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Dossier. Mémorialiser des attentats terroristes du xxie siècle
Collecter, conserver, diffuser

Du Musée-Mémorial du terrorisme à Suresnes

Propos recueillis par Béatrice Fleury et Jacques Walter
On Memorial-Museum of Terrorism in Suresnes. Interview by Béatrice Fleury and Jacques Walter
Henry Rousso
p. 107-116

Résumés

Lors d’un entretien avec l’historien Henry Rousso, ce dernier retrace à Béatrice Fleury et Jacques Walter quelques moments et aspects clés du projet de Musée-Mémorial du Terrorisme qui ouvrira ses portes à Suresnes en 2027. Le président de la République, Emmanuel Macron, a confié à Élisabeth Pelsez, magistrate, et à H. Rousso la mission de concevoir un lieu de mémoire national consacré aux victimes du terrorisme. L’historien évoque la source d’inspiration que furent les démarches relatives à la Shoah et l’enjeu que représente une mission de ce type pour un spécialiste du temps présent, également soucieux de réfléchir aux relations entre histoire et mémoire. Après la constitution d’un groupement d’intérêt public, dirigé par É. Pelsez et présidé par H. Rousso, un axe de travail juridico-historique s’est dessiné, parallèlement à la création en 2019 du Parquet national antiterroriste. Le projet de musée étant acté, celui des collections restait à définir. C’est du côté des scellés judiciaires (armes et munitions, vêtements, ou objets, etc.) qu’une réponse s’est profilée, une histoire pouvant être racontée par leur intermédiaire. Cependant, d’autres défis ont surgi : la définition du terrorisme et des actes afférents ; la justification de la création d’un tel lieu ; la distance par rapport aux faits incriminés et/ou aux victimes concernées. Sans compter la place à réserver à de futurs actes terroristes.

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Texte intégral

1La France fait partie des pays qui accordent une place très particulière aux victimes du terrorisme. Cela se concrétise par des lois, des statuts, des dispositifs, etc. Suite aux attentats terroristes de 2013 et 2015 en France, le président de la République, François Hollande, crée un éphémère secrétariat d’État à l’aide aux victimes, confié à Juliette Méadel (février 2016-mai 2017). C’est le second du genre après une première expérience dans le gouvernement Raffarin, en 2004-2005, avec Nicole Guedj comme titulaire. Après l’élection d’Emmanuel Macron, la fonction sort du champ du politique pour entrer dans une logique administrative avec la création en août 2017 de la délégation interministérielle à l’aide aux victimes (Diav) rattachée au ministère de la Justice. La première titulaire du poste, la magistrate Élisabeth Pelsez en 2017, reçoit de l’Élysée la mission de penser une « politique mémorielle » pour les victimes du terrorisme. Ce nouveau terme est entré dans le langage politique depuis le début des années 2000 et il couvre un domaine désormais réservé du président de la République. La demande est consécutive au constat d’un manque flagrant en la matière, surtout après les attentats de masse de 2015 et 2016. À titre d’exemple, les mémoriaux des attentats du 13-Novembre sont peu diserts quant à la nature des faits. Aux abords des terrasses du 10e et 11e arrondissements de Paris, on trouve des plaques en hommage « aux victimes du terrorisme », sans autre précision. Il y a donc la nécessité d’aller plus loin dans l’ordre de la mémoire et de l’histoire de ces événements.

De la genèse d’un Musée-Mémorial

2La demande porte notamment sur la création d’un lieu de mémoire national afin d’éviter que le président ou le Premier ministre n'aient à se déplacer en de multiples endroits à chaque commémoration. Le terrorisme a en effet pour caractéristique d’avoir touché de très nombreuses communes en France. É. Pelsez réunit alors un Comité mémoriel, une sorte de conseil scientifique pluridisciplinaire dont font partie, entre autres personnalités, le sociologue Michel Wievorka, l’historien Denis Peschanski, le magistrat Antoine Garapon1. Ce comité réunit des spécialistes des questions mémorielles, des hauts fonctionnaires, ou encore des chercheurs en neurosciences.

  • 2 Le 15 septembre 1974 à Paris, vers 17 h 15, le terroriste vénézuélien, Illich Ramírez Sánchez (dit (...)

3En septembre 2018, le Comité mémoriel rend un rapport comportant 14 propositions dont la création d’une commémoration nationale des victimes du terrorisme le 11 mars, date de la Journée européenne qui correspond à celle de l’attentat de Madrid (Espagne) en 2004, perpétré contre plusieurs trains de banlieue à la gare d’Atocha et ayant causé la mort de 193 personnes. C’est l’attaque la plus meurtrière sur le sol européen. Figurent également la proposition de créer un « musée-mémorial des sociétés à l’épreuve du terrorisme » ou encore l’enregistrement filmé des principaux procès pour terrorisme. E. Macron accepte toutes les propositions du rapport. S’y ajoute une autre disposition, importante pour le futur Musée-Mémorial du Terrorisme (MMT) : l’extension du champ d’attribution de la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme. Créée en 2016, cette dernière était accordée rétroactivement aux victimes pour des faits commis depuis 2006, une date arbitraire. Le gouvernement fait remonter la rétroactivité jusqu’au 1er janvier 1974, pour y inclure l’attentat du 15 septembre 1974, considéré comme le premier depuis la fin de la Guerre d’Algérie ayant fait des victimes civiles au hasard2. En février 2019 est créée la mission de préfiguration du MMT et le 11 mars 2019, se tient la première commémoration nationale des victimes du terrorisme.

4L’instauration par l’exécutif de mesures mémorielles nationales traduit un mouvement déjà observé dans le cadre des politiques mémorielles pour la Shoah : la mobilisation civile par des associations qui rassemblent des publics au point que l’investissement politique devient incontournable. Il y a néanmoins une différence fondamentale : il n’y a pas ici de reconnaissance d’une faute de l’État. Il ne s’agit pas de ce que j’ai appelé une « mémoire négative » (Rousso, 2012), qui peut définir la plupart des questions de mémoire qui ont agité la France depuis les années 1990 sur l’Occupation, le colonialisme ou l’esclavage. Cette mobilisation et cette politique mémorielle concernant les victimes du terrorisme ne répondent pas à un « scandale » historique, même si elles ont fait l’objet de débats.

5En ce qui concerne la création d’un mémorial sur le terrorisme, là encore, les précédentes démarches relatives à la Shoah vont être une source d’inspiration. Advient l’idée de ne pas faire un simple monument aux morts, mais de lui adjoindre un musée. La plupart des grands mémoriaux sont aussi des musées, le mémorial de la Shoah à Paris comme celui de Washington. Le Comité mémoriel propose donc la création d’un MMT et me confie la charge d’incarner le projet. C’était un vrai défi pour moi qui ai passé une partie de ma carrière à analyser, voire à critiquer parfois les politiques de mémoire ou les actions mémorielles. On me proposait d’être de l’autre côté. Mais, surtout, un musée-mémorial, joignait l’histoire et la mémoire. C’était là un vrai challenge intellectuel de mettre en application à la fois ce sur quoi j’avais travaillé, les rapports entre histoire et mémoire, et traiter un phénomène du temps présent qui n’est en rien achevé. Pour un musée d’histoire, c’est difficile à mettre en scène. Là encore, cela signifiait pour moi mettre en pratique, et sur un sujet particulièrement sensible, ce que j’avais pu écrire sur l’écriture d’une histoire du temps présent (Rousso, 2012).

6Comme j’avais reçu une première lettre de mission du Premier ministre Édouard Philippe en février 2019 et, après la parenthèse due à la pandémie de Covid, une seconde du président E. Macron en juin 2020, j’avais en principe la garantie que ce projet de musée-mémorial serait porté jusqu’au bout. D’un autre côté, je pouvais craindre d’être soumis à des préconisations voire des pressions quant à la manière d’aborder le sujet. Rien de tel n’a eu lieu. C’est la mission qui, au contraire, a sollicité maintes fois la présidence, notamment pour sauvegarder le projet face aux aléas des changements de gouvernements entre 2021 et 2025.

  • 3 Pour davantage d’informations sur le Musée-Mémorial du terrorisme, voir https://musee-memorial-terr (...)
  • 4 V-13 est l’acronyme qui désigne le procès des attentats du vendredi 13 novembre 2015 commis à Paris (...)
  • 5 Le camp de Guantánamo est une prison militaire de haute sécurité, située sur la base navale états-u (...)

7É. Pelsez et moi-même avons pris, elle la direction, moi la présidence de l’assemblée générale d’un Groupement d’intérêt public (GIP) en 2021, une structure légère qui porte le projet jusqu’à l’ouverture du MMT3. Nos carrières respectives ont permis un axe de travail juridico-historique, au moment où les procès pour actes terroristes s’intensifient considérablement. De fait, 2019 est l’année de création du Parquet national antiterroriste (Pnat), c’est-à-dire la centralisation des poursuites. Ce qui constitue une évolution de la politique pénale en la matière, les procès ayant pour objectif d’offrir aux victimes un début de réparation. On poursuit quoi qu’il arrive, même si les principaux acteurs sont morts, même si l’on ne juge que des comparses. Cela a aussi permis le lancement systématique d’enquêtes miroir, c’est-à-dire la possibilité pour la justice française d’ouvrir un dossier lorsqu’un attentat est commis à l’étranger. Tout cela a considérablement joué dans la multiplication des procès comme le V-134, le plus emblématique et le plus grand procès de l’histoire de France. Toutefois, l’importance de la dimension judiciaire est une particularité française et joue un rôle essentiel dans la mémorialisation du terrorisme. Il n’y a aucune dimension judiciaire dans la mémoire des attentats aux États-Unis, pour la bonne raison qu’il y a eu très peu de procès – les procès de Guantánamo5 mis à part, qui ne méritent pas le nom de de procès. En Allemagne, il y a eu des procès, mais c’est la traque des responsables qui est le plus valorisée. Il y a donc des différences nationales notables quant à la gestion judiciaire et mémorielle du terrorisme.

Des objets

8Une fois lancé, le GIP rencontre un certain nombre d’obstacles. Le ministère de la Culture, membre du GIP, nous dit que pour créer un musée il nous faut des collections, que nous n’avons pas. En tout état de cause, aucun des ministres qui se sont succédé, à ce poste, sauf Rima Abdul Malak (mai 2022-janvier 2024), n’était favorable au projet. Ce ministère a peu d’appétence pour les musées d’histoire et de société, et n’en a eu aucune pour celui-ci sauf durant une courte période. Or, constituer des collections sur le terrorisme n’avait rien de naturel. Nous avons donc eu l’idée de prospecter du côté des scellés judiciaires. Si la procédure et le procès produisent de l’archive papier et le dossier judiciaire, versé aux archives municipales une fois l’affaire close, la plupart des objets qui ont servi à l’enquête, les scellés judiciaires, finissent eux au greffe du tribunal de Paris avant d’être jetés pour 90 % d’entre eux. Nous avons eu l’idée de les récupérer et donc de les « patrimonialiser ». Je m’attendais à des difficultés d’accès, mais nous avons rencontré un tel enthousiasme pour notre projet dans la haute magistrature que nous y sommes parvenus. Certes, il y a eu quelques écueils juridiques à résoudre : le MMT ne peut pas être propriétaire de ces scellés, mais il a un droit de gardiennage. Ces scellés sont constitués de divers types de pièces, collectées sur une scène de crime ou auprès des différents protagonistes : armes et munitions, vêtements ou objets ayant appartenu aux terroristes ou aux victimes, véhicules, etc.

  • 6 Le Hezbollah (Parti de Dieu), un parti politique et groupe paramilitaire islamiste chiite libanais, (...)

9Pour donner un exemple, les scellés des attentats dits du Hezbollah6 ont été en grande partie détruits. Nous sommes arrivés trop tard, mais nous avons pu récupérer une poubelle dont le couvercle était percé de trous. Nous avons montré cet objet à Jean-François Clair, l’ancien chef adjoint de la Direction de la surveillance du territoire (DST), en première ligne de la lutte contre le terrorisme, et membre de notre conseil scientifique. Coup de chance, c’est lui qui avait mené l’enquête et il a pu nous retracer l’histoire de cet objet retrouvé en forêt de Fontainebleau. Cette poubelle ordinaire devait contenir des explosifs et cette découverte a permis à la DST de remonter une piste et éviter d’autres attentats prévus pour 1987. Cette simple poubelle est donc un élément qui permet d’expliquer à la fois le mode opératoire des terroristes et la nature des investigations policières.

  • 7 Le 25 juillet 1995, le Groupe islamique armé (GIA) fait exploser une bombe dans le RER B, près de l (...)

10Le terrorisme est une violence de guerre en temps de paix. Parfois, on a donc dans les scellés des armes de guerre. Ce fut le cas pour le 13-Novembre. Mais la plupart du temps, ce sont des objets du quotidien qui servent aux attentats, notamment des bombes que presque n’importe qui peut fabriquer de manière artisanale. Autre exemple, nous avons retrouvé dans les scellés une carte du métro sur laquelle les enquêteurs ont retracé, seconde par seconde, le trajet des terroristes de l’attentat du RER à Saint-Michel en 19957. Il s’agit d’une carte de l’enquête judiciaire de l’époque, un peu bricolée avec des feutres de couleur. On perçoit la différence avec les méthodes d’aujourd’hui et l’usage d’outils numériques. Nous avons réalisé un petit film présentant ces scellés, dont cette carte. Il a été projeté lors des commémorations du 11 mars, aux Invalides. À l’une d’entre elles, Jean-François Ricard, le procureur national antiterroriste, s’est précipité sur moi, surpris de voir cette carte, m’expliquant que c’est lui qui l’avait demandée et en partie réalisée alors qu’il était juge d’instruction en charge du dossier. À partir de ce simple objet, lui aussi a pu nous expliquer comment la police judiciaire avait établi le mode opératoire des terroristes, contribuant à leur arrestation.

11À partir d’un objet, on raconte donc une histoire. Le MMT a aussi reçu des dons de la part de victimes et proches de victimes, comme des dons d’organismes d’État : pompiers, services de police, services de renseignement, etc. Par exemple, la DST doit faire don au MMT d’instruments utilisés dans les années 1970-1980 pour les écoutes téléphoniques.

Des définitions

12L’une des principales difficultés que nous avons rencontrées est bien entendu la définition du terrorisme. La définition de la loi de 1986, la première à qualifier un acte terroriste, est par définition limitée : « Une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur »8. Une approche scientifique plus large est moins aisée. Nous avons ainsi retenu une demi-douzaine de critères permettant de distinguer ce qui peut relever du terrorisme et ce qui n’en est pas9. Tous ne sont pas nécessaires mais dès lors que l’on en repère trois ou quatre, on peut considérer que nous sommes en présence d’un acte terroriste. Le terrorisme est d’abord un mode opératoire, quelles que soient les motivations. Son but essentiel est de faire peur. Tuer, torturer, contraindre ne sont pas des fins en soi, mais de moyens. De même, le terrorisme contemporain utilise des formes de violence de guerre en temps de paix pour déstabiliser, sidérer ou créer du chaos. Certes, cette notion est très souvent instrumentalisée et sa définition est difficile mais le terrorisme n’en est pas moins une réalité.

  • 10 Serge Barcellini est contrôleur général des armées et président général du Souvenir Français, assoc (...)

13Tout comme la définition âprement discutée du fascisme ou du totalitarisme n’enlèvent rien à leur réalité historique. C’est la raison pour laquelle le MMT aborde la question de manière frontale. Je ne souscris pas par exemple à l’idée qu’il faille utiliser des termes plus vagues comme celui de « violence politique ». En revanche, nous considérons que le débat sur la définition doit rester ouvert pour tenir compte de situations particulières. À titre d’exemple, j’ai eu une discussion avec Serge Barcellini10 à propos de l’attentat du Drakkar à Beyrouth, le 23 octobre 1983, où 58 militaires français ont trouvé la mort. De son point de vue, comme du point de vue de la plupart des militaires, ces soldats ne sont pas des « victimes » au sens où ils sont morts en accomplissant leur devoir dans un contexte de guerre et il ne faut pas les assimiler à des victimes (civiles) du terrorisme. Or, 26 d’entre eux, presque la moitié, ont obtenu après des démarches de leur proches la médaille de reconnaissance des victimes du terrorisme. Ce choix résulte d’une autre analyse des faits, notamment le fait que ces soldats n’étaient pas en situation de combat. Qui a raison ? Est-ce au MMT de trancher ? Il nous appartient surtout d’exposer aussi bien les faits que les dilemmes qu’ils posent après coup, ici la tension entre la mémoire combattante et la mémoire des victimes du terrorisme. Cette tension est palpable et le MMT a même dû en subir quelques conséquences.

Des difficultés

  • 11 Le mémorial de la France combattante, aussi appelé mémorial du Mont-Valérien, est un monument créé (...)

14Dans la mémorialisation du terrorisme se trouvent des enjeux de représentation exacerbés. Le terrorisme est un phénomène qui touche tout le monde de manière assez prégnante : même si l’on n’a pas quotidiennement peur de l’explosion d’une bombe, cela fait partie de notre environnement. On est parfois fouillé, on est surveillé. Malgré l’engagement présidentiel sur le projet, nous avons rencontré des difficultés à justifier la création d’un tel musée-mémorial. Il y a le cas déjà cité des réticences du ministère de la Culture, pourtant le maître d’ouvrage, mais qui ne considère pas les musées historiques comme réellement légitimes face aux musées d’art. Il y a aussi eu d’autres formes de réserves. La Fondation de la Résistance, la Fondation de la mémoire de la déportation ou encore la Fondation de la mémoire de la Shoah ont manifesté une hostilité déclarée lorsque le site de Suresnes a été choisi pour y installer le musée, à proximité du Mémorial de la France combattante11, un choix purement fortuit. Dans l’ensemble, pourtant, le projet du MMT a rencontré de nombreux soutiens auprès de la magistrature, des chercheurs, du monde scolaire ou encore de musées comparables en France et à l’étranger. Nous en avons pris la mesure lorsque, le 29 novembre 2024, le gouvernement Barnier a voulu arrêter le projet pour raisons budgétaires et sans nous consulter, ni consulter le président de la République. Toutes les associations de victimes, représentées dans notre observatoire d’orientation se sont mobilisées, appuyées par le président de cette instance, François Molins, l’ancien procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Paris lors des attentats de 2015, avec l’aide de l’ensemble de notre Conseil scientifique et culturel, présidé par le sociologue Michel Wieviorka, et de nombreux autres chercheurs et personnalités. Les survivants et proches des victimes ont été parmi les plus actifs à défendre le projet, notamment sa dimension muséale, la plus importante à leurs yeux car elle permettait une transmission aux plus jeunes et offrait la possibilité de donner un sens aux événements terroristes. Cette attitude a quelque peu désarçonné les décideurs politiques et c’est peut-être l’une des raisons fondamentales qui explique la relance du projet par É. Macron en janvier 2025.

  • 12 La salle de spectacle Le Bataclan à Paris est l’un des lieux où se sont déroulées les attaques terr (...)

15Peut-être que l’une des difficultés principales pour moi relevait de la crainte de manquer de distance au regard du sujet. Au début, j’ai eu une certaine appréhension à devoir travailler avec des victimes ou des proches de victimes du terrorisme. Sans doute plus que je n’en avais eu, plus jeune, vis-à-vis des anciens déportés ou des survivants de la Shoah. Bien que ce dernier événement ait traversé mon histoire familiale, j’avais réussi à garder une certaine distance avec ces témoins et survivants qui étaient de l’âge de mes parents ou grands-parents. C’était même essentiel pour travailler en historien sur cette période. Avec la question du terrorisme, il y avait une proximité. Je suis de la même génération que la plupart des parents des victimes des terrasses parisiennes et du Bataclan12. En 2015, j’habitais à 200 m du Bataclan et je ne savais pas où était ma fille, d’où une grande inquiétude comme beaucoup de gens ce soir-là. Ce fut donc un apprentissage pour moi, un apprentissage rendu plus aisé grâce aux liens exceptionnels que j’ai pu nouer avec certains de celles et ceux profondément affectés par les attentats récents, ou encore marqués par des attentats plus anciens.

De l’implication des victimes

16D’une manière générale, l’implication des victimes dans un tel projet correspond aussi à une évolution des processus mémoriels contemporains. J’ai commencé ma carrière dans un contexte où mémoire et histoire n’étaient pas toujours en harmonie, où témoins et historiens tenaient chacun leurs positions, ce qui évidemment n’empêchait pas les échanges. Dans la démarche du MMT, les associations de victimes participent de plain-pied à l’élaboration du projet. Il existe entre elles et les membres de la mission une confiance mutuelle, qui s’est construite au fil des ans, en grande partie grâce à l’héritage laissé par l’action d’É. Pelsez lorsqu’elle était déléguée interministérielle à l’aide aux victimes. Ces associations ont participé à la rédaction du cahier des charges du futur mémorial des victimes et nous avons pu avoir avec elles de nombreuses discussions de fond, notamment sur la manière de montrer des objets sensibles, comme des armes, ou sur la façon de représenter la violence. J’ai été d’ailleurs surpris de voir que la plupart penchaient vers une approche plutôt franche de ces questions, à la condition de ne pas chercher à choquer.

17C’est avec leur accord également que nous avons élaboré les grandes lignes du parcours permanent avec trois grandes sections qui seront traitées en parallèle : l’histoire du terrorisme depuis la fin des années 1960, avec une rapide rétrospective depuis la fin des années 1960 ; la voix des victimes avec une insistance sur la situation singulière de leur prise en charge en France et de nombreux témoignages ; et enfin, les réactions des sociétés face au terrorisme, que ce soit le rôle des médias, les mobilisations populaires, la question des procès ou encore les processus mémorialisation.

L’action de la mission de préfiguration

  • 13 Le 7 octobre 2023, le Hamas lance une série d’attaques terroristes sur le territoire israélien au c (...)

18Les particularités du MMT par rapport à un musée classique se sont construites au fil de l’avancement du projet. Nous sommes une petite équipe d’une douzaine de personnes pour gérer les collections, élaborer – une tâche aujourd’hui quasi achevée – le programme muséographique, mener diverses opérations à caractère scientifique ou pédagogique, ou encore animer un réseau international avec la demi-douzaine de musées consacrés à un acte terroriste en particulier ou à une situation nationale particulière. À cet égard, le MMT a une particularité puisqu’il aborde l’ensemble des phénomènes terroristes depuis une demi-siècle. S’y ajoute une activité de gestion particulièrement importante compte tenu des difficultés administratives et financières que nous avons rencontrées depuis le début. En effet, il nous a fallu œuvrer dans le contexte du confinement, puis de la crise budgétaire et enfin dans le contexte international troublé de l’après 7-Octobre13.

19La mission de préfiguration a particulièrement travaillé avec les publics scolaires. Durant 3 ans, nous avons proposé de réaliser des expositions en ligne à près de 300 élèves de collèges et lycées, notamment de Strasbourg, Toulouse et Paris. J’ai été très marqué par l’investissement de ces élèves, non pas juste parce que cela les intéressait, mais parce que ce sujet et ces objets n’étaient pas pour eux de l’histoire : c’était leur monde, c’était leur temps présent. Avec le terrorisme, il y a une dimension particulière : c’est un événement qui est là, une menace constante, ce n’est pas une histoire éloignée. C’est la raison pour laquelle l’exposition permanente doit se terminer sur un espace muséographique consacré à des événements futurs, un pavillon d’actualité entièrement modulable.

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Bibliographie

Rousso H., 2012, La Dernière Catastrophe. L'histoire, le présent, le contemporain, Paris, Gallimard.

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Notes

1 La liste complète des membres du Comité est disponible sur https://www.fmsh.fr/actualites/michel-wieviorka-membre-du-comite-memoriel-instaure-par-la-garde-des-sceaux (consulté le 1 avril 2025).

2 Le 15 septembre 1974 à Paris, vers 17 h 15, le terroriste vénézuélien, Illich Ramírez Sánchez (dit Carlos ou le Chacal), lance une grenade dans le drugstore Publicis, situé à côté de la brasserie Lipp et en face du Café de Flore, en plein quartier Saint-Germain-des-Prés. L’attentat provoque la mort de 2 personnes et en blesse 34 autres.

3 Pour davantage d’informations sur le Musée-Mémorial du terrorisme, voir https://musee-memorial-terrorisme.fr/ (consulté le 3 avr. 2025).

4 V-13 est l’acronyme qui désigne le procès des attentats du vendredi 13 novembre 2015 commis à Paris et Saint-Denis.

5 Le camp de Guantánamo est une prison militaire de haute sécurité, située sur la base navale états-unienne de Guantánamo, au sud-est de Cuba. Il détient les personnes qualifiées de « combattant illégal », dont les terroristes, statut les excluant du système judiciaire fédéral. Les détenus ne peuvent donc comparaître que devant une commission militaire, sans être assistés d’un avocat et sans connaître les chefs d’accusation portés contre eux.

6 Le Hezbollah (Parti de Dieu), un parti politique et groupe paramilitaire islamiste chiite libanais, organise une série d’attentats terroristes entre 1985 et 1986 en France, à Paris et en Île-de-France, tuant 14 personnes et en blessant 303.

7 Le 25 juillet 1995, le Groupe islamique armé (GIA) fait exploser une bombe dans le RER B, près de la gare Saint-Michel à Paris.

8 Accès : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000693912 (consulté le 7 avril 2025).

9 Les critères de définition du terrorisme sont disponibles sur le site du MMT : https://musee-memorial-terrorisme.fr/definir-le-terrorisme (consulté le 7 avril 2025).

10 Serge Barcellini est contrôleur général des armées et président général du Souvenir Français, association de sauvegarde du souvenir des soldats morts pour la France, notamment par des actions d’entretien des tombes et de monuments commémoratifs.

11 Le mémorial de la France combattante, aussi appelé mémorial du Mont-Valérien, est un monument créé en 1960 en hommage aux combattants, résistants et déportés français, érigé sur le principal lieu d’exécution en France de résistants et d’otages par l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale.

12 La salle de spectacle Le Bataclan à Paris est l’un des lieux où se sont déroulées les attaques terroristes du 13-Novembre.

13 Le 7 octobre 2023, le Hamas lance une série d’attaques terroristes sur le territoire israélien au cours de laquelle 1 189 personnes sont tuées, 7 500 blessées et 251 prises en otage.

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Pour citer cet article

Référence papier

Henry Rousso, « Du Musée-Mémorial du terrorisme à Suresnes »Questions de communication, 47 | 2025, 107-116.

Référence électronique

Henry Rousso, « Du Musée-Mémorial du terrorisme à Suresnes »Questions de communication [En ligne], 47 | 2025, mis en ligne le 26 juin 2025, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/38220 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14aag

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Auteur

Henry Rousso

GIP, Musée-Mémorial du terrorisme, F-75042 Paris, France
henry.rousso[at]memorial-terrorisme.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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