Présentation
Texte intégral
- 1 Observatory for Political Texts in European Democracies (OPTED). Voir https://opted.eu/about/
1Le titre de l’article publié dans cette rubrique « En VO » – « Les textes politiques produits par les citoyens » – ne doit pas induire en erreur. Derrière le sujet affiché, s’en cache un autre, tout aussi intéressant, qu’il traite de façon plus centrale et que laisse deviner le sous-titre : une réflexion sur quelques-uns des problèmes qu’engendre ou renforce le recours croissant aux données numériques – en particulier à celles massives – ou aux méthodes computationnelles dans le champ de la recherche en sciences sociales. L’article présenté, rédigé par une équipe de cinq chercheuses et chercheurs issus de différentes institutions européennes – Amanda Haraldsson, Shota Gelovani, Michele Scotto di Vettimo, Bente Kalsnes et Karolina Koc-Michalska –, réunis au sein d’un projet européen visant à constituer un « Observatoire pour les textes politiques dans les démocraties européennes1 », porte en réalité moins sur la teneur des textes politiques produits par les citoyens que sur les difficultés que rencontrent les chercheurs travaillant sur ce sujet qui, depuis le début des années 2010, selon les auteurs, dépendent pour leurs travaux des « plateformes de médias sociaux » comme « source principale, mais non exclusive, de données ».
2Reposant sur une enquête par questionnaire auprès de 295 chercheurs et sur 21 entretiens avec des chercheurs ou experts des textes politiques produits par les citoyens, les auteurs reviennent sur quelques-uns des principaux défis auxquels font face les investigations se fondant sur les réseaux socio-numériques pour analyser ces textes politiques. D’abord, il y a les restrictions de différents ordres qu’imposent ces grandes entreprises. Ce n’est pas seulement le privilège que confèrent les réseaux socio-numériques à « quelques équipes de recherche » collaborant avec eux, en leur donnant la possibilité niée à d’autres d’accéder plus facilement à leurs données, qui est en cause. C’est aussi la dépendance dans laquelle se trouvent les chercheurs à l’égard d’entreprises qui pratiquent la rétention des données potentiellement les plus pertinentes. Sans parler de la manière dont ces acteurs économiques peuvent, en fonction de leurs priorités, couper l’accès à leurs données. Par exemple, en février 2023, Twitter – jusque-là terrain d’étude prisé pour le caractère public de celles-ci – a annoncé, peu de temps après avoir été racheté par Elon Musk, la fin de l’accès gratuit à son API (application programming interface, interface de programmation applicative). Ou encore, en août 2024, Meta a fermé CrowdTangle, un ensemble d’outils auxquels les chercheurs avaient recours pour étudier en temps réel la façon dont circulent certains messages sur Facebook ou Instagram.
3Au-delà, c’est le fait que, pour reprendre les auteurs, nombre des « outils et méthodologies de recherche » pour analyser ces données ont été « développés principalement pour les textes en langue anglaise » – et qu’ils ont, à ce titre, une « applicabilité limitée pour les textes en langue autre que l’anglais » – qui pose problème. Cela, combiné aux infrastructures de recherche supérieures dont bénéficient, dans ce domaine comme dans d’autres, nombre d’universités anglophones de l’hémisphère nord, tend à instituer les données en anglais générées par les plus grandes plateformes états-uniennes comme autant de données « reflétant le monde », alors qu’elles ne permettent de donner à voir qu’une infime partie de celui-ci.
4Parmi les biais et « inégalités » qu’engendre le recours aux données des réseaux socio-numériques pour analyser les textes politiques produits par les citoyens que met en évidence l’article, il en est un particulièrement important. Si elles offrent de bien commodes « fruits à portée de main », peut-être plus faciles à cueillir à grande échelle en comparaison d’autres, les données constituées par les « posts sur les médias sociaux » ne « sont pas », loin s’en faut, « représentatives de la population ».
5Cela explique que, dans leur conclusion, en plus de faire des propositions pour essayer d’atténuer les inégalités évoquées, les auteurs plaident pour la prise en compte, dans les futures recherches sur le sujet, des… textes politiques produits par les citoyens, mais « créés en dehors des médias sociaux », telles les bonnes vieilles « lettres aux rédactions » ou les non moins bonnes vieilles « affiches de manifestations ». Ce qui n’est pas sans ironie pour un article s’étant concentré quasi-exclusivement sur les traces des textes politiques produits par les citoyens, laissées sur les réseaux socio-numériques. Ce qui permet, pour finir, d’avancer un autre potentiel biais de ces travaux fondés sur les données de ces réseaux : une tendance à ne pas suffisamment prendre en compte les recherches ayant existé avant l’essor de ceux-ci, puisque les travaux sur les textes politiques produits par les citoyens n’ont bien entendu pas attendu, loin de là, la montée en puissance des réseaux socio-numériques pour nourrir une riche bibliographie.
Notes
1 Observatory for Political Texts in European Democracies (OPTED). Voir https://opted.eu/about/
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Tristan Mattelart, « Présentation », Questions de communication, 46 | 2024, 379-382.
Référence électronique
Tristan Mattelart, « Présentation », Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 10 février 2025, consulté le 17 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/36430 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12yfi
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