Imad Saleh, Nasreddine Bouhaï, Sylvie Leleu-Merviel, Ioan Roxin, Manuel Zacklad, Luc Massou, Hafida Boulekbache-Mazouz et Philippe Useille (coords), La Fabrique du sens à l’ère de l’information numérique : enjeux et défis, Londres, Iste Éd., coll. Systèmes d’information, web et société, 2023, 348 pages.
Imad Saleh, Nasreddine Bouhaï, Sylvie Leleu-Merviel, Ioan Roxin, Manuel Zacklad, Luc Massou, Hafida Boulekbache-Mazouz et Philippe Useille (coords), La Fabrique du sens à l’ère de l’information numérique : enjeux et défis, Londres, Iste Éd., coll. Systèmes d’information, web et société, 2023, 348 pages.
Texte intégral
1Cet ouvrage collectif compile, en six parties, les actes de la 17e conférence internationale H2PTM, tenue à Valenciennes du 18 au 20 octobre 2023. Cette édition de la conférence « propose un éclairage plus approfondi sur la fabrique du sens, ses processus, ses territoires, ses acteurs humains ou non » (p. xii). La problématique de la fabrique du sens est abordée sous divers angles : « épistémologique, culturel, informationnel, désinformationnel, social, technique » (p. xiiii). Si l’ouvrage est incontestablement un outil interdisciplinaire et comporte d’importants atouts, malheureusement, il propose très peu d’approches méthodologiques et de constitution de corpus numériques permettant d’analyser la construction du sens sur les médias sociaux.
2La première partie de l’ouvrage traite des univers virtuels et des jeux numériques. Dans la première contribution, Kevin Beaufils, Étienne Armand Amato et Étienne Perény explorent « les logiques médiatiques propres à la réalité virtuelle et au jeu vidéo » (p. 3). Dans une démarche simple, originale et accessible, l’article postule que « l’expertise médiatique aurait un impact sur la qualité de l’immersion et sur l’appropriation corporelle de sa propre image visualisée » (p. 5). Le second article analyse les « apports et limites de l’approche phénoménologique » (p. 36). Olivier Nannipieri et Jacques Ghoul-Samson aboutissent à la conclusion selon laquelle « le sens d’un environnement virtuel est irréductible à celui d’une image » (p. 20). Trois limites de l’approche sont relevées par les auteurs : contrairement à l’image qui est à distance et extérieure au spectateur, « dans un environnement virtuel, l’utilisateur saisit l’environnement de l’intérieur et peut s’y sentir présent » (p. 22) ; ce n’est pas seulement la conscience qui confère un sens à un environnement virtuel, mais les organes sensoriels et le corps de l’individu ; enfin, « à l’exception du reflet dans un miroir, l’image ne permet pas ce qu’autorise un environnement virtuel : s’incarner dans un avatar » (p. 24).
3La deuxième partie de l’ouvrage regroupe quatre contributions et traite de la « visualisation, traitement et qualité de l’information » (p. 33). Dans leur article, Pauline Zecchinon et Olivier Standaert partent d’une étude de cas appliquée au journal Le Monde pour aborder la problématique de « la guerre en Ukraine à travers le prisme de la désinformation visuelle et les limites du fact-checking spécialisé » (p. 35). Les auteurs montrent comment le contexte de désinformation autour de la guerre en Ukraine a impacté « les pratiques de vérification visuelle des décodeurs, la cellule spécialisée de fact-checking » du journal (p. 36). Les résultats indiquent que les « trois quarts des visuels diffusés sont des images authentiques » (p. 41) avec des légendes trompeuses plutôt que des manipulations sophistiquées. Les journalistes fact-checkers s’appuient sur une combinaison de « veille des réseaux sociaux » (p. 43) et d’utilisation « d’outils numériques pour la vérification d’images » (p. 47). Abordant le problème de la désinformation dans les « pure players », Asma Djebbi examine les pages Instagram de Meem Magazine pour étudier « les transformations apportées par les pure players tunisiens dans le traitement de l’information, ainsi que leurs dérives favorisant “la désinformation et la manipulation de l’actualité” » (p. 52). Les résultats de l’étude révèlent que les pure players « offrent une approche plus participative, plus impliquante, plus innovante et décalée de l’actualité » (p. 63) et qu’ils ont une place importante dans l’environnement médiatique tunisien. Dans la troisième contribution, Kouassi Sylvestre Kouakou analyse la circulation de la fausse information à l’ère du numérique et propose un cadre holistique d’enseignement de l’évaluation critique de l’information qui se fonde « sur une double approche épistémologique constructiviste et rationaliste » (p. 66) afin de faire face aux fact-checking qui se révèlent souvent « inefficaces » (p. 68). Abordant la visualisation des transferts émotionnels de cohortes, Charles-Alexandre Delestage et Willy Yvart proposent une étude de cas sur « la notion de non-violence » (p. 83). Les auteurs tentent d’explorer des traces de l’expérience émotionnelle de l’individu, par l’usage d’outils averbaux d’indication par l’utilisateur, grâce à une expérimentation centrée sur le visionnage d’une déclaration d’un proche de victime d’attentat témoignant d’une posture non violente. D’une part, les résultats de l’étude dévoilent que la génération de cartes de chaleur et l’analyse dyadique croisée constituent une nouvelle amélioration et tendent vers une plus grande disponibilité et accessibilité de l’outil Spot Your Mood pour des travaux futurs convoquant les méthodes visuelles. D’autre part, ils renseignent que « cet extrait attriste, apeure ou provoque la colère » (p. 112). Dans la quatrième contribution, Youssef Mekouar et Mohammed Karim analysent la visualisation des données du trafic routier. Ils proposent un algorithme d’estimation de CO2 et une application de visualisation qui « permettra aux habitants de visualiser les taux d’émissions de CO2 liées au trafic routier dans les différents secteurs, arrondissements, rues, boulevards et avenues de la ville de Paris » (p. 99).
4La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à l’intelligence artificielle (IA) et aux pratiques collectives et collaboratives (p. 115) et comporte quatre articles. La première contribution d’Aymeric Bouchereau et d’Antonin Segault examine la manière dont les contributeurs de l’encyclopédie Wikipédia construisent « une synthèse raisonnée des connaissances relatives à l’intelligence artificielle » (p. 117). Par une étude de cas, la contribution aborde les mutations provoquées par l’IA, les controverses qu’elle suscite et les processus de neutralité de point de vue des articles sur Wikipédia (p. 118). Les auteurs arrivent à la même conclusion que Marie-Noëlle Doutreix (Wikipédia et l’actualité. Qualité de l’information et normes collaboratives d’un média en ligne, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2020) : « Les références anglophones sont largement utilisées dans les versions non anglophones de Wikipédia, tandis que, à l’inverse, l’encyclopédie anglophone n’accueille que très peu de références non anglophones » (p. 122). Dans un autre registre, Éric Lacombe esquisse une théorie du sens à l’ère numérique à partir d’un modèle d’architecture de l’information dérivé de principes généraux de transformation et d’organisation du vivant (p. 133). Le modèle proposé organise « l’information en graines, considérées comme des atomes de sens, à relier entre elles pour construire des graphes organisationnels » (p. 135). D’une architecture de l’information à une architecture du sens (p. 135) se dégagent trois choses : la sensibilité, l’intelligibilité et la direction. L’étude souligne que le graphe organisationnel se positionne entre différentes formes réticulaires de représentation : graphe de connaissances, document hypertexte/média, cartes heuristiques et conceptuelles (p. 140). Dans leur contribution, Renée Bourassa, Jean-Marc Larrue et Fabien Richert examinent les « stratégies d’illusion, de tromperie et de feintise ludique spécifiques » de quatre systèmes d’intelligence artificielle : Siri, Alexa, Google Home et ChatGPT (p. 148). Dans une approche sémio-pragmatique, l’étude a le mérite de confirmer le travail de Joffrey Becker (« Concevoir des machines anthropomorphes. Ethnographie des pratiques de conception en robotique sociale », Réseaux. Communication, technologie, société, 2, 2020, p. 223-251) en présentant que l’agentivité et la performativité de ces dispositifs découlent d’une volonté pour leurs créateurs de susciter un processus d’enchantement ludique et d’émerveillement qui se déploie tout au long d’échanges conversationnels entre l’humain et la machine (p. 150). Carine Roucan analyse la plateforme de lecture et d’écriture Fyctia élaborée par les éditions Hugo Publishing. L’autrice soutient que le lecteur et l’auteur entrent « dans un mode de communication bidirectionnelle, qui n’exclut pas l’éditeur, mais modifie sa façon de faire puisqu’il fonctionne alors avec eux » (p. 164). On retient de la contribution que les nouvelles pratiques de partage de lecture sur les plateformes ont changé le rôle du lecteur qui, désormais, « peut échanger avec d’autres lecteurs et recevoir des recommandations ». Le lecteur a acquis « un rôle actif et un espace » (p. 167) qui entrent en résonance avec les nouveaux espaces et rôles donnés au lecteur à l’extérieur de la chaîne du livre (p. 168).
5La quatrième partie de l’ouvrage est structurée en quatre articles et porte sur la « médiation des savoirs, culturelle et patrimoniale » (p. 181). Dans la première contribution, Douniazed Chibane et Hafida Boulekbache-Mazouz analysent la « cartographie et plateforme collaborative au service d’une expérience territoriale de médiation » (p. 200). Les auteurs valorisent « l’identité du territoire transfrontalier franco-belge en travaillant avec les habitants sur des thématiques de leurs quartiers » (p. 183). Les résultats de l’étude confirment que « la contribution et l’engagement des habitants dans le processus de co-conception » facilitent « la co-construction et la diffusion de savoirs sur le territoire » (p. 191). On note que cette plateforme collaborative offre une belle perspective de pérennisation et de dissémination des méthodes et des outils déployés dans « la valorisation de l’identité du territoire et de médiation avec les habitants » (p. 192). Johanna Camp interroge la place de la proximité dans une transition hybride et responsable des espaces et des lieux de ce type. Même si de nombreuses questions sont restées sans réponse, l’autrice a tenté de mettre l’accent sur « la place de la proximité servicielle dans les relations et cultures de l’artisanat pour une transition hybride et responsable » (p. 194). En se basant sur la théorie des territoires-projets, l’autrice fait une lecture, certes limitative, mais très enrichissante de la transition hybride par la sémiotique des transactions coopératives (p. 197). Dans la même perspective, Adrien Fallot, Aurélien Bénel et Ines Di Loreto proposent un cadre conceptuel de « rétro-conception de dispositifs de visite autonome » (p. 201). Le cadre conceptuel est construit autour de cinq fonctionnalités, à savoir : la découverte, la transmission des informations découvertes, la facilitation de la consultation de ces informations et l’accompagnement du raisonnement (p. 204). Il faut souligner que le cadre conceptuel proposé ne prend pas en compte les raisons des visiteurs et encore moins le caractère éminemment social de la visite (p. 215). Proposée par Khaoula Stiti et Samia Ben Rajeb, la quatrième contribution interroge « les plateformes patrimoniales participatives et leur éventuel impact sur le patrimoine en danger du paysage urbain historique de la ville de Tunis » (p. 218). L’étude analyse d’abord les modes d’envoi, de réception et de partage d’informations actuellement utilisés par la population (p. 226), puis elle essaie de « sonder les plateformes que la population utilise et les raisons de leurs choix » (p. 226) et, enfin, elle appréhende la manière avec laquelle « la population perçoit l’impact potentiel des plateformes patrimoniales participatives sur leur patrimoine en danger » (p. 227). Mathieu Dubuis, Michel Labour et Sylvie Leleu-Merviel abordent la « présence hypermédiatique du témoin disparu » par « une expérimentation auprès des visiteurs » du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais (p. 235). Les auteurs ont tenté de vérifier si les technologies hypermédiatisées peuvent contribuer au maintien d’un lien relationnel suffisamment positif auprès du visiteur, et ce, bien au-delà de la disparition inéluctable des derniers témoins vivants (p. 237). L’analyse souligne que le dispositif numérique de médiation maintient un lien relationnel suffisamment positif entre l’avatar d’un ancien mineur et des visiteurs au-delà de la disparition inéluctable des anciens « grands témoins » de la mine (p. 249). L’étude soulève deux limites : la première réside dans le fait que le corpus soit uniquement axé sur une étude quantitative et la seconde est le contenu très court du dispositif numérique actuel qui ne permet pas aux « visiteurs de poser des questions aux grands témoins numériques » (p. 250), soit une réelle interaction.
6La cinquième partie de l’ouvrage regroupe cinq contributions et traite des médias sociaux, de la création numérique et de ses pratiques. En premier lieu, Yannis Delmas-Rigoutsos présente une modélisation de la circulation des représentations à l’ère du numérique pour analyser le stock et le flux des idées sur le Web social (p. 259), qu’il définit comme « un réseau de contenus » (p. 262) et « un réseau de personnes virtuelles » (p. 263). En appliquant la modélisation à l’exemple des communications complotistes et « bullshitistes », l’auteur conclut que la fabrique du sens devient alors « une question de stockage et de vection des représentations » (p. 264) dont la contagion algorithmique est « structurellement favorisée par le Web social » (p. 270). En deuxième lieu, Arnaud Mercier, Marie-Eva Lesaunier et Flore Di Sciullo analysent « les modalités d’appropriation du podcast natif d’information par les médias traditionnels » (p. 273) en mettant l’accent sur les défis et les avantages de ce nouveau média. Selon eux, le recours aux podcasts peut être expliqué par trois raisons : les « appétences personnelles des journalistes (p. 275), la volonté des médias de « capter autrement les nouveaux publics » (p. 276) et le besoin des entreprises médiatiques de « faire fructifier le travail des journalistes » (p. 278). Le podcast a l’avantage d’être « un lieu de liberté et de renouvellement de l’écriture » (p. 285) et permet de se libérer « des contraintes des médias traditionnels » (p. 286). Mais des obstacles de « compétences, de monétisation et du maintien de normes journalistiques » (p. 291) constituent des défis à relever. En troisième lieu, Caroline Ange et Pascal Bertolino font le récit d’une expérience de conception inversée à l’ère du numérique (p. 292). Ils partent d’une « pratique expérimentale » (p. 298) de dialogue interdisciplinaire entre l’informatique et les sciences de l’information et de la communication pour engager les interacteurs dans la fabrique du sens et déplacer « la méthodologie de conception vers la construction d’un discours sur l’objet technique, par la création de matériaux pour en générer le sens, dans une liberté créative et expérimentale » (p. 302). La quatrième contribution de cette cinquième partie de l’ouvrage analyse le rôle de l’application hypermédia Ben le koala dans le quotidien d’un enfant atteint de trouble du spectre de l’autisme (p. 304). Les auteurs postulent que plusieurs facteurs expliquent l’efficacité de l’outil, dont l’usage « se montre très satisfai[san]t » (p. 318), au nombre desquels figurent « la qualité de sa conception, sa fonctionnalité et son utilisation par les enfants avec TSA et les familles » (p. 318). Dans la dernière contribution de cette partie, Sophie Jehel et Pascal Martin interrogent « la fabrique du sens de l’image, en partant des intentions des créateurs et des démarches photographiques qu’ils mettent en œuvre » (p. 321). L’article montre que le statut central de l’image sur les médias sociaux est « dégradé » (p. 323). Ils postulent que la photographie peut permettre de « construire un imaginaire critique du numérique » (p. 328) et d’interroger « le numérique de l’intérieur de la technologie numérique » (p. 331).
7La sixième et dernière partie de l’ouvrage présente deux « communications affichées » (p. 339). D’abord, Aymée Nakasato part du cas de la sécurité civile française pour interroger la « gestion et médiation des savoirs au service de l’innovation en contexte de crise » (p. 342). Puis Kouamvi Couao-Zotti analyse le réseau d’hyperliens d’une destination touristique protégée, en l’occurrence le parc national Port-Cros, afin d’engager « les acteurs web qui contribuent au développement touristique des sites protégés dans la régulation des flux touristiques et la promotion d’un tourisme respectueux de l’environnement dans ces zones préservées » (p. 345). Malgré quelques limites que présente l’ouvrage, il apporte une grande avancée à l’épineuse problématique de la fabrique du sens à l’ère du numérique par ses divers angles tels que les politiques publiques, le journalisme d’investigation, l’éducation et la formation, les industries culturelles et créatives, la recherche scientifique, l’intelligence artificielle (IA), etc.
Pour citer cet article
Référence papier
Cédric Hounnou, « Imad Saleh, Nasreddine Bouhaï, Sylvie Leleu-Merviel, Ioan Roxin, Manuel Zacklad, Luc Massou, Hafida Boulekbache-Mazouz et Philippe Useille (coords), La Fabrique du sens à l’ère de l’information numérique : enjeux et défis, Londres, Iste Éd., coll. Systèmes d’information, web et société, 2023, 348 pages. », Questions de communication, 46 | 2024, 630-635.
Référence électronique
Cédric Hounnou, « Imad Saleh, Nasreddine Bouhaï, Sylvie Leleu-Merviel, Ioan Roxin, Manuel Zacklad, Luc Massou, Hafida Boulekbache-Mazouz et Philippe Useille (coords), La Fabrique du sens à l’ère de l’information numérique : enjeux et défis, Londres, Iste Éd., coll. Systèmes d’information, web et société, 2023, 348 pages. », Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 10 février 2025, consulté le 17 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/37457 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12ygx
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