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Notes de lecture
Culture, esthétique

Jean-Michel Tobelem, Politique et gestion de la culture. Publics, financement, territoire, stratégie, Malakoff, A. Colin, coll. U, 2023 [2005], 397 pages.

Fabrice Thuriot
p. 499-502
Référence(s) :

Jean-Michel Tobelem, Politique et gestion de la culture. Publics, financement, territoire, stratégie, Malakoff, A. Colin, coll. U, 2023 [2005], 397 pages.

Texte intégral

1Cet ouvrage est issu de la thèse de Jean-Michel Tobelem intitulée Le Musée, une « organisation culturelle de marché » ? Contribution à une doctrine de la gestion muséale soutenue en 2003 à l’Université Paris 9-Dauphine en sciences de gestion. Grâce à son activité de consultant et de professeur associé à l’Institut de recherche et d’études supérieures en tourisme (Irest) de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sa réflexion a été déclinée en quatre versions successives du livre, pour en refléter son extension à toutes les structures et, en général, à la politique culturelle.

2La première et la deuxième éditions s’intitulaient Le Nouvel âge des musées. Les institutions culturelles au défi de la gestion (Paris, A. Colin, 2005 puis 2010) avec une préface de Pierre Rosenberg, ancien président du musée du Louvre. La troisième édition portait le titre La Gestion des institutions culturelles. Musées, patrimoine, centres d’art (Paris, A. Colin, 2017) et c’est donc de la quatrième édition dont il est question ici. Par ce rappel, on peut constater que l’intention a évolué des musées vers les institutions culturelles – surtout patrimoniales et artistiques – puis vers le spectacle vivant et la politique culturelle en général. Force est de constater que l’essentiel de l’ouvrage concerne encore les musées, ce que l’auteur justifie par le fait que ce sont les institutions qui se sont le plus transformées, tout en étant celles qui offrent le plus de prise à une analyse du management, avec de nombreux exemples documentés, en particulier sur ceux provenant des États-Unis. Ensuite, les autres domaines abordés sont le patrimoine et les centres d’art et, enfin, le spectacle vivant. Cependant, comme l’auteur le rappelle en conclusion, l’ouvrage vaut pour les « institutions du monde occidental développé, prises à un moment précis de leur histoire » (p. 362).

3L’ouvrage s’apparente en partie à un manuel abordant tous (ou presque, selon l’auteur lui-même, qui évoque « l’ensemble des dimensions du management » [p. 362]) les aspects de la gestion des institutions culturelles (finance, gestion des ressources humaines, organisation, marketing, contrôle, stratégie, etc.), et des politiques culturelles (puissance publique, conceptions de la culture, politiques, gouvernance, valorisation et impact économiques, projets, publics, développement territorial, internationalisation, etc.). Le livre est bien rédigé, agréable à lire et composé de 6 parties : la politique, l’argent, les hommes, la gouvernance, la production et les stratégies, chacune dotée d’une conclusion intermédiaire, et 33 chapitres courts, sans compter bien sûr une introduction et une conclusion générale avec « quelques propositions relatives à la gestion des manifestations et des équipements culturels » (p. 363-366).

4À juste titre, l’auteur est réputé pour sa connaissance experte des musées et du patrimoine, ainsi que des politiques culturelles dans les autres domaines (voir ses publications sur la gestion des centres d’arts et du spectacle vivant et la politique de démocratisation culturelle). Il fait le lien de manière limpide entre la recherche et la pratique, étant à la fois universitaire et consultant, en prise directe avec les évolutions sociétales, y compris les crises financières, économiques, sanitaires et sociales (mais peu environnementales). Il ne craint pas non plus de dénoncer des situations critiquables comme la privatisation, qu’elle soit totale pour des raisons idéologiques ou partielles pour des raisons de gestion commerciale, sans prise en compte des coûts complets, en particulier d’investissement et de conservation, qui restent le plus souvent à la charge du secteur public sans contreparties suffisantes (voir le chapitre xxii, p. 221-226).

5Ses apports sont aussi importants concernant les financements publics et privés, les professionnels et les bénévoles, l’évaluation et la valorisation, les publics et les stratégies, la culture et les loisirs, etc. Chaque point est développé et précisé dans toutes ses composantes et ses nuances et donne lieu à des propositions argumentées et solides. Néanmoins, on pourra s’interroger sur celles concernant la valorisation du nom des donateurs, pratique anglo-saxonne contraire à l’esprit du service public, et l’accroissement du nombre de spectacles, déjà trop nombreux pour pouvoir tourner en salles suffisamment. Cependant, on trouve souvent et depuis longtemps le nom des donateurs dans nombre de musées, en particulier suite à des dons ou legs, mais cela pose problème en France s’il s’agit de nommer une salle, un bâtiment ou même un fonds de dotation (voir la tendance actuelle à donner le nom de gestionnaires d’arénas en délégation de service public ou en contrat de partenariat). Sur le spectacle vivant, même si l’auteur suggère un nombre plus important de représentations plus qu’un accroissement du nombre de spectacles, dont on considère que leur diffusion reste souvent limitée, on ne peut parler comme lui de malthusianisme au vu de l’accroissement du nombre de compagnies et de spectacles ces dernières décennies, et ce malgré l’augmentation des coûts et des cachets.

6Son argument principal repose sur la notion d’« organisation culturelle de marché » (OCM) qu’il caractérise plus précisément en conclusion (p. 358-362) qu’en introduction, « par une forme de dépendance à l’égard du marché » (p. 358), ce qui exclut certaines institutions : « Cette approche signifie que les institutions culturelles ne sont pas seulement entrées dans une logique de modernisation et de rationalisation. Que l’ensemble de l’organisation est concerné, en particulier – mais pas exclusivement – dans sa dimension gestionnaire. Que c’est donc bien toute l’activité de la manifestation ou de l’équipement culturel qui est confrontée à la logique du marché, en tant que lieu de rencontre d’une offre et d’une demande (concerts, spectacles, représentations, visites, expositions, programmation, financement, personnel). Qu’un rapprochement s’est opéré avec le monde du loisir, de la consommation et du divertissement. Mais cela signifie aussi que ces organisations n’étant pas des entreprises, elles ne sauraient non plus – en toute rigueur – constituer des “entreprises culturelles” » (p. 359).

7Cette suite de « considérants » non juridiques montre l’entrée d’organisations culturelles dans le marché, c’est-à-dire dans le monde compétitif du commerce, ce qui est une réalité autant pour nombre d’entre elles que pour les publics et usagers. Néanmoins, on regrettera l’utilisation imprécise du terme « entreprise », tantôt seul, tantôt qualifié de « commerciale » (p. 19), ce qui aurait été préférable pour plus de justesse, quand ce n’est pas pour exclure les entreprises culturelles comme ci-dessus, en référence aux industries culturelles, voire créatives. En effet, le mot « entreprise » renvoie aussi bien à une action qu’à une organisation économique de biens ou services à vocation commerciale et destinée à réaliser des profits (selon la définition de l’encyclopédie Larousse en ligne) mais, surtout, il n’a pas de définition juridique et peut concerner aussi bien un établissement public (pourtant exclu des définitions communes du terme « entreprise ») comme le Louvre, qu’une société commerciale tel le centre national de la mer Nausicaá, une association comme le festival des Vieilles Charrues de Carhaix ou une fondation comme celle de Solomon-R.-Guggenheim, pour reprendre les exemples suggérés « au titre des OCM » (p. 359). Cela est d’autant plus dommage que l’auteur maîtrise bien les statuts juridiques, qu’il expose avec précision (p. 201-220). Cependant, ce dernier justifie l’utilisation restrictive du mot entreprise à une organisation poursuivant une finalité lucrative à titre principal, à la fois pour des raisons de clarté, mais aussi parce qu’il souhaite proposer une approche du management adaptée à la réalité des institutions sans but lucratif, ce qui, selon lui, nécessite de distinguer clairement les organisations guidées par l’accomplissement de leur mission de celles guidées par la recherche de la rentabilité financière. Pour le reste, il considère que c’est la notion de démarche entrepreneuriale qui peut servir à caractériser de façon métaphorique une approche paraissant inspirée du monde de l’entreprise commerciale, y compris dans le secteur sans but lucratif.

8En conclusion, la notion d’OCM ne doit pas déboucher sur des « organisations culturelles modifiées » qui feraient passer l’économie et la gestion pour des buts et non des moyens destinés à améliorer le management des institutions culturelles, afin d’obtenir des politiques culturelles (artistique, scientifique, éducative, économique, sociale, touristique, etc.) intégrées dans leur territoire.

9Il est dommage que l’auteur se cite régulièrement sans toujours le préciser de façon explicite et sous-exploite une bibliographie pourtant abondante et appropriée, alors même que de nombreuses références ne sont pas indiquées concernant les résultats d’études qu’il reprend fort à propos lors de ses développements, dans sa volonté de documenter et de rendre accessibles toutes ses recherches sans filtre académique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Fabrice Thuriot, « Jean-Michel Tobelem, Politique et gestion de la culture. Publics, financement, territoire, stratégie, Malakoff, A. Colin, coll. U, 2023 [2005], 397 pages. »Questions de communication, 46 | 2024, 499-502.

Référence électronique

Fabrice Thuriot, « Jean-Michel Tobelem, Politique et gestion de la culture. Publics, financement, territoire, stratégie, Malakoff, A. Colin, coll. U, 2023 [2005], 397 pages. »Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 10 février 2025, consulté le 16 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/37597 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12yhb

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Auteur

Fabrice Thuriot

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