1Dirigé par Cédric Desrumaux et Jérémie Nollet, cet ouvrage collectif de 206 pages fait suite aux journées d’études organisées les 5 et 6 septembre 2016 à Sciences Po Toulouse. Il offre une compréhension approfondie du concept de « capital médiatique ». L’ouvrage n’est pas seulement une étude de la médiatisation politique, il entend aussi être une contribution à la sociologie du champ politique et des ressources qui y prévalent. Après une introduction, le livre se compose de huit contributions suivies d’une discussion entre les organisateurs et d’une conclusion.

2L’introduction proposée par les auteurs présente, avec finesse, quelques propriétés du capital médiatique. Avant de dévider l’écheveau, les auteurs soulignent que leur appréhension du terme « capital » ne doit pas se réduire à « des choses observables et mesurables » (p. 7). Pour eux, le capital doit être considéré dans le sens de Pierre Bourdieu ( « The Form of Capital », dans J. Richardson [dir.], Handbook of Theory and Research for the Sociology of Education, New York, Greenwood Press, 1986, p. 46) comme « du travail accumulé, qui, quand il est approprié sur une base privée par des agents ou un groupe d’agents, leur permet de s’approprier une énergie sous la forme d’un travail réifié ou vivant » (p. 8). Partant de ce postulat, l’analyse définit le capital médiatique comme étant « la somme de rapports sociaux qui se jouent indissociablement dans l’accumulation, sous forme de stratégie d’accès aux médias, dans sa conversion, selon les règles de fonctionnement du champ journalistique, et dans sa mobilisation, comme capacité à agir dans des jeux sociaux où ils peuvent opérer » (p. 8). Le capital médiatique est alors « le résultat instable de luttes et de rapports de force au sein d’espaces médiatiques » (p. 18) au point que sa rentabilité découle « du travail politique qu’il faut prendre pour objet » (p. 19) dans les espaces médiatiques.

3L’analyse va plus loin et souligne que, dans le domaine politique, en fonction de la position et de la nature du poste, l’intérêt des acteurs à la médiatisation n’étant pas le même, il ne peut pas y avoir un égal accès. Cette dichotomie entre les postes qui nécessitent plus un accès aux médias et ceux qui le demandent moins, pousse Aeron Davis et Emily Seymour (2014) à catégoriser, d’une part, « le capital médiatique institutionnalisé qui fait appel aux postes politiques de pouvoirs et oblige à un accès plus régulier aux médias et le capital individualisé, et, d’autre part, le capital médiatique individualisé, qui demande un accès moins fréquent aux médias » (p. 23).

4Cette analyse introductive, dont le langage est accessible au lecteur lambda, permet de comprendre les articulations du concept de « capital médiatique », qui, in fine, peut englober des réalités tant abstraites que visibles. Ce qu’on pourrait reprocher à l’analyse est de se limiter à l’usage des blogs et des sites internet, mais de ne pas suffisamment développer la manifestation du capital médiatique, vue sous l’angle des médias sociaux. On sait que ces plateformes socionumériques reconfigurent complètement les règles traditionnelles de l’accès aux médias et libèrent la parole dans tous les domaines d’activité.

5La première contribution de l’ouvrage intitulée « Accumuler du capital médiatique en un temps record : Emmanuel Macron, ministre de l’Économie (août 2014-août 2016) » est proposée par Pierre Leroux et Philippe Riutort. Les auteurs analysent la responsabilité des médias, et parfois leur complicité dans la fulgurante carrière politique d’E. Macron, sans mandats électoraux, ni d’expérience militante, deux ans ont suffi à rabattre « l’inconnu vers le connu » (p. 27). Il a accumulé rapidement « une visibilité médiatique intense » (p. 27) de son action en tant que ministre, de sa personnalité et de son entreprise politique. Cette accumulation du capital médiatique est favorisée par les postes qu’il a occupés dans l’appareil d’État et aussi dans le monde financier. En tant que ministre de l’Économie, E. Macron réussit très vite à fabriquer une marque politique personnelle au sein des espaces médiatiques. L’accumulation du capital médiatique est aussi facilitée par certaines propriétés du ministre, notamment « sa jeunesse, son physique agréable, l’originalité de son couple » (p. 32). Cette analyse du cas d’E. Macron est une belle illustration du capital médiatique institutionnalisé évoqué dans l’introduction, qui favorise un accès plus régulier aux médias. Au regard des qualités propres à la personnalité d’E. Macron, les auteurs se demandent si le capital médiatique ne serait-il pas « une variante du capital symbolique ? » (p. 37).

6Signée par Aïcha Bourad, la deuxième contribution montre que contrairement à E. Macron dont l’ascension politique relève de l’accumulation d’un capital médiatique, la candidature présidentielle de José Bové est le fruit de la valorisation du capital symbolique, fait essentiellement d’engagement militant. En cela, l’auteur partage la position d’Éric Darras (1995) : « Plutôt d’un capital médiatique, les ressources médiatiques sont pensées comme constitutives symboliques dans le champ journalistique » (p. 42). Le capital symbolique est considéré dans le sens d’Érik Neveu (« Les sciences sociales doivent-elles accumuler les capitaux ? », Revue française de science politique, 63, 2013, p. 337-358) qu’il définit comme « un prestige, une aura, qui naît de processus de perceptions enchantés et sublimés d’acteurs qui détiennent des structures ou des volumes inhabituels, des capitaux précédents, social, culturel et économique, où qui passent pour les avoir acquis aux termes de processus ou d’épreuves extraordinaires ». La candidature de José Bové à l’élection présidentielle a été facilitée par la valorisation du « capital symbolique dans les médias » (p. ??). L’auteur arrive à la conclusion que le capital symbolique de J. Bové lui a « permis de constituer sa communauté émotionnelle autour de l’idée de sa candidature » (p. 53). L’analyse est en totale symbiose avec C. Desrumaux et J. Nollet sur le fait que la notion de « capital » peut être abstraite. Dans le cas de J. Bové, on note que son capital médiatique découle à la fois de son engagement militant et de ses qualités morales.

7La troisième contribution porte sur « Une médiatisation à plusieurs visages ». Safia Dahani analyse le capital médiatique du Front national (FN). Elle fait le constat que dans l’espace médiatique, le parti ne bénéficie pas systématiquement d’un grand intérêt des journalistes. L’auteur note un cercle médiatique restreint des cadres du parti. Dès lors, elle renseigne que la stratégie de communication du parti, dénommé « la dédiabolisation » qui vise à « rendre compte des réussites, des échecs ou encore des limites » (p. 57), permet au FN de « normaliser » sa présence dans les médias. L’auteur conclut que « le capital politique reste une condition nécessaire pour expliquer socialement les accès différenciés aux médias » (p. 71). L’analyse permet de bien comprendre que le parti FN a misé sur son capital politique et symbolique pour accéder quelque peu aux médias. En revanche, s’il est vrai que le FN était peu présent dans les médias, il n’en demeure pas moins, que l’élection présidentielle de 2022 rend caduques certaines statistiques de l’analyse. La situation du FN a beaucoup évolué aujourd’hui. Les cadres du parti n’ayant aucun mandat électif sont aujourd’hui régulièrement invités dans les médias. Aussi, faut-il ajouter que ce que l’analyse a manqué de souligner est que le parti « profite de la très forte couverture accordée à des controverses concernant les minorités arabes et musulmanes dans le débat public » (Alec G. Hargreaves, 2016, « La percée du Front national », Hommes & Migrations, p. 29-35) pour forger son capital médiatique.

8Sidonie Verhaeghe explique dans la quatrième analyse comment la visibilité journalistique peut déboucher sur la célébrité politique. Pour illustrer cette position, elle prend l’exemple de la célébrité politique de Louise Michel, qui pourtant, par son métier de journaliste anarchiste, défenseuse des droits des femmes, n’était pas, de ce fait, « incluse dans le processus électif de la démocratie représentative » (p. 73). S. Verhaeghe montre au regard du parcours professionnel et des ressources sociales de L. Michel que « la presse écrite joue un rôle important » (p. 73) dans la construction de la célébrité politique. L’analyse a su montrer que la célébrité politique de L. Michel est fortement liée au contexte politique de la Troisième République en France où la compétition politique était fortement liée à « des personnalités érigées en figure » (p. 74) S. Verhaeghe voit un double usage dans la construction du champ politique de L. Michel : « L’usage économique et politique de la visibilité » (p. 80-82). Cette analyse permet de comprendre que le capital culturel médiatique peut être reconverti en capital politique. L’exemple du cas de L. Michel rejoint quelque part celui de Pascal Canfin qui, du métier de journaliste, est devenu député au Parlement européen en 2009 avant d’être nommé ministre délégué au Développement dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en 2012.

9Par sa contribution « Trajectoire politique de (re)conversion locale d’un capital médiatique à l’épreuve du temps, A. Labarrère (1966-2006) » (p. 87), Johanna Edelbloude pose les bases d’une réflexion sur la contribution du capital médiatique dans la longévité d’une carrière politique. Ainsi l’autrice se souvient-elle d’une phrase prononcée par François Bayrou dans l’oraison funèbre de l’ancien élu municipal de Pau : « A. Labarrère a su durant ces quarante ans de carrière politique susciter l’intérêt des contemporains et surtout des journalistes » (p. 87). L’analyse suggère trois angles pour mieux saisir un capital dans la durée : « L’accumulation, la diversification et de la résistance à l’obsolescence » (p. 89). Partant de ce postulat, J. Edelbloude tente d’expliquer la longévité du capital médiatique de l’ancien maire de Pau, qui a été réélu sans discontinuité, à ce poste, pendant 32 ans. Pour elle, le cas d’A. Labarrère montre que « le capital médiatique est un gage de compétence politique, qui, pour durer, doit s’envisager dans une approche territorialisée » (p. 89). Dans la marche vers un capital médiatique durable, « la reconversion symbolique comme outil de communication politique » (p. 92), ainsi que « la conversion de l’expertise médiatique en capital politique » pourraient être déterminants. La conclusion de l’analyse est assez évocatrice et offre une compréhension claire sur le rôle des médias en politique territoriale : « Les médias constituent à la fois un support de légitimation indispensable à un ancrage local et une arène dans laquelle se poursuit la compétence politique » (p. 102).

10Quant à elle, Sandrine Roginsky analyse « La fabrique du capital médiatique au Parlement européen à l’aune des réseaux socionumériques : entre permanence et reconfiguration des activités de médiatisation des députés européens » (p. 105). L’autrice s’intéresse à la dimension communicationnelle de l’action politique quotidienne des députés européens à partir des usages politiques des dispositifs de réseaux socionumériques. L’analyse fait le choix du réseau social Twitter et tente de comprendre le rôle « des pratiques médiatiques des professionnels politiques » (p. 106) dans « la construction et l’accumulation du capital médiatique ». S. Roginsky fait le constat de la proximité entre journalistes et députés au Parlement européen, qui se manifeste par le fait que « correspondants et députés européens dialoguent, se retweetent, se tutoient, se prennent en photo » (p. 111). Dans ce contexte, la plateforme Twitter est utilisée par les députés non pas comme un second marché médiatique, mais comme la reproduction du « champ médiatique ordinaire » (p. 114) Dès lors, l’autrice fait recours à Mattias Ekman et Andreas Widholm (2007, p. 97) pour souligner qu’il existe une « sorte d’indépendance médiatique » entre les agents politiques et les journalistes dans la mesure où « les premiers ont besoin des seconds pour gagner en visibilité sur le dispositif et réciproquement » (p. 111). On peut être d’accord avec l’autrice pour dire que la construction et la conversion du capital médiatique au Parlement européen passent par « la compétence institutionnelle et médiatique » (p. 116). Le parcours du député P. Canfin évoquée dans l’analyse, en est une illustration parfaite. Étant journaliste de formation, fait son entrée au Parlement européen avec un solide « capital culturel médiatique » (p. 117), ce qui lui a facilité son positionnement sur plusieurs sujets dans leurs dimensions « politique, institutionnelle et médiatique ». L’auteur défend que la réputation de « bosseur » construite par P. Canfin au Parlement européen à cause de son expertise sur les nombreux sujets auxquels il s’est intéressé en tant que député est « mise en avant dans sa nomination de ministre délégué en charge du Développement » (p. 117).

11Dans la contribution « Convertir du capital numérique en capital politique et médiatique ? La disqualification politique et journalistique d’un « outsider » issu de l’espace numérique : le cas d’Étienne Chouard (2005-2018) » (p. 121), l’objectif de Marie Neihouser est de s’appesantir sur le cas d’É. Chouard, l’une des figures de la campagne contre le traité instituant une constitution pour l’Europe sur l’internet. L’autrice interroge, à cet effet, « le processus d’accumulation de capital numérique et les modalités de sa conversion en capital à la fois médiatique et/ou politique et militant » (p. 122). Le succès de d’E. Chouard s’est fait en deux étapes, constate l’autrice. L’étape fondatrice de cette émergence est « l’accumulation première de notoriété via son site » (p. 124) qui va bénéficier d’une « reconnaissance dans le champ journalistique » et la seconde est la « consolidation de cette reconnaissance par un outil de communication plus large, en ligne et hors ligne » (p. 124).

12On retient de l’analyse que, malgré cette émergence, É. Chouard, pour défaut de capital culturel, ne parvient pas à « se constituer une crédibilité » (p. 132) pouvant lui permettre d’entrer dans le champ politique. Cet échec de conversion politique confirme l’idée que « l’accès aux médias n’est pas une fin en soi » (p. 129). S. Roginsky l’a suffisamment montré, il est important de posséder un capital culturel médiatique important de sorte à combler les attentes des journalistes pour bénéficier d’un intérêt dans l’espace médiatique « ultra normé et codifié » (p. 133).

13Intitulée « Un investissement à faible rendement : la dualité du capital médiatique dans les médias libres » (p. 137), la contribution proposée par Benjamin Ferron vise deux objectifs. Le premier est de montrer comment « la structure interne, polarisée et stratifiée, de l’espace des médias libres favorise le pôle des journalistes professionnel » (p. 140) et le second est de faire saisir au lecteur comment les journalistes issus des médias libres « se trouvent partagés entre la recherche d’un capital médiatique certifié par les institutions professionnelles légitimes du champ journalistique et un capital médiatique alternatif, produit et entretenu dans l’espace spécifique des médias libres » (p. 140). Dans cet espace, les statuts entre les agents sont des enjeux de luttes qui permettent « de différencier les agents dominants ou dominés en fonction de leur capital global » (p. 147). La contribution note que « l’espace militant » que constituent les médias libres « est traversé[e] par une tension entre des outsiders et des insiders du champ journalistique qui explique les processus originaux de spécification du capital médiatique en son sein » (p. 152).

14Le débat très enrichissant entre les auteurs sur les aspects théoriques de la notion du capital et les moyens empiriques et théoriques pouvant permettre de travailler la dimension symbolique et médiatique du capital politique est de nature à faciliter une appréhension plus large du concept. Plusieurs aspects du concept ont été débattus lors de cette discussion. On note « l’appareillage théorique du concept de capital » (p. 155), le capital médiatique vu « comme outil d’une analyse relationnelle » (p. 57) ou comme « générateur de questionnement » (p. 161), « la production du capital symbolique » (p. 163), la coproduction des verdicts journalistiques (p. 165), « le contrôle et la production de la relation avec les journalistes » (p. 167), le capital analysé comme « rapport de force » (p. 171), « la production et la réception des coups médiatique » (p. 173). Ces aspects abordés dans le débat illustrent davantage certaines contributions abordées et approfondissent certaines articulations peu développées dans les textes.

15L’ouvrage s’inscrit dans une démarche constante d’explication. On le constate encore dans la conclusion proposée par Daniel Gaxie où la quasi-totalité des concepts développés dans les contributions ont été définis formellement. Et pour cause, l’analyse soutient qu’un « concept bien construit doit aider à isoler et à distinguer ce qui mérite d’être isolé et distingué » (p. 175). Ainsi, successivement, les notions de « capital politique » (p. 180), de « capital de reconnaissances externes, internes et intermédiaires » (p. 182-184), « de capital médiatique » (p. 185) et de « l’accumulation du capital politique » (p. 187) ont été richement élucidées. La conclusion aborde aussi la question de la construction des instruments théoriques qu’il faut nommer avant d’analyser, même si on sait que « le choix des désignateurs est l’une des composantes subjectives de la production des connaissances » (p. 191) L’expression « capital médiatique » renseigne l’auteur, « présente l’avantage de déclencher un ensemble de questions et d’hypothèses de portée générale, donc théorique associé au mot capital » (p. 192). L’ouvrage se termine par des perspectives de recherches. On retient essentiellement six projets : « La dépendance de la médiatisation à la hiérarchie institutionnelle du champ politique » (p. 193), « les corrélations entre la position des acteurs politiques et médiatiques dans les hiérarchies de leurs univers d’appartenance, les modalités de médiation, la contribution du capital médiatique à l’accumulation du capital politique global des acteurs » (p. 194), « les trajectoires de médiatisation » (p. 195).

16En définitive, l’ouvrage sait mettre l’accent sur le rôle et le pouvoir des médias dans le domaine politique. Toutefois, certaines questions intimement liées à ce rôle sont omises. En considérant les institutions médiatiques comme des entités autonomes avec un supra pouvoir, l’analyse semble occulter le fait que les médias sont aussi objet d’influences multiples relevant des contraintes économiques, la dépendance aux sources d’information, la régulation étatique et que l’accès d’un homme politique aux espaces médiatiques peut dépendre de ces aspects.