du propos, justement au regard de leur spécialité. Ce qui peut, en certaines circonstances, conduire à des ajustements significatifs du contenu scientifique, dans le respect toutefois des singularités disciplinaires. Ayant pour ambition de faire dialoguer les savoirs et visant un lectorat élargi, nous croyons que ce partage de connaissances est un gage de qualité dont nous n’entendons pas nous priver. D’ailleurs, la livraison anniversaire met en application cette ouverture car sur les 24 contributeurs et contributrices, 11 sont chercheurs et chercheuses en sciences de l’information et de la communication ; les autres sont anthropologues, géographes, informaticiens, philosophes, politistes, sociologues, spécialistes des médias ou du cinéma pour ceux et celles qui exercent en Amérique du Nord.

7Justement, parmi les auteurs et autrices, 5 sont chercheurs et chercheuses dans des universités étrangères : aux États-Unis et au Canada comme on vient de le voir, mais aussi en Belgique. Certes, l’espace francophone est dominant dans ce dossier comme il l’est dans beaucoup de contributions, mais il tend à s’élargir, particulièrement en direction du monde anglo-saxon. D’ailleurs, si Questions de communication invite régulièrement des collègues de langue étrangère à contribuer aux livraisons (voir la rubrique « En VO » évoquée supra), des traductions d’articles sont aussi engagées telles celles concernant des échanges autour d’un texte de Nathalie Heinich (2017) sur la sociologie des valeurs dans la prestigieuse revue Cultural Sociology (Fleury, Walter, 2020). Cette voie constitue une opportunité pour faire connaître les travaux français et, au demeurant, elle est un chantier prioritaire des années à venir.

Changements de cap

9Il est une autre évolution qui conforte la politique d’ouverture de la revue. Pour en rendre compte, un retour sur les années antérieures et certaines étapes est utile. C’est en 2012 que Questions de communication, qui avait déjà créé son propre site, a rejoint le portail OpenEdition Journals (alors dénommé Revues.org). Depuis cette date, la diffusion numérique autorise un accès ouvert immédiat à l’intégralité des contenus de la revue, à l’exception des articles qui sont soumis à une barrière mobile de 2 ans. Étape suivante : depuis 2014, la revue a concrétisé un partenariat tripartite avec OpenEdition et le portail Cairn.info, puis avec son portail international, les deux derniers diffusant commercialement (abonnement institutionnel ou achat à l’article) les articles concernés par cette barrière mobile. Cette politique de diffusion des contenus, ainsi que les recettes inhérentes à l’exploitation commerciale d’une partie d’entre eux ont permis, d’une part, d’accroître l’audience de la revue et, d’autre part, de stabiliser sa situation financière en diversifiant ses sources de revenus. Sur le plan technique, alors que, depuis 2012, tous les contenus de la revue sont intégrés au portail OpenEdition, depuis 2020 – nouvelle étape –, le mode d’édition de la revue est en transition puisque l’équipe éditoriale – propre au Crem et en charge de la politique éditoriale de l’unité ‒ est maintenant formée à l’ensemble des outils d’édition multisupport.

10Ultime étape, forte de ces dispositions, Questions de communication a sollicité le Fonds national pour la science ouverte (FNSO), son objectif étant d’accélérer et d’achever la transition vers le libre accès intégral et immédiat tout en maintenant l’intégralité de ses canaux de diffusion actuels (en supprimant toute barrière mobile) : commercialisation de la version imprimée par les Éditions de l’Université de Lorraine et diffusion en accès ouvert immédiat sur les portails OpenEdition Journals, ainsi que Cairn et Cairn international. Elle est ainsi devenue une revue « diamant » en accès ouvert, c’est-à-dire gratuite pour les lecteurs et lectrices, avec comme objectif une diffusion sans entrave de l’ensemble de ses publications.

Qui dit quoi à qui ?

12En dix ans et en tenant compte de la diversification de l’offre éditoriale de la revue, le nombre d’auteurs et d’autrices a considérablement augmenté. En 2012, nous parlions de 500 contributeurs et contributrices pour les dix années écoulées. En 2022, toutes rubriques confondues, ce sont désormais plus de 1200 auteurs et autrices qui ont écrit dans la revue (depuis sa création). Un chiffre en hausse constante qui est à relier avec le renouvellement générationnel mais aussi avec l’augmentation du volume de chaque livraison. En effet, si la première livraison de Questions de communication comportait 142 pages, et si 10 ans plus tard, chacune en comptabilisait 350 à 450, en 2022, un exemplaire avoisine 750 pages. Évidemment, à l’heure de l’open access, le sens de ce chiffre se perd un peu, mais les équipes, elles, sont pleinement conscientes de ce qu’il représente, particulièrement à l’heure du bouclage. Ainsi profitons-nous de ce préambule pour remercier les collègues du studio Édicom du Crem pour le travail accompli, car sans eux et sans elles, Questions de communication n’existerait pas. Chaque livraison est pour l’équipe un challenge qu’elle relève avec brio. Les lecteurs et lectrices ne voient pas nécessairement cet investissement… Nous nous permettons donc de leur donner ici des clés pour lire entre les lignes !

13Au-delà des chiffres, qui sont les auteurs et autrices de Questions de communication ? Un pointage des signatures – en retirant de ce calcul celles des notes de lecture – fait état d’un certain déséquilibre numérique entre les hommes et les femmes. Sur les 362 contributeurs et contributrices (depuis 2012), 43 % sont des femmes et 57 % des hommes. Hormis quelques livraisons dans lesquelles les chercheuses sont plus nombreuses, cet écart – quoique relatif – se retrouve d’une livraison à une autre. La très grande majorité des contributeurs et contributrices exercent dans la quasi-totalité des universités françaises, en SIC mais aussi dans d’autres disciplines ; les autres sont issu·es de plusieurs universités européennes ou américaines (du Nord et du Sud), sans compter celles et ceux exerçant en Afrique. Enfin, on peut observer une diversité des statuts : chercheurs, chercheuses ou enseignant·es-chercheur·es, doctorant·es et post-doctorant·es. Novices ou plus ancien·nes, ils et elles sont pour certain·es des auteurs et autrices fidèles.

14Cette pluralité, c’est aussi celle des profils des lecteurs et lectrices qui, depuis 2014, avoisinent 4 millions de visiteurs et visiteuses et plus de 5 millions de visites sur OpenEdition, avec un pic très significatif pendant les périodes de confinement correspondant à la crise sanitaire. Quand sont parues les premières éditions en version papier, nous n’aurions jamais imaginé toucher un jour un tel lectorat. L’accessibilité numérique des revues et, plus largement, de la science a optimisé la visibilité d’une activité éditoriale qui ne renonce jamais aux exigences de qualité, d’éthique et de rigueur.

17Deux arguments principaux peuvent être avancés pour comprendre ces différences. L’un est d’ordre éditorial : Questions de communication étant une revue généraliste, des chercheurs et chercheuses privilégient les lieux de publication qui sont spécialisés dans leurs domaines. En outre, la revue encourageant des articles à portée théorique et méthodologique – particulièrement dans les « échanges » et dans les notes de recherche – il est logique que cette orientation soit plus souvent empruntée que ne le sont les autres. Une autre explication est d’ordre conjoncturel. La décennie que nous avons traversée a connu de profondes mutations – environnementales, sanitaires, politiques, technologiques, universitaires… – qui conduisent les chercheurs et chercheuses à questionner le monde social. Par sa ligne éditoriale, Questions de communication est à même de porter cette réflexion et d’en débattre.

18Ceci étant, il y a un domaine dont la place dans la revue est caractéristique de l’évolution sociotechnique : « Numérique : stratégies, dispositifs et usages ». Quand bien même plusieurs dossiers et échanges ainsi qu’un nombre important de notes de recherche lui sont consacrés, le libellé de ce domaine est trop étroit pour rendre compte du foisonnement des contributions publiées à son enseigne. En effet, la plupart du temps ‒ et ce, de façon de plus en plus fréquente ‒, il est croisé avec d’autres thématiques : le journalisme, les médias, la culture, le patrimoine, la santé, les questions relevant du champ politique et social… Si bien que ce libellé, pourtant stabilisé en 2018 dans la publication de la CPdirsic, paraît inadapté pour rendre compte des multiples orientations des travaux publiés, tant le numérique traverse l’ensemble du social. En attestent le contenu des notes de recherche et les dossiers qui sont en tête du palmarès des lecteurs et lectrices. Ainsi fake news, humanités numériques, smartphones, médias sociaux, sites web sont-ils quelques-uns des sujets qui attirent un lectorat important, même si d’autres thèmes – dont le débat public, la pornographie, la ville, les controverses… – captent eux aussi une audience très forte. En outre, il faut noter que Questions de communication contribue à l’émergence de nouveaux domaines en information-communication : il en va ainsi, par exemple, du religieux et de la laïcité. C’est le cas aussi pour certaines méthodes employées dans ce qu’il est convenu de nommer les humanités numériques. Dix ans sont passés par là… La revue, qui est un opérateur des évolutions et transformations dans le secteur de l’information-communication, veut en rendre compte explicitement, mais elle en témoigne parfois aussi de façon fortuite.

Conclusion

19Quoi qu’il en soit, nous sommes confiants en l’avenir. Pourquoi ? Nous avons la conviction que, plus que jamais, les revues généralistes ont un rôle important à jouer. Si, durant une période, des revues spécialisées ont eu et ont encore un indéniable intérêt, la multiplication de celles-ci, via le numérique, au point que certaines pourraient être qualifiées de revues de « niche » tant elles ont un lectorat étroit, pose un véritable problème. Pour maintenir leur richesse, à rebours d’une tendance à la balkanisation des savoirs et des connaissances, les disciplines ou les ensembles disciplinaires investissant un même domaine ne peuvent que tirer profit du dialogue entre les spécialités qui les composent et renforcer ainsi leur cohésion. Encore faut-il disposer de lieux qui le permettent. Telle est notre ambition. Au fond, les revues forment un monde social, au sens de la sociologie interactionniste (Pereira Fábio et Trédan). Dans cette optique, nous sommes et serons attentifs à certains mouvements qui font débat dans les comités qui animent les revues et chez celles et ceux qui estiment que ces supports sont fondamentaux dans le développement des recherches. Un bon exemple est fourni par ce qui est appelé l’évaluation ouverte avec une double orientation : la transparence avec la levée de l’anonymat du classique « double aveugle » qui favorise le dialogue direct avec les auteurs et autrices et l’extension de l’évaluation à quiconque veut contribuer à la lecture et à la discussion de l’article proposé en amont de sa publication (voir Baillot et al., 2022). Ce qui constitue une possible révolution des manières d’élaborer et de valider des publications. Vraisemblablement non sans effets dits pervers. On pourrait mener un raisonnement du même ordre pour l’accès aux données qui forment la matière première des articles. C’est dire que, ensemble, nous continuerons à converser et à innover. Rendez-vous dans 10 ans pour un bilan prospectif !