François Dubasque et Anne-Laure Ollivier (dirs), Le Promeneur enraciné. François Mitterrand, un cheminement politique et sensible à travers les territoires, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, 2023, 269 pages
François Dubasque et Anne-Laure Ollivier (dirs), Le Promeneur enraciné. François Mitterrand, un cheminement politique et sensible à travers les territoires, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, 2023, 269 pages.
Texte intégral
1En mars 2017, a eu lieu à l’Université de Poitiers un colloque intitulé « François Mitterrand et les territoires. Sensibilités et pouvoirs », organisé avec le concours de l’Institut François Mitterrand, de la Fondation Jean-Jaurès et du Comité d’histoire parlementaire et politique. Ce volume en est issu, conçu et présenté avec soin et complété par deux index des personnes et des lieux. Avec une introduction de François Dubasque et Anne-Laure Ollivier, et une conclusion de Sylvie Guillaume, il réunit 14 contributions et 5 témoignages assez brefs de fidèles de François Mitterrand, parfois disparus depuis (l’ancien ministre Michel Charasse, l’ancien ministre de l’Intérieur Philippe Marchand). Ces textes sont regroupés en 3 parties, « De l’ancrage local à la politique territoriale » (p. 25-93), « Quadriller le territoire : le maillage mitterrandien » (p. 97-165), « Les territoires intimes : représentations et mises en scène » (p. 167-247). Le titre de l’ouvrage publié souligne le caractère central de la personnalité de F. Mitterrand, ce grâce au recul que procurent les multiples publications historiques et mémorielles postérieures à son décès, tout en s’appuyant sur des sources diverses (écrits parus de son vivant ou à titre posthume, documents audiovisuels de l’INA). Les Lettres à Anne. 1962-1995 (Paris, Gallimard, 2016) destinées à sa compagne Anne Pingeot sont souvent citées, ce qui a permis d’établir une carte des lieux cités (p. 19).
2Si les auteurs sont surtout des historiens contemporanéistes, les éclairages sont divers et les approches renvoient à plusieurs autres champs : géographie – à laquelle F. Mitterrand, à titre privé et public, attachait une importance considérable –, science politique et communication. Le mot « promeneur » retenu pour le titre principal se rapporte au goût pour la déambulation de l’homme politique ainsi qu’à sa volonté d’en faire l’un des caractères de sa personnalité publique à des fins d’implantation, de structuration de son influence et d’élaboration de l’image qu’il entend donner de lui-même. Ainsi sont restés des noms de lieux, à l’écho initialement familial (Jarnac), amical (Solutré-Pouilly), associés à une résidence secondaire (Latche), de même que des territoires d’implantation politique : le département de la Nièvre et, en particulier, la ville de Château-Chinon et la Bourgogne comme le soulignent les contributions d’Éric Kocher-Marboeuf, Noëlline Castagnez, Judith Bonnin et Jean Vigreux, l’étude de ce dernier sur la Nièvre étant la seule des quatre à être insérée dans la première partie, les trois autres se trouvant dans la troisième. Tous ont recours à une riche documentation et à des témoignages, dont celui de son fils Gilbert Mitterrand, au sujet de Solutré-Pouilly.
3Dans la première partie de l’ouvrage, il est aussi question de données relatives à la régionalisation et à la décentralisation – contributions de F. Dubasque proposant une comparaison avec l’homme politique Félix Gaillard, de l’historien Thibault Tellier en termes de doctrine politique et de l’économiste Pascal Chauchefoin d’un point de vue économique. La deuxième partie se consacre à la conquête du pouvoir à partir des mairies (Rémi Lefebvre) et de réseaux, y compris dans des régions moins directement connues de F. Mitterrand : François Prigent traite de la Bretagne, Gilles Vergnon de la Drôme, Bruno Benoît de Lyon et Christian Chevandier de Cavaillon. La troisième partie s’ouvre sur une présentation des « territoires de littérature » (p. 171-180) évoqués par F. Mitterrand (François-Jean Authier) et se clôt par une contribution synthétique sur la communication qui, certes, relève moins de l’intime, mais fait place aux mythes, aux symboles et aux calculs politiques (Pierre-Emmanuel Guigo).
4Ainsi l’ouvrage éclaire-t-il des aspects à la fois connus et énigmatiques de la personnalité de F. Mitterrand. De nombreuses facettes sont présentées, de la maison à la commune, de la circonscription à la nation, en passant par le département et la région, non sans quelques mises en abyme – par exemple, à Latche, où se trouve une demeure discrète qui sera en partie ouverte à des personnalités parfois d’envergure internationale. Alors que la notion de territoire est souvent quelque peu galvaudée (p. 8), les rapports au temps et à l’espace de F. Mitterrand en illustrent la richesse et parfois l’ambiguïté, comme lorsqu’il se réfère délibérément à des dénominations d’Ancien Régime à propos de sa région natale et des terres de son enfance. La question du conservatisme – au moins initial – de F. Mitterrand aurait pu être davantage abordée, du reste, par la thématique de l’enracinement – l’écrivain et homme politique Maurice Barrès n’est évoqué que brièvement par certains des contributeurs. Il est vrai que l’ouvrage porte surtout sur les IVe et Ve Républiques. Une certaine modernité est graduellement plus présente, en particulier du fait de l’évolution vers une décentralisation tempérée qu’attestent les lois du début du premier septennat. Il n’en reste pas moins que des réminiscences traditionnelles perdurent.
5Touchant à différents domaines et aires géographiques, les approches proposées sont judicieuses et complémentaires. Comme le souligne S. Guillaume en citant Alain Corbin (p. 249), l’apport le plus original du livre, en relation avec l’histoire des sensibilités, relève de la part de l’intime et des représentations, entre secrets, images et utilisation dans les discours politiques de registres divers, associés à une connaissance approfondie de réalités locales. Les lieux familiers dont il est question sont souvent inscrits dans une France du passé – ou qui apparaît comme telle au lecteur – miroir des nostalgies et des attachements de F. Mitterrand. Aussi certains espaces arpentés relèvent-ils des nécessités de l’implantation et de la volonté plus ou moins affichée de s’inscrire ou de se projeter dans l’histoire. C’est d’ailleurs ce qui justifie ces lignes de G. Vergnon dans son étude sur F. Mitterrand et la Drôme : « Ce grand lecteur de Jacques Chardonne et de Jean Giraudoux était peut-être le dernier président “enraciné” dans une palette de territoires qui n’étaient pas seulement des fiefs électoraux, mais un résumé de la France tout entière » (p. 136).
Pour citer cet article
Référence papier
Jean El Gammal, « François Dubasque et Anne-Laure Ollivier (dirs), Le Promeneur enraciné. François Mitterrand, un cheminement politique et sensible à travers les territoires, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, 2023, 269 pages », Questions de communication, 46 | 2024, 509-512.
Référence électronique
Jean El Gammal, « François Dubasque et Anne-Laure Ollivier (dirs), Le Promeneur enraciné. François Mitterrand, un cheminement politique et sensible à travers les territoires, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, 2023, 269 pages », Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 28 janvier 2025, consulté le 17 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/37062 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12yg6
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