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Dossier. Le fandom, côté obscur : pratiques toxiques

Misogynie, homophobie, racisme et harcèlement en ligne

Plongée dans le côté obscur des communautés de fans
Misogyny, Homophobia, Racism and Online harassment. Dive into the Dark Side of Fan Communities
Mélanie Bourdaa et Julie Escurignan
p. 7-16

Résumés

Résumé : Si historiquement les recherches sur les fans ont plutôt souligné les côtés positifs de l’engagement des fans, les pratiques de ces derniers ne sont pas dénuées d’aspects négatifs. Les pratiques toxiques de fans attirent de plus en plus l’attention des chercheurs tant en France qu’à l’échelle internationale. Dans ce sens, ce dossier présente les travaux de chercheurs francophones qui se sont intéressés à ces phénomènes particuliers. Les articles ont été regroupés en trois axes principaux : un axe consacré à des cas d’école de comportements toxiques, un autre aux questions d’éthique, et un dernier centré sur les liens entre politiques et fans. Ces articles présentent trois points communs majeurs : des méthodologies de collecte des données en ligne, des terrains numériques et des sujets contemporains. Le dossier présente donc des perspectives différentes, mais complémentaires sur les pratiques toxiques de fans.

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Texte intégral

1Historiquement, les recherches sur les fans ont eu tendance à souligner les aspects positifs de l’engagement dans les communautés de fans. Dans la suite des études fondatrices de Henry Jenkins (1992), les fans sont le plus souvent considérés comme un public actif et créatif, producteur de sens et de contenus (Booth, 2009 ; Pearson, 2010 ; Bourdaa, 2021). Néanmoins, les pratiques de fans ne sont pas dénuées d’aspects négatifs, qui, comme le note Will Brooker (2018), se doivent d’être étudiés. De fait, les fans ayant des pratiques toxiques attirent de plus en plus l’attention des chercheurs (Hills, 2018 ; Proctor et Kies, 2018 ; Mercier, 2022). Pour la plupart, les publications sur le sujet ont été réalisées dans des revues et ouvrages internationaux et anglophones. Cependant, les pratiques toxiques de fans existent aussi dans les pays francophones où chercheurs comme étudiants sont tout aussi présents. Il apparaissait donc essentiel que les travaux francophones soient relayés et mis en avant dans une revue scientifique en français. C’est ce à quoi s’attelle le présent dossier.

  • 1 « Ad hominem attacks on media producers that go beyond potentially justifiable anger at misleading (...)
  • 2 « Or other types of ad hominem attacks based on identity politics and progressive ideologies ».
  • 3 Le terme fandom désigne à la fois l’état de fan, le fait d’être fan d’un objet, ainsi que la commun (...)
  • 4 « Popular culture producers embrace “haters” as part of fandom. If we accept that the anti-fan has (...)

2Bien entendu, les pratiques toxiques de fans ne sont pas un phénomène nouveau, mais elles ont été amplifiées par les possibilités offertes par internet en termes de visibilité, rassemblement, écho et partage. Pour Kelsey Cameron (2018 : 3), les pratiques toxiques sont « des attaques ad hominem vers les producteurs médiatiques qui vont au-delà d’une colère qui pourrait être justifiée, des formes d’interactions entre fans et producteurs que plusieurs dans la communauté des fans aimeraient désavouer »1. Ces pratiques tournent souvent autour de sujets sociétaux tels que la misogynie, le harcèlement, le racisme, l’homophobie, la transphobie ou « d’autres attaques basées sur des politiques identitaires ou des idéologies progressistes »2 (Proctor et Kies, 2018 : 138). À cela, on peut ajouter les objets culturels qui relèvent de la nostalgie et dont les reprises, ou reboot, sont souvent l’objet d’attaques toxiques de la part des fans. Par exemple, à l’annonce de la production d’un nouveau Ghostbusters entièrement féminin, les Ghostheads (les fans de la première heure de la franchise) s’en sont pris au réalisateur et aux actrices sur les réseaux sociaux en déclarant qu’ils avaient « ruiné leur enfance ». William Proctor (2017) parle dans ce contexte de nostalgie totémique, initialement non toxique, mais qui peut, par des pratiques et des discours de fans agressifs, se transformer en attaques virulentes et contraindre les producteurs et/ou actrices à quitter les réseaux sociaux, victimes d’un harcèlement numérique considérable. Ainsi l’analyse des pratiques de « toxic fandom3 » permet-elle de mettre en lumière les tensions intrinsèques aux communautés de fans et les rapports de force à l’œuvre entre producteurs et fans. Comme le suggère Kimberly Springer (2013 : 63), « les producteurs de culture populaire considèrent de plus en plus les “haters” comme faisant partie des communautés de fans. Si nous acceptons que les antifans appartiennent aux études de fans, nous devons également nuancer les définitions des antifans. Le “hater” est une des dimensions émergentes de antifandoms »4. En ce sens, il est nécessaire d’éclairer les phénomènes d’antifandom et de « toxic fandom » à l'œuvre dans les communautés de fans. C’est pourquoi ce dossier cherche à saisir les enjeux politiques, économiques et sociaux, entre autres aspects, des pratiques toxiques de fans. Par l’analyse des pratiques des fans envers d’autres fans, spectateurs, citoyens ou créateurs, des liens entre toxicité, fandom et politique, de l’étude de l’éthique de la participation et dans la participation, le dossier a pour but de mettre en lumière, sans naïveté ni défaitisme, la réalité du côté obscur des pratiques de fans.

  • 5 L’Armée de Dumbledore désigne une communauté de fans engagée de l’univers Harry Potter (J. K. Rowli (...)
  • 6 La K-pop, ou « Korean-pop music » est un genre musical sud-coréen appartenant à la hallyu, la vague (...)
  • 7 Le mouvement QAnon est une mouvance complotiste américaine d’extrême droite.

3À ses prémisses, on envisageait quatre axes d’études en lien avec les pratiques toxiques de fans. Un axe consacré aux pratiques toxiques elles-mêmes, un axe consacré aux liens entre fans et créateurs contestés, un axe dévoué aux liens entre fandom et politique, et un dernier centré sur les questions d’éthique dans la participation. En effet, les tendances de recherche dans ce domaine montrent des intérêts convergents sur ces questions en particulier. Les fans s’adonnant à des pratiques toxiques tant à l’intérieur de leur communauté qu’à l’extérieur, la recherche sur le sujet s’appuie sur des études de cas pour mettre en évidence les processus et les modes d’organisation, de communication et de circulation des contenus toxiques. On peut ici penser à des exemples emblématiques comme le #GamerGate, pratique sexiste dans le domaine du Jeu vidéo ou bien le #BlackStormtrooper dans la communauté Star Wars. De manière similaire, les controverses autour de créateurs et de célébrités (musiciens, réalisateurs, acteurs, etc.) ne sont pas nouvelles, mais les recherches sur l’impact de ces controverses sur les communautés de fans sont plus récentes. Il y a encore peu de recherches francophones sur les réactions des fans vis-à-vis des vedettes et artistes contestés, notamment sur la question du désengagement vis-à-vis d’eux et/ou de leurs créations. Néanmoins, il y a des enjeux considérables, au vu des controverses médiatiques impliquant des figures populaires (de l’autrice Joanne K. Rowling au réalisateur Jacques Doillon et à l’acteur Gérard Depardieu), sur les questions de désengagement des fans vis–à-vis d'idoles et d’artistes, que ce soit à cause de leur engagement politique, de leurs vues sur des questions sociétales, d’accusations (agressions sexuelles, violences, etc.), ou de leur comportement sur les réseaux sociaux-numériques. Les liens entre politique et communautés de fans sont quant à eux un nouveau sujet d’exploration, notamment outre-Atlantique parmi les chercheurs en communication, en études des médias et en Fan Studies. Ces travaux explorent notamment l’engagement civique des fans, que l’on pense ici à l’Armée de Dumbledore5 ou aux fans de K-Pop6 face à Donald Trump. Cependant, si l’on considère le mouvement QAnon7 aux États-Unis à l’aune des études de fans, il est intéressant de chercher à comprendre comment les communautés de fans sont intrinsèquement liées au politique et comment ces pratiques irriguent le politique. En effet, les communautés de fans ont peu à peu embrassé les politiques réactionnaires dans leurs pratiques toxiques et les mouvements politiques réactionnaires ont utilisé des pratiques de fans pour se développer. Il y a donc des connexions entre créations de fans, organisations de fans et modes opératoires des fans réappropriés par des mouvements politiques. Enfin, l’étude de l’éthique découle des perspectives évoquées ci-dessus : comment les communautés de fans réagissent-elles lorsque leurs membres ont un comportement toxique ? Quelle est la position des communautés de fans vis-à-vis des pratiques toxiques de fans et quelle est leur légitimité à réglementer les comportements de leurs membres ? Mais aussi, comment les chercheurs en Fan Studies peuvent-ils approcher les personnes qui s’adonnent à ces pratiques ? Questionner l’éthique de la participation, tant théoriquement et méthodologiquement que dans les pratiques des fans et de leurs communautés, semblait essentiel dans le cadre du dossier.

4Nonobstant, les propositions choisies et présentées ci-dessous ne sont pas aussi aisément délimitables que les axes évoqués : les problématiques politiques au sein des communautés de fans se mêlent aux pratiques toxiques à l’intérieur de ces dernières. Une étude sur le harcèlement peut se lier aux questions d'éthique avec l’attaque en règle sur les réseaux sociaux-numériques d’une chercheuse, Justine Breton. La pratique éthique de la dénonciation de comportements toxiques peut donner lieu à des contre-feux, voire à un succès médiatique qui n’a ici rien d’éthique. Il est à souligner que ces questions de pratiques toxiques sont complexes et requièrent des analyses nuancées. C’est d’ailleurs la perspective défendue par l’article de CarrieLynn D. Reinhard, Jessica Hautsch et Linda Howell, qui proposent une approche toute en nuance des liens entre fandom et politique. La vision de la toxicité, l’approche du harcèlement, sa médiatisation, la recherche sur ces sujets de tension et en tension requièrent des études fines, dans la subtilité.

5La question de l’éthique se doit aussi d’être posée. Quelle approche vis-à-vis des pratiques toxiques des fans ? Comment parler de toxicité, de harcèlement, de discrimination dans le respect des victimes et la non-médiatisation des agresseurs ? Comment souligner l’existence de franges dans les communautés de fans sans tomber dans l’écueil de la généralisation ? Là est toute la complexité de l’étude de sujets délicats. Les coordinatrices de tiennent ici à apporter tout leur soutien aux victimes de ces pratiques toxiques de fans. Elles pensent plus particulièrement à J. Breton, sujet d’un des articles publiés ici, et dont l’étude dans le cadre du dossier ne doit pas servir d’excuse à une nouvelle vague de harcèlement sur les réseaux sociaux. Elles tiennent aussi à signaler que les pratiques toxiques ne sont pas une constante dans les communautés de fans. Si ces pratiques existent et doivent être dénoncées, toutes les communautés de fans ne sont pas des lieux de harcèlement, loin s’en faut. Ces pratiques toxiques sont le fait de franges, de minorités dans des communautés qui sont encore bien souvent des lieux d’accueil, d’échanges, de respect et de bienveillance entre personnes chérissant un même objet. Les communautés de fans sont des communautés sociales ; elles font société sur un sujet et, à ce titre, elles connaissent des dérives et des abus, heureusement bien souvent à la marge. Ce dossier sert de miroir grossissant sur des sujets qui ont longtemps été ignorés – il ne doit pas pour autant déformer la réalité de l’expérience des fans, qui est majoritairement positive.

6Cependant, malgré leurs différences, les propositions publiées dans cette livraison présentent trois grands points communs. Elles tendent à contrôler les questions liées à l’éthique dans la récolte des données via des méthodologies intégralement en ligne. Dans la majorité des articles, les auteurs ne sont pas allés directement à la rencontre des fans toxiques, mais ont récolté les démonstrations publiques de leur comportement sur les réseaux sociaux-numériques. Visibles de tous et accessibles par tous, ces données, adjoignent la problématique de la « publicité » de ces comportements toxiques en ligne. De tels, comportements sont publiquement visibles et ne sont pas inscrits dans des attitudes issues de la sphère privée. Les chercheurs ont donc pour la plupart étudié ce que les fans toxiques ont déposé publiquement, à la portée de tous, dans des comportements discriminatoires normalisés et des « incivilités numériques » (Carayol et Laborde, 2022) par et sur les réseaux sociaux-numériques. 

  • 8 Les wikis sont des sites collaboratifs de création, recueil, modification, illustration et archivag (...)

7La majorité des terrains étudiés sont donc numériques. De fait, excepté lors de rencontres en présentiel – comme lors de conventions durant lesquelles des comportements toxiques sont toujours possibles, mais moins aisément accessibles –, les pratiques toxiques sont le plus souvent visibles sur les lieux de rencontre quotidiens des communautés de fans : en ligne. Ces terrains comprennent donc les blogs et wikis8 des communautés de fans, leurs pages et groupes sur les réseaux sociaux, les chaînes YouTube et Twitch (et leurs commentaires), ainsi que les threads (séries de tweet) de conversation sur des réseaux telles que X. L’impact des réseaux sociaux-numériques sur les comportements toxiques en général n’est plus à démontrer, mais ces espaces, qui à l’origine ont permis aux fans de se libérer et de se retrouver, par-delà les pays et les frontières, sont le terreau des pratiques toxiques des fans envers les membres de leur communauté, des industries, des créateurs et des experts. Par ailleurs, ces terrains numériques posent la limite de la connaissance des personnes derrière les pseudos : qui pour se comporter de manière toxique ? Quel·s profil·s de fans ? Envers qui ? Malgré la difficulté d’accès aux profils des fan toxiques, de futures recherches pourraient s’intéresser aux terrains non numériques pour découvrir la réelle identité, ainsi que les pratiques toxiques de fans en dehors des écrans.

8Enfin, le dernier point commun de ces articles est leur contemporanéité. Les études de cas et exemples présentés sont internationaux, différents, uniques, et tous récents. Cela ne signifie pas que les pratiques toxiques de fans ne sont apparues qu’il y a peu, mais, au contraire, qu’il n’y a plus à en chercher des exemples loin dans le temps. Des débats, insultes et harcèlements liés à des phénomènes contemporains aux initiatives pour contrer ces pratiques toxiques, tous les travaux publiés concernent des problèmes récents et visibles publiquement. On espère donc qu’ils trouveront un écho au sein des intérêts et questionnements des lecteurs, et qu’ils serviront de tremplin pour de futurs travaux de recherche sur ces thématiques, qui n’en sont qu’à leurs balbutiements.

9Ainsi les contributions s’inscrivent-elles dans des axes principaux, tout en recoupant un ou plusieurs des axes évoqués plus tôt. Pour des questions de facilité de lecture et d’organisation du dossier, nous avons inscrit les articles dans trois axes : un axe consacré à des cas d’école de comportements toxiques ; un axe consacré aux questions d’éthique dans le cadre des pratiques toxiques et un axe centré sur les liens entre politique·s et fans.

10L’axe consacré aux études de cas de pratiques toxiques regroupe trois articles aux perspectives différentes : une étude du phénomène autour du film Barbie (Greta Gerwig, 2023), un article sur les fans de Disneyland Paris et un travail sur les fans « sasaeng » de K-Pop. Tous ont pour point commun de prendre un cas d’école de comportement toxique et d’en analyser les caractéristiques. Dominique Gagnon analyse le phénomène Barbie sous l’angle de ses anti-fans. malgré son succès populaire, elle souligne que le film Barbie est au centre de feux contraires de la part de ses anti-fans : d’un côté, les anti-fans féministes soulignent la simplification de la pensée féministe dans le film, alors que, de l’autre, les anti-fans antiféministes dénoncent une œuvre trop féministe. Cet article met en avant la manière dont une œuvre engagée peut être l’objet de critiques véhémentes provenant pourtant de deux perspectives opposées. Hélène Breda examine le « fantagonisme » à l'œuvre dans la communauté de fans francophone de Disneyland Paris. Elle y souligne la hiérarchie et la concurrence présentes dans la communauté et exacerbée par le programme d’influenceurs officiels de Disneyland Paris, les InsideEars. La volonté des fans de faire partie de cette communauté de fans « privilégiés » et, au sein même de cette communauté, d’en être les membres de référence, donne lieu à des pratiques toxiques allant d’une condescendance affichée sur les plateformes sociaux-numériques à du harcèlement et de l’abus de pouvoir. Enfin, Adrien Debart et Hélène Godin interrogent le phénomène des fans « sasaeng », ces fans de K-Pop « extrêmes » dont le comportement envers les artistes peut être considéré comme toxique. Plus particulièrement, les auteurs analysent la diffusion et la dénonciation sur internet des pratiques toxiques de certains fans de K-Pop, qui peuvent cependant être conduites à rencontrer un succès populaire. Via l’étude de la vidéo YouTube : I Confronted « KPOP Stalker » – Josh (Twice Nayeon's stalker/sasaeng fan ?), ils interrogent aussi les conséquences de la dénonciation sur les réseaux sociaux-numériques de ces pratiques toxiques de fans.

11L’axe portant sur les questions d’éthique réunit deux articles complémentaires : un dédié au « tribunal des bannis », format permettant aux membres d’une communauté sur Twitch de décider du sort des membres ayant été exclus de par leur comportement, et qui pose donc l’épineuse question de qui décide de ce qui est éthique, de qui impose les règles et de qui les fait respecter ; et un article centré sur un cas de cyberviolence d’une communauté de fans envers un profil d’expert, qui, lui, interroge sur la place du chercheur dans et vis-à-vis des communautés de fans. Fanny Barnabé s’intéresse à la toxicité sur la plateforme Twitch. Elle étudie la construction des normes discursives et l’interprétation de la toxicité dans le cadre du « tribunal des bannis ». Ce type de format, a priori vertueux, parce qu’elle soumet à la communauté les messages problématiques de spectateurs exclus de certaines chaînes Twitch, mais souhaitant les réintégrer, pose cependant la question de l’interprétation de ces messages et de l’appréhension de la notion de spectacle. Comment différencier les messages violents des messages parodiques afin de garantir un environnement numérique non toxique ? Voilà la problématique au cœur de cet article. Florian Besson centre son étude sur un cas de harcèlement d’enseignant-chercheur par une communauté de fans. Il analyse le cas – unique en France – du harcèlement de J. Breton, spécialiste du mythe arthurien, par les fans de la série Kaamelott, suite à sa critique du film d’Alexandre Astier Kaamelott (2021). Cette dernière se retrouve au centre d’une vague de cyberviolence sur les réseaux sociaux de la part de la communauté des fans du film. F. Besson étudie spécifiquement en quoi le harcèlement pratiqué ici relève intégralement de l’identité de fan et montre le silence assourdissant d’A. Astier dans ce cas de harcèlement d’une scientifique par des fans fermés à toute interprétation critique de l'œuvre qu’ils adorent.

12Enfin, l’axe concernant les liens entre politiques et fans comprend un article sur les fandoms réactionnaires et un sur l’utilisation politique des communautés de fans. Ces deux recherches apportent des perspectives codicillaires sur la question de la relation entre la politique et les politiciens, ainsi que les communautés de fans. Cet axe inclut un article sur la contestation des politiques de diversité dans les industries culturelles, qui souligne l’existence de franges conservatrices dans les communautés de fans, à l’opposé d’une vision des fans comme progressistes. L’article traduit en français, mais issu d’une recherche anglophone, analyse les liens entre appartenance politique et fandom, dans une perspective plus en lien avec la res publica. Pour leur part, Julien Mésangeau et Céline Morin scrutent la réception, et surtout la contestation, par certains segments des communautés de fans, des politiques de diversité portées par les industries culturelles. L’étude se centre sur les réactions en ligne sur YouTube de ces fans face aux choix de production de franchises cultes comme le remake de Ghostbusters (Paul Faig, 2016), la série Amazon The Lord of the Rings (J. D. Payne and Patrick McKay, 2022), la série Netflix The Witcher (Lauren Schmidt Hissrich, 2019 en cours de diffusion) ou les adaptations en live action des dessins animés de Disney. L’analyse souligne la montée de discours réactionnaires au sein de ces communautés, dont les propos sur les réseaux sociaux-numériques sont passés d’une attention à la qualité des œuvres à un intérêt pour une critique plus politique de la représentation des minorités et de l’agenda « woke » attribué aux industries culturelles contemporaines. Finalement, l’article international de ce dossier de Questions de communication, proposé en français, est l'œuvre de Carrie Lynn D. Reinhard, Jessica Hautsch et Linda Howell qui consuisent un projet de recherche sur les liens entre appartenance politique et comportement (possiblement toxique) de fans. Les chercheuses présentent les premiers résultats de leur étude. Elles tendent à comprendre comment l’affiliation politique des fans impacte leurs interactions avec d’autres fans d’une manière qui peut être considérée comme toxique pour la stabilité de la communauté. Pour cela, l’article examine les pratiques de « gatekeeping » (ou de contrôle d’accès), ainsi que de contrôle de l’ordre au sein des communautés et la manière dont ces dernières sont liées aux différences d’appartenances politiques. Les autrices démontrent que l’affiliation politique des fans a bien un impact sur ce qui est exprimé publiquement par ceux-ci et sur les émotions personnelles des fans envers leur fandom. Pourtant, C. Reinhard, J. Hautsch et L. Howell proposent une vision nuancée de la relation entre appartenance politique, fandom et toxicité en soulignant que ce n’est pas tant l’appartenance politique qui crée de la toxicité dans les communautés de fans que les perceptions et réactions des fans envers des formes de différences de points de vue. Cette perspective est confortée par d’autres travaux de recherche présents dans ce dossier, dont celui de F. Besson.

13Dès lors, il apparaît que les textes présentent des perspectives différentes, mais complémentaires sur les pratiques toxiques de fans. Via les trois axes proposés ci-dessus, les divers aspects de la toxicité dans et envers les communautés de fans sont mis au jour et examinés. Ce dossier ne prétend bien entendu pas à l’exhaustivité, mais au contraire souhaite débuter une discussion, un échange sur ce phénomène sur lequel la lumière commence à être faite. Ce dossier espère fournir un précédent qui permettra aux futures recherches sur les fans, en particulier sur les pratiques toxiques de fans, d’être visibles, relayées et mises en avant tant dans la recherche francophone en sciences de l’information et de la communication, ou d’ans d’autres disciplines, que dans l’espace public au sens large. Les pratiques toxiques, qu’elles aient lieu en ligne ou hors ligne, dans des communautés de fans ou entre individus, se doivent d’être renseignées et analysées afin d’en comprendre le terreau et d’en cerner les racines, dans le but de développer des espaces d’échanges et de discussions plus inclusifs, respectueux et bienveillants pour tous.

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Bibliographie

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Notes

1 « Ad hominem attacks on media producers that go beyond potentially justifiable anger at misleading producer actions, the kinds of fan-producer interactions that many in fandom would like to disavow ».

2 « Or other types of ad hominem attacks based on identity politics and progressive ideologies ».

3 Le terme fandom désigne à la fois l’état de fan, le fait d’être fan d’un objet, ainsi que la communauté de fans de cet objet.

4 « Popular culture producers embrace “haters” as part of fandom. If we accept that the anti-fan has a place in fan studies, we must also recognize variation in defining the anti-fan. The hater as s/he manifests in popular culture one emerging dimension of anti-fandom ».

5 L’Armée de Dumbledore désigne une communauté de fans engagée de l’univers Harry Potter (J. K. Rowling).

6 La K-pop, ou « Korean-pop music » est un genre musical sud-coréen appartenant à la hallyu, la vague culturelle coréenne

7 Le mouvement QAnon est une mouvance complotiste américaine d’extrême droite.

8 Les wikis sont des sites collaboratifs de création, recueil, modification, illustration et archivage de connaissances sur un sujet.

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Pour citer cet article

Référence papier

Mélanie Bourdaa et Julie Escurignan, « Misogynie, homophobie, racisme et harcèlement en ligne »Questions de communication, 46 | 2024, 7-16.

Référence électronique

Mélanie Bourdaa et Julie Escurignan, « Misogynie, homophobie, racisme et harcèlement en ligne »Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 10 février 2025, consulté le 16 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/36686 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12yfr

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Auteurs

Mélanie Bourdaa

Mica, Université Bordeaux Montaigne, F-33607 Pessac, France

Articles du même auteur

Julie Escurignan

Chus, Université catholique de l’Ouest, F-49008 Angers, France

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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