Navigation – Plan du site

AccueilNuméros46Dossier. Le fandom, côté obscur :...« Il est acceptable de rire de qu...

Dossier. Le fandom, côté obscur : pratiques toxiques

« Il est acceptable de rire de quelqu’un qui a besoin d’apprendre une leçon ».

Fandom toxique, affiliation politique et frontières de la communauté
« Okay to Laugh at Someone Who Needed to Learn a Lesson » : Toxic Fandom, Political Affiliation, and Boundary Policing
CarrieLynn D. Reinhard, Jessica Hautsch et Linda Howell
p. 149-176

Résumés

Résumé : Cet article se penche sur deux aspects de plus en plus importants dans les études sur les fans : le fandom toxique et les intersections entre la politique et le fandom. L’analyse cherche à comprendre comment l’affiliation politique d’un fan influe sur ses interactions avec d’autres fans d’une manière qui pourrait être considérée comme « toxique » pour la stabilité de la communauté des fans. Cette étude s’intéresse principalement aux pratiques de contrôle et de surveillance des frontières en rapport avec les différences de croyances et d’appartenance politiques. Un mélange d’analyse statistique et d’analyse thématique explore les chevauchements entre le fandom et les appartenances politiques des individus, et révèle que l’affiliation politique a un impact sur les expressions publiques et les sentiments personnels concernant leur fandom. En outre, une série d’actions et de réactions sont notées dans les souvenirs des fans concernant l’engagement de la différence au sein de leur fandom. Dans l’ensemble, ce n’est peut-être pas l’affiliation politique qui est à l’origine de la toxicité au sein d’une communauté de fans, mais plutôt les perceptions et les réactions de chacun des membres face à une certaine forme de différence.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Le terme fandom désigne à la fois l’état de fan, le fait d’être fan d’un objet, ainsi que la commun (...)

1Le fandom1 toxique n’est pas qu’une question politique : en d’autres termes, le terme « toxique » recouvre une perception qui ne s’aligne pas facilement sur des identités politiques ou un simple activisme conservateur ou progressiste. Les fans conservateurs sont potentiellement toxiques lorsqu’ils réduisent au silence les voix et les expériences des communautés marginalisées, tandis que les fans progressistes sont à leur tour toxiques lorsqu’ils renient des personnes avec lesquelles ils ne sont pas d’accord. La toxicité se manifeste davantage dans les comportements internes et externes des fans, qui peuvent être déclenchés en réponse à toute une série de pratiques et de sensibilités des fans. La toxicité survient lorsque les fans adoptent des croyances, des sentiments et des comportements qui favorisent le contrôle et la surveillance des frontières d’une communauté de fans en déterminant et en dictant ce qui est approprié et inapproprié pour ce fandom ou cette communauté de fans (Gray, Reinhard et Shaw, à paraître). Ce qui est considéré comme « toxique » peut donc être entièrement dû à la personne qui subit les effets de ce « gatekeeping », alors que les fans se comportant ainsi peuvent considérer que leur travail est nécessaire pour maintenir la présence d’un « espace sûr » dans lequel ils peuvent continuer à évoluer. Après tout, la conception commune de tout fandom, indépendamment de l’affiliation politique, est un espace, une communauté et une activité au sein desquels le fan peut s’amuser et s’adonner à ses passions (Reinhard, 2018).

2Le plus important dans l’étude du fandom toxique est donc de comprendre les attitudes et les pratiques impliquées dans le « gatekeeping » : l’établissement et le maintien de ces frontières, ainsi que la réaction aux franchissements des frontières. Ce travail n’est pas propre aux études sur les fans, puisque la question est explorée depuis des décennies par la psychologie et la science politique. Ce que les études sur les fans ont commencé à démontrer, c’est le chevauchement entre ces aspects traditionnellement plus « sérieux » de la vie quotidienne et les activités habituellement considérées comme « frivoles » des fans (Reinhard, 2018 ; Barnes, 2022). Les fandoms peuvent servir d’études de cas pour explorer le contrôle d’accès dans les petits groupes, ce qui permet de voir dans un microcosme comment les gens réagissent à la différence idéologique, à l’authenticité, à l’appartenance à une communauté et à la violation des limites. Si ces comportements toxiques sont présents dans les sphères des fandoms, ils peuvent aussi être liés aux actions des individus dans des sphères plus larges de leur vie, y compris l’activisme politique et la participation démocratique. Si les fandoms et les démocraties sont tous deux des cultures participatives, ce que l’on apprend sur les fandoms peut être appliqué à la compréhension des démocraties et l’on peut espérer que ce que l’on apprend dans une sphère peut améliorer ce qui se passe dans une autre.

3L’étude utilise cette compréhension ontologique pour explorer les chevauchements entre les affiliations et les identités politiques des fans afin de comprendre leurs attitudes et leurs réactions affectives à l’égard des politiques de contrôle et de franchissement des frontières de la communauté. La compréhension actuelle du fandom toxique, des politiques de contrôle d’accès et des fandoms politiques a conduit à entreprendre une étude en ligne multi-méthodologique qui transcende les distinctions entre fandoms et la polarisation politique pour comprendre comment des personnes d’idéologies politiques différentes gèrent la formation des frontières ainsi que leur franchissement, en relation avec leurs fandoms et leurs identités de fans. En premier lieu, il a fallu chercher à mieux comprendre quelles attitudes et quels affects sont impliqués dans le fandom d’une personne lorsque des personnes d’idéologies politiques divergentes s’engagent les unes contre les autres. En d’autres termes, les fans se considèrent-ils comme toxiques ?

Revue de littérature

Affect et fandom

4Le fandom est marqué et souvent défini par l’émotion des fans et, par conséquent, les dimensions affectives et émotionnelles de l’engagement des fans ont été documentées et discutées par les spécialistes des études sur les fans. Par exemple, l’introduction de Lisa Lewis (1992 : 1) à l’ouvrage The Adoring Audience: Fan Culture and Popular Media explique que les auteurs du livre s’identifient tous comme des fans, parce que « seul un fan peut apprécier la profondeur des sentiments, les gratifications, l’importance pour faire face à la vie quotidienne que représente le fandom ». Dans l’un des chapitres de l’ouvrage The Celebrity Culture Reader, Lawrence Grossberg (1992 : 57) affirme que l’investissement affectif des fans dans l’objet est au cœur de la « sensibilité » fanique ; l’orientation affective des fans, affirme-t-il, est ce qui fait d’eux des fans. Dans son ouvrage, Matthews Hills (2002 : 60) insiste à nouveau sur le rôle de l’affect dans l’engagement des fans. Il note que, si la plupart des premières études sur les fans ont négligé la psychologie, l’affect et l’émotion sont au cœur du fandom, arguant que « sans les attachements émotionnels et les passions des fans, les cultures fans n’existeraient pas ». Il théorise le « jeu affectif » des fans (60) à travers la focale psychanalytique des objets transitionnels secondaires (ibid. : 77).

5Des tentatives plus récentes pour définir et comprendre le fandom se sont de même concentrées sur le rôle de l’émotion. Bien que Cornel Sandvoss (2005 : 8) remarque que les émotions sont difficiles à étudier et à quantifier, il définit néanmoins le fandom comme « la consommation régulière et émotionnellement impliquée d’un texte narratif populaire donné ». Dans son travail sur les jeunes fans, Louisa Stein (2015 : 14) examine l’« affect collectif » des fans, qu’elle appelle leurs « sentiments », et interroge l’« énergie et l’émotion collectives » des cultures fans. Les travaux de Rebecca Williams (2015) étudient l’attachement émotionnel persistant des fans aux séries télévisées et œuvres cinématographiques terminées. Pour sa part, Jessica Hautsch (2023) affirme que l’émotion fonctionne comme un moyen de constituer et marquer l’appartenance à un collectif de fans. Les fans créent des stimuli pour les autres membres de leurs communautés afin de partager, de diffuser et d’amplifier l’émotion, les sentiments des fans permettant de créer des liens.

6De cette manière, il semble possible de comprendre les messages des fans sur les sites de réseaux sociaux, comme Reddit, Tumblr ou X, en utilisant ce que Elaine Hatfield, John Cacioppo et Richard Rapson (1994 : 58) appellent la « contagion émotionnelle ». Ils soulignent que la perception et l’expérience des émotions sont influencées par les émotions que nous percevons chez les personnes de l’entourage. Cette expérience de la contagion émotionnelle explique pourquoi les sitcoms semblent plus drôles lorsque nous voyons et entendons d’autres personnes rire : notre perception de ce que nous ressentons est amplifiée par les personnes qui nous entourent. Ou pourquoi nous sommes aspirés dans l’indignation des sites de réseaux sociaux : nous ne ressentons pas seulement notre colère, mais aussi celle de ceux qui nous entourent (Kramer, Guillory, Hancock, 2014). Les fandoms créent une écologie émotionnelle dans laquelle et via laquelle les fans perçoivent, génèrent et partagent des sentiments, leurs expériences étant façonnées par les communautés dont ils sont membres (Hautsch, 2023). Ils fonctionnent comme des microcosmes à travers lesquels on peut étudier l’expérience et la diffusion des émotions au sein des communautés.

7De cette manière, les fans génèrent des modèles d’affect au sein des collectifs qu’ils forment. Dans les collectifs émotionnels du fandom, les fans fabriquent les uns pour les autres des stimuli par lesquels les émotions sont répétées et partagées. Dans ses travaux sur la réception, l’incarnation et l’émotion, Robyn Warhol (2003 : 7) affirme que les textes culturels tels que les mélodrames, les comédies romantiques et les feuilletons fonctionnent comme des « technologies de l’affect », « fournissant des structures de sentiment dans la vie quotidienne de leurs adeptes ». Lorsque les spectateurs s’engagent dans ces genres, ils répètent ces émotions, pratiquant un « schéma prévisible de sentiments » (ibid. : xvi). Cette répétition, note-t-elle, « n’est pas cathartique en ce sens qu’elle n’évacue pas les émotions, mais qu’elle encourage plutôt les lecteurs à renforcer les sentiments » qu’ils perçoivent en s’engageant dans le texte (ibid. : 18). Comme l’explique le psychologue Carol Tavris (1982 : 139), en dépit de la « croyance populaire selon laquelle il est bénéfique de se décharger de ses sentiments », les recherches indiquent que « parler d’une émotion ne la réduit pas, cela la répète », ce qui a pour effet d’intensifier nos sentiments. La recherche indique que lorsque nous sommes en colère, nous sommes plus susceptibles de rechercher des messages sur les médias sociaux qui partagent notre point de vue et notre perspective émotionnelle (Wollebæk et al., 2019) ; lire les messages de colère d’autres personnes n’évacue pas nos sentiments, mais réaffirme et renforce nos expériences émotionnelles.

L’affectivité des fans

8Les communautés de fans comportant des hiérarchies, des systèmes de pouvoir et des normes culturelles, un point qui contextualise et contredit les notions antérieures de fandom comme espace de plaisir ou subversif (Fiske, 1987) ou comme pathologique (Jenson, 1992). Dans la première génération d’études sur les fans, Henry Jenkins (2006) souligne la nature participative de la culture fanique et affirme que les fans contribuent à leurs communautés par des pratiques telles que la fanfiction, le fan-art et l’art du remix. De même, Jonathan Gray (et al., 2017) souligne l’importance des pratiques des fans en tant que formes de participation et de production culturelle, mettant l’accent sur la créativité des fans. H. Jenkins (2009) déplace sa propre réflexion sur le fandom d’une considération du quoi vers le comment : les structures des espaces culturels participatifs et leurs « négociations » d’actes tels que l’établissement de liens sociaux et d’espaces favorables pour ses membres, et comment ces formes de construction de biens communs démontrent à la fois l’engagement civique et politique. Au service de ces liens sociaux, les fans peuvent s’engager dans l’activisme, que H. Jenkins (2014) considère comme une affirmation de la citoyenneté. Ces liens sont rendus possibles par les activités collaboratives des fans telles que la fanfiction (Hellekson et Busse 2006) ou d’autres formes de construction communautaire qui nécessitent une réciprocité entre les fans, entre les fans et les producteurs, même si c’est sous un angle négatif, comme pour les anti-fans.

9La création d’une communauté inhérente aux espaces de fans peut créer un espace favorable à l’engagement politique. Paul Booth (2015) réfléchit aux différentes façons dont les fans participent à l’activisme inspiré par les objets faniques et, par la suite, elle (Bennett, 2013) examine le rôle de la relation parasociale entre les fans et la célébrité dans l’encouragement et le soutien de l’activisme des fans, en particulier en ce qui concerne la philanthropie. P. Booth (2015) revisite le modèle réciproque du fandom pour l’aligner sur une participation plus active à des formes de parodie et de pastiche (Bennett, 2013), ce qui rejoint d’autres auteurs ayant tenté de reconfigurer les modèles économiques du fandom (Hellekson, 2009 ; Scott, 2009). Mais si le modèle économique est en jeu, le modèle politique l’est aussi et, par extension, l’effet de ces modèles sur les attitudes et les approches à l’égard d’autres domaines politiques.

Les fans et l’activité politique

10L’activisme dans le fandom n’est pas un nouveau domaine de recherche, mais son développement à la lumière des médias sociaux et d’autres types de réseaux sociaux numériques fournit des plateformes pour créer des connexions. Les fans se sont mobilisés autour d’innombrables causes, depuis les campagnes « Sauvez la série X » jusqu’à des actions plus politiquement conscientes telles que l’Alliance Harry Potter (Kligler-Vilenchik et al., 2012). Ils ont aussi soutenu une variété d’œuvres caritatives et de mouvements sociaux liés aux objets culturels autour desquels les fans se sont rassemblés – voir les productions autour de Our Flag Means Death de HBO Max (depuis 2022) et ses liens avec l’identité queer. Toutefois, ces communautés posent des problèmes liés aux structures de pouvoir, aux interactions sociales, aux hiérarchies, aux conditions d’adhésion, ainsi qu’à d’autres exercices de construction de frontières. J. Gray explore la dynamique des communautés de fans, examinant comment elles fonctionnent en tant qu’espaces de formation de l’identité et d’appartenance culturelle. Il souligne la façon dont les fans négocient leur identité au sein de ces communautés, en s’appuyant souvent sur des intérêts médiatiques communs pour établir des liens sociaux significatifs (Gray, Harrington et Sandvoss, 2017).

11La présence de telles structures sociales et culturelles se reflète dans le travail effectué sur la politique au sein du fandom et, éventuellement, sur la façon dont les activités et les effets du fandom peuvent avoir une incidence sur les attentes et les liens entre la citoyenneté dans des espaces micro comme le fandom et l’espace plus macro des relations politiques et sociales qui existent à l’extérieur de ces espaces, y compris les partis politiques nationaux, mondiaux et locaux, les élections, les campagnes et d’autres formes d’engagement civique. Lucy Miller (2020) examine l’intersection de la culture populaire et du parti politique comme des communautés de fandom, en étudiant comment le marketing et l’engagement autour du jeu vidéo Wolfenstein II (Bethesda Softworks, 2017) révèlent les façons dont le fandom MAGA, ou le fandom Trump, considère de tels artefacts comme fondamentaux, mais aussi comme un renforcement des croyances et des attitudes politiques.

12Line Nybro Petersen (2022 : 104) analyse comment les personnalités politiques deviennent dignes d’intérêt pour les fans et comment des actes tels que le fait de porter des t-shirts ou casquettes, la publication sur des forums de médias sociaux et d’autres modes d’engagement et d’interaction constituent une forme de jeu auquel les fans participent, mais pas au « sens classique ». L’importance de la relation entre la célébrité et le fan donne lieu à de nombreuses études sur le branding et l’importance émergente de la figure de l’influenceur des médias sociaux. La création de contenu et son lien avec les publics ont un impact significatif sur la relation entre l’influenceur et les publics (Chung-Wha et al., 2020). Ashley Hinck (2019 : 226) examine le paysage de la politique et du fandom dans son livre Politics for the Love of Fandom, dans lequel elle conclut que, pour comprendre le contexte politique contemporain, les chercheurs doivent se pencher sur les comportements des fans : « Ignorer la citoyenneté des fans serait ignorer une partie centrale de la culture publique contemporaine ». À mesure que ces relations deviennent plus « centrales », les conflits potentiels inhérents doivent aussi être abordés. Le « fandom toxique » et ses pratiques en sont un exemple.

Fans et activités toxiques

13Comme dans toutes les communautés et communautés de pratiques, le conflit est une conséquence naturelle du rassemblement. Le fandom en tant que sanctuaire pour les voix marginalisées, quelle que soit l’orientation politique de ces voix, émerge encore et encore dans les études, ce qui nécessite un examen des types de comportements et d’attitudes qui pourraient indiquer une toxicité. Les conflits au sein des communautés et contre d’autres communautés peuvent invoquer des environnements toxiques et conduire à des pratiques toxiques (Reinhard, 2018).

14Dans les études sur les fans, l’étude de la toxicité a été envisagée sous de multiples angles. Rukmini Pande (2018) demande aux chercheurs en études de fans d’étudier à quel point ses généalogies sont saturées de chercheurs blancs et anglo-centrés et comment cela peut inhiber les discussions sur la race et l’ethnicité, ce qui peut créer un environnement inhospitalier pour les fans et les chercheurs. Bridget Blodgett (2019) se penche sur l’étude de cas #gamergate et sur la façon dont ce qu’elle appelle les fandoms « de niche » réagissent à la mise en lumière dans les médias, une mise en lumière qui révèle comment ces communautés de fans peuvent offrir un espace aux groupes haineux. De son côté, Natalie Le Clue (2023 : 2) met en garde contre les comportements toxiques tels que les hashtags (Stassin, 2022) agressifs et/ou biaisés qui peuvent « entraver l’engagement politique » et menacer la démocratie.

15Dans les communautés de fans, la discussion sur la toxicité ne peut se faire sans considérer la place de l’anti-fan et de l’anti-fandom. Dans la typologie de l’anti-fan, on trouve ceux qui interviennent activement et ceux qui sont activement repoussés, ou ce que Henry Gray (2005 : 844) appelle les « refusants ». La relation entre l’anti-fan et son objet devient un modèle important pour comprendre comment ces consommateurs et producteurs restent en relation avec d’autres fans/anti-fans et, par extension, avec leur objet. Le comportement négatif permet peut-être aux fans, même s’ils sont anti-fans, de ressusciter et de poursuivre cette relation (Mardon, Cocker et Daunt, 2023). Enfin, Melissa A. Click (2019 : 11) souligne que l’évolution de certains groupes et certains comportements anti-fan sont en partie alimentés par la manière dont l’industrie des médias valorise certains fans par rapport à d’autres. La combinaison de formes convergentes d’affect crée un environnement propice à l’analyse.

Méthodologie

Échantillon

  • 2 Le groupe de recherche sur la politique, la religion et le fandom a pour objectif d’expliquer et de (...)

16L’analyse présentée dans cet article utilise la première série de données recueillies par le groupe de recherche sur la politique, la religion et le fandom2. Ce corpus de données se compose de 272 questionnaires et 26 auto-entretiens remplis par des fans du monde entier.

Image

Image

Image

Image

Image

Image

Image

Image

Image

Collecte des données

  • 3 Les 68 éléments qui composent l’échelle de Likert peuvent être consultés à l’adresse suivante : htt (...)
  • 4 Cosplay est la contraction des termes « costume play » impliquant des fans qui se déguisent dans de (...)

17Les questionnaires ont été collectés en ligne via Qualtrics et comprennent cinq sections principales remplies avec des mesures nominales, ordinales et d’intervalle, en utilisant les échelles de Likert3 pour mesurer les attitudes et les comportements les plus courants : comportements des fans dans et en dehors de la communauté, croyances et comportements religieux et politiques, utilisation et perceptions des plateformes de médias sociaux, et données démographiques. Pour l’analyse présentée par cet article, on se concentre sur les échelles de Likert conçues pour mesurer les comportements des fans. Ces mesures ont été conçues à partir d’études antérieures (voir Chadborn, Edwards et Reysen, 2017 ; Reinhard et Ganguly, 2020 ; Stein et Reinhard, 2023) pour mesurer les pensées, les sentiments et les activités associés à l’expérience d’une personne en tant que fan. Certaines de ces questions ont été intentionnellement conçues pour mesurer les problématiques politiques récemment coïncidé avec les fandoms, telles que le blackface dans le cosplay4. Mais la majorité des questions sont concentrées sur l’affect et les activités communément associées au fandom. Ces éléments ont été utilisés pour les besoins de l’analyse quantitative, de même que les éléments nominaux utilisés pour mesurer les croyances et l’affiliation idéologiques politiques.

18Les auto-entretiens (par complétion d’un formulaire) ont aussi été menés en ligne via Qualtrics sous la forme d’une série de questions ouvertes utilisant la méthodologie de la création de sens (Dervin et Foreman-Wernet, 2003). L’auto-entretien demandait aux participants de se souvenir et de réfléchir à une situation dans laquelle leur fandom avait été confronté à des questions politiques et/ou religieuses. En tant qu’entretien comportant des micro-éléments, l’interrogation de triangulation de niveau 1 a demandé aux participants de devenir leurs propres théoriciens en approfondissant la façon dont ils appréhendaient leur situation et les chevauchements entre leur communauté et les identités politiques ou religieuses. Les personnes interrogées ont été invitées à décrire la situation ainsi que les questions, les conclusions, les émotions, les apprentissages, les aides et les obstacles qu’elles ont rencontrés à ce moment-là, tout comme la manière dont la situation était liée à leur perception de soi, à leur vie à ce moment-là et à leurs points de vue sur le pouvoir et sur les autres. Leurs réponses à ces questions ont fait l’objet d’une analyse qualitative afin de comprendre leurs expériences affectives dans une situation donnée.

Procédure

19Le recrutement primaire s’est fait via les plateformes de médias sociaux Facebook, Twitter/X, reddit, TikTok et YouTube, ainsi que sur des plateformes plus spécialisées telles que Gab et Parlor. Des comptes publics ont été utilisés sur Facebook et Twitter/X pour diffuser des messages au-delà des réseaux sociaux personnels. Tous les messages sur les médias sociaux redirigeaient les volontaires vers un article de blog sur un site web privé (https://www.playingwithresearch.com), qui contenait un lien vers Qualtrics pour le questionnaire. Après avoir rempli le questionnaire, les participants intéressés par l’auto-entretien ont fourni une adresse électronique à laquelle le lien Qualtrics de l’auto-entretien a été envoyé. Le recrutement a été encouragé par des tirages au sort pour gagner des cartes-cadeaux Amazon. Les participants aux questionnaires devaient fournir une adresse électronique pour participer au tirage au sort de l’une des 10 cartes-cadeaux de 20 dollars. Les personnes ayant répondu à l’auto-entretien étaient invitées à fournir leur adresse électronique pour participer au tirage au sort d’une carte-cadeau Amazon d’une valeur de 100 dollars. En outre, afin d’améliorer l’échantillonnage, il a été demandé aux personnes ayant rempli le questionnaire si elles avaient été orientées vers l’étude par une autre personne. Les personnes qui ont recommandé l’étude à d’autres personnes ont gagné des possibilités supplémentaires de participer au tirage au sort.

Analyse des données

  • 5 Les tests post-hoc sont effectués dans les ANOVA (Analysis of variance, analyse de la variance) lor (...)

20L’analyse des données pour cet article consiste en une combinaison d’approches quantitatives et qualitatives afin de maximiser la collecte par le biais de questionnaires et d’auto-entretiens. L’analyse quantitative consiste en une analyse de fréquence visant à décrire et à définir les idéologies et les affiliations politiques de l’ensemble de l’échantillon. Cette analyse a été suivie d’une série d’ANOVA à sens unique et à distribution inégale avec des post-hocs Games-Howell5 qui ont comparé trois catégories d’affiliation politique. L’analyse qualitative consiste en une analyse affective des auto-entretiens afin de trouver des thèmes dans les réactions des participants au franchissement des limites lorsqu’ils s’engagent avec des individus qui sont idéologiquement différents d’eux.

Description de l’affiliation politique

21Trois items nominaux différents ont mesuré les identités politiques et idéologiques. Les tableaux 1 et 2 présentent les fréquences des convictions politiques déclarées afin de fournir des informations descriptives sur l’échantillon obtenu. Les identités politiques (tableau 1) et les idéologies (tableau 2) sont présentées de la manière la plus conservatrice à la plus progressiste à des fins purement descriptives. Les participants pouvaient sélectionner toutes les identités politiques et idéologies avec lesquelles ils s’alignaient ; par conséquent, les résultats dépassent ici la taille de l’échantillon.

Tableau 1. Fréquence des identités politiques déclarées

Identité politique Fréquence

Plus conservateur

Plus progressiste

Fasciste 5
Autoritaire 14
Théocratique 21
Conservateurs 33
Libertaire 47
Centriste 36
Progressiste 93
Socialiste 81
Anarchiste 25
Communiste 14

22Dans l’ensemble, l’échantillon s’identifie plus souvent à des identités et des idéologies progressistes, le progressisme (93) et le socialisme (81) étant les identités les plus courantes, comme le montre le tableau 1, et le socialisme (141) et le féminisme (127) étant les idéologies les plus courantes, comme le montre le tableau 2. En revanche, certains participants s’identifient à des positions conservatrices radicales, comme le fascisme (5) ou l’autoritarisme (14), ou s’alignent sur l’ethnocentrisme (10) ou le nationalisme (18). De fait, bien que l’échantillon tende vers des convictions politiques plus progressistes, il contient toujours des fans qui s’alignent sur des identités et des idéologies plus conservatrices.

Tableau 2. Fréquence de l’alignement sur les idéologies politiques

Idéologie politique Fréquence

Plus conservateur

Plus progressiste

Fascisme 4
Autoritarisme 19
Théocratisme 2
Ethnocentrisme 10
Nationalisme 18
Colonialisme 2
Communautarisme 32
Républicanisme 37
Masculisme 8
Libéralisme 77
Capitalisme 70
Libertarianisme 35
Réalisme 42
Néolibéralisme 16
Humanisme 99
Environnement 125
Laïcité 67
Féminisme 127
Multiculturalisme 110
Pacifisme 67
Progressisme 101
Socialisme 141
Anarchisme 36
Communisme 42
  • 6 7 personnes se sont déclarées non américaines et 4 personnes n’ont pas répondu à cette question.

23Alors que les tableaux 1 et 2 sont principalement utilisés à des fins descriptives, le tableau 3 sert de base aux catégories utilisées dans les ANOVA. Les catégories d’affiliation politique sont fondées sur les partis politiques reconnus aux États-Unis, étant donné que cette population était la cible principale de cette étude. Les participants ne pouvaient s’identifier qu’à un seul parti politique6. Comme pour les variables précédentes, le tableau 3 illustre à nouveau la tendance progressiste de cet échantillon, les Démocrates (109) étant l’affiliation politique la plus fréquente. Il est intéressant de noter que cette affiliation commune est suivie d’une répartition similaire entre les Indépendants (37), les Républicains (36) et les Libertariens (33).

Tableau 3. Fréquence de l’affiliation politique déclarée

Affiliation politique Fréquence

Plus conservateur

Plus progressiste

Républicain 36
Libertaire 33
Constitutionnaliste 5
Alliance 7
Indépendants 37
Démocrate 109
Parti vert 15
Socialiste 19

24Pour améliorer la puissance statistique des tests ANOVA, l’affiliation politique a été regroupée en une variable à quatre catégories. Les Républicains, les Libertaires et les Constitutionnalistes ont été regroupés en Conservateurs. Les Démocrates, les Verts et les Socialistes ont été regroupés en progressistes. Alliance et Indépendant ont été regroupés en Indépendant. Les 11 personnes restantes, qui n’ont pas répondu à la question ou ont indiqué qu’elles n’étaient pas américaines, ont été classées dans la catégorie « Autres ». La section suivante présente les résultats significatifs des tests ANOVA.

Comparaisons attitudinales

25Les quatre catégories d’appartenance politique ont été comparées pour déterminer les différences significatives dans leurs réponses moyennes aux questions attitudinales sur le comportement interne et externe du fandom. Seules les différences significatives à p = 0,05 ou plus sont rapportées dans les tableaux 4 à 6. Toutes les échelles de Likert vont de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord) ; par conséquent, plus la moyenne (M) est élevée, plus la catégorie d’appartenance politique est en moyenne d’accord avec l’affirmation. Les lignes en gras indiquent la différence significative la plus forte, tandis que les lignes en italique indiquent des aberrations par rapport à la tendance observée, les Conservateurs présentant l’accord moyen le plus faible. Le « a » indique la moyenne significativement la plus élevée par rapport à la plus basse indiquée par le « b ». Les résultats de l’ANOVA sont répartis dans trois tableaux afin de mettre l’accent sur les thèmes communs trouvés dans les résultats significatifs.

Tableau 4. ANOVA sur les comportements affectifs des supporters

Likert F(df), valeur p Conservateurs M(SD) Progressiste M(SD) Indépendants M(SD)
Je m’investis émotionnellement dans mes fandoms. 8.599 (3, 53.2), <0.001 4.64 (1.66)b 5.46 (1.423)a 5.57 (1.336)a
Mes groupes d’amis m’aident à fuir le monde réel.

4.077 (3,

43.2), 0.012

4.32

(1.648)b

5.11

(1.808)a

5.18

(1.574)a

Mes fandoms m’aident à faire face à ma vie.

6.042 (3,

44.5), 0.002

4.42

(1.821)b

5.46

(1.423)a

5.27

(1.370)a

Mes fandoms me permettent de me sentir épanoui en ce moment. 3.818 (3, 44.4), 0.016 4.34 (1.714)b 5.56 (1.714)a 5.39 (1.807)a
Mes fandoms me procurent de la joie.

7.859 (3,

42.6), <0.001

4.78

(1.785)b

5.92

(1.178)a

5.73

(1.227)a

Plus je m’investis dans mon fandom, plus je m’amuse.

4.945 (3,

42.2), 0.005

4.31

(1.828)b

5.22

(1.449)a

5.18

(1.386)a

Mes groupes de discussion me réconfortent.

3.412 (3,

42.4), 0.026

4.53

(1.874)b

5.22

(1.359)a

5.23

(1.138)a

Mon fandom me procure une expérience d’une beauté et d’une inspiration captivantes.

3.001 (3,

41.4), 0.041

4.49

(1.607)b

5.13

(1.352)a

5.14

(1.374)

Mes groupes d’amis sont importants pour moi.

4.596 (3,

44.1), 0.007

4.85

(1.644)b

5.54

(1.367)a

5.43

(1.336)

Mon fandom me permet de vivre une expérience engageante et divertissante.

7.266 (3,

42.2), <0.001

5.01

(1.583)b

5.99

(1.275)a

5.93

(0.950)a

Mon fandom me permet de rire et/ou de pleurer.

6.065 (3,

42.3), 0.002

4.78

(1.682)b

5.75

(1.536)a

5.75

(1.278)a

Mon fandom me permet de me retirer des situations difficiles de la vie.

3.525 (3,

42.1), 0.023

4.41

(1.828)b

5.22

(1.558)a

5.02

(1.663)

26Ainsi que le montre le tableau 4, La première série de résultats de l’ANOVA présente les réflexions des participants sur les comportements des fans dans la communauté ; ces croyances tiennent principalement compte de la façon dont leur fandom les fait se sentir. Comme on peut le voir dans ces questions, les Conservateurs semblent moins enclins à dire que leur fandom leur procure des émotions positives et des capacités d’adaptation, et qu’il est globalement moins important pour eux. Ces résultats suggèrent que les Conservateurs sont moins susceptibles de ressentir – ou, du moins, d’exprimer – la nature affective de leur fandom, qui, comme vu plus haut, est traditionnellement considérée comme une caractéristique définissant le fait d’être un fan.

Tableau 5. ANOVA sur les comportements communicatifs des supporters

Likert F(df), valeur p Conservateurs M(SD) Progressif M(SD) Indépendants M(SD)
Je partage des informations sur mes fandoms en ligne.

4.080 (3,

44.1), 0.012

4.03

(1.858)b

4.94

(1.824)a

4.86

(1.665)

J’achète des produits liés à mes fandoms.

3.298 (3,

43.6), 0.029

4.50

(1.882)b

5.22

(1.750)a

5.39

(1.368)a

Je suis des comptes de médias sociaux liés à mes fandoms.

5.599 (3,

53.4), 0.002

4.61

(1.922)b

5.56

(1.714)a

5.39

(1.807)

J’aime partager mes connaissances sur les fandoms avec les autres.

4.974 (3,

47.9), 0.004

4.82

(1.871)b

5.57

(1.447)a

5.34

(1.524)

Ma famille partage mon intérêt pour ma passion.

4.851 (3,

42.4), 0.005

4.22

(1.830)a

3.48

(1.744)b

4.36

(1.496)a

Je suis inquiet à l’idée d’exprimer le fait d’être fan en public.

3.431 (3,

43.1), 0.025

3.62

(1.765)a

3.50

(1.838)

2.68

(1.596)b

Mon fandom me permet d’exprimer ma créativité.

2.900 (3,

43), 0.046

4.50

(1.666)b

4.85

(1.752)

5.32

(1.308)a

27La deuxième série d’ANOVA, présentée dans le tableau 5, indique comment les participants perçoivent un ensemble particulier de comportements externes, c’est-à-dire que ces éléments reflètent la façon dont les fans communiquent avec les autres au sujet de leur fandom. Comme dans le tableau 4, les Conservateurs semblent moins enclins à dire qu’ils cherchent à partager des aspects de leur fandom avec d’autres fans ou avec le grand public. Ce type de communication est aussi considéré comme un aspect traditionnel du fanatisme, la nature communautaire du fanatisme étant surtout considérée comme une caractéristique déterminante.

28Toutefois, cette tendance à un accord moindre ne s’est pas vérifiée pour deux raisons spécifiques. La première déviation renforce en fait l’observation selon laquelle les Conservateurs communiquent moins, car ils semblent plus préoccupés par l’expression publique de leur fandom. Cet élément suggère que ces fans sont moins susceptibles de s’identifier comme tels auprès des non-fans. L’autre écart suggère une conclusion différente : les Progressistes ont indiqué qu’ils étaient moins enclins à partager leur passion avec leur famille. Ce résultat suggère un schéma différent, indiquant peut-être des tensions idéologiques entre les fans progressistes et leur famille.

Tableau 6. ANOVA sur les comportements des fans de police

Likert F(df), valeur p Conservateurs M(SD) Progressistes M(SD) Indépendants M(SD)
Certaines personnes ne sont pas de vrais fans. 4.478 (3, 41.6), 0.008 4.26 (1.736) 3.37 (1.759) 3.82 (1.795)
Mon fandom devrait être libre de toute politique. 12.143 (3, 42.2), <0.001 4.43 (1.776)a 2.92 (1.792)b 3.75 (2.253)
Mon fandom devrait être un endroit sûr. 3.653 (3, 45.3), 0.019 4.64 (1.610)b 5.13 (1.352)a 5.14 (1.374)a
Les femmes n’aiment le sport que pour atteindre les hommes. 11.689 (3, 43.7), <0.001 3.23 (1.898)a 1.78 (1.590)b 1.75 (1.278)b
Le blackface en cosplay est acceptable si le personnage est noir. 21.245 (3, 42.9), <0.001 4.19 (1.788)a 2.15 (1.772)b 2.82 (1.956)b

29Enfin, la troisième série d’ANOVA, comme le montre le tableau 6, semble présenter un modèle de comportements internes au fandom qui reflètent les croyances concernant la nature de leur fandom. Plus précisément, ce modèle suggère que les fans réfléchissent au contrôle des limites de leur fandom en ce qui concerne les comportements appropriés et inappropriés. En comparaison avec les modèles identifiés précédemment, ces résultats semblent suggérer une plus grande volonté de contrôler les limites chez les Conservateurs, puisqu’ils ont tendance à être plus d’accord avec les items que les Progressistes ou les Indépendants. Les Conservateurs semblent adopter des croyances plus restrictives quant aux personnes pouvant faire partie de leur fandom, tout en acceptant davantage les comportements potentiellement problématiques des fans, par exemple en acceptant davantage les cosplay qui incluent le blackface. Simultanément, les Conservateurs ont indiqué qu’ils souhaitaient davantage que leur fandom soit exempt de politique et qu’ils étaient moins d’accord avec le fait que leur fandom devait être un « espace sûr » ; ce dernier terme peut être considéré comme une étiquette progressiste plutôt que comme le reflet de la création d’un fandom où tous les points de vue sont les bienvenus.

Analyse affective

30Les questionnaires suggèrent donc que l’expérience et l’expression affectives sont moindres chez les Conservateurs qui s’identifient comme tels et qu’ils semblent davantage enclins à accepter les activités de création de frontières et de maintien de l’ordre. Pour mieux comprendre ces modèles quantitatifs, il faut explorer les données qualitatives plus approfondies afin de saisir comment ces éléments sont liés aux réflexions des participants sur leurs expériences réelles. Dans les auto-entretiens, il a été demandé aux fans de se souvenir de leur première expérience de l’intersection du fandom, de la religion, de la politique et de raconter ce qui s’est passé, ce à quoi cela leur a fait penser, ce qu’ils ont ressenti et comment cela les a affectés : intellectuellement, religieusement, socialement et politiquement.

31Deux facteurs prédominants et étroitement liés semblent déterminer l’expérience émotionnelle des fans à l’intersection du fandom, de la politique et de la religion. Le premier est le fait que le fan ait rencontré un avis politique en accord ou en désaccord avec ses convictions. Les fans ayant rencontré une opinion politique idéologiquement opposée étaient plus susceptibles d’éprouver des émotions négatives (colère, tristesse, honte, trahison), tandis que les fans ayant rencontré une position politique alignée sur leurs convictions étaient plus susceptibles d’éprouver des émotions positives (bonheur, fierté). Le second, et c’est intéressant pour cette étude, la source de la position idéologique politique joue aussi un rôle dans la manière dont les fans traitent, comprennent et réagissent à l’intersection du fandom, de la politique et de la religion. Dans les auto-entretiens, les récits des personnes interrogées indiquent quatre sources : les groupes extérieurs au fandom, l’objet d’admiration, les créateurs de l’objet et la communauté des fans. Dans le cadre de cet article, la focale est mise sur les deux premières sources, car elles sont liées à l’expérience de l’affect négatif, de la surveillance des frontières, du contrôle de l’accès à la communauté et des conflits inter-communautés.

L’abandon du fandom

32Lorsque l’objet ou le créateur fait des déclarations politiques qui ne correspondent pas à celles des fans, de nombreux fans quittent la communauté. Par exemple, l’une des personnes interrogées dans le cadre des auto-entretiens a déclaré :

« J’ai arrêté de regarder tous les matchs de la NFL en novembre 2016 lorsque les joueurs de la ligue ont mis un genou à terre collectivement pendant l’hymne national en signe de protestation contre l’élection de Donald Trump. J’ai arrêté de regarder tous les matchs de la MLB et de la NHL en 2020 lorsque les joueurs des deux ligues ont mis un genou à terre pendant l’hymne national en soutien à BLM. » (Répondant 04)

33La personne interrogée a indiqué qu’elle avait voté pour Donald Trump et a choisi « Républicain » lorsqu’on lui a demandé quelle était son affiliation politique. Elle a perçu ces manifestations comme étant en opposition avec ses opinions politiques et a fait part de ses sentiments de « trahison » et d’« abandon » (Répondant 04), en particulier parce qu’« ils ont mêlé la politique au sport » (Répondant 04) ; une critique qui s’aligne sur l’analyse qualitative, suggérant que les personnes ayant des tendances conservatrices étaient plus susceptibles d’être d’accord avec l’énoncé « Mon fandom devrait être exempt de politique ». Malgré la conviction de ce répondant selon laquelle il a cessé de regarder la NFL (National Football League), la MLB (Major League Baseball) et la NHL (National Hockey League) parce que les joueurs et les organisations « mêlent la politique au sport », le rejet de l’objet-fan et la conversion des fans en anti-fan fonctionnent à la fois comme un acte politique et une forme d’activisme (anti)fan (Jones, 2015).

34Si ce rejet peut résulter des sentiments individuels de colère, d’abandon et de trahison des supporters, il peut aussi prendre la forme d’une action collective au sein de la communauté des fans. La politique autour du genou à terre, de la protestation et de la NFL, par exemple, a stimulé l’activisme des Conservateurs et des Progressistes (Westhoff et Saint Louis, 2019) et a donné lieu à une réponse hésitante de la part de la Ligue, qui a tenté d’apaiser les deux groupes. Dans ces cas, bien que toujours orientée autour de l’affect, la communauté est créée et maintenue non pas par l’amour de l’objet (qui est l’orientation attitudinale la plus typique du fandom), mais par la colère ou la déception à son égard et un désir collectif de voir leurs idéologies politiques se refléter en retour, ou en raison d’un franchissement de frontière perçu, dans ce cas, comme la ligne de démarcation entre le sport et la politique.

  • 7 La « doctrine Breitbart » est une croyance popularisée par Andrew Breitbart selon laquelle le chang (...)

35Il est intéressant de noter que, plus tard dans l’entretien, ce participant a indiqué qu’il était l’un des organisateurs d’un festival de musique conservatrice. Dans ses motivations, il a cité la « doctrine Breitbart »7 : « La politique vit en aval de la culture ». Cette affirmation et l’approche de la politique qu’elle suggère – changer la culture pour obtenir des résultats politiques – sont apparemment en contradiction avec ses plaintes concernant la NFL, la MLB et la NHL, qui mélangent sport et politique. Il semble que les frontières tracées par ce fan ne concernent pas réellement le mélange des sports et de la politique, mais le mélange des sports et de la politique qui exprime un point de vue idéologique opposé au sien.

Négocier le désalignement politique

36Au lieu de boycotter ou de quitter les fandoms à cause de problématiques politiques, certains fans tentent de négocier les politiques autour de l’objet et au sein du fandom, afin de justifier et de préserver leur attachement affectif. Un certain nombre de personnes interrogées ont fait part des difficultés rencontrées lorsque la politique de l’objet d’admiration ne correspondait pas à leurs idées politiques personnelles. Par exemple, un fan a évoqué la difficulté de naviguer entre sa politique progressiste et son profond attachement émotionnel à Captain America, un personnage qui, dans le Marvel Cinematic Universe, est souvent critiqué en tant que « figure nationaliste, propagandiste des États-Unis » et représentant de « l’exceptionnalisme américain » (Répondant 07). Après que des amis aient attiré l’attention des répondants sur cette incongruité idéologique, ces derniers ont déclaré avoir ressenti « de la confusion, de l’embarras [sic], une position un peu défensive » (Répondant 07). Pour atténuer certains de ces sentiments négatifs, les personnes interrogées ont élaboré une autre lecture de Captain America, qui correspondait à leurs idées politiques :

« J’ai finalement conclu qu’il était important pour les Américains de se rappeler qu’être patriote, être un citoyen engagé, c’est aussi exiger de son gouvernement et de son armée qu’ils respectent des normes éthiques plus élevées. Je pense que le but de Captain America n’est pas de célébrer l’Amérique telle qu’elle est, mais de rappeler aux gens de se battre pour la promesse d’une Amérique qui soit réellement une idée de liberté pour tous – de se battre pour l’éthique et l’équité, indépendamment de la façon dont l’Amérique échoue dans le moment présent. » (Répondant 07)

37Ne voulant abandonner ni sa communauté ni ses idées politiques, ce fan développe une interprétation du personnage qui correspond à ses idées politiques. Ce fan évoque la difficulté de naviguer entre l’investissement émotionnel dans l’objet et l’affect politique, détaillant ses craintes que « être un fan intense vous rende vulnérable à la critique, mais vous rende également vulnérable à l’auto-illusion et au comportement contraire à l’éthique » (Répondant 07), comparant son expérience au comportement toxique des « fans intenses de Harry Potter qui ne désavoueront pas la transphobie de JK Rowling ou n’arrêteront pas de dépenser de l’argent pour la franchise » (Répondant 07).

38Les commentaires de ce participant suggèrent qu’il y a une « bonne » et une « mauvaise » façon d’être fan de médias qui contredisent les affiliations et les tendances politiques d’une personne. Le répondant considère que l’investissement affectif des fans est politiquement dangereux s’il les conduit à négliger ou à accepter des positions politiques qui ne correspondent pas aux leurs. Cette discussion suggère qu’il existe une distinction entre les « bons fans », qui s’engagent dans une critique politique active de l’objet, et les « mauvais fans », dont l’attachement affectif entraîne un « comportement contraire à l’éthique », tel que le soutien financier à des créateurs ayant une idéologie politique opposée. Cette critique des fans s’aligne sur les discussions conventionnelles du « bon » et du « mauvais » fan (voir Stanfill, 2013 ; Booth, 2015 ; Gerrard, 2021), « les soi-disant façons raisonnables d’être spectateur (contrôlé, rationnel, distancié) et les façons irrationnelles d’être spectateur (émotionnel et hyperintensif) » (Booth, 2015 : 85). Les fans sont « vulnérables » à ce « mauvais » comportement incontrôlé, « intense », irrationnel et contraire à l’éthique, en raison de leur lien émotionnel avec l’objet (voir Hills, 2002) ; les fans qui ne le sont pas ne sont pas seulement des mauvais fans, mais sont fans de la mauvaise façon.

Toxicité émergente

39Dans d’autres cas, les fans se détournent de l’objet et/ou de son créateur pour se tourner vers la communauté qui a émergé autour de lui. Par exemple, un fan a rapporté un cas où l’un des anciens candidats de l’émission de télé-réalité Survivor (CBS, depuis 2000) a tweeté (posté un message sur la plateforme Twitter) qu’« il était évident que le monde avait connu un rapide déclin depuis que Biden avait pris ses fonctions » (Répondant 10). Cette personne interrogée a indiqué que le tweet avait « circulé parmi la communauté des fans de Survivor en ligne » (Répondant n° 10), où il a reçu de nombreux commentaires négatifs. La personne interrogée déclare qu’elle a été « déçue par ce candidat » et qu’elle l’a moins respecté après avoir appris que ses convictions politiques étaient opposées aux siennes. Cependant, bien qu’elle ait éprouvé des sentiments négatifs à l’égard du candidat, elle s’est montrée positive à l’égard de la communauté des fans, qui a utilisé « des mèmes issus de ses saisons pour s’acharner sur lui » (Répondant 10). Cette participante s’est sentie plus proche de la communauté à la suite de ces réactions, déclarant : « J’étais vraiment contente que les gens de ma communauté défendent ce que je crois être juste » (Répondant n° 10). Par conséquent, tout en éprouvant un sentiment négatif à l’égard du candidat de Survivor, elle a conservé son affect positif à l’égard de la communauté. Cet affect positif est généré par la colère partagée des fans. En lisant les tweets du candidat, les fans de Survivor ont ressenti non seulement leur colère et leur désapprobation, mais aussi la colère et la désapprobation collectives de la communauté (Kramer, Guillory, Hancock, 2014). Cette expérience de contagion émotionnelle (Hatfield, Cacioppo et Rapson, 1994) ne permet pas d’évacuer ou d’atténuer la colère collective. Au contraire, elle la répète (Tarvis, 1982), renforçant l’expérience émotionnelle, tout en construisant et en définissant une communauté à travers cet affect partagé.

40Cette personne interrogée mentionne qu’une « petite partie de moi s’est sentie mal par rapport à la quantité de réponses qu’il a reçues et qui se moquaient de lui » (Répondant n  10). Cette prise de conscience des effets potentiellement toxiques de ce type d’acharnement sur internet est rapidement écartée, car elle écrit : « Dans l’ensemble, les réponses n’étaient en aucun cas haineuses ou irrespectueuses, donc je pense qu’il n’y avait pas de mal à rire de quelqu’un qui avait besoin d’apprendre une leçon » (Répondant n° 10). Ce fan admet qu’il se sent coupable, mais il l’écarte rapidement en affirmant qu’il est « normal de rire » de cette célébrité. L’expérience de la colère collective procure alors un certain plaisir. Bien que la colère en elle-même ait une valeur négative, elle nous permet parfois d’éprouver un plaisir méta-émotionnel. Mary Beth Oliver (1996 : 318-319) explique que nous ressentons les émotions à deux niveaux différents : le premier est notre niveau émotionnel, le sentiment lui-même ; le second est un niveau méta-émotionnel, notre sentiment à propos du sentiment. Dans le cas présent, la colère a une valence émotionnelle négative. Toutefois, le participant a fait part de sentiments positifs à l’égard de cette colère, en déclarant : « J’étais vraiment heureux que des membres de ma communauté défendent ce que je crois être juste » (Répondant 10). Dans So You've Been Publicly Shamed, Jon Ronson (2015 : 9) évoque le plaisir qu’il a éprouvé à dénigrer des personnes sur Twitter. Il note qu’il a « apprécié et s’est senti fier » de ces expériences parce que, comme notre participant, il avait le sentiment de « faire quelque chose de bien » (ibid. : 134). Parce que ces humiliations sont perçues comme justes – démolir un raciste, se moquer d’un conspirationniste, ridiculiser un partisan de D. Trump – les gens se sentent bien de faire quelque chose de bien. De fait, alors que le fan aurait pu initialement vivre une expérience émotionnelle négative, se déclarant « déçu », l’alignement politique de la communauté a permis une expérience méta-émotionnelle positive grâce à l’indignation collective. L’expérience méta-émotionnelle positive permet la poursuite de ce comportement et le maintien de la communauté.

41Ce plaisir méta-émotionnel est aussi possible dans des situations comme celle décrite ci-dessus, car les fans se sentent comme des outsiders (Ronson, 2015), capables de faire tomber quelqu’un de célèbre et de bien plus puissant qu’eux. Mais les célébrités ne sont pas les seules à être visées par ce type d’acharnement. Un certain nombre de fans ont fait part de leur expérience de conflit en raison de leurs convictions politiques. Deux répondants ont déclaré s’être sentis isolés et désorientés par des communautés qui se plaignaient de la « politisation » des médias par l’inclusion de personnages queer, féminins, Noirs, asiatiques, hispaniques et indigènes. L’une des personnes interrogées a parlé d’un groupe Facebook dont les membres, majoritairement conservateurs et chrétiens, se plaignaient régulièrement de la « politique qui change les fandoms pour le pire, c’est-à-dire que les fans transforment les personnages masculins en femmes, font apparaître des super-héros de différentes races et rendent les personnages homosexuels » (Répondant 02). Un autre répondant a utilisé un langage similaire pour décrire son expérience dans un forum de fandom, écrivant que les membres conservateurs « ont commencé à discuter de la façon dont les politiques identitaires “woke” ont ruiné certains personnages et aspects de la série » (Répondant 23). Le refrain selon lequel la politique – et en particulier la « wokeness » – « ruine » ou rend les médias « pires » reflète nos résultats quantitatifs indiquant que « le fandom devrait être exempt de politique », un désir d’expérience apolitique de la part des fans sans reconnaître que leur aversion pour la distribution « woke » et d’autres changements dans l’histoire est intrinsèquement politique. Dans ces cas, le décalage idéologique ne se situe pas entre le fan et l’objet, mais entre le fan et la communauté au sens large.

Le maintien de l’ordre chez les fans

42Ces deux personnes se sont retrouvées dans la minorité de leur communauté de fans, « faisant partie d’un très petit groupe qui était dans l’erreur » (Répondant 02). Pour un participant qui s’est identifié comme « quelqu’un qui a lutté avec son identité sexuelle » (Répondant 02), les plaintes concernant les personnages LGBTQA+ ont été ressenties comme une attaque personnelle. Ces répondants ont déclaré se sentir « rejetés » (Répondant 02) et « mal accueillis et ciblés » (Répondant 23). Tandis que les autres membres du fandom déploraient que l’intrusion de la politique dans leur objet « le ruine », ils ont créé un environnement politique hostile au sein de leur communauté de fans qui a laissé les autres participants « frustrés par le comportement de l’esprit collectif et le manque d’empathie » (Répondant 02) et « en colère et ennuyés » (Répondant 23). Dans ce cas, les fans conservateurs construisaient des liens communautaires grâce à l’affect produits par des perspectives politiques communes, créant une frontière au sein du fandom qui excluait les fans qui ne partageaient pas leurs points de vue.

43Au cours de ces conflits, les fans sont directement visés en raison de leur idéologie politique. L’une des personnes interrogées a déclaré avoir été victime d’un « langage misogyne et abject » (Répondant 14) parce qu’elle était considérée comme « une militante sjw » (Répondant 14) pour avoir fait remarquer que les bandes dessinées ont toujours été politiques. Un autre fan a déclaré avoir été « tourmenté par plusieurs fans » (Répondant 13) du fandom Bonanza parce qu’un autre fan, que le participant a identifié comme un membre du Tea Party, avait découvert qu’il avait voté pour Barack Obama. Le participant a noté que « notre fandom est devenu plus divisé, plus clivant » (Répondant 14). La conjecture est la suivante : « J’ai l’impression qu’elle a fait passer le mot parmi les autres fans à propos du “vrai moi”, et il est tout à fait possible que mes ventes aient commencé à diminuer à partir de ce moment-là » (Répondant 14).

44Alors que, dans les réponses à notre questionnaire, les fans progressistes étaient plus susceptibles d’être d’accord avec les affirmations suivantes : « Mon fandom me procure une expérience engageante et divertissante », « Je suis émotionnellement investi dans mon fandom » et « Mon fandom me procure de la joie », on peut voir dans les exemples ci-dessus que cet engagement émotionnel positif dépend d’un certain degré d’alignement politique, avec l’objet ou avec la communauté. En fait, les entretiens suggèrent que l’alignement communautaire peut être plus important que l’alignement sur l’objet. Avec le soutien de la communauté, les fans peuvent vivre une expérience méta-émotionnelle positive en cas de désalignement politique avec l’objet. Cependant, lorsque la toxicité et le contrôle de la communauté sont dirigés vers le fan, l’expérience émotionnelle du désalignement politique est difficile à gérer en raison de l’isolement et de l’exclusion de la communauté dans son ensemble.

Conclusion

45Le fandom est une attitude. Il constitue une communauté de pratiques au sein de laquelle les fans répètent des idées, des émotions et des modes de pensée (Hautsch, 2023). C’est pourquoi la surveillance des frontières est un aspect du fandom lié à la différence. Ces conflits peuvent émerger autour de l’interprétation des personnages, de conflits autour de relations amoureuses ou de ce que l’on considère comme un « vrai fan ». Ou, comme constaté dans le cadre des recherches, lorsqu’il y a un décalage entre les attitudes faniques et les attitudes politiques.

46Le fandom et la politique sont tous deux liés à la construction d’une identité. Comme l’explique C. Sandvoss (2005 : 3), le fandom est « le langage généralement compris à travers lequel l’identité d’une personne est communiquée et évaluée ». Pour de nombreux fans, le fandom n’est pas seulement ce qu’ils font, c’est ce qu’ils sont. La politique fonctionne de la même manière. Nous disons que nous sommes « progressistes » ou « conservateurs », « libertaires » ou « socialistes » ; nous ne sommes pas seulement d’accord avec cette idéologie, mais nous sommes ces croyances. Renee Barnes (2022 : 71) affirme que les personnes qui publient des commentaires politiques dans les espaces en ligne « interprètent un soi, basé sur les croyances et les valeurs qu’ils ont attribuées à leur affiliation politique ». Lorsque ces deux identités – fanique et politique – se contredisent, les fans développent des méthodes pour faire face à cette incongruité perçue. L’un des mécanismes par lesquels ils le font est le développement et le maintien de frontières au sein de la communauté des fans. Lilliana Mason (2018 : 884) affirme que la polarisation politique est liée à des « sentiments identitaires sur qui est “dedans” et qui est “dehors” », un « nous » contre « eux » (Barnes, 2022 : 1). En déclarant faire partie du « nous », nous générons aussi un « eux » – conservateurs, socialistes, mauvais fans – que nous excluons dans le cadre du maintien des identités individuelles et communautaires.

47Comme le montrent les mesures d’attitudes et les auto-entretiens, la surveillance des frontières peut n’être qu’un aspect courant du fandom lié à la différence, par exemple une divergence de convictions politiques. Plutôt que de qualifier de « toxiques » toutes les formes de surveillance des frontières et de maintien de l’ordre, la nature complexe des résultats de cette étude suggère la nécessité de poursuivre les recherches afin d’explorer les diverses expressions de la surveillance en tant que différences dans ce qui est considéré comme approprié. Bien que les fans conservateurs se soient montrés plus enclins à la surveillance des frontières dans leurs comportements, les fans conservateurs et progressistes ont tous deux participé à des activités de maintien de la liberté d’expression ou les ont soutenues. En effet, étant donné que l’échantillon global était progressiste, de nombreuses réflexions impliquaient des fans progressistes qui surveillaient les frontières, même si leurs attitudes suggéraient qu’ils se comporteraient différemment. Le contrôle des frontières par les fans progressistes pourrait alors aider à comprendre la réticence des fans conservateurs à communiquer leur fandom aux autres ou même à trouver du plaisir dans leur communauté. Pour ces Conservateurs, le comportement des fans progressistes pourrait être perçu comme toxique, tandis que les fans progressistes se considèrent comme répondant à des fans conservateurs toxiques. L’affiliation politique spécifique semble avoir moins d’importance dans la détermination de la toxicité que la perception qu’ont les fans des autres comme étant différents d’une certaine manière qu’ils jugent tout autant inappropriée.

48D’autres recherches doivent considérer les déclencheurs du gatekeeping et de la toxicité moins comme étant dus à une quelconque caractéristique démographique des fans et de leur fandom que davantage liés aux propres attitudes des fans. Il se peut que la présence d’attitudes fortes dans la perception qu’ont les fans de leur fandom conduise à un comportement défensif accrue en présence de différences d’opinion (Reinhard, 2018), et que cette fonction de défense de l’ego de leurs attitudes puisse déclencher un maintien des frontières qui serait perçu comme toxique par ceux qui sont touchés par leurs comportements. En outre, il faudrait recueillir davantage d’histoires auprès de fans ayant des croyances et des affiliations plus conservatrices pour mieux comprendre les tendances observées dans l’analyse quantitative par rapport à l’analyse qualitative de la présente étude.

Haut de page

Bibliographie

Barnes R., 2022, Fandom and Polarization in Online Political Discussion. From Pop Culture to Politics, Londres, Palgrave.

Bennett, L., 2012, « Fan activism for social mobilization: A critical review of the literature. », Transformative Works and Cultures, 10. https://doi.org/10.3983/twc.2012.0346

Bennett, L., 2013, « “If we stick together we can do anything”: Lady Gaga fandom, philanthropy and activism through social media. », Celebrity Studies, 138-152. https://doi.org/10.1080/19392397.2013.813778

Blodgett B. M., 2019, « Media in the Post #GamerGate Era: Coverage of Reactionary Fan Anger and the Terrorism of the Privileged. », Television and New Media, 21 (2). https://doi.org/10.1177/1527476419879918

Booth P., 2015, Playing Fans. Negotiating Fandom and Media in the Digital Age, Iowa City, University of Iowa Press.

Cadwalladr C., 2018, « The Cambridge Analytica Files », The Guardian, 18 mars. https://www.theguardian.com/news/2018/mar/17/data-war-whistleblower-christopher-wylie-faceook-nix-bannon-trump (consulté le 22 nov 2024).

Chadborn D., Edwards P. et Reysen S., 2017, « Displaying Fan Identity to Make Friends », Intensities : The journal of cult media, 9, p. 87-97. https://intensitiescultmedia.com/wp-content/uploads/2017/05/7-chadborn-edwards-and-reysen-fan-identity2.pdf (consulté le 09 sept. 2024).

Click M., 2019, « Introduction: Haters Gonna Hate », dans Click M., Anti-Fandom: Dislike and Hate in the Digital Age, New York, New York University Press, p. 1-22. https://doi.org/10.18574/nyu/9781479866625.003.0003

Dervin B. et Foreman-Wernet L., 2003, Sense-Making Methodology Reader: Selected Writings of Brenda Dervin, Cresskill, Hampton Press.

Fiske J., 1987, Television Culture, Londres, Methuen Press.

Gerrard Y., 2021, « Groupies, Fangirls and Shippers: The Endurance of a Gender Stereotype », American behavioral scientist, 66 (8), p. 1-16. https://doi.org/10.1177/00027642211042284

Gray J., 2003, « New Audiences, New Textualities: Anti-Fans and Non-Fans », International Journal of Cultural Studies, 6 (1). https://doi.org/10.1177/1367877903006001004

Gray J., 2005, « Antifandom and the Moral Text: Television Without Pity and Textual Dislike », American Behavioral Scientist, 48 (7), p. 840-858. https://doi.org/10.1177/00027642042731

Gray J, Harrington C, et Sandvoss C., 2017, « Why Still Study Fans? », dans Gray J, Harrington C, et Sandvoss C. 2017, Fandom: Identities and Communities in a Mediated World, New York, New York University Press, p. 1-26.

Gray K. L., Reinhard C. D. et Shaw A., à paraître. « Conversation on studying “toxic' fans” », dans M. A. Click and S. Scott (éds), The Routledge Companion to Media Fandom, Londres, Routledge.

Grossberg L., 1992, « Is there a Fan in the House? The Affective Sensibility of Fandom », dans D. P. Marshall (éd.), The Celebrity Culture Reader, Londres, Routledge, p. 581-590, 2006.

Hatfield E., Cacioppo J. T. et Rapson R. L., 1994, Emotional contagion, Cambridge, Cambridge University Press.

Hautsch J., 2023, Thinking through Feels: Mind, Body, and Emotion in the Reception and Creation Practices of Fan Communities, Londres, Palgrave.

Hellekson K., 2009, « A Fannish Field of Value: Online Fan Gift Culture », Cinema Journal, 48 (2), p. 113-118.

Hellekson K. et Busse K., 2006, Fan Fiction and Fan Communities in the Age of the Internet, Jefferson NC, MacFarland Press.

Hills M., 2002, Fan Cultures, Londres, Routledge.

Hinck A., 2019, Politics for the Love of Fandom, Baton Rouge, Louisiana State University Press.

Jenson J., 1992, « Fandom as Pathology: The Consequences of Characterization », dans L. A. Lewis (éd.), The Adoring Audience: Fan Culture and Popular Media, Londres, Routledge, p. 9-29.

Jenkins H., 2006, Convergence Culture: Where Old and New Media Collides, New York, New York University Press.

Jenkins H., 2013, « Fan Activism as Participatory Politics: The Case of the Harry Potter Alliance », dans M. Ratto et M. Boler (éds), DIY Citizenship: Critical Making and Social Media, Cambridge (Mass.), MIT Press, p. 65-74. https://doi.org/10.7551/mitpress/9568.003.0006

Jenkins H., Purushotma R., Weigel M., Clinton K. et Robison A. J., 2009, Confronting the Challenges of Participatory Culture, Cambridge (Mass.), MIT Press.

Jones B, 2015, « Antifan Activism as a Response to MTV's The Valleys », Transformative works and cultures, 19, https://doi.org/10.3983/twc.2015.0585

Kligler-Vilenchick N., McVeigh-Schultz J., Weitbrecht C. et Tokuhama C., 2012, « Experiencing fan activism: Understanding the power of fan activist organizations through members' narratives », Transformative Works and Cultures, 10. https://doi.org/10.3983/twc.2012.0322

Kramer A. D. I., Guillory J. E. et Hancock J. T., 2014, « Experimental Evidence of Massive-Scale Emotional Contagion through Social Networks », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 111, p. 8788-8790. https://doi.org/10.1073/pnas.1320040111

Le Clue N., 2023, « The new normal: Online political fandom and the co-opting of morals », Convergence: The International Journal of Research into New Media Technologies, 30 (1). https://doi.org/10.1177/13548565231190343

Lewis L. A., 1992, « Introduction », dans L. A. Lewis (éd.), The Adoring Audience: Fan Culture and Popular Media, Londres, Routledge, p. 1-6.

Mardon R., Cocker H. et Daunt K., 2023, « When parasocial relationships turn sour: social media influencers, eroded and exploitative intimacies, and anti-fan communities », Journal of Marketing Management, 29 (11-12), p. 1132-1162. https://doi.org/10.1080/0267257X.2022.2149609

Mason L., 2018, « Ideologues without Issues : Les conséquences polarisantes des identités idéologiques », Public Opinion Quarterly, 82 (1), p. 866-887. https://doi.org/10.1093/poq/nfy005

Miller L., 2020, « Wolfenstein II et MAGA en tant que fandom », Transformative Works and Cultures, 32, https://doi.org/10.3983/twc.2020.1717

Oliver M. B., 1996, « Exploring the paradox of the enjoyment of sad films», Human Communication Research, 28, p. 357-371.

Pande R., 2018, Squee from the Margins: Fandom and Race, Iowa City (IA), University of Iowa Press.

Reinhard C. D., 2018, Fractured fandom: Contentious Communication in Fan Communities, Lanham, Lexington.

Petersen L. N., 2022, Mediatized Fan Play: Moods, Modes, and Dark Play in Networked Communities, Londres, Routledge. https://doi.org/10.4324/9781351001847

Reinhard C. D. et Ganguly L., 2020, « Learning how to cook without Lifting a Knife : Food culture Television, Foodies, and Food Literacy », dans C. D. Reinhard, B. Chin and J. Largent (éds.), Eating Fandom: Intersections between Fans and Food Cultures, New York City, Routledge, p. 71-88.

Ronson J., 2015, So You've Been Publicly Shamed, New York, Penguin.

Scott S., 2009, « Repackaging Fan Culture: The Regifting Economy of Ancillary Content Models », Transformative Works and Cultures, 3. https://doi.org/10.3983/twc.2009.0150

Sandvoss C., 2005, Fans: The Mirror of Consumption, Cambridge, Polity Press.

Stanfill M., 2013, « "They're losers, but I know better": Intra-Fandom Stereotyping and the Normalization of the Fan Subject », Critical studies in media communication, 30, p. 117-34. https://doi.org/10.1080/15295036.2012.755053

Stassin B., 2022, « Hashtag », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/hashtag (consulté le 11 sept. 2024).

Stein L. E., 2015, Millennial fandom: Television Audiences in the Transmedia Age, Iowa City, University of Iowa Press.

Stein K. et Reinhard C. D. 2023. « Fandom during the pandemic: Impact of COVD-19 on people's fandom experiences », Popular Culture Studies Journal, 11 (1), https://www.mpcaaca.org/_files/ugd/aced74_486f0466b5a4469fb421da9d968254b1.pdf?index=true (consulté le 9 sept. 2024).

Tarvis C., 1982, Anger: The Misunderstood Emotion, New York City, Touchstone, 1989.

Warhol R. R., 2003, Having a Good Cry: Effeminate Feelings and Pop-Culture Forms, Columbus, The Ohio State University Press.

Westhoff M. et Saint Louis J., 2019, « Pigskins and protests: An examination of the NFL boycotts in response to the take-a-knee movement », dans S. D. Perry (éd.), Pro Football and the Proliferation of Protest: Anthem Posture in a Divided America, Manham, Lexington, p. 225-40.

Williams R., 2015, Post-Object Fandom: Television, Identity and Self-Narrative, Londres, Bloomsbury.

Wollebæk D.,Karlsen R., Steen-Johnsen K. et Enjolras B., 2019, « Anger, Fear, and Echo Chambers: The Emotional Basis for Online Behavior », Media & Society, 5 (2). https://doi.org/10.1177/2056305119829859

Haut de page

Notes

1 Le terme fandom désigne à la fois l’état de fan, le fait d’être fan d’un objet, ainsi que la communauté de fans de cet objet.

2 Le groupe de recherche sur la politique, la religion et le fandom a pour objectif d’expliquer et de comprendre les chevauchements affectifs et cognitifs entre les croyances et les actions politiques, religieuses et faniques des individus

3 Les 68 éléments qui composent l’échelle de Likert peuvent être consultés à l’adresse suivante : https://playingwithresearch.com/2024/02/11/fandom-scale.

4 Cosplay est la contraction des termes « costume play » impliquant des fans qui se déguisent dans des costumes souvent artisanaux pour reproduire l’apparence, la personnalité et même les compétences de l’objet de leur admiration.

5 Les tests post-hoc sont effectués dans les ANOVA (Analysis of variance, analyse de la variance) lorsque trois facteurs ou plus doivent être comparés pour détecter des différences significatives. Le test de Games-Howell est utilisé lorsque les groupes de comparaison sont de taille inégale.

6 7 personnes se sont déclarées non américaines et 4 personnes n’ont pas répondu à cette question.

7 La « doctrine Breitbart » est une croyance popularisée par Andrew Breitbart selon laquelle le changement politique passe d'abord par un changement culturel. (voir Cadwalladr, 2018). Par conséquent, si un média, comme celui fondé par A. Breitbart, peut modifier les significations culturelles associées aux personnalités et aux questions politiques, il peut modifier le paysage politique dans son ensemble.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

CarrieLynn D. Reinhard, Jessica Hautsch et Linda Howell, « « Il est acceptable de rire de quelqu’un qui a besoin d’apprendre une leçon ». »Questions de communication, 46 | 2024, 149-176.

Référence électronique

CarrieLynn D. Reinhard, Jessica Hautsch et Linda Howell, « « Il est acceptable de rire de quelqu’un qui a besoin d’apprendre une leçon ». »Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 07 février 2025, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/36916 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12yfy

Haut de page

Auteurs

CarrieLynn D. Reinhard

Communication Arts and Sciences Department, Dominican University, US-60305 River Forest Illinois, États-Unis

Jessica Hautsch

Humanities Departement, New York Institut of Technology, US-11779 New York, États-Unis

Linda Howell

English Departement, University of North Florida, US-32224 Jacksonville Floride, États-Unis

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search