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Dossier. Le fandom, côté obscur : pratiques toxiques

Barbie et ses anti-fans

Entre manipulation féministe et critique du féminisme populaire
Barbie’s anti-fans: between feminist manipulation and the rejection of popular feminism
Dominique Gagnon
p. 17-34

Résumés

Résumé : Le film Barbie de Greta Gerwig s’est imposé en tant que phénomène culturel marquant, tant au box-office que dans l’imaginaire collectif. Cet amour pour le film ne fait pourtant pas l’unanimité. En effet, certains anti-fans s’y opposent. D’un côté, des anti-fans antiféministes considèrent le film comme étant trop féministe ; de l’autre, des anti-fans féministes croient que l’utilisation de la pensée féministe dans le film de G. Gerwig est insuffisante. L’analyse inductive de dix vidéos YouTube d’anti-fans antiféministes et dix vidéos de féministes permet de comparer ces deux types d’anti-fandom.

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Texte intégral

« D’aucuns affirment que le phénomène Barbie en dit long sur la condition du sujet féminin, la hiérarchisation des femmes et leur mise au ban. » (Delvaux, 2018 : 47)

« Il faut toujours qu’on soit extraordinaires, mais, d’une manière ou d’une autre, on s’y prend toujours mal ». Personnage de Gloria dans Barbie (G. Gerwig, 2023)

1La sortie en salles du film Barbie de Greta Gerwig, en juillet 2023, a été précédée d’un engouement tant médiatique que populaire. Les réseaux sociaux se sont rapidement vus envahis par de nombreux internautes s’amusant à créer leurs propres affiches « This Barbie is… », en empruntant la signature visuelle de celles officielles. Le film battait déjà des records dès sa première fin de semaine au cinéma, avec 162 millions de dollars américains au box-office domestique, et est rapidement devenu « le plus grand début domestique d’un film réalisé par une femme » (McClintock, 2023, notre traduction). Depuis, il a remporté un Golden Globe pour son accomplissement cinématographique et au box-office (Coggan, 2024).

2Le film, qui met en scène une Barbie stéréotypée confrontée au monde réel, s’est donc imposé comme un phénomène culturel marquant, tant au box-office que dans l’imaginaire collectif. Il ne fait pourtant pas l’unanimité. D’un côté, certains créateurs et créatrices de contenus en ligne réactionnaires rejettent les médias populaires en raison des biais politiques et idéologiques véhiculés par ces productions médiatiques (Lewis, 2020). Ces individus ont ainsi accusé le film de « wokisme » (voir Fassin, 2021 et Heinich, 2021), terme péjoratif tournant en dérision les personnes à l’idéologie de gauche, dont les revendications s’orientent autour d’enjeux identitaires (Martin, 2021). Ainsi une partie du public de Barbie considère-t-elle ce film comme étant « trop » féministe. Pourtant Mattel, l’entreprise qui possède les droits de la poupée Barbie, a ouvertement rejeté l’étiquette féministe attribuée au film (Walsh, 2023) ; et ce, malgré la lecture de l’œuvre proposée par sa réalisatrice, selon laquelle il s’agit « très certainement [d’]un film féministe » (Treisman, 2023, notre traduction). Force est donc de constater que cette thématique s’impose au sein du récit cinématographique en dépit des discours de l’entreprise. Néanmoins, certains membres du public ont aussi pris la parole sur les réseaux sociaux afin de critiquer le traitement du féminisme proposé par le film. En effet, des internautes ont critiqué la manière dont le film permet la commercialisation d’une esthétique féministe, à la manière du « féminisme populaire » étudié par Sarah Banet-Weiser (2018).

3Il apparaît ainsi manifeste que deux critiques diamétralement opposées peuvent s’articuler à partir d’une même thématique et de la manière dont elle est mobilisée au sein d’une production médiatique et culturelle. Le cas du film Barbie se présente comme un terrain idéal pour nuancer la définition de l’anti-fan proposée par Jonathan Gray (2003), laquelle sera présentée plus loin. Cette définition reste encore à ce jour trop large et englobante, ce qui limite notre compréhension des différentes pratiques discursives mises en place par les anti-fans. Néanmoins, le concept d’anti-fan s’avère grandement utile, car il permet de penser autrement les pratiques toxiques au sein des communautés de fans dans leur forme numérique.

4En se penchant sur les communautés d’anti-fans de Barbie, on peut mettre en lumière la dissonance entre deux types foncièrement différents d’anti-fans : ceux qui véhiculent des propos antiféministes (les anti-fans antiféministes) et ceux qui, au contraire, ont une posture féministe tout en déplorant l’usage limité de cette pensée dans le film (les anti-fans féministes). Afin d’étudier ces deux « catégories », nous nous pencherons sur les vidéos YouTube publiées à la suite de la sortie du film et analyserons celles produites par ces deux types d’anti-fans. L’intérêt se place plus spécifiquement sur la manière dont ces anti-fans discutent du féminisme, ainsi que sur celle dont le film le (re)présente. Ces catégories sont-elles perméables ou poreuses ? Quels sont les propos mobilisés afin de critiquer le film et/ou son traitement du féminisme ? Qu’en est-il des thèmes abordés ou des cibles mentionnées ?

5L’objectif de cette contribution n’est pas de généraliser ce qui caractériserait l’une ou l’autre de ces catégories d’anti-fans, puisqu’il s’agit d’un cas limité, tant qualitativement (il s’agit de groupes et de pratiques entourant une seule production médiatique) que quantitativement (le corpus de vidéos analysé est restreint). Le souhait est plutôt d’explorer comment ces deux catégories se présentent dans le cas bien précis qu’est celui de l’anti-fandom du film Barbie. Afin d’orienter l’analyse, nous tenterons de répondre à la question suivante : de quelle manière les anti-fans du film Barbie discutent-ils de la représentation du féminisme dans le film via leurs vidéos sur YouTube ? Pour ce faire, a été réalisée une analyse de contenus d’un total de vingt vidéos YouTube, soit dix par « catégorie » anti-fanique. Dans un premier temps, le cadre théorique de cette étude est présenté brièvement, mobilisant les travaux sur l’anti-fandom et le féminisme populaire, avant de détailler plus clairement l’approche méthodologique. Les résultats de ce corpus clôtureront cet article.

Cadre théorique

L’anti-fandom : la complexité de l’opposition

6Pour J. Gray (2003 : 70, notre traduction), l’anti-fan est un individu qui « déteste fortement un texte ou un genre donné et le considère insensé, stupide, moralement inadéquat et/ou comme une bêtise esthétique ». Autrement dit, l’individu qui s’oppose à ce qui est présenté dans un texte médiatique serait un anti-fan. Historiquement, au sein des études de fans, l’opposition médiatique n’est pourtant pas uniquement associée à cette figure. Par exemple, pour Henry Jenkins (1992 : 67), les fans exercent une double lecture des textes culturels (« double viewing ») en déplaçant leur regard depuis une proximité émotionnelle vers une distance critique. En ce sens, il est clair que les fans et les anti-fans ne sont pas si différents, puisque leurs pratiques se répondent (Gray, 2005 et 2019). En effet, le rapport affectif que les (anti-)fans développent avec un texte médiatique influence leur engagement face à celui-ci et avec leurs pairs au sein d’une communauté de fans (Bury, 2017 ; Jenkins, 1992). La principale différence réside dans leur rapport affectif à dominante négative avec le texte. L’objet détesté devient alors un « élément crucial à la formation d’une identité collective » (Gray, 2019 : 14, notre traduction).

  • 1 J. Gray (2019) a tenté de contribuer à une meilleure compréhension de l’anti-fandom en proposant un (...)

7Bien que les premiers travaux de J. Gray (2003 et 2005) aient définitivement contribué à une compréhension plus complexe des relations qui peuvent se construire entre l’individu et un texte médiatique (Sandvoss, Gray et Harrington, 2017), sa définition originale de l’anti-fan s’avère désuète, particulièrement depuis l’arrivée du Web 2.0 et des réseaux socio-numériques, qui donnent l’opportunité aux publics d’exprimer leurs opinions facilement et à de plus larges audiences (Jane, 2019). De fait, les réseaux sociaux facilitent le développement d’une variété de pratiques anti-faniques qui n’avaient pas été considérées à l’origine par J. Gray (2019 : 25, notre traduction), puisque son « […] modèle regroup[ait] grossièrement diverses pratiques, motivations et positions affectives en une grande masse indifférenciée appelée “les anti-fans” ». Par conséquent, à partir du moment où un individu proposait une lecture oppositionnelle d’un texte (Hall, 1994), il correspondait à la catégorie générique de l’« anti-fan », sans autre précision quant aux particularités des pratiques et discours mobilisés dans le but d’exprimer cette opposition1.

8Les réseaux socio-numériques ont aussi favorisé le développement de formes d’anti-fandom violentes et oppressives, visant surtout les femmes. Emma A. Jane (2014 : 561, notre traduction) constate une accélération de la haine visant les femmes sur internet depuis le début des années 2010 : « De plus en plus de producteurs de e-bile ciblaient davantage de femmes et davantage de types de femmes. De plus, de plus en plus de e-bile circulait dans des domaines plus traditionnels et publics, et impliquait des images beaucoup plus venimeuses et menaçantes ». Des fantasmes et des menaces sexuelles, ainsi que des stéréotypes en lien avec l’intelligence, l’hystérie ou l’apparence physique des femmes sont alors mobilisés à des fins correctrices (Jane, 2014). Lorsqu’il est utilisé avec de tels objectifs, l’anti-fandom mène donc à la stigmatisation et à la délégitimation des femmes au sein de communautés de fans (Lopes, 2006 ; Orme, 2016 ; Yodovich, 2022). De plus, les textes médiatiques qui mettent en avant des femmes et/ou une pensée féministe se retrouvent souvent ciblés par ces mêmes anti-fans en raison du prétendu agenda politique « féminazi » qu’ils tenteraient de véhiculer (Eeken et Hermes, 2019 ; Hills, 2021).

Le féminisme populaire : la visibilité comme limite et comme attaque

9Une production médiatique mettant en vedette une femme est-elle nécessairement féministe ? À l’heure du féminisme populaire, la question mérite d’être posée, car la visibilité de cette forme particulière de féminisme populaire est nécessaire à sa définition. Cette visibilité est obtenue par l’expression d’un féminisme correspondant aux attentes médiatiques : il est spectaculaire, acceptable et ne critique pas réellement les structures patriarcales en place (Banet-Weiser, 2018). En ce sens, la présence ou la visibilité de femmes dans des milieux typiquement masculins devient l’essence même du succès du féminisme populaire.

10Les objectifs du féminisme populaire sont donc symboliques (liés à la visibilité dans l’espace public, la représentation dans les médias et la reconnaissance par autrui), au détriment d’enjeux structurels, intersectionnels et collectifs. Selon S. Banet-Weiser, le féminisme populaire se présente comme une politique individuelle, d’autant plus que celle-ci favorise la mise en visibilité de pratiques considérées comme étant sûres et acceptables socialement – un « féminisme mou » (Singh-Kurtz, 2023, notre traduction) :

« Par rapport à ces pratiques, le féminisme populaire peut être considéré comme une sorte de réaction contre les objectifs de certains mouvements féminismes se voulant critiques du racisme, du capitalisme et du patriarcat (et de leurs relations profondes). En marchandisant et en rendant le féminisme “sûr”, le féminisme populaire résiste à la critique structurelle » (Banet-Weiser, 2018 : 16, notre traduction).

11Pourtant, la visibilité est un capital dissymétrique et inégalitaire, particulièrement pour les personnes faisant partie de communautés marginalisées (tant en ce qui concerne l’ethnie, l’identité sexuelle et de genre, la classe sociale, etc.) (Heinich, 2012). Ces communautés sont exclues d’une vision prétendument « universelle » de la femme sujette du féminisme (Banet-Weiser, 2018). Alors que le féminisme devrait permettre à toutes les femmes et filles d’accéder au pouvoir au sein de notre société, S. Banet-Weiser (2018) constate au contraire que le féminisme populaire les rend impuissantes, comme si ce mouvement n’était accessible qu’à une infime partie d’entre elles.

12La poupée Barbie met en exergue les caractéristiques normatives de la femme au cœur du féminisme populaire « car si on aime dire que la poupée [Barbie] change, qu’elle s’adapte aux mœurs du moment, au fond, elle reste toujours la même, fidèle à ce qu’on attend d’elle. C’est ainsi qu’on l’aime, aryenne et hollywoodienne » (Delvaux, 2018 : 49). Malgré son évolution au fil des ans – avec des versions aux peaux et aux corps divers – la poupée Barbie, a marqué les esprits grâce à son image classique : blonde, caucasienne, avec un corps aux proportions irréalistes.

13Cette image classique est reprise par le film Barbie de G. Gerwig, où le personnage principal est celui de la « Barbie stéréotypée » (stereotypical Barbie), interprétée par l’actrice australienne Margot Robbie. L’intégration des multiples évolutions de la poupée au récit, dans des rôles d’adjuvantes, se présente néanmoins comme un effort d’inclusion notable. Le film a pour tête d’affiche une femme, mais le récit a aussi pour particularité de placer uniquement des femmes en position de pouvoir : une femme noire à la présidence de Barbie Land, un sénat entièrement composé de sénatrices, etc. Le film illustre alors l’une des craintes des tenants de la misogynie populaire : « Pour les misogynies populaires, chaque espace ou lieu, chaque exercice de pouvoir déployé par les femmes est compris comme enlevant ce pouvoir aux hommes » (Banet-Weiser, 2018 : 5, notre traduction, italique dans la version originale).

14Pour S. Banet-Weiser (2018), cette misogynie populaire est une norme invisible intégrée à nos structures sociales. Elle trouve aussi sa popularité par son expression sur plusieurs plateformes médiatiques, ce qui facilite la mise en relation de groupes et d’individus partageant des modes de pensées haineux envers les femmes (Banet-Weiser, 2018). Cela a pour effet de faciliter leur organisation en coalitions et la création d’espaces antiféministes et misogynes en une manosphère.

« La manosphère désigne le réseau de sites Internet, vidéos, profils de réseaux sociaux numériques ou encore commentaires qui défendent le retour à un régime politique patriarcal, à des performances masculines viriles, et à des rapports sociaux hommes/femmes hétérosexuels et fonctionnalistes » (Morin, 2021 : 172).

15Plus encore, la misogynie populaire s’intensifie en raison de la visibilité accrue du féminisme populaire dans l’espace public et médiatique : « De toute évidence, l’intensification de la misogynie à l’heure actuelle est en partie une réaction à la diffusion et à l’adoption du féminisme à l’échelle culturelle » (Banet-Weiser, 2018 : 3, notre traduction).

16En somme, le féminisme populaire est un féminisme aux objectifs désuets pour ceux qui soutiennent des courants de pensée qui visent à des changements structuraux et un féminisme dont la visibilité est perçue comme une attaque par les tenants des masculinismes (Banet-Weiser, 2018 ; Morin, 2021). En ce sens, les deux formes d’anti-fandoms créés autour du film Barbie permettent d’étudier empiriquement ces différents rapports au féminisme populaire.

Méthodologie

17La nature ouverte et exploratoire de la problématique de recherche proposée favorise une approche qualitative, qui « met à profit les capacités naturelles de l’esprit [de la] chercheu[se] et vise à la compréhension et l’interprétation des pratiques et des expériences » (Paillé et Mucchielli, 2016). L’analyse de vidéos YouTube produites par des anti-fans de Barbie permet de se concentrer spécifiquement sur la teneur des discours féministes et anti-féministes des créateurs et créatrices de contenus. La plateforme YouTube a été choisie pour la place qu’y occupent des individus qui ne correspondent pas au courant dominant (Gillespie, 2010), favorisant ainsi la publication de contenus qui dérogent à l’opinion populaire au sujet du film Barbie.

Corpus 

18Une trentaine de vidéos ont été colligées à partir d’une première recherche à l’aide des mots clés « Barbie movie feminism » sur YouTube. Seulement les vidéos publiées après la sortie du film en salles ont toutefois été considérées afin de limiter les commentaires ancrés dans des intuitions face aux premières bandes-annonces et extraits publicisés. En effet, certains anti-fans s’expriment sur des textes médiatiques sans même les avoirs visionnés (Gray, 2003 ; Jones, 2018) et il fallait éviter, dans la mesure du possible, ce genre de cas de figure. Le corpus est ainsi composé de vidéos YouTube publiées du 21 juillet au 21 septembre 2023 : cette première sélection de vidéos était purement exploratoire et s’est principalement orientée autour de leurs titres, considérés ici comme des indices textuels permettant d’en déterminer le contenu. Par là, si un titre mentionnait directement ou indirectement le féminisme, l’identité de genre, l’idéologie « woke » ou le patriarcat, la vidéo était téléchargée. Cette manière de faire a permis de colliger des vidéos dont le contenu avait le potentiel d’être pertinent par rapport aux questionnements. Une telle méthode a ses limites et il est possible que certaines vidéos correspondant aux critères ayant échappé à la collecte de données. Néanmoins, il a été choisi d’organiser la collecte de cette façon afin d’être le plus exhaustif possible, tout en ne négligeant pas la faisabilité de la réalisation.

19Par la suite, un premier visionnement de ces vidéos a été effectué afin de les classer du côté « féministe » ou « antiféministe » du corpus. Malgré les précautions prises afin d’assurer la cohérence du corpus de certaines vidéos présentaient un résumé du film de G. Gerwig ou parlaient simplement de la poupée Barbie et de son rapport au féminisme ; elles n’ont pas été retenues pour une analyse approfondie.

  • 2 Nous ne nommerons pas les titres des vidéos ou les créateurs et créatrices de contenus faisant part (...)
  • 3 Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que les créateurs et créatrices de contenus se retrouva (...)

20Au total, dix vidéos2 d’anti-fans antiféministes et dix vidéos d’anti-fans féministes ont été visionnées et encodées manuellement3. Les vidéos d’anti-fans féministes ont été publiées par une majorité de personnes de genre féminin (80 %), alors que, les anti-fans antiféministes sont en majorité des personnes de genre masculin (90 %).

21Il a été choisi de limiter la taille du corpus pour des raisons de faisabilité : bien que l’analyse qualitative de contenu comme celle produite ici permette de comprendre plus en profondeur les diverses manières dont les créateurs et créatrices de contenu discutent du féminisme dans leurs vidéos, sa réalisation s’avère chronophage. Cette méthode a eu l’avantage de recueillir plusieurs exemples au sein du corpus qui, à la manière de Richard McCulloch (2019), permettent d’illustrer les constats de manière éclairante.

Méthode d’analyse

22Les vidéos colligées ont été analysées manuellement en procédant à une analyse de contenu à tendance inductive. Inspirée des travaux de David Thomas (2006), l’approche inductive vise à faire émerger des thématiques fréquentes et significatives sans restriction théorique ou conceptuelle. Cette approche est particulièrement pertinente afin de nous interroger sur les anti-fans, dont la conceptualisation inégale rend l’opérationnalisation difficile sur le terrain : « [l] » analyse inductive se prête bien à l’analyse de données portant sur des objets de recherche à caractère exploratoire, pour lesquels le chercheur n’a pas accès à des catégories déjà existantes dans la littérature » (Blais et Martineau, 2006 : 4). Le concept d’anti-fan mérite d’être approfondi et complexifié, mais l’approche d’inspiration inductive a permis de garder une ouverture face aux pratiques mobilisées et aux thématiques abordées au sein des vidéos analysées.

23Le cadre théorique présenté reste donc utile afin d’orienter l’étude des discours étudiés, centré sur diverses lectures du féminisme par les anti-fans. Il n’est pas possible de se détacher pleinement d’une approche déductive, bien que nous ayons choisi de ne pas nous y restreindre.

24La première étape d’analyse, consistant en un visionnement attentif et répété du corpus, a permis de noter certains éléments importants au sein des vidéos sélectionnées et ainsi d’identifier certaines thématiques émergentes. La seconde ronde fait émerger des liens entre ces thématiques afin de les affiner pour « avoir une vue d’ensemble des aspects clés » (Blais et Martineau, 2006 : 8), en se référant toujours à la question de recherche, assurant la cohérence de l’analyse avec les objectifs.

Résultats

25L’analyse de vingt vidéos portant sur le film Barbie décèle certaines tendances dans la manière de discuter du féminisme dans l’œuvre, tant chez les anti-fans féministes que chez les anti-fans antiféministes. La méthode de l’analyse de contenu d’inspiration inductive a conduit à la recension de quelques thématiques récurrentes dans le corpus : chez les anti-fans antiféministes, se retrouve une haine du féminisme, alors que chez les anti-fans féministes, apparaissent des propos liés aux lacunes de la représentation féministe du film. Cependant, des thématiques traversent les deux camps : les attentes face au film, l’opposition au texte, les références à d’autres productions médiatiques et à leurs communautés de fans, ainsi que la représentation des personnages de Barbie et Ken. En regroupant ces thématiques, ont été précisées les différentes manières dont les anti-fans discutent du féminisme tel qu’il est mobilisé dans le film Barbie.

Les anti-fans féministes

Le féminisme simplifié de Barbie

  • 4 Malgré la présence de personnes issues de la « diversité » dans la distribution, peu d’anti-fans ci (...)

26Les anti-fans féministes de Barbie proposent une lecture très critique de la manière dont le film mobilise la pensée féministe. Ce regard se déploie de plusieurs manières, mais il est irrévocablement relié au féminisme populaire et à sa recherche absolue du consensus (Banet-Weiser, 2018). En effet, pour plusieurs créateurs et créatrices de contenu, le féminisme représenté dans le film n’est pas suffisamment intersectionnel. Bien que certains personnages soient interprétés par des personnes issues de la diversité sexuelle, de genre et ethnoraciale4, les enjeux représentés dans le film ne feraient pas état de ceux qui sont propres aux vécus des personnes à l’intersection de multiples structures d’oppression. Au contraire, le public se trouverait face à des enjeux féministes simplifiés :

  • 5 Nous avons choisi de traduire les propos des créateurs et créatrices de contenus. Nous conservons c (...)

« Je ne m’attendais pas au genre de politique que l’on retrouve dans ce film. La politique, du moins en surface, était très, très 2014. C’est la seule façon dont je pourrais la décrire. La plus usée, lib-shit, corporative, Tumblr, male-tears-esque. Il y avait de tout, vous savez, il y avait des sifflements, des explications, il y avait du patriarcat – oh mon Dieu, qu’il y avait du patriarcat. »5

27Pour les anti-fans féministes, le féminisme que le film Barbie représente serait orienté vers la simple visibilité des femmes blanches dans l’espace public. Certaines vidéos mentionnent d’ailleurs que le film poursuit la tendance cinématographique des années 2010 mettant en scène des « femmes fortes ». À ce sujet, certains anti-fans antiféministes comparent Barbie à des films comme Ghostbusters (Paul Feig, 2016) ou Capitaine Marvel (Anna Boden et Ryan Fleck, 2019) qui avaient fait couler beaucoup d’encre chez les groupes masculinistes (Adams, 2023 ; Blodgett et Salter, 2018 ; Proctor, 2017).

28Comme il est mentionné dans l’une des vidéos du corpus, le sujet du film Barbie ne serait donc pas réellement le féminisme : « C’est un film grand public fait pour le public le plus large possible, essayant de toucher tout le monde en même temps sans réellement rien en dire. Un féminisme aplati et emballé dans du plastique ». L’opposition des anti-fans féministes se présente alors comme une déception face au manque de nuance et de complexité au sein de la réflexion proposée par le film, à l’image de « l’anti-fandom déçu » de J. Gray (2019 : 30). Pour l’auteur, « [c]ertains publics peuvent être enclins à aimer ou à adorer un texte, mais un de ses éléments clés peut aliéner, agacer, dégoûter, mettre en colère ou décevoir d’autres publics » (Gray, 2019 : 31, notre traduction). En ce sens, plusieurs anti-fans féministes de Barbie déplorent le manque de profondeur des propos entourant certains enjeux, par exemple les attentes sociales envers les femmes ou encore la socialisation genrée. D’autres créateurs et créatrices de contenus notent que de nombreuses problématiques sont abordées, mais que le film ne laisse pas l’opportunité aux spectateurs et spectatrices de s’imprégner de ces problématiques afin d’y réfléchir sincèrement puisqu’« il n’y a pas de temps pour s’attarder sur les moments sérieux ». Le fait de vouloir attirer un public vaste, dont la connaissance du féminisme peut varier grandement d’un individu à l’autre, implique que le traitement de certains enjeux se doivent de rester en surface afin d’assurer que tout un chacun comprenne ce qu’il visionne.

29Par conséquent, alors que certains et certaines s’attendaient à un film beaucoup plus féministe, voire une production qui détesterait ouvertement les hommes, le résultat est tout autre : pour les anti-fans féministes, Barbie favorise une pensée féministe « superficielle » et « mainstream ». La simplification des enjeux féministes est un argument récurrent chez cette catégorie d’anti-fans. Plus encore, certains et certaines anti-fans notent que le film n’arrive pas à présenter un regard critique sur le patriarcat et son effet sur les femmes, puisqu’il en fait un simple équivalent du matriarcat, lequel serait représenté comme étant tout aussi problématique. D’autres considèrent même que le patriarcat est représenté positivement dans le film – particulièrement lorsque Ken ramène le patriarcat à Barbie Land, puisque, pour les créateurs et créatrices de contenu, les Barbies sont représentées comme étant plus heureuses et libres.

30Les anti-fans féministes considèrent qu’en tentant de simplifier les enjeux féministes pour proposer une production médiatique consensuelle (Banet-Weiser, 2018), Barbie a parfois de la difficulté à proposer des représentations justes de certains comportements dont les femmes peuvent être victimes. La masculinité toxique représentée dans le film est d’ailleurs mentionnée dans une vidéo : « Le film aborde la masculinité toxique de manière absurde, en disant “Oh, regardez comme ces hommes agissent de manière stupide” – alors que je pense qu’ils auraient pu le prendre un peu plus au sérieux ». Bien que l’absurdité de la masculinité toxique soit dénoncée, les créateurs et créatrices de contenu considèrent que le sujet n’est pas suffisamment problématisé et développé par le film.

Le féminisme consensuel comme image de marque

31La représentation consensuelle de la pensée féministe dans Barbie est, pour les anti-fans féministes, directement associée aux visées commerciales du film : « Ce film n’aurait jamais pu être autre chose que ce qu’il était. J’ai bien peur que le féminisme de Barbie soit artificiel, conçu spécifiquement pour vous vendre des produits, de très nombreux produits, et rien de plus ». Plus encore, ces anti-fans critiquent l’image de marque qui est revalorisée par le biais de cette nouvelle production cinématographique. De fait, pour bon nombre de créateurs et créatrices de contenu, le film a permis de refaçonner l’image de marque de Mattel et de son iconique poupée : la performance identitaire de son public serait devenue l’outil promotionnel de l’œuvre. Pour ces anti-fans, le fait que le public du film se présentait en masse dans les cinémas vêtu de vêtements roses (Solá-Santiago, 2023) aurait redoré l’image de Mattel. La compagnie s’est vue associée à un mouvement de fans, mais surtout à un mouvement associé au féminisme.

32De plus, certains créateurs et certaines créatrices de contenu rappellent que Barbie a été commercialisée en tant que poupée féministe dès sa création, mais que la compagnie insistait malgré tout pour dire publiquement que le film, lui, ne l’était pas. En insistant sur ce fait, Mattel tentait probablement de conserver le consensus autour de l’œuvre puisque, comme on le mentionne dans l’une des vidéos analysées, le film représente une publicité de près de deux heures pour Mattel. Certains anti-fans, incluant les anti-fans antiféministes, iront jusqu’à pointer l’hypocrisie de l’entreprise, puisque son lien direct avec le film limiterait les critiques possibles à son endroit, ou encore à l’égard du capitalisme. Les Youtubeurs et Youtubeuses mentionnent que les critiques de Mattel au sein du film relèvent généralement d’une fausse autodérision ou de fausses critiques, qui ne sont pas liées à de vraies problématiques observables au sein de la compagnie. Par exemple, une vidéo fait la mention du bafouement des droits des ouvrières dans les usines de Mattel (Hadj, 2020), un enjeu qui n’est jamais abordé dans le film de G. Gerwig. Comme le mentionne D. Thomas (2024), le féminisme de Barbie est donc « incontournablement corporatif » (notre traduction).

Les anti-fans antiféministes

La propagande cachée de Barbie

33Les formulations d’attentes vis-à-vis du film sont récurrentes dans les propos des anti-fans antiféministes. Pour ces individus, rien ne laissait présager que Barbie aurait un message ouvertement féministe. Selon eux, cela démontre clairement la sophistication des méthodes de manipulation féministes actuelles. Le public aurait donc été confronté de force à une production médiatique décrite comme étant un « tas de merde de chien misandriste méchant, amer et mesquin ». Quelques anti-fans antiféministes mobilisent des métaphores de violence physique pour illustrer la propagande cachée de Warner Bros Pictures (la compagnie de distribution), en disant que le film frapperait le public avec une « massue de la misandrie ».

34De ce point de vue, pour les anti-fans antiféministes, le film aurait le pouvoir de manipuler son public pour qu’il adhère à une pensée féministe, « woke » mais aussi misandre :

« Il ne s’agit pas d’une comédie idiote et inoffensive sur une poupée qui arrive dans le monde réel et vit une aventure farfelue. C’est un tour que vous a joué la campagne marketing. C’est en fait beaucoup plus intelligent que ça. […] Donc, le film est peut-être une tempête de merde idéologique féministe, mais les gens derrière lui sont beaucoup plus rusés que ce à quoi nous sommes habitués. C’est pourquoi je pense qu’ils ont trompé beaucoup de cinéphiles en leur faisant croire que ce n’est pas aussi insultant que ça. »

35Cependant, le fait que le film soit un véritable assaut idéologique n’est pas surprenant pour eux. Un anti-fan antiféministe insiste sur le fait que lui et ses confrères auraient des capacités interprétatives plus élevées que le spectateur ordinaire : lui et tous ceux qui partagent sa vision du monde, un « Nous » uni contre la propagande féministe de Barbie, auraient vu clair dans le jeu de la production. À noter que certains individus mettant en avant cet argument n’ont pas vu le film, se fiant plutôt aux critiques qu’en ont faites certaines « personnes courageuses », comme Ben Shapiro, qui ont « enduré le film pour la cause » : « C’est une forme, je dois le dire, de courage journalistique bien plus impressionnant que celui des journalistes qui couvrent les zones de guerre, en particulier les journalistes en Ukraine en ce moment ».

36Pour les anti-fans antiféministes, Barbie représenterait les femmes comme des victimes opprimées. Selon eux, il s’agirait d’une image qu’Hollywood tente de projeter afin de faire croire aux gens qu’ils sont persécutés par la société. Le « féminisme libéral hollywoodien » pervertirait la vision du monde des femmes, ce qui les pousserait à se plaindre malgré leurs privilèges et le pouvoir qu’elles exerceraient sur les hommes. Dès lors, pour les anti-fans antiféministes, Barbie Land serait une représentation calquée de notre société « devenue gynocentrée, où les intérêts des femmes l’emportent sur le bien commun » (Morin, 2021 : 173).

La pathologisation du féminisme

37L’opposition au féminisme dans cette sous-catégorie d’anti-fans se manifeste aussi par sa pathologisation. En effet, certains créateurs et créatrices de contenus considèrent que le féminisme aurait pourri le cerveau des femmes. Ce serait pour cette raison qu’elles inventeraient de nouvelles causes d’oppression. Les féministes seraient alors des psychopathes qui détestent les hommes. Pour d’autres, Barbie aurait pour effet de laver le cerveau des individus. Il s’agirait du film à montrer à sa fille pour qu’elle devienne une « harpie qui déteste les hommes ». Alors que les discours antiféministes tendent habituellement vers la victimisation des hommes (Morin, 2021), les anti-fans antiféministes construisent plutôt une image des femmes comme étant elles aussi les victimes du féminisme. L’incohérence de leurs propos est totale : les femmes seraient contrôlées par la force du féminisme tout en étant en contrôle de notre société.

L’homme subordonné

38Le rôle joué par les personnages masculins dans le film Barbie a offusqué plus d’un anti-fan antiféministe. Certains considèrent que la représentation du sexisme qui y est faite est caricaturale, alors que d’autres ont essentialisé cette représentation sans porter de regard critique sur le message que le film tentait de véhiculer : « Tous les hommes sont des prédateurs sexuels, je présume ». Quoiqu’il en soit, la représentation des hommes dans le film de G. Gerwig est considérée comme insatisfaisante : il n’y aurait aucun homme « de qualité », tous les hommes seraient des « perdants », des « abrutis » ou des « subordonnés ». Autrement dit, le film représenterait les hommes de manière contraire aux performances de genre traditionnelles : « Il s’agit d’un film réalisé par des gens qui méprisent totalement les hommes et la masculinité, ou tout type de rôles de genre traditionnels, et qui ne tentent absolument pas de le cacher ». Ce rapport à la tradition est central dans l’idéologie des groupes de la manosphère (Morin, 2021). Chez les anti-fans antiféministes, la tradition se dévoile par une comparaison constante entre les hommes et les femmes, mais surtout par l’assimilation des femmes à la faiblesse : « La façon pour les hommes d’être de meilleures personnes est qu’ils soient comme les femmes », « Le public cible est constitué des fans de Barbie, des femmes et des hommes impressionnables et déficients en testostérone, faibles de volonté, qui n’ont aucune estime d’eux-mêmes ou qui, malheureusement, ne comprennent pas la situation », « Nous avons éduqué nos garçons comme des filles défectueuses ».

39Le personnage de Ken, figure masculine centrale du film, s’est retrouvé au centre de plusieurs vidéos d’antiféministes analysées. Ken serait victime d’un manque de respect flagrant et d’une dévalorisation, tel un esclave pour les femmes de Barbie Land. Son rôle marginal est d’ailleurs souligné à quelques reprises, créant un contraste intéressant avec les propos d’anti-fans féministes qui considèrent que Ken prend trop d’espace dans le récit. D’ailleurs, certains anti-fans antiféministes mentionnent cette critique, qui se présente à la fois comme une critique des féministes et du film : « Voici l’état des médias modernes : le seul problème lié à la diabolisation des hommes est qu’elle vous oblige à trop parler des hommes ».

40Selon les anti-fans antiféministes, le fait que le personnage découvre le patriarcat dans le monde réel lui aurait permis de comprendre son véritable pouvoir et le respect qu’il mérite. Quelques-uns de ces anti-fans, dont les discours s’apparentent à ceux de groupes de la manosphère, voient donc en « Ken le patriarche », une figure qui effraie les femmes, puisque celles-ci auraient peur que les hommes reprennent le pouvoir et réinstaurent un patriarcat présumément disparu de notre société.

L’égalité, un enjeu récurrent

41D’un point de vue idéologique, tout porte à croire que les anti-fans féministes et antiféministes sont des opposés. Pourtant, il existe bien un élément récurrent chez ces deux groupes et qui surprend : la notion d’égalité. En effet, tant chez les féministes que les antiféministes, la fin du film est critiquée sous prétexte que le retour au statu quo matriarcal de Barbie Land serait incohérent avec le reste du récit. Ce retour à la « normale » est présenté comme une fin heureuse, alors qu’il n’en est rien. Les anti-fans féministes notent qu’il s’agit d’une réflexion importante au sujet de notre monde oppressif patriarcal difficile à changer, mais ne considèrent pas cette fin de récit comme étant révolutionnaire ou idéale. Les anti-fans antiféministes, quant à eux, voient cette fin comme étant une manière pour le film de rejeter la pensée féministe qu’il prône : « Ce film parle de féminisme, mais pas réellement étant donné que le féminisme implique la notion d’égalité ». Évidemment, l’entente des féministes et des antiféministes autour de cet enjeu reste en surface. D’un côté, on aurait espéré voir une manière plus productive de délaisser le patriarcat, qui serait reproduisible dans notre société. De l’autre, la critique vise avant tout à souligner l’incohérence idéologique du film.

Conclusion

42L’analyse a permis d’expliciter les propos des anti-fans féministes et antiféministes au sujet du film Barbie. S’ils interprètent différemment la posture féministe assumée par le film, ils mobilisent des points similaires dans leurs arguments. La manière dont chaque groupe se positionne idéologiquement face au féminisme peut influencer la lecture d’un même objet. Par exemple, d’un côté, les enjeux féministes ne seraient pas assez discutés, alors que, de l’autre, le féminisme aurait été caché afin de manipuler le public plus aisément. L’impossible critique du capitalisme et de l’entreprise Mattel est mentionnée des deux côtés, tandis que la présence du personnage de Ken est perçue de manière foncièrement différente au sein de ces deux catégories d’anti-fans.

43Bien qu’il reste évidemment beaucoup de travail à faire sur l’anti-fan, la comparaison entre les anti-fans féministes et antiféministes de Barbie présentée ici montre la complexité de ces discours. En s’attardant sur les thématiques et les cibles se trouvant au sein de leurs argumentaires, il est clair que leur opposition idéologique n’implique pas nécessairement une si grande disparité. Les distinctions entre les deux clans se trouvent avant tout dans les subtilités discursives et idéologiques. De fait, ils peuvent critiquer le même élément du film sous des angles complètement différents. Cette étude, exploratoire et limitée, a ainsi permis de démontrer que, à l’image des pratiques de fans et d’anti-fans, celles qui se sont développées par différents types d’anti-fans se font répondent bel et bien (Gray, 2005 et 2019).

44De futures recherches pourraient s’attarder sur un corpus plus large, ou encore proposer une analyse discursive plus pointue. Le croisement de données audiovisuelles et textuelles (les commentaires de ces vidéos) serait aussi à même d’approfondir les résultats énoncés. D’ailleurs, l’analyse automatisée de contenus audiovisuels aurait le potentiel de bonifier les résultats présentés en facilitant l’analyse de grands corpus de données en un temps réalisable pour de petites équipes de recherche.

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Notes

1 J. Gray (2019) a tenté de contribuer à une meilleure compréhension de l’anti-fandom en proposant une classification, ce qui a conduit à l’identification de certaines catégories, par exemple celle de l’anti-fandom compétitif, où deux objets de l’admiration sont mis en opposition (deux équipes de sports, deux célébrités…) ou l’anti-fandom déçu (« disappointed anti-fandom »), où la déception de l’anti-fan influence ses pratiques.

2 Nous ne nommerons pas les titres des vidéos ou les créateurs et créatrices de contenus faisant partie de notre corpus afin d’éviter de faciliter l’accès à des contenus antiféministes, mais aussi pour nous protéger de représailles d’anti-fans qui pourraient devenir violents comme ce fut le cas pour d’autres chercheuses (Drouin, 2021).

3 Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que les créateurs et créatrices de contenus se retrouvant dans chaque catégorie s’identifiaient bel et bien comme étant des personnes féministes ou antiféministes. En effet, il existe une part d’auto-identification qui aurait nécessité la réalisation d’entretiens avec ces individus, ce qui nous a été impossible. Seule la teneur des propos des créateurs et créatrices, à la lumière de la définition du féminisme populaire présentée plus haut, permet de proposer une séparation cohérente du corpus dans les catégories anti-fan féministe et anti-fan antiféministe.

4 Malgré la présence de personnes issues de la « diversité » dans la distribution, peu d’anti-fans ciblent directement les acteurs et actrices concernés. Par exemple, seulement deux antiféministes abordent la présence (perçue comme négative) d’une actrice transgenre dans la distribution, alors qu’une seule féministe la mentionne, en soulignant les efforts de la production d’un point de vue représentationnel.

5 Nous avons choisi de traduire les propos des créateurs et créatrices de contenus. Nous conservons certains termes anglophones dont la traduction française rendrait le propos moins clair.

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Pour citer cet article

Référence papier

Dominique Gagnon, « Barbie et ses anti-fans »Questions de communication, 46 | 2024, 17-34.

Référence électronique

Dominique Gagnon, « Barbie et ses anti-fans »Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 07 février 2025, consulté le 16 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/36718 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12yfs

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Auteur

Dominique Gagnon

Université du Québec à Montréal, CAN-H3C 3P8 Montréal, Canada gagnon.dominique[at]uqam.ca

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