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Notes de lecture
Histoire, sociétés

Gilles Rouet (dir.), Classement des universités, Paris, CNRS Éd., 2022, 202 pages.

Alessia Lo Porto Lefébure
p. 539-544
Référence(s) :

Gilles Rouet (dir.), Classement des universités, Paris, CNRS Éd., 2022, 202 pages.

Texte intégral

1Les éditions du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ont publié en 2022, dans la collection « Les Essentiels » de la revue Hermès. Cognition, communication, politique, un recueil de textes portant sur les classements internationaux des universités. L’ouvrage aborde un sujet largement débattu – en France plus qu’ailleurs – au sein des communautés professionnelles de l’enseignement supérieur et de la recherche. Plus qu’une monographie, c’est une anthologie proposant divers éclairages disciplinaires et géographiques sur cet objet d’étude complexe qui est un instrument de jugement, un levier de transformation, un outil de communication ainsi qu’une ressource au service des stratégies d’acteurs.

2En majorité universitaires issus des sciences humaines et sociales, les auteurs ont l’ambition de « proposer des éléments d’analyse de la situation actuelle et de cette évolution d’un rejet, d’une ignorance des classements, à une conformisation, en particulier bibliométrique, puis structurelle, à leurs indicateurs » (p. 21). Ainsi cherchent-ils à décrire le rôle des classements internationaux dans les évolutions de l’enseignement supérieur en France au cours des vingt dernières années, dans le contexte plus large de l’avènement de la culture de l’indicateur. Ces classements ont acquis une importance progressive depuis 2003 – date de publication du premier classement dit « de Shanghai » – qui en a fait des cadres d’action pour les pouvoirs publics et les responsables des établissements français.

3L’intention d’analyser l’impact des classements internationaux sur l’évolution de l’enseignement supérieur en France est louable, mais l’approche suivie laisse parfois le lecteur sur sa faim. Une grande partie des questions demeure sans réponse. Parmi les auteurs, plusieurs évoquent les spécificités françaises qui seraient à l’origine de l’inadéquation entre les indicateurs utilisés hors de France et les critères auxquels sont liés l’excellence et le prestige des établissements français dans le contexte national. Cette spécificité française mériterait une analyse plus approfondie sur le plan historique et sociologique. Par exemple, l’engouement singulier du grand public français pour tout ce qui ressemble aux classements, palmarès, hiérarchies et distinctions est mentionné sans en donner les clés de compréhension. Une lecture au prisme de la sociologie des réputations aurait été éclairante.

4La France se distingue par rapport à la plupart des pays européens et nord-américains par la marginalisation des recherches sur l’enseignement supérieur, aussi connues sous le nom de higher education studies (HES). Pourtant, ces recherches pourraient jouer un rôle crucial pour rendre compréhensibles à l’étranger les spécificités organisationnelles de l’enseignement supérieur français. Une des raisons de cette marginalisation serait liée au fait que le champ d’études sur l’enseignement supérieur, exigeant des compétences dans des disciplines très variées, souffre d’une structuration académique par discipline. À ce propos, il aurait été pertinent de mentionner l’une des principales initiatives organisant la recherche en HES, le Réseau d’études sur l’enseignement supérieur (Resup), qui vise à fédérer et à stimuler la recherche en sociologie, science politique, sciences de l’éducation et économie dans l’enseignement supérieur. Le constat sur la marginalisation de la recherche dans ce champ peut être facilement contrebalancé par la prise en compte du nombre important de chercheurs et d’experts français siégeant dans les comités de rédaction des revues spécialisées dans les politiques d’enseignement supérieur, dont la liste est fournie dans un encart (p. 70).

5L’échec de la tentative de classement par l’École nationale supérieure des mines de Paris est abordé sans analyse critique de sa principale faiblesse : peut-on évaluer la qualité d’un établissement d’enseignement en se fondant sur la trajectoire professionnelle de ses anciens élèves jusqu’à cinquante ans plus tard ? Ce classement reposait sur le principe – peu admis en dehors de la France – que la réussite professionnelle dépend surtout de l’établissement où l’on a étudié – et de son prestige – même des décennies après. Il aurait été intéressant de questionner l’émergence d’une telle initiative, spécifiquement en France, ainsi que l’échec de son adoption au-delà de nos frontières. Cela aurait ouvert la voie à une réflexion sur le recrutement des élites en France, sur l’évaluation de la performance des dirigeants, voire, simplement, à une connaissance de la littérature traitant de ces sujets.

6Plusieurs auteurs semblent partager le parti pris de vouloir expliquer les biais des indicateurs à la base de ces rankings, indiquant par là une difficulté à se départir d’une perspective française. À titre d’exemple, il est affirmé que la complexité de l’enseignement supérieur français rend la compréhension de son excellence par des yeux étrangers plus difficile que « dans le cas d’ensembles culturellement homogènes comme les États-Unis ou le Royaume-Uni » (p. 62). Le texte ne précise pas ce qu’il faut entendre par homogénéité culturelle dans des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, qui servent souvent d’exemple pour décrire des sociétés multiculturelles. De même, il est mentionné que les rédacteurs et les comités éditoriaux des revues américaines sont « trop fortement marqué[s] par un recrutement national » (p. 66), alors que le taux d’endorecrutement du milieu académique français, à savoir le recrutement des enseignants-chercheurs par l’établissement dans lequel ils ont effectué leur doctorat ou là où ils ont été maîtres de conférences, est sans doute parmi les plus élevés du monde occidental. Les universités américaines de recherche se distinguent précisément par la grande diversité culturelle et d’origines géographiques de ses enseignants-chercheurs.

7Plus largement, les acteurs impliqués dans les classements internationaux des universités, ainsi que leurs enjeux et motivations sous-jacentes, sont analysés de manière variable selon les articles. Le modèle économique des organismes de classement et les méthodes de définition des indicateurs sont évoqués en tant qu’informations contextuelles et non pas comme des éléments déterminants de l’action publique. De même, à quelques exceptions près, la dimension géopolitique est rarement abordée, avec peu de discussions sur ses implications quand c’est le cas. La plupart des auteurs se limitent à rappeler les impacts sur les politiques et l’organisation des établissements ou sur les réformes nationales de l’enseignement supérieur. Pourtant, étant donné que l’enseignement supérieur et la recherche sont étroitement liés à la compétition mondiale pour les talents, en particulier dans un contexte de guerre technologique et économique, il aurait été pertinent d’aborder l’utilisation de ces classements par certains pays (par exemple, la République populaire de Chine) pour accroître l’attractivité de leurs universités nationales et encourager le retour des talents formés à l’étranger.

8En dépit de la richesse et de la diversité de ces regards croisés sur les classements, il manque au lecteur une vision critique d’ensemble des enjeux politiques nationaux, européens et internationaux sous-jacents. L’observation de ces classements internationaux qui « s’imposent » (p. 13) passe presque sous silence le rôle des gouvernements, des politiques publiques et de l’administration, regroupés dans l’un des articles sous l’expression générique de « décideurs externes » (p. 40).

9Certains chapitres se distinguent par leur clarté et leur profondeur d’analyse, en particulier les contributions sur la réception des classements dans d’autres pays, qui ouvrent des perspectives originales sans toutefois permettre une comparaison rigoureuse. Ces textes décrivent l’impact des classements internationaux universitaires en Italie, en Slovaquie, en Allemagne et au Sénégal. Ces analyses donnent un aperçu de la nature et de la teneur des débats dans des pays très différents par leur histoire, leur modèle économique et leur gouvernance universitaire.

10Par exemple, l’étude menée sur l’Italie par Davide Borrelli et Marialuisa Stazio (p. 165-180) permet aux lecteurs français de prendre la mesure de la grande différence entre les systèmes universitaires français et italien, ainsi que des effets paradoxaux des politiques de stratification des établissements. Traditionnellement, en Italie, ce qui est valorisé est le titre juridique associé au diplôme, contrairement à la France où il s’agit du nom de l’établissement délivrant le diplôme. Autrement dit, le système italien est historiquement non élitiste et non hiérarchisé. Au cours des vingt dernières années, les gouvernements ont donc utilisé les classements internationaux pour introduire l’idée d’une stratification entre les établissements. Alors que le discours politique soulignait le besoin de reconnaissance internationale des établissements italiens, les politiques mises en œuvre ont paradoxalement conduit à une diminution progressive des moyens des universités publiques et à une précarisation croissante du statut des enseignants et des chercheurs. Ce phénomène a contribué à un déclin général de l’université italienne, ainsi qu’à l’accélération de la fuite des cerveaux, phénomène déjà bien documenté par la littérature et les études de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

11Parfois, des affirmations manquent de rigueur, comme celle qui prétend que « en Asie, des universités interdisent à leurs étudiants et à leur personnel de collaborer avec des universités qui n’auraient pas atteint une place déterminée dans les classements » (p. 43). L’absence de précision sur les sources ne permet pas aux lecteurs de comprendre ni de vérifier l’information. Ailleurs, il est mentionné que les gouvernements européens font fausse route en tentant de s’aligner sur un système qui ne leur correspond pas, avec des moyens toujours limités « en comparaison de ce qui se fait ailleurs » (p. 44). En admettant qu’il existe une politique commune entre pays européens en la matière, la simple comparaison avec « ce qui se fait ailleurs » ne permet pas de véritablement apprécier la situation.

12Le chapitre de Julie Bouchard (p. 81-97) sur la communication des universités parisiennes apporte un regard original. Il rappelle comment la culture de l’évaluation s’est installée en France dans le milieu universitaire autour des années 2000, entraînant la création d’une fonction de management universitaire consacrée à la communication, désormais intégrée aux structures organisationnelles proches des présidents d’université. J. Bouchard fonde son analyse sur des recherches conduites auprès de douze universités parisiennes et montre comment les classements ont influencé leur manière de se présenter via ce qu’elle nomme « les usages discursifs » (p. 81) des classements dans les dépliants, les sites web et d’autres dispositifs. Ces universités se sont approprié les classements d’un point de vue discursif, tout en étant critiques à leur égard. Par cette instrumentalisation, elles finissent ainsi par les cautionner et les valoriser.

13L’étude de Jean-Francis Ory et Jean-Luc Petitjean (p. 157-164) sur la manière dont Aix-Marseille Université a décidé de participer au classement Times Higher Education Impact (THE Impact), lancé en 2019, est pertinente car il existe peu d’études spécifiques sur les effets de ce classement dans l’enseignement supérieur français. Elle révèle que, même si l’influence de ce classement récent reste difficile à mesurer sur la stratégie de l’établissement, des changements sont en cours via l’utilisation d’outils de suivi et de collecte de données. En effet, le THE Impact oblige l’établissement à démontrer la mise en œuvre d’actions mesurables en faveur des 17 Objectifs de développement durable (ODD), ce qui nécessite une restructuration de l’information et des indicateurs internes.

14Christine Barats (p. 135-156) partage les résultats de son analyse sur l’utilisation du classement de Shanghai, surtout par les acteurs politiques, les présidents d’université et les directeurs des grandes écoles en France. Elle met en évidence une utilisation différenciée selon le type d’établissement et la discipline, fondée sur l’analyse sémantique de textes publics. Ce classement est en particulier utilisé pour influencer les relations de pouvoir entre les acteurs, comme les présidents d’universités scientifiques qui cherchent à affirmer leur supériorité par rapport aux grandes écoles d’ingénieurs.

15Le texte d’Olivier Rollot (p. 111-123) sur le traitement médiatique des classements internationaux en France est très clair et utile pour les lecteurs peu familiers de ces enjeux. Il met en lumière les aspects économiques, soulignant que les universités les plus actives dans l’utilisation des classements sont souvent celles qui ont les moyens d’investir dans la production de données. Ces établissements, en particulier ceux spécialisés dans le management et la finance, reposent souvent sur les frais de scolarité. Autrement dit, les performances dans les classements dépendent en partie de l’investissement que l’établissement peut réaliser pour améliorer son positionnement, ce qui est à son tour influencé par les enjeux économiques associés.

16À la lecture de ces articles, il est évident que les classements universitaires internationaux ont établi des normes visant à rendre les systèmes d’enseignement et de recherche comparables, les plaçant ainsi en concurrence. Ils ont aussi influencé la perception de ce qu’est une université dans une société donnée. Cependant, les entités comparées par ces méthodes ne sont pas toujours équivalentes, parce qu’elles n’opèrent pas toutes de la même manière, n’ont pas les mêmes ressources ni le même degré d’autonomie et n’évoluent pas dans le même environnement. Paradoxalement, l’utilisation des classements dans le discours politique et institutionnel conduit non pas à une meilleure compréhension des établissements, mais à une simplification réductrice. En effet, seuls les aspects chiffrés sont souvent pris en compte, ce qui signifie que seuls les indicateurs les plus simples et standardisés sont valorisés, sans nécessairement rendre justice aux spécificités de chaque établissement et de son contexte.

17Les classements ne se limitent pas à classer, mais aussi à générer et reconnaître la renommée, le mérite ou l’importance via la compétition. Ils attribuent à chaque établissement une position relative, accompagnée d’un niveau de mérite, de performance et d’influence. Présentés sous forme de listes et de tableaux, ces classements simplifient l’information, la rendant plus accessible et facile à comprendre, mais aussi plus autoritaire. Les tableaux offrent une information contextualisée qui facilite sa diffusion et sa réutilisation, souvent en occultant le processus de sa création, empêchant ainsi sa critique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alessia Lo Porto Lefébure, « Gilles Rouet (dir.), Classement des universités, Paris, CNRS Éd., 2022, 202 pages. »Questions de communication, 46 | 2024, 539-544.

Référence électronique

Alessia Lo Porto Lefébure, « Gilles Rouet (dir.), Classement des universités, Paris, CNRS Éd., 2022, 202 pages. »Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 10 février 2025, consulté le 16 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/37162 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12yge

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