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Notes de lecture
Culture, esthétique

Damien Connil, L’Imaginaire constitutionnel à l’écran. Constitution, cinéma et séries, Paris, Classiques Garnier, coll. Recherches cinématographiques, 2023, 221 pages.

Michel Cadé
p. 466-469
Référence(s) :

Damien Connil, L’Imaginaire constitutionnel à l’écran. Constitution, cinéma et séries, Paris, Classiques Garnier, coll. Recherches cinématographiques, 2023, 221 pages.

Texte intégral

1À l’énoncé d’un titre comme celui de la collection qui l’accueille, on est en droit de penser que l’ouvrage s’inscrit dans le champ de l’histoire des représentations. Dès son introduction, l’auteur nous détrompe en soulignant que sa démarche « s’inscrit dans une ambition plus large d’appréhension et de compréhension du phénomène juridique dans son ensemble, du droit tel qu’il vit et tel qu’il est vécu » (p. 12) précisant plus loin « qu’il ne s’agit donc pas, non plus, de faire œuvre d’analyse filmique ou de se lancer dans une étude de réception » (p. 15). Par-là, il signifie la primauté de la réflexion sur le droit – en l’occurrence constitutionnel – délaissant celle sur les images, désormais réduites à la fonction d’illustration, à l’instrumentalisation. Singulier projet très en deçà des recherches sur les représentations conduites dans d’autres sphères depuis de longues années déjà, particulièrement en histoire et en études cinématographiques.

2L’ouvrage est divisé en trois parties, elles-mêmes divisées en trois chapitres, eux aussi divisés à l’identique sauf une exception (en deux sous-chapitres), norme où l’on reconnaît la patte du juriste. Consacrée à « Voir (ce qui est constitutionnel) » (p. 17-64), la première partie développe l’idée que le cinéma part du pouvoir et de l’État pour rendre visible la constitutionnalité par divers exemples de films ou séries, la constitutionnalité étant censée dériver du pouvoir étatique. L’auteur étaie cette affirmation, au mieux d’un résumé succinct du scénario voire d’une simple citation du titre (p. 22-23, 25). En insistant sur les attributs du pouvoir dans cette partie, il reprend avec justesse « le code visuel » (p. 26) du bureau ovale mis en évidence par Olivier Chopin. Il s’intéresse ensuite au fonctionnement des institutions montré dans diverses œuvres, sans grand égard quant à leur inscription temporelle, néanmoins avec une certaine efficacité. Il souligne qu’avec les déambulations des personnages – caractérisation des éléments clés du dispositif constitutionnel (président·es, premier·ères ministres) – se donne à voir, pour qui sait voir, la complexité constitutionnelle (p. 33-43) éclairée par la pratique électorale ou celle des discours officiels, voire la pratique juridique (p. 44-53) ; et ce, non sans que le⸱la lecteur⸱ice soit parfois un peu perdu⸱e dans le maquis que forment l’acte électoral, les discours des chefs d’État, les jugements de la cour suprême et la pratique qu’ils infèrent à tous les niveaux de la chaîne judiciaire. Cette partie s’achève sur un retour bienvenu au cinéma avec la mise en scène et la dramatisation du « spectacle constitutionnel » (p. 55-56). Quelques analyses techniques (par exemple, sur l’usage de la Steadicam [p. 56]), quelques réflexions (sur l’adresse au public [p. 59-60], la construction des plans [p. 64]), une comparaison avec la série télévisée Urgences (1994 ; p. 56-58 ; qui ne vaut que pour les séries), érigée en norme et négligeant la vogue actuelle des séries médicales, montrent que l’auteur a entrevu comment il aurait pu dépasser l’essai juridique dans une analyse croisée du juridique et du cinématographique, sans saisir pour autant l’opportunité.

3La deuxième partie, « Comprendre (ce pour quoi est fait le droit constitutionnel) » (p. 65-132), s’ouvre sur une évocation du générique de la série Game of Thrones (David Benioff et D. B. Weiss, 2011) peu convaincante (p. 67). L’auteur y entreprend d’explorer la Constitution dans ses aspects normatifs plus dans une réflexion de juriste proche d’un cours de droit (p. 72-73) que dans une démarche cinématographique. Quand il se consacre à cette discipline, Damien Connil choisit d’analyser, étrangement, parmi les films illustrant son propos, L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller (2011) où la lettre de la Constitution est mise à mal (p. 71-72). S’interrogeant sur le caractère écrit (ou non) des constitutions, en particulier dans le cas américain, il cite des films, sans jamais sortir des scenarii, et donc en leur donnant une valeur essentiellement illustrative sans interroger les origines du processus constitutionnel né au xviiie siècle (p. 79). L’analyse des divers niveaux auxquels se manifeste le processus constitutionnel permet à l’auteur d’entrer dans la complexité des choses avec l’étude – pour une fois, un peu cinématographique, quoique dépourvue d’analyse des images – du film d’Éric Rohmer L’Arbre, le maire et la médiathèque (1993 ; p. 84-87). Une tentative d’introduire science-fiction et fantastique comme porteurs d’un droit constitutionnel alternatif est décevante. Il aurait fallu en montrer l’utilité pour le propos général (p. 89). Le chapitre consacré à la Constitution comme garantie des droits ne manque pas d’intérêt, d’autant qu’il envisage aussi leur limitation, mais se fonde essentiellement, pour ce qui est de la garantie, sur un exemple tiré de la série The West Wing (Aaron Sorkin, 1999 ; p. 94-104). Dans le chapitre « Mythe ou totem » l’idée d’une « geste constitutionnelle », (p. 117), sorte de Chanson de Roland du droit constitutionnel, est plaisante quoique farfelue, mais le retour sur la figure du président des États-Unis (p. 117-122), déjà évoquée dans la première partie, est un peu redondante. Quant au « récit partagé » (p. 125-132), il est consubstantiel aux choix narratifs de l’ouvrage.

4Intitulée « Imaginer (ce qui pourrait être constitutionnel) » (p. 133-177), la troisième partie s’efforce de passer de l’autre côté du miroir pour dévoiler ce qui, en général, est hors de portée des citoyens ordinaires. D’abord, les lieux du pouvoir issus de divers films et séries, déjà parcourus dans les parties précédentes, mais ici rassemblés de façon à faire sens (p. 136-149). Évoquant la possibilité pour les films et les séries de mêler, dans leur générique comme au cœur des œuvres, des personnages réels et fictifs fabriquant un métarécit où l’histoire, la fiction, le présent se confondent, l’auteur fait preuve d’une finesse d’analyse remarquable qui eût gagné à s’appuyer sur des images, mais qui est un apport précieux pour les chercheurs de la discipline (p. 151-158). Ensuite, il oriente sa réflexion sur le réalisme des œuvres étudiées qualifiées de miroir et reflets (p. 158-159) – théorie quelque peu obsolète –, avant de se lancer, enfin, dans un descriptif des images mouvantes et de leurs techniques (p. 159) pour revenir au cours de l’analyse du XXVe amendement de la Constitution états-unienne, à une citation multiple d’une compilation d’œuvres bien organisée, certes, mais qui eut été autrement performante s’il avait laissé s’exprimer les images (p. 190-164). Pour conclure la partie, l’auteur propose « un pas de côté » (p. 167), celui que permettent films et séries en interpellant les spectateur⸱ices sur les conditions du réel par la fiction. D’une certaine façon, ces œuvres ouvrent un espace de réflexion et de discussion dont la distance au quotidien garantit l’autonomie, cette forme de la liberté. La convocation de la saga The Tudors (Michael Hirst, 2007), aux côtés de Baron noir (Éric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon, 2016), comme de Star Trek (Gene Roddenberry, 1966), Star Wars (Georges Lucas, 1977) et Harry Potter (Chris Columbus, 2001), à ceux de The West Wing (Aaron Sorkin, 1999) ne manque pas de fraîcheur, mais fait un peu désordre et demanderait à être légitimé (p. 168-171). Et l’auteur de conclure cette ultime partie sur un possible idéal constitutionnel représenté par Monsieur Smith au Sénat (1939) de Frank Capra et Star Trek (p. 174-175). La conclusion d’ensemble affirme une triple conviction : la connaissance de l’imaginaire d’une époque passe par ses productions artistiques (p. 181) ; cinéma et télévision sont « une porte d’accès au monde constitutionnel » (p. 182) ; les juristes sont concernés à deux titres par l’ensemble d’œuvres examiné, ils sont perméables aux récits et images diffusées, susceptibles d’avoir une influence sur le droit constitutionnel réel, et capables de nourrir l’imaginaire des juristes donc du droit (p. 182-183).

5Cet ouvrage est avant tout destiné à un lectorat de juristes, ce que manifeste sa rédaction même où l’abondance des citations renvoie aux travaux de jurisprudence. Les notes infrapaginales occupent parfois le tiers des pages pour culminer avec les deux tiers de la page (p. 115) et les trois quarts (p. 118). On jugera peut-être cette énumération superflue, le texte étant au départ un travail d’habilitation à diriger des recherches. Néanmoins, devenu un ouvrage en principe destiné à un large public, l’auteur aurait pu s’affranchir de contraintes universitaires malaisantes, évitant ainsi de donner l’impression qu’il privilégie le copier-coller de ses lectures aux dépens d’une pensée personnelle dont on entend cependant la musique sous l’accumulation des références. De façon plus générale, le parti-pris juridique du texte conduit D. Connil à négliger les normes des études de représentations, de justifications du corpus, de mise en contexte des œuvres, d’analyses minimales des images – puisqu’il s’agit d’images – et la réalisation d’études de cas pour soutenir et relativiser un discours généralisant. À s’aventurer sur le territoire (ici les sciences des représentations) de l’autre, on gâche parfois des intuitions bien intentionnées.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Cadé, « Damien Connil, L’Imaginaire constitutionnel à l’écran. Constitution, cinéma et séries, Paris, Classiques Garnier, coll. Recherches cinématographiques, 2023, 221 pages. »Questions de communication, 46 | 2024, 466-469.

Référence électronique

Michel Cadé, « Damien Connil, L’Imaginaire constitutionnel à l’écran. Constitution, cinéma et séries, Paris, Classiques Garnier, coll. Recherches cinématographiques, 2023, 221 pages. »Questions de communication [En ligne], 46 | 2024, mis en ligne le 10 février 2025, consulté le 17 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/37698 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12yhk

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Auteur

Michel Cadé

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