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Notes de lecture
Médias, technologie, information

Sébastien Genvo et Thibault Philippette (dirs), Introduction aux théories des jeux vidéo, Liège, Presses universitaires de Liège, coll. Jeu/Play/Spiel, 2023, 462 pages

Rose K. Bideaux
p. 618-623
Référence(s) :

Sébastien Genvo et Thibault Philippette (dirs), Introduction aux théories des jeux vidéo, Liège, Presses universitaires de Liège, coll. Jeu/Play/Spiel, 2023, 462 pages.

Texte intégral

1Dirigé par Sébastien Genvo – professeur des universités à l’Université de Lorraine – et Thibault Philippette – chargé de cours à l’Université catholique de Louvain cet ouvrage collectif comble un manque dans la littérature francophone, qui ne disposait pas jusqu'à présent de ressource « permettant d'initier les étudiants, enseignants, voire les personnes intéressées par une approche réflexive sur le sujet [...] aux méthodes de recherche et d'analyse développées pour les différents aspects de cet objet » (p. 5). Sous l’égide de ces deux chercheurs spécialistes des recherches vidéoludiques en France, ce volume substantiel rassemble 36 articles écrits par 39 spécialistes, avec l’objectif de « servir de boussole, de début de carte, de compétence de base » (p. 7) pour tout·e chercheur·euse ou étudiant·e désirant s’intéresser aux jeux vidéo, qui « constituent aujourd’hui des objets incontournables de la sphère numérique et des industries créatives, tant sur le plan des enjeux économiques, sociaux, esthétiques et culturels » (p. 5). Répartis au sein de 7 parties présentées par une introduction des directeurs de publication (p. 5-7), chacun des articles suit une structure similaire qui renforce la dimension pédagogique de l’ouvrage, explorant tant les dimensions propres aux jeux vidéo, que les aspects méthodologiques et épistémologiques de leur étude, ainsi que leur inscription dans le champ universitaire. Chacun des articles commence par une introduction, suivi d’un développement « Études », puis une synthèse « En résumé », quelques sources – ouvrages, articles ou sites internet – pour approfondir le sujet abordé « Pour aller plus loin », puis une bibliographie et éventuellement une ludographie rassemblant les jeux et références cités dans le texte.

2Une première partie intitulée « Penser les jeux vidéo comme objet de recherche » (p. 9-84) a pour objectif de dessiner les contours de ce qu’est un jeu vidéo, mais aussi des recherches à son sujet. Ainsi S. Genvo commence-t-il (p. 11-22), pour définir le jeu puis le jeu vidéo, montrant d’emblée « la difficulté de la définition du périmètre de cette “chose nommée jeu” » (p. 11). Il souligne cette difficulté en revenant sur la distinction opérée en anglais entre le game, « la structure d’une situation de jeu », et le play, « l’attitude ludique que l’individu adopte à l’égard de cette situation » (p. 15), entraînant par conséquent la difficulté de définir le jeu – game studies, play studies, sciences « du jeu », etc. (p. 18). Maude Bonenfant clôt cette partie par une réflexion sur l’extension du jeu dans le processus de gamification/ludification (p. 75-84), entendue comme « la reconnaissance ou l’utilisation du design ou des mécaniques de jeu dans des contextes extérieurs au jeu » (p. 75), comme en éducation, en santé ou en publicité. Le reste de cette partie se compose d’une série d’articles sur l’inscription des études vidéoludiques à l’université (Espen J. Aarseth, p. 23-30), en utilisant les cas particuliers dans la francophonie : en Belgique (T. Philippette, p. 31-44), en France (S. Genvo, p. 45-54), au Québec (Bernard Perron, p. 55-64) et en Suisse (Selim Krichane, p. 65-74). Ce panorama permet de mieux saisir les différences de structuration de ce champ disciplinaire en fonction du contexte économique – par exemple, la création de fonds de soutien à l'industrie du jeu vidéo en Belgique (p. 38) –, social – avec une perception négative du média en France (p. 47) –, mais aussi éducatif – notamment la distinction entre hautes écoles et universités en Suisse (p. 66-68) –, propres à chaque pays.

3Nommée « Les filiations » (p. 85-149), une deuxième partie explore les relations entretenues par les jeux vidéo avec d’autres pratiques culturelles et leurs influences réciproques. Laurent Di Filippo s’intéresse aux jeux vidéo inspirés par des jeux de rôles tels que Donjons & Dragons (1975), leur possibilité de créations de personnages (p. 89-90), leur mise en réseaux communautaires (p. 91-92) ou le système de quêtes (p. 92-94). Ainsi les jeux de rôle ont-ils conduit à la création des « role playing games » ou « RPG », ainsi que des « multi-users dungeons » ou « MUD » « qui réunissent plusieurs joueurs pour explorer des donjons » (p. 87) et qui donneront les « MMORPG » ou « jeu de rôle en ligne massivement multijoueur » avec les améliorations techniques d’internet. Quant à Bruno Dupont, il s’intéresse à la porosité entre jeux vidéo et littérature, qu’il s’agisse de la présence littéraire dans les jeux vidéo ou de littérature prenant place dans des jeux vidéo (p. 102-116), un rapprochement du vidéoludique avec un autre médium que S. Krichane analyse à partir du cinéma (p. 117-126). Pour sa part, Damien Djaouti met en exergue les interrelations entre jeux vidéo et informatique, avec notamment l'arrivée sur le marché de « nouveaux ordinateurs sans cesse plus performants, moins encombrants, et moins chers » (p. 128), favorisant la démocratisation des jeux vidéo et leur évolution technique, ainsi qu’un accès aux disciplines informatiques par l’intermédiaire du jeu vidéo (p. 127-138). Vinciane Zabban conclut cette partie en appréhendant le jeu vidéo comme une industrie à la fois technologique et de loisir (p. 139-148). L’industrie vidéoludique a évolué en même temps que « l’essor de la dématérialisation et le développement de plateformes de distributions (“stores”) spécialisées […] comme généralistes » (p. 140). Cette logique de plateforme a conduit à une « globalisation » du jeu vidéo produit à destination de marchés internationaux (p. 140-141), mais aussi à une précarisation des employé·es du secteur du jeu vidéo, qui attire davantage de jeunes diplômé·es qu’il ne peut en accueillir (p. 144).

4Dans la troisième partie, « Analyser les contenus » (p. 213-276), on s’intéresse au jeu vidéo en tant que forme d’expression (S. Genvo, p. 151-166) pouvant être catégorisée en genres ayant des caractéristiques spécifiques (Dominic Arsenault, p. 167-176), se manifestant selon deux composantes principales que sont le game design – « les attributs qui ont pour vocation de faire œuvre de médiation ludique, à faire entrer l’individu dans cet univers de sens singulier » (p. 155) – et le game play – « propriété de découverte dynamique de la structure de jeu dans l’action même de jeu » (p. 156). À ce sujet, Guillaume Grandjean propose un article mettant en corrélation le gameplay avec le level design (p. 177-190), soit « l’architecture des espaces » du jeu vidéo, qui doit aussi se penser au niveau sonore (musiques et bruitages) afin de garantir aux joueur·euses une immersion favorisée (Fanny Rebillard, p. 203-212). Marc Marti vient renforcer le discours sur l’importance de penser game play et game design ensemble, en insistant sur l’importance de la narration dans la structure et la fonction du jeu vidéo (p. 191-202).

5Dans la partie « Analyser les pratiques » (p. 213-276) qui suit, une approche davantage sociologique du jeu vidéo est offerte. On s’intéresse en particulier aux joueur·euses et à leur rapport au jeu, qu’il s’agisse de questions individuelles et identitaires par l’emploi d’avatars (Julie Delbouille, p. 255-264) ou la formation de communautés en ligne autour d’un jeu vidéo particulier ou d’une saga de jeux (Olivier Servais, p. 215-224). G. Grandjean offre une analyse originale par ce qu’elle met en relation les espaces au sein des jeux vidéo avec les espaces réels de l’activité vidéoludique (p. 215-240), les premiers passant progressivement de niveaux de jeux finis et fermés, à des mondes ouverts où les joueur·euses sont de plus en plus libres (p. 228-230), les seconds ayant évolué de la salle d’arcade à la chambre, puis aux transports en commun avec l’avènement des consoles portables (p. 233-234). Quant à Boris Krywicki, il s’intéresse à la presse vidéoludique et à son évolution depuis son apparition en 1982 avec la revue Tilt (p. 265-276). Enfin, Fanny Barnabé explore les entreprises de détournement, de transformation et d’appropriation des jeux vidéo par les joueur·euses, que ce soit sous forme de speed run – qui consiste à terminer un jeu le plus vite possible –, de let’s play – fait de se filmer en train de jouer – voire de machinima – la réalisation d’un film à partir de séquences de jeux vidéo (p. 241-254).

6Les deux parties qui suivent – « Développements locaux dans la francophonie » (p. 279-322) et « Développements à l’international » (p. 323-378) – visent à mieux comprendre l’économie du jeu vidéo en France (Alexis Blanchet, p. 279-286), au Québec (Francis Lavigne et Jonathan Lessard, p. 287-298), en Belgique (Björn-Olav Dozo, p. 299-312), en Suisse (Yannick Rochat et David Javet, p. 313-322), en Afrique (Isabelle Arvers et Sithe Ncube, p. 325-334), en Amérique du Nord (Dany Guay-Belanger, Adam Lefloic Lebel et Carl Therrien, p. 335-352), au Brésil (Victor Cayres, Lynn Alves et João Araujo, p. 353-366) et en Asie (Martin Picard, p. 367-378). Ce panorama géographique de l’économie vidéoludique permet, d’une part, de renforcer le socle de connaissances porté par ce volume sur l’aire francophone occidentale et, d’autre part, d’offrir une approche comparative avec d’autres aires géo-culturelles.

7Dans une dernière partie, intitulée « Autour du jeu vidéo » (p. 379-457), la réflexion est poussée à la périphérie du jeu vidéo comme objet de recherche. T. Philippette et Charlotte Préat présentent une méta-analyse des études ayant porté un intérêt sur le potentiel des jeux vidéo en termes d’apprentissage pour les enfants (p. 381-394), pointant quelques lacunes – la grande diversité des jeux étudiés, le manque d'accès aux données brutes des articles scientifiques, l’individualisation de certains effets d’apprentissage et l’absence de prise en compte des effets induits par le contexte d’utilisation, davantage que par le jeu vidéo lui-même – afin de porter un discours plus nuancé, mais aussi plus solide (p. 387-388). Gaël Gilson complète cette approche en analysant quelques cas d’introduction d’éléments vidéoludiques dans des séquences pédagogiques scolaires (p. 395-410). Julien Bazile offre un point de vue sur les jeux vidéo d’histoire qui s’inscrivent dans une période passée – comme la saga Assassin’s Creed d’Ubisoft (2007 ; p. 433-442) ; Pierre-Yves Hurel appréhende la création de jeux vidéo par des amateur·ices grâce à des outils comme les logiciels RPG Maker (p. 411-420), tandis qu’Esteban Giner présente un panorama sur l’étude des médiasphères vidéoludiques (p. 421-432), qui font « interagir des actants humains (des communautés de jeu ou de réception, des audiences) et des actants non humains (des informations, des médias, des algorithmes, etc.) » (p. 428). Enfin, Nicolas Besombes conclut cet ouvrage dense avec un article sur le sport électronique ou « esport » (p. 443-457), pratique compétitive du jeu vidéo qui connaît une popularité croissante depuis les années 2010, devenant alors une pratique professionnelle permettant aux meilleur·es joueur·euses de bénéficier de revenus fixes par un système de sponsoring (p. 450-451).

8Passant en revue différents aspects historiques, épistémologiques et méthodologiques des jeux vidéo et de leur étude, cet ouvrage doit se penser comme une boîte à outils venant en préambule et/ou en support d’une analyse de l’objet vidéoludique. Rassemblant un nombre conséquent de chercheur·euses spécialisé·es dans l’étude de cet objet complexe, l’entreprise initiale d’en faire un recueil de bases pour quiconque souhaite se lancer dans les game studies ou play studies est réussie, mais ne suffit pas à se faire une idée de ce qu’est le jeu vidéo ni de ce que sont les sciences du jeu. On peut tout particulièrement être surpris de ne voir aucune partie consacrée aux questions de genre, de racisme, de sexisme ou d’homophobie, alors que les recherches francophones sur ces thèmes sont nombreuses, riches et déterminantes dans l’appréhension des jeux vidéo, de leur industrie et de leurs joueur·euses (E. Hess, « Les nouvelles représentations des minorités dans les Jeux vidéos : enjeux et significations », Alternative francophone, 2 [8], 2021, p. 65–82). Ce manque se fait d’autant plus surprenant que les scandales de sexisme au sein de l’industrie du jeu vidéo éclatent depuis plusieurs années, comme le « gamergate » de 2014, qui a entraîné une campagne de harcèlement contre des développeuses de jeux vidéo –comme Zoë Quinn – (M. Salter, « From Geek Masculinity to Gamergate. The Technological Rationality of Online Abuse », Crime, Media, Culture, 14 [2], p. 247-264, 2018). En France, plusieurs médias ont mis en lumière une culture de harcèlement et de mauvaise conduite au sein du studio français Ubisoft en 2020 : des cadres supérieurs – dont l’ancien directeur créatif Serge Hascoët et l’ancien vice-président des services éditoriaux et créatifs Tommy François – ont été impliqués et ont quitté l’entreprise, soit par démission, soit par licenciement (M. Turcan, « Accusations au sein d’Ubisoft : le directeur créatif Serge Hascoët démissionne », Numérama, 12 juill. 2020). Globalement, l’industrie du jeu vidéo est visée par des dénonciations récurrentes de pratiques sexistes (L. Cottet, « Porter la diversité dans un milieu masculin. Contestation et reproduction des stéréotypes de genre chez les artistes du jeu vidéo », Images du travail, travail des images, 16, 2024), qui n’épargne pas les joueur·euses, comme le prouvent les délits emblématiques homophobes et misogynes du forum du site d’actualité vidéoludique jeuxvideo.com (N. Marignier, « “Gay ou pas gay ?” Panique énonciative sur le forum jeuxvideo.com », Genre, sexualité & société, 17, 2017). En outre, une enquête GamerTop et Ifop de 2023 a pointé de nombreux agissements sexistes parmi les joueur·euses français·es de 15 ans et plus : « Les deux tiers (66 %) des joueuses de jeux de combat ont été confrontées à des formes de harcèlement ou de sexisme. 49 % disent avoir été la cible de propos obscènes à caractère sexuel, d’insultes et injures sexistes (48 %), ou encore d’un refus de jouer avec une femme (35 %). Enfin, plus d’une joueuse sur trois (37 %) rapporte avoir déjà fait l’objet de menaces d’agression à caractère sexuel » (GamerTop et Ifop, #MeToo… is it in the game? Enquête sur le sexisme et les rapports de genre des amateurs de jeux vidéo, 2023). Ainsi est-on en droit de se demander pourquoi ce volume n’a pas intégré ce prisme d’analyse dans ses thématiques, ce qui obligera les lecteur·trices à se tourner vers d’autres ouvrages francophones indispensables qu’il convient de mettre en valeur dans cette recension : sur le genre (F. Lignon [dir.], Genre et jeux vidéo, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2015), le racisme (M. Derfoufi, Racisme et jeu vidéo, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 2021) ou les transidentités (K. Espineira et M. Moisseeff, « Freaks en tous genres : corps mutants, cyborgs, métamorphes & fantastiques », Genre en séries, 11, 2020), ainsi que sur les bricolages queers et féministes dans la création vidéoludique (M. Coville, « Videogame Zinesters : une alternative de représentation, de pratique et de création », Cahiers de la transidentité, hors série, 2014).

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Pour citer cet article

Référence papier

Rose K. Bideaux, « Sébastien Genvo et Thibault Philippette (dirs), Introduction aux théories des jeux vidéo, Liège, Presses universitaires de Liège, coll. Jeu/Play/Spiel, 2023, 462 pages »Questions de communication, 46 | 2024, 618-623.

Référence électronique

Rose K. Bideaux, « Sébastien Genvo et Thibault Philippette (dirs), Introduction aux théories des jeux vidéo, Liège, Presses universitaires de Liège, coll. Jeu/Play/Spiel, 2023, 462 pages »Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 28 janvier 2025, consulté le 16 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/37432 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12ygv

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Auteur

Rose K. Bideaux

Legs, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Université Paris Nanterre, Université Paris Lumières, CNRS, F-93322 Aubervilliers, Francerosekbideaux[at]gmail.com

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