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Notes de lecture
Médias, technologie, information

Justine Simon, #ChatonsMignons. Apprivoiser les enjeux de la culture numérique, Paris, Éd. L’Harmattan, coll. Communication et civilisation, 2024, 312 pages.

Léna Billerey
p. 641-645
Référence(s) :

Justine Simon, #ChatonsMignons. Apprivoiser les enjeux de la culture numérique, Paris, Éd. L’Harmattan, coll. Communication et civilisation, 2024, 312 pages.

Texte intégral

1Depuis l’avènement du Web 2.0, les images ont acquis une nouvelle dimension en devenant de véritables nœuds d’information, de conversation et de circulation des idées. Les chats en sont un exemple frappant et illustrent la manière dont ces images peuvent occuper une place prépondérante dans l’espace médiatique contemporain, comme lorsqu’elles sont utilisées par des personnalités politiques telles que Marine Le Pen, leader d’extrême droite. À l’ère numérique, les images ne se limitent pas à une simple illustration visuelle, mais sont des vecteurs de sens et d’interaction. Avec leur pouvoir de captiver l’attention et de susciter des réactions émotionnelles, les chats sont devenus des icônes d’internet. L’autrice relie la prolifération des images de chats sur les réseaux socionumériques à l’émergence de la culture geek. Elle souligne que, « depuis les années 1990, le chat est très présent dans les jeux vidéo » (p. 28), ce qui a contribué à leur popularité croissante en ligne. Les chats que l’on retrouve sur les réseaux socionumériques ne sont pas exclusivement nés sur le Web. Des icônes comme Hello Kitty et Félix le Chat ont été des symboles culturels, bien avant l’ère numérique. Cependant, d’autres sont devenus des phénomènes spécifiques à internet : les fameux cat-lebrities, qui ont atteint la célébrité en ligne, souvent en raison de particularités physiques ou de comportements adorables. Situé à la croisée des sciences de l’information et de la communication (SIC) et de l’analyse du discours numérique, cet ouvrage explore les multiples facettes des chats dans l’univers numérique. Il examine les différentes fonctions symboliques qui leur sont attribuées, l’imaginaire qu’ils suscitent ainsi que la perception qu’ils renvoient de notre société. De plus, il analyse les dynamiques des relations entre les humains et les chats, les stratégies déployées dans l’économie de l’attention, ainsi que les valeurs affectives, symboliques et économiques véhiculées par les #ChatonsMignons sur les réseaux socionumériques.

2Cette approche multidimensionnelle soulève une série de questions ambitieuses pour un seul ouvrage. En effet, la quatrième de couverture mentionne que celui-ci est « destiné à un large éventail de publics : lycéen⸱ennes, étudiant⸱es, universitaire, publics curieux ». Ne peut-on pas légitimement se demander si cette variété de questionnements résonnera avec un lectorat qui s’engage, a priori, sans préconception dans la lecture de cet ouvrage ?

3Pour remédier à cette complexité, l’autrice aborde une question spécifique dans chacun des quatre chapitres qui composent le livre. Dans le prolongement de la notion de démocratie participative, elle présente les #ChatonsMignons comme potentiellement « une véritable caisse de résonance du débat public » (p. 53), questionnant ainsi la possibilité d’utiliser l’image du chat de manière stratégique pour exprimer un point de vue politique. En s’appuyant sur la théorie du triangle de la communication politique, initialement proposée par Dominique Wolton (« La communication politique. Construction d’un modèle », Hermès. La Revue, 4, 1989, p. 27-42) et reprise par Arnaud Mercier (id. [dir.], La Communication politique, Paris, CNRS Éd., 2017), qui met en avant les interactions complexes entre politique, médias et publics, et en considérant les réseaux socionumériques comme un élément central de ces interactions, J. Simon avance que l’image des chats est exploitée par tous les acteurs de ces débats. Comme le souligne Manuel Castells (Communication Power, Oxford, Oxford University Press. 2009), les réseaux socionumériques sont perçus comme des « facilitateurs de citoyenneté » (p. 55) et un outil pour un militantisme créatif (F. Cardon et D. Granjon, Médiactivistes, Paris, Presses de Sciences Po, 2013). Cependant, cette forme de communication horizontale peut aussi entraîner des répercussions plus sérieuses, en particulier une crise de confiance envers les médias, entraînant la prolifération de théories du complot et de fausses informations. Dans ce contexte, l’image du chat est souvent utilisée, notamment par des militants d’extrême droite, dans une stratégie de contournement des lois sous couvert d’humour. Sur ce point, l’étude des hashtags « #Chadolf » et « #Kitler » du corpus de l’autrice révèle que « le #Chadolf #Kitler constitue un nouveau paradigme de banalisation de la violence » (p. 83). Ainsi l’autrice souligne-t-elle que « l’incongruité et la dynamique affective sont propices à la circulation de discours de propagande » (p. 65), en s’appuyant sur des recherches qui mettent en lumière les liens entre l’humour et l’incitation à la haine (Michael Billig, « Humour and Hatred: the Racist Jokes of the Ku Klux Klan », Discourses & Society, 12 [3], 2001, p. 267-289 ; Nelly Quemener, « Respectabilité anti-système et complot américano-sioniste », Communication, 38 [2], 2021). Le chat, en étant perçu comme mignon, est exploité pour dégager les internautes de toute responsabilité vis-à-vis de leurs propos. Vincent Lavoie (Trop mignon ! Mythologies du cute, Paris, Presses universitaires de France, 2020) qualifie cela de « banalité du mal ». J. Simon rappelle que cette stratégie, connue sous le nom de catwashing, n’est pas nouvelle, ayant été utilisée successivement par des groupes tels que les nazis, Daesh, et plus récemment par des personnalités politiques.

4Dans ce chapitre i (p. 51-89), le Web responsable est décrit comme offrant « l’opportunité au public de participer aux débats politiques de manière non hiérarchique en s’engageant dans un débat sur un pied d’égalité avec les représentants politiques » (p. 66). Cependant, il est regrettable que les limites souvent associées à la participation en ligne aux débats politiques ne soient pas suffisamment mises en avant. Il aurait été opportun de sensibiliser le lectorat à ces limites, démontrant clairement que le Web 2.0 ne répond pas à toutes les attentes en matière de démocratie participative. La complexité de l'analyse d'internet et du numérique réside dans la nécessité de dépasser la simple considération de l'utilisation du web 2.0 comme gage de participation aux débats politiques. Internet agit principalement comme un catalyseur, facilitant la mise en relation des militants, l'organisation collective et l'émergence de cadres contestataires, sans pour autant être à l'origine de la création des mouvements sociaux.

5Dans le chapitre ii (p. 91-145), l’autrice constate que les chats jouent un rôle déterminant dans l’émergence de la culture participative numérique depuis les années 1970. Ce chapitre explore la culture du remix autour de l’image du chat et des mèmes. La culture du remix désigne une pratique créative consistant à réinterpréter et transformer des œuvres issues des industries culturelles et médiatiques. Ludique et parfois transgressive, elle repose sur des procédés tels que le détournement, les mashups, ou la circulation de mèmes, mobilisant humour, créativité, et surenchère appropriationniste. En lien avec le chapitre précédent, l’autrice, consciente de la « tension entre une culture participative aliénante (le “côté obscur de la force”) et une culture participative émancipatrice » (p. 95), décide de se concentrer sur les opportunités offertes par la culture participative : liberté d’expression, ouverture sur le monde, sociabilité numérique, entre autres composantes. Pour cela, elle se réfère à la notion de culture participative numérique développée par le spécialiste de l’étude des nouveaux médias Henry Jenkins dès 1990, mettant en valeur les différentes expériences sociales vécues au sein des communautés en ligne. Elle poursuit en abordant le « processus de socialisation essentiel à travers le partage de contenus créatifs » (p. 96), selon les travaux de Laurence Allard (« La remix culture : une poïétique ordinaire du Web » dans F. Kaplan et N. Nova [dirs], La Culture internet des mèmes, Lausanne, Presse polytechniques et universitaires romands, 2016, p. 62-75). Les amateurs d’images de chats sont assimilés à la pratique de la fanfiction, qui permet la formation de différentes formes de sociabilité en ligne, représentant ainsi une communauté expressive (M. Bourdaa, Les Fans. Publics actifs et engagés, Caen, C&F Éd). Selon cette perspective de la culture participative numérique, l’expression et la créativité sont considérées comme des activités émancipatrices. La notion de « culture du partage » (p. 102) est explorée dans une approche numérique, décrivant la mise en commun de données et d’images, ce qui rejoint l’idéal des biens communs et des ressources libres au service de l’intérêt public, tel qu’on le retrouve aux débuts d’internet. Dans cette vision du Web, André Gunthert (L’Image partagée. La photographie numérique, Paris, Éd. Textuel. 2015) observe que le statut de la photographie est transformé. L’image n’appartient plus à son créateur : chacun peut la modifier et la partager, soulevant ainsi des questions éthiques, en particulier en ce qui concerne les droits d’auteur. Pour J. Simon, « reste à espérer que la créativité transgressive propre à la culture du remix permette à leurs usager⸱ères de conserver un regard critique sur ces réseaux capitalistes » (p. 145). La richesse scientifique et théorique de ce chapitre peut susciter la réflexion. Bien que l’effort de théorisation soit nécessaire, on peut s’interroger sur la pertinence de cette mobilisation parfois abondante.

6Les chapitres suivants – iii (p. 147-191) et iv (p. 193-236) – se penchent davantage sur la relation entre humain – terme privilégié par l’autrice par rapport à celui d’homme – et chat. Dans un premier temps, ils examinent cette relation dans le cadre de l’identité numérique, définie comme un « mode de construction stratégique de représentation de soi » (p. 153). Par conséquent, le chat et son image sont utilisés pour exprimer quelque chose à propos de soi, contribuant à la construction d’une identité numérique qui oscille entre monstration et dissimulation. Ainsi, J. Simon situe-t-elle le début du partage des photos de chats à partir du confinement du printemps 2020, en particulier avec l’essor du télétravail. Dans cette optique, l’identité numérique dépend d’un processus social, où la visibilité est le fruit d’un désir d’approbation collective, d’extimité. J. Simon identifie quatre ethos discursifs. Les deux premiers sont de nature individuelle : « Je parle de MON chat » et « Je parle de MOI à travers mon chat ». Les deux autres relèvent d’une dimension collective : « MOI aux côtés de MON chat » et « MOI, MON chat et les autres ». Dans un second temps, les chats sont envisagés comme des vecteurs d’expression des émotions sur les réseaux socionumériques. Parfois, les #ChatonsMignons sont décrits comme « un pansement résilient bien utile pour traverser des situations difficiles » (p. 209), constituant ainsi un moyen de cultiver une forme d’extimité avec son cercle virtuel. Cependant, l’autrice souligne aussi l’existence d’un « processus de récupération des données au service du capitalisme affectif » (p. 217). Le fonctionnement des plateformes et de leurs algorithmes transforme ces #ChatonsMignons en de réelles opportunités au service de l’engagement par le clic.

7Cet ouvrage, qui s’adresse à tous types de publics souhaitant se familiariser avec les enjeux de la culture numérique en offrant une exploration approfondie et multidimensionnelle du rôle des chats dans l’univers numérique, met en lumière leur impact sur la communication, la culture participative, l’identité numérique et l’expression émotionnelle en ligne. Il invite les chercheurs et, plus globalement, les internautes, à approfondir leur compréhension des implications culturelles, sociales et éthiques de la présence des chats sur internet.

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Pour citer cet article

Référence papier

Léna Billerey, « Justine Simon, #ChatonsMignons. Apprivoiser les enjeux de la culture numérique, Paris, Éd. L’Harmattan, coll. Communication et civilisation, 2024, 312 pages. »Questions de communication, 46 | 2024, 641-645.

Référence électronique

Léna Billerey, « Justine Simon, #ChatonsMignons. Apprivoiser les enjeux de la culture numérique, Paris, Éd. L’Harmattan, coll. Communication et civilisation, 2024, 312 pages. »Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 10 février 2025, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/37496 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12yh0

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